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Des Militants aux Professionnels de la Culture : les représentations de l'identité kanak en Nouvelle-Calédonie (1975-2015)

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HAL Id: tel-01281440

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Submitted on 2 Mar 2016

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Des Militants aux Professionnels de la Culture : les représentations de l’identité kanak en

Nouvelle-Calédonie (1975-2015)

Caroline Graille

To cite this version:

Caroline Graille. Des Militants aux Professionnels de la Culture : les représentations de l’identité kanak en Nouvelle-Calédonie (1975-2015). Anthropologie sociale et ethnologie. Université Paul Valéry - Montpellier III, 2015. Français. �NNT : 2015MON30043�. �tel-01281440�

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DŽlivrŽ par lÕUniversitŽ Paul-ValŽry Montpellier 3

PrŽparŽe au sein de lՎcole doctorale

Territoires, Temps, SociŽtŽs et DŽveloppement (ED 60) et de lÕunitŽ de recherche LERSEM,

Laboratoire dՃtudes et de Recherches en Sociologie et en Ethnologie de Montpellier РCERCE (EA 4584)

SpŽcialitŽ : ETHNOLOGIE

PrŽsentŽe par Caroline GRAILLE

Soutenue le 12 DŽcembre 2015 devant le jury composŽ de Messieurs :

FrŽdŽric Rognon, Professeur de Philosophie des religions UniversitŽ de Strasbourg

PrŽsident du Jury

Alain Babadzan, Professeur dÕEthnologie UniversitŽ Paul-ValŽry Montpellier 3

Directeur de thse

Denis Monnerie, Professeur dÕAnthropologie UniversitŽ de Strasbourg

Rapporteur

ƒric Soriano, Ma”tre de confŽrence en Science Politique UniversitŽ Paul-ValŽry Montpellier 3

Membre du Jury

Marc Tabani, Ethnologue, ChargŽ de Recherche CNRS-CREDO

Membre du Jury

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D ES M ILITANTS AUX P ROFESSIONNELS DE LA C ULTURE :

LES REPRƒSENTATIONS DE LÕIDENTITƒ KANAK EN

NOUVELLE-CALƒDONIE (1975-2015)

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RƒSUMƒ

Symbole de la Ç renaissance culturelle kanak È, le festival dÕarts mŽlanŽsiens de Nