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1.5. La sensualité en Angleterre : une menace

1.5.2. Détournements « fin de siècle »

1.5.2.1. Chevelure et exotisme

Arthur Symons est sans doute le principal chantre de l’érotisme parfumé dans la littérature anglaise. On rencontre plusieurs fois dans sa poésie le parfum de la chevelure féminine (« Stella Maris », par exemple, dans London Nights (1895)), mais l’exemple le plus développé est « Perfume248 ». L’odeur de la chevelure est, dans

248 A. Symons « Perfume » in Silhouettes (London, Mathews and Lane, 1892, p.44)

Shake out your hair about me, so That I may feel the stir and scent Of those vague odours come and go The way our kisses went.

Night gave this priceless hour of love, But now the dawn steals in apace, And amorously bends above The wonder of your face.

ce poème, à la fois un élément érotique et onirique, à la frontière de l’absence et de la présence, demeurant auprès du poète après le départ de la femme.

Chez Wratislaw, le parfum amoureux s’allie souvent à l’exotisme, en particulier dans un poème qui rappelle beaucoup le « Parfum exotique » de Baudelaire, intitulé « Frangipani » :

Perfume ! That lingerest round the throat, Between the breasts and in the hair

I kiss, and risest up to float About the room, a southern note Of subtly isles and swooning air, Thou leavest on the languid skin Outworn with nights and amorous toil, A spice of health that blossoms in Hot lands that tropic fragrance win From marvellous flowers and scented oil. Thou bring'st from far away to me

The savour of spice and southern palm, Of naked wild-food girls that flee By sunlit fountains and the calm

You fade, a ghost, upon the air ; Yet ah ! the vacant place still keeps The odor of your hair.

Trad :

Secoue tes cheveux autour de moi, pour Que je puisse sentir les remous parfumés De ces vagues odeurs aller et venir A la manière de nos baisers.

La nuit nous a donné cette heure d’amour sans prix, Mais maintenant l’aube entre de son pas léger et rapide, Et se penche amoureusement

Sur la merveille de ton visage. « Adieu » rampe entre nos baisers, Tu t’évanouis, fantôme, dans les airs ; Mais ah ! ta place vide garde encore L’odeur de ta chevelure.

Low murmure of a burning sea.249

Ce poème rappelle le « Parfum exotique » de Baudelaire par son motif principal : l’odeur sensuelle de la femme fait naître un imaginaire exotique. Mais l’évocation onirique est beaucoup moins développée et moins complexe. On peut élargir cette remarque à la comparaison entre les deux littératures : d’une façon générale, la poésie française accentue plus que la poésie anglaise la force onirique du parfum.

Parfois, on rencontre une odeur de chevelure très différente des autres, par exemple chez Swinburne, où elle apparaît avec une violence particulière. Bien que Swinburne confesse, dans une lettre à D.G. Rossetti, en 1869, que «he likes it

(olfactory sense) and is especially and extravagantly fond of that sense and susceptible to it (…)250 », les sensations olfactives n’abondent pas dans son oeuvre. La

plupart du temps, le parfum de la femme est qualifié de « sweet », terme qui renvoie à la fois à l’odorat et au goût. Par exemple, surgit dans Aholibah : « The sweet smell

of thy breast and mouth251 ». Un des rares poèmes dans lesquels les senteurs sont

249 Wratislaw Caprices (London, Gay and Bird, 1893, »Frangipani », p.35). Trad : Parfum ! qui t’attardes autour de la gorge

Entre les seins et dans les cheveux

Je donne un baiser, et tu te lèves pour faire flotter Autour de la pièce, une note exotique

Des îles où l’air subtil se pâme, Tu laisses sur la peau alanguie,

Epuisée par les nuits d’amoureux labeur, Une saveur épicée et saine qui fleurit dans De chaudes contrées où cette senteur tropicale naît Des floraisons merveilleuses et de l’huile odorante. Tu viens de loin apporter jusqu’à moi

La saveur des épices et des palmiers lointains De filles primitives et nues qui s’enfuient Près des fontaines ensoleillées, et le calme Et doux murmure d’une mer brûlante.

250 Lettre de 1869, in A. Walder Swinburne’s Flowers of Evil, Uppsala University, 1976, p.30. Trad : « il l’aime (le sens olactif), éprouve pour lui une passion particulière et extravagante, et y est spécialement sensible (…). »

251 « Aholibah », The poetical Works of A.C. Swinburne, Complete edition, NY, J.D. Williams, 1884, p.107. Trad : « le doux parfum de tes seins et de ta bouche ».

développées est « Laus Veneris » ; l’âme du poète y est une femme, dont la chevelure est odorante :

Her hair had smells of all the sunburnt south,

Strange spice and flower, strange savor of crushed fruit And perfume the swart kings tread underfoot

For pleasure when their minds wax amorous, Charred frankincense and grated sandalroot. And I forgot fear and all weary things,

All ended prayers and perished thanksgivings, Feeling her face with all her eager hair

Cleave to me, clinging as a fire that clings

To the body and to the raiment, burning them.252

La violence, le sadisme latent du poème sont caractéristiques de la poésie de Swinburne. D’abord les substances odorantes évoquées ont un parfum puissant (spice, frankincense, sandalwood). De plus, chaque élément odorant a subi une action violente et destructrice : « crushed » fruit, perfume « tread underfoot », « charred » frankincense, « grated » sandalwood. Cette brutalité rappelle le traitement des matières premières pour extraire le parfum, mais permet aussi de montrer la force du parfum sur le poète. Un autre champ lexical vient renforcer cette violence : celui du feu (« sunburnt south, fire, burning »). La chevelure et son parfum, par leur relation avec le feu, portent en eux une force destructrice.

Certains motifs, fréquents dans la littérature française, apparaissent donc aussi dans la littérature anglaise, dans le courant décadent (et ils prennent

252 AC Swinburne Poems and Ballads, 1866, « Laus Veneris », in The Poetical Works of A.C. Swinburne, op. cit., p.18. Trad :

Sa chevelure avait tous les parfums du sud brûlé par le soleil, Odeur étrange d’épice et de fleur, saveur étrange du fruit pressé Parfum que les rois au teint bistre foulent aux pieds,

Pour le plaisir, lorsque leur esprit se pâme d’amour, Encens carbonisé et santal rapé.

Et j’oubliai la peur et toutes les lassitudes,

Toutes les prières avortées et les actions de grâce défuntes, En sentant son visage et sa chevelure ardente

S’attacher à moi, s’attachant comme le feu S’agrippe au corps et à l’habit, en les brûlant.

vraiment le statut de motifs253 dans le sens où ils visent à une imitation de la littérature française). Mais, à quelques exceptions près, la force érotique de l’odeur est beaucoup moins accentuée.