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Le cas des majeurs protégés

Dans le document L'entreprenant en droit OHADA (Page 66-70)

PREMIÈRE PARTIE L’ACCES AU STATUT D’ENTREPRENANT

Paragraphe 1. L’exclusion des personnes incapables

B. Le cas des majeurs protégés

105. On désigne sous l’expression de majeurs protégés les personnes physiques qui, ayant

atteint l’âge de la majorité, ont une altération de leurs facultés mentales ou corporelles qui empêche l’expression de leur volonté. La question qui se pose par rapport à cette catégorie de personnes est de savoir si elles peuvent être éligibles au statut d’entreprenant, bien évidement dans le but d’exercer une activité en leur nom propre. Y répondre nécessite que l’on s’intéresse aux mesures de protection dont elles peuvent faire l’objet ainsi qu’à leurs conséquences.

106. L’existence d’une mesure de protection. Il est important de rappeler que l’incapacité

est une exception car elle restreint les libertés de la personne qu’elle atteint. Cela étant, elle ne peut être automatique118 et doit expressément être prévue par la loi qui fixe les conditions de son existence.

L’incapacité qui frappe les majeurs dits protégés doit être prononcée par la juridiction compétente. Pour cela, il faut que l’altération ou la déficience dont souffre la personne visée par la mesure soit médicalement constatée, que la mesure de protection

118 E. PECQUEUR et L. PECAUT-RIVOLIER, Protéger un majeur vulnérable. Tutelle- Curatelle, Mesures

judiciaire soit à la fois nécessaire, subsidiaire (c’est-à-dire qu’il soit impossible de recourir à une autre solution) et proportionnelle à la faiblesse que manifeste la personne concernée 119.

107. En fonction de la gravité de l’état de la personne concernée, la justice prononcera

une mesure de protection qui aura pour effet, soit de l’empêcher d’exercer certains droits, soit de les lui accorder à certaines conditions120. La plupart des membres de l’Organisation ayant hérité du droit civil français, il y a lieu de croire que les mesures de protection qui pourraient le plus être appliquées aux majeurs dans ces Etats sont la tutelle et la curatelle.

La tutelle des personnes majeures est une mesure de protection des majeurs qui se rapproche de celle des mineurs. Comme ces derniers, le majeur qui fait l’objet de cette mesure de protection ne peut accomplir seul les actes de la vie civile d’une certaine importance et doit toujours être représenté. Ceci est la conséquence d’une déficience grave qui justifie que ce soit le tuteur qui prenne toutes les décisions à la place du majeur protégé.

La curatelle, elle, est une mesure d’assistance. La déficience physique ou mentale de la personne qui est atteinte étant moins grave que celle du majeur sous tutelle, celui-ci devra simplement se faire assister dans l’accomplissement de certains actes importants.

108. Les conséquences de la mesure de protection. Répondre à la question posée dès le

début de cette partie, à savoir si les majeurs protégés sont éligibles au statut de l’entreprenant, revient simplement à déterminer s’ils peuvent exercer une activité en nom propre, autrement dit, s’ils peuvent créer une entreprise individuelle.

Le chapitre II de l’AUDCG intitulé "Capacité d’exercer le commerce" ne nous donne pas des éléments pour répondre à cette question car le législateur communautaire ne fait pas allusion aux majeurs protégés. Pour connaître le sort que la loi leur réserve, il faudrait se référer aux dispositions du droit national en vigueur dans chaque Etat membre de l’Organisation.

En ce qui concerne la tutelle, tout porte à croire qu’elle ne permet pas au majeur protégé d’exercer une activité en nom propre. Etant donné que le majeur protégé doit être 119 J. COMBRET et A. HOUIS, « Focus sur les majeurs protégés De quelques questions pratiques », in La

Semaine Juridique Notariale et Immobilière, (14 décembre 2018), no 50, p. 1362.

représenté, lui permettre de créer une entreprise individuelle reviendrait à lui faire exercer une activité par personne interposée. Ce sont les tuteurs qui exerceraient l’activité à leur place, c’est-à-dire en leur nom, et ce sont eux qui prendraient des engagements au nom des majeurs protégés qu’ils représentent, les exposant aux risques encourus dans le monde des affaires et mettant leur patrimoine personnel en danger. Une telle solution ne saurait être envisageable, notamment en matière commerciale121.

Le cas du majeur sous curatelle, lui, semble différent. Le professeur François TERRE affirmait à son sujet qu’il « … ne peut agir seul, car ses facultés mentales ou sa

maturité ne sont pas suffisantes ; mais elles sont suffisantes pour qu’on ne l’écarte pas

radicalement de la scène juridique ; il pourra donc conclure l’acte mais en étant

accompagné d’une personne qui l’assistera »122. Contrairement à lui, d’autres personnes

pensent que le majeur sous curatelle ne pourra pas exercer en nom propre même s’il est assisté123. En effet, les exigences d’une entreprise voudraient que l’on soit pleinement libre

et qu’on puisse réagir assez promptement, alors que le majeur sous curatelle devra très souvent requérir l’avis de son curateur. En cas de désaccord avec ce dernier, il faudrait solliciter l’intervention du juge, ce qui paralyserait ou ralentirait l’activité. Théoriquement, on peut envisager qu’il puisse créer une entreprise individuelle, mais en pratique le fait qu’il doive se faire assister peut rendre son activité contraignante, voire impossible.

