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La loi sur les Assurances Sociales

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 66-69)

2.1.4 « L'invention » de la médecine libérale

2.2. LES MEDECINS FACE A L'ASSURANCE MALADIE NAISSANTE

2.2.2. La loi sur les Assurances Sociales

Au lendemain de la première guerre mondiale, la classe politique est fortement incitée à intervenir sur le plan social en raison d'une demande sociale de protection, du retard français par rapport à ses voisins tels l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et le Royaume-Uni déjà dotés d'une législation sur les assurances sociales, et enfin, du désir des populations d'Alsace et de Lorraine de conserver leur législation sociale. Entre 1880 et 1914, plusieurs projets ou propositions de loi avaient été déposés vainement sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat (Leclerc 1996). La raison de ces échecs est que personne ne souhaitait une intervention directe de l’Etat dans ce domaine, le patronat, les syndicats de salariés, les médecins et les mutuelles.

Mis en route en juin 1920, un premier projet de loi est déposé le 3 mars 1921. Le docteur Grinda, député de Nice et rapporteur de la commission d’hygiène, d’assurance et de prévoyance sociale dépose son rapport le 31 janvier 1923 dans lequel il dénonce l’étatisme : « Imprégnée d’étatisme, elle (l’assurance sociale) serait vouée à un automatisme purement

mécanique… » (Ibid., p. 237). De son côté la Presse médicale du 1er août 1923 met en avant des arguments à destination d’une majorité de l’opinion : « Cette loi permettra l’éclosion de

travail, il mourrait de faim plus tard. […] l’individu n’a donc plus un intérêt direct à paraître bien portant, et s’il est tant soit peu vicieux, il se paiera une quantité de jours de maladie sur le dos de la collectivité » (Ibid., p. 242).

Le projet ne sera voté, par les seuls députés, que le 8 avril 1924, soit près de trois ans plus tard et adopté le 5 avril 1928, après des navettes multiples entre l'Assemblée, le Sénat et le gouvernement et de nombreux amendements.

Face à ce qu'ils ressentent comme une menace, les médecins organisent la défense de leurs intérêts. En novembre 1926, la Fédération nationale des syndicats de médecins de France, nouvellement créée, adopte une charte des principes régissant l'exercice de la médecine. Elle parvient à l'imposer le 30 novembre 1927 lors du congrès des syndicats médicaux de France. Cette charte, pour l'essentiel toujours en vigueur sous le nom de Charte de la médecine

libérale, comprend sept principes :

1. Le libre choix,

2. Le respect absolu du secret professionnel,

3. Le droit à des honoraires pour tout malade soigné,

4. Le paiement direct […] en prenant pour base les tarifs syndicaux, 5. La liberté thérapeutique et de prescription,

6. Le contrôle des malades par la caisse et des médecins par le syndicat,

7. La nécessité de représentation du syndicat dans les commissions techniques organisées par les caisses (Hassenteufel 1997, p. 97-98).

Dans la foulée, le congrès rejette le projet de loi sur les assurances sociales et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), rassemblant la Fédération et l'USMF, agit de même en 1929 pour la loi du 5 avril 1928.

Les médecins français s'opposent au principe même de protection sociale qui, selon eux, pervertit le colloque singulier entre le médecin et son patient et est donc contraire à l'éthique médicale. D'autre part, elle entraîne une subordination du médecin vis à vis de l'assurance maladie, ce qui est une négation du caractère libéral de l'exercice de la médecine. L'exemple allemand est plutôt présenté comme un repoussoir. Le plaidoyer en faveur de l'indépendance professionnelle est toujours d'actualité : il ne peut y avoir de médecine de qualité sans confiance du patient, celle-ci dépendant du libre choix, de la liberté de prescription et de l'entente directe sur le montant des honoraires (Batifoulier et Thévenon 2001).

Par ailleurs, et de manière paradoxale, l'appel fait à un registre d'argumentation morale s'accompagne de la revendication de créer un ordre afin de protéger la profession médicale des interventions de l'Etat (Hassenteufel 1997).

