• Aucun résultat trouvé

Le cadre règlementaire

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 91-96)

L’ASSURANCE MALADIE

3.3.4. Les supports de la confiance

3.3.4.1. Le cadre règlementaire

Dans son histoire, le corps médical a connu quatre périodes concernant le cadre institutionnel régissant sa pratique : l’Ancien Régime, la Révolution, 1803-1945 et de1945 à nos jours. Le corps médical est donc passé de la règle-convention sous l’Ancien Régime au marché sous la Révolution avec mise en concurrence des médecins avec d’autres métiers de soins, puis aux règles-conventions dominantes et, enfin, aux règles-contraintes.

Le monopole d’exercice

La loi du 10 mars 1803 réservait, en principe, l’exercice de la médecine aux seuls docteurs et officiers de santé qui possédaient un diplôme obtenu dans une école de santé. A partir de 1892, seuls les docteurs en médecine pourront exercer.

Comme il a été dit, elle définissait les modalités d’exercice de la médecine. Plus particulièrement, l’article 1 interdisait à toute personne non diplômée d’exercer la médecine et elle segmentait les médecins en deux catégories, les officiers de santé et les docteurs. A cela, il faut ajouter que les frais d’étude du doctorat étaient cinq fois plus élevés que les frais d’étude de l’officiat, que les honoraires des officiers de santé étaient inférieurs à ceux des médecins et que, les officiers de santé devaient faire appel aux docteurs pour les cas graves (Jaisson 2002).

De leur côté, les médecins n’ont eu de cesse de lutter contre les « charlatans » (Léonard 1978, 1981). Cette dénomination péjorative visait manifestement à faire évoluer le regard de leurs contemporains en distinguant ceux qui possèdent un savoir et un savoir-faire réels de ceux qui exploitaient la crédulité humaine et dont le « savoir » ou le « pouvoir » se trouvait ainsi disqualifié.

L’obligation de respect du secret médical

Le respect du secret médical est ancien puisqu’il est déjà présent dans le serment d’Hippocrate : « Quoi que je vois ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors

de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas » (Hoerni 2000, p. 7).

L'école hippocratique a eu le grand mérite de dégager la pratique médicale de la religion, c'est à dire de la laïciser. Mais, cette autonomie confère des responsabilités particulières et donc des règles propres.

Dans le monde arabo-musulman du Moyen âge, on trouve des règles comparables avec la très belle et très moderne prière de Maïmonide au douzième siècle (Hoerni 2000, p. 9). Elle contient, en particulier, une défense de l'indépendance médicale, l'attachement au dévouement du médecin et à son désir de faire progresser le savoir.

En Europe, pendant le Moyen Âge, la médecine reste en retrait et elle est pratiquée essentiellement par des moines pour lesquels la vie spirituelle prime. L’examen clinique, en particulier, est peu développé, il y a donc peu de secret à partager. De plus, la morale

siècle : « Dans vos débuts dans cet art, vous êtes consacrés par des serments analogues à

ceux du prêtre » (cité par Maes 2004, p. 12). Cette notion a été réaffirmée par le 4ème concile de Latran (1215) qui a mis en parallèle le comportement du prêtre et celui du médecin : « Les

deux doivent être délicats et circonspects, prompts et appliqués à poser un diagnostic, prudents dans leur traitement et respectueux du secret lié à leur fonction respective » (ibid.,

p. 13). Si le secret n’a alors aucune valeur légale, sa violation en a une. Ainsi, par exemple, une ordonnance de Louis XI de 1477 fait obligation aux médecins de dénoncer les conspirations contre l’Etat (Hoerni et Bénézech 1996, p. 8).

A partir de la Renaissance, l’attachement au secret est affirmé dans de nombreux textes, en particulier de l’italien Gabriele Zerbi en 1495, puis plus tard de Jean Bernier en 1689 : « Quand le médecin a donc reçu le précieux dépost du cœur du malade, il faut que son cœur

et sa bouche l’ensevelissent dans le silence, et qu’ils luy servent, pour ainsi dire, de tombeau » (Ibid., p. 9). Le même auteur fait du secret médical « l’âme de la médecine ». En

1763, Jean Verdier formule ainsi la problématique du secret : « Les secrets qui sont confiés

aux médecins sont des dépôts sacrés qui ne leur appartiennent point » (Ibid., p. 9). Dès 1761,

les thèses soutenues à Paris et à Montpellier comportent la formule en latin : « Aegrorum

arcana, visa, audita, intellecta, elimenet nemo », ce qui signifie « que personne ne divulgue les secrets des malades, ni ce qu’il a vu, entendu ou compris » (Maes 2004, p. 16). Cela

montre que le secret médical faisait partie de l’enseignement ou au moins, des valeurs transmises.

Enfin, l’obligation du secret médical est introduite dans le code pénal de 1810, article 378, lequel restera en vigueur jusqu’en 1994 : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de

santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 500 à 15 000 francs » (Hoerni et Bénézech 1996, p. 10).

Le secret professionnel a été véritablement sacralisé le 8 juillet 1944 par le Professeur Louis Portes, président du Conseil national de l’Ordre dans un télégramme adressé à tous les médecins de France le jour où les autorités occupantes ont prétendu imposer aux médecins de dénoncer les blessés des maquis de la Résistance : « Le président du Conseil national de

auprès de malades ou de blessés ils n’ont d’autres missions à remplir que de leur donner leurs soins. Le respect du secret professionnel étant la condition nécessaire de la confiance que les malades portent à leur médecin, il n’est aucune considération administrative qui puisse nous en dégager » (Ordre des médecins 1987). Le même texte stipule que, hors les

dérogations légales, le secret est absolu « Comme l’avocat, comme le prêtre, le médecin doit

se comporter comme s’il n’avait rien entendu, rien vu, rien deviné, rien constaté, chez son patient ou dans son cabinet […] Le médecin doit savoir taire même ce qui est de notoriété publique » (Ibid., p. 15). De même, le secret doit être respecté en toutes circonstances, y

compris après la mort du patient, lequel ne peut relever le médecin du secret. Ces deux lois montrent qu’il y a eu une lutte pour le monopole du pouvoir médical : « Le champ scientifique

comme système de relations objectives entre les positions acquises est le lieu d’une lutte de concurrence qui a pour enjeu spécifique le monopole de l’autorité scientifique inséparablement définie comme capacité technique et comme pouvoir social, ou si l’on préfère comme, le monopole de la compétence scientifique, entendue au sens de capacité de parler et d’agir légitimement en matière de science, qui est socialement reconnue à un agent déterminé » (Bourdieu 1976). Cette compétition reflétait la compétition sociale plus générale

propre au mouvement des Lumières, raison pour laquelle elle a été bien accueillie par la fraction supérieure et évoluée de la société française et s’est traduite par le compromis de la loi du 10 mars 1803.

Le diplôme représente une certification garantissant que le médecin a suivi un cursus spécifique, possède des connaissances minimales et des compétences de soin en rapport avec l’état des connaissances du moment. C’est le label de qualité dans le domaine propre de la santé qui justifie le monopole d’exercice. Cette nécessité a été rapidement comprise par les gouvernements et a abouti à la réouverture des écoles de médecine et à leur transformation en facultés.

La loi du 10 mars 1803 recèle deux apports fondamentaux. Le plus important est l’institutionnalisation par l’Etat du métier de médecin dans la droite ligne de la théorie du corps. Certes, il ne s’agissait pas d’une profession à proprement parler, mais néanmoins le métier de médecin constituait bien une institution, c’est-à-dire une règle influant sur le fonctionnement de l’économie (sens économique). Le deuxième est la segmentation du corps

la partie dominée et les spécialistes la partie dominante (Jaisson 2002). Il est clair que cette segmentation répondait à un souci de l’Etat de permettre l’accès aux soins des plus pauvres et non à une demande des docteurs qui n’ont cessé de demander la suppression de l’officiat durant tout le 19ème siècle (Léonard 1981).

L’obligation de respect du secret médical marque manifestement un tournant. En effet, en dehors de quelques ébauches antérieures, c’est la première fois que l’Etat intervient directement dans le colloque médecin/malade. Et comme toujours, chaque fois que l’Etat intervient dans un domaine, il modifie le statut des règles. Avant 1810, le secret médical était une convention au sens de Weber ; à partir de 1810, il devient une loi, c’est-à-dire une règle formelle peu susceptible d’interprétation. Il relevait de l’éthique, il représente désormais l’embryon de la déontologie médicale.

En conséquence, l’obligation de respect du secret professionnel représentait – et représente toujours - un label de qualité de la relation médecin/malade à un moment où la médecine était peu efficace.

Ces deux lois représentent une politique publique assurant la qualité des soins. Cette politique est légitime pour les raisons que nous avons évoquées dans l’introduction. Il y a une autre raison, c’est le fait que les soins sont des biens de confiance. Les consommateurs étant incapables d’en évaluer la qualité, l’Etat se pose en intermédiaire en introduisant des normes, c’est-à-dire en transmettant de l’information, et par ce biais, révèle la qualité des soins médicaux et la non qualité des soins non médicaux. De ce point de vue, ces deux lois introduisent des standards de qualité, autrement dit des normes concernant les producteurs de soins, mais également le processus de production lui-même.

Il convient d’ajouter deux remarques. Tout d’abord, le champ d’intervention de l’Etat était relativement réduit. La deuxième concerne l’efficacité de l’intervention publique, laquelle était relativement faible durant le 19ème siècle en raison de l’absence d’un corps de contrôle et parce que la justice punissait rarement les contrevenants à la loi du 10 mars 1803 (Léonard 1978, 1981).

Sur le plan théorique, la certification volontaire est suffisante en situation de concurrence forte pour des consommateurs éclairés car elle permet une différenciation verticale (Crespi et Marette 2001). Dans un cadre monopolistique, l’Etat peut être amené à intervenir afin de

rendre la certification obligatoire. Le monopole d’exercice exige la certification par le diplôme afin de garantir aux patients une qualité des soins minimale car les patients ne sont pas éclairés (Coestier et Marette 2004). La loi de 1803 représente de fait une des premières manifestations de la fonction tutélaire de l’Etat sur le système de santé. L’obligation éthique du respect du secret professionnel, quant à lui, constituait une règle d’autorégulation, autrement dit une certification volontaire que le médecin avait intérêt à respecter dans un cadre concurrentiel car il représentait également une différenciation verticale portant sur la qualité. En revanche, en situation de monopole, on pouvait craindre que le producteur (le médecin) ne se soit pas toujours senti incité à le respecter, alors qu’en raison de la nature des soins il représente une règle éthique fondamentale. L’intervention de l’Etat semblait donc nécessaire, et l’obligation légale de respect du secret professionnel apparaît comme une conséquence du monopole d’exercice.

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 91-96)