On peut toujours supposer qu’il sera toujours plus facile pour le majeur sous curatelle d’accomplir des actes d’Administration que des actes de disposition et qu’une activité civile lui conviendrait mieux qu’une activité commerciale. Mais quelle que soit la nature, l’exercice d’une activité en nom propre s’avère trop risqué pour un majeur protégé. Même si dans les pays membres de l’OHADA, la loi ne leur interdit pas de manière explicite et

121 G. RAOUL-CORMEIL, « Les distorsions entre la théorie et la pratique du droit des majeurs protégés », in

La Semaine Juridique Edition Générale, (4 février 2019), no 5, p. 121 ; D. GUEVEL, Droit du commerce et des

affaires, LGDJ, 2017.

122 F. TERRE et D. FENOUILLET, Droit civil, les personnes. Personnalité - Incapacité - Protection, op. cit. 123 J. COMBRET, « E t e d oit des pe so es p ot g es et d oit de l’e t ep ise, u e o iliatio diffi ile », in

que, théoriquement cela semble possible, pratiquement il leur sera très difficile de le faire124.

Pour certains auteurs, cela est même impossible125.

109. En France la réponse à la question posée n’est pas évidente non plus. Comme dans

l’OHADA, le code de commerce et le code civil ne se prononcent pas sur la possibilité pour des majeurs protégés d’exercer le commerce. En 2018, la question avait été posée à la Cour de cassation à l’occasion d’une affaire. Celle-ci a fait une interprétation favorable des textes de lois et a conclu qu’aucune disposition n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce et d’opter pour un exercice en nom propre dans le cadre d’une micro-entreprise. Elle estime cependant que, pour l’accomplissement d’actes de disposition, le majeur sous curatelle doit être assisté126.

110. Eu égard à tout ce qui a précédé, dans l’OHADA le sort des majeurs protégés ne

semble pas être bien différent de celui des mineurs non émancipés. L’inéligibilité qui les frappe est positive car elle préserve leurs intérêts. Elle ne devrait donc pas être mal accueillie contrairement aux mesures d’interdiction qui, elles, sont des sanctions à l’encontre de ceux qui en sont frappés.

124 M. MENJUCQ, « L’i apa le majeur en droit des affaires », in La Semaine Juridique Notariale et Immobilière,

(20 mai 1999), no 20, p. 836.

125 Voir H. B. MODI KOKO, Droit communautaire des affaires, OHADA-CEMAC, tome 1, Droit commercial

général et droit de la concurrence, Chennevières-sur Marne, Dianoïa, 2008, p. 34.

126 CASS.1ère CIV.,6 DEC. 2018,DefrénoisFlash14 JANV.2019, N° 148S8, P. 26 ; A.-F. ZATTARA-GROS, « Pour la

o st u tio d’u d oit o e ial des pe so es ul a les », in Gazette du palais, (26 mars 2019), no 12,

p. 70 ; A. GOSSELIN-GORAND, « L’e e i e de l’a ti it o e iale par un majeur sous curatelle affirmé par

la Cour de cassation », in Defrénois, (14 février 2019), no 7, p. 21 ; J. COMBRET, « Le majeur en curatelle

dispose-t-il de la apa it o e iale ? », in Defrénois, (21 février 2019), no 8, p. 26 ; I. MARIA, « Le majeur

e u atelle apa le d’e e e le o e e ! », in Droit de la famille, (mars 2019), no 3, comm. 64 ; N.

BAILLON-WIRTZ, « La capacité o e iale du ajeu e u atelle : a is du d e e de la Cou de

Paragraphe 2 : L’exclusion des personnes faisant l’objet d’interdiction

111. L’interdiction est la manifestation d’une méfiance que le droit éprouve à l’égard d’un

sujet qui présenterait un risque pour les autres127. C’est une mesure prononcée par une

juridiction à l’encontre d’un individu dans le but de l’empêcher d’exercer une activité spécifique ou une catégorie d’activités. C’est une sanction qui consiste à écarter un individu du champ d’exercice d’une activité. L’interdiction découle toujours d’une décision prononcée à l’encontre d’un individu par une juridiction. Elle peut être expresse ou tacite. L’interdiction expresse est celle qui est explicitement prononcée. A l’opposé, l’interdiction tacite n’est pas expressément prononcée par une juridiction mais elle est la conséquence d’une condamnation.

112. Dans les articles 10 et suivants de l’AUDCG, le législateur communautaire fait état

des interdictions en rapport avec l’exercice du commerce. Les personnes qui réunissent les critères prévus dans ces dispositions ne peuvent pas exercer le commerce. Plus loin aux articles 63 et suivants du même Acte uniforme, il fait encore allusion à des interdictions, conditionnant l’accès au statut d’entreprenant. Ainsi, les personnes qui font l’objet d’interdictions telles que le prévoit l’AUDCG, ne pourront pas prétendre au statut d’entreprenant. Il leur est impossible d’acquérir le statut d’entreprenant si c’est dans le but d’effectuer l’activité dont l’exercice leur est interdit.

113. Dans ce paragraphe, nous nous intéresserons aux causes de ces interdictions (A),

ainsi qu’à la durée pendant laquelle elles produisent leurs effets (B).

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