En 1998, à l'occasion de son soixante-dixième anniversaire, la CSMF publiait sur son site internet14 un texte intitulé "Les 70 ans de la CSMF". Outre les informations qu'il apporte, ce texte donne la parole aux acteurs eux-mêmes ou à leurs lointains successeurs, mais plus encore, il restitue certaines des valeurs du syndicat et la manière dont il appréhende son histoire. Ainsi peut-on lire : "Mais c'est surtout le feuilleton de la loi de 1928 - celle qui, dans

l'adversité avait scellé la réunification syndicale » le Dr Paul Cibrie, premier Secrétaire

général confédéral écrit : « Dès le 5 décembre (1928) notre première assemblée générale

avait voté une motion très digne et très nette, réclamant un rectificatif à la loi et exprimant un… (refus) catégorique de collaboration au texte du 5 avril ». Les auteurs poursuivent avec

honnêteté : "…Et ce fut la première bataille de la confédération. Elle prit une forme

diplomatique qui, 70 ans après, a une saveur singulière : campagne d'opinion, affiches, conférences, échanges épistolaires avec le ministre du travail et de l'hygiène, le dénommé Loucheur, et…pressions sur les parlementaires. L'année 1929 se déroula toute entière en escarmouches." Suit un nouvel extrait de Paul Cibrie : "Et ce fut la lutte, restée fort courtoise dans les formes, entre les dirigeants confédéraux et le ministre. Cette lutte fut serrée, difficile, dure et longue. Le ministre était un homme fort intelligent, certes, mais autoritaire et obstiné. Nous eûmes pendant des mois un échange de correspondances à peu près hebdomadaire, entrecoupé de quelques audiences souvent fort longues".

Pus loin, sont rapportés des propos du ministre qui déclare que "Le gouvernement ne faillira

pas à son devoir" et la réponse de Paul Cibrie rétorquant que "Le corps médical ne faillira pas au sien". Le texte rapporte également les propos du ministre commentant devant le Sénat une

lettre qu'il a reçu de Paul Cibrie : "Une lettre qu'à sa place je n'aurais jamais envoyée car elle

contient certaines phrases qu'un français ne devrait jamais écrire. On ne dois jamais dire, par exemple, qu'on refuse de collaborer à une loi".

Paul Cibrie, en homme plein de ressources, s'adressera le 15 décembre 1929 à 10 000 militants réunis par la CGT pour réclamer l'application de la loi du 5 avril 1928. Il exposera la position du corps médical et déclenchera un concert de protestations.

Devant l'opposition conjointe des syndicats, des patrons, des agriculteurs, des mutualistes et des médecins, une nouvelle loi sera votée le 30 avril 1930 instituant l'affiliation obligatoire des salariés de l'industrie et du commerce sur la base d'un critère de revenu. C'est le principe du plafond d'affiliation.

La loi du 30 avril 1930 consacrera le "libéralisme à la française" fait d'interventionnisme étatique et d'initiative privée (Gueslin 1997). Des caisses primaires de sécurité sociale peuvent être librement créées, les mutuelles y trouvant leur place et, pour les médecins, le principe de l'entente directe est respecté alors que des conventions fixent des tarifs médicaux de responsabilité.

Le corps médical ayant vu ses revendications satisfaites, la CSMF, réunie en assemblée générale extraordinaire le 27 juillet 1930 approuve la loi du 30 avril de la même année par 13001 voix contre 1668 (Hassenteufel 1997).

Comme nous venons de le voir, la loi du 30 avril 1930 respectait deux principes auxquels les médecins étaient particulièrement attachés, l'entente directe et les tarifs de responsabilité. Autrement dit, les médecins gardaient toute liberté pour fixer leurs tarifs minimaux. Ils n'étaient pas liés par le tarif syndical et seuls les sous-tarifs faisaient l'objet d'une poursuite. Par ailleurs, de nombreux accords mutualistes ont perduré avec des tarifs opposables aux médecins. Dans certaines régions comme la Bretagne, les caisses régionales négociaient également des conventions sur la base d'un tarif opposable. Les conventions étaient libres, sans procédure d'approbation, entraînant un important contentieux.

Cette situation subsistera jusqu'en 1940. Une ordonnance du 7 octobre 1940 signée par le maréchal Pétain dissoudra les syndicats. Ils ne seront autorisés à nouveau que par une ordonnance du gouvernement provisoire du 14 décembre 1944.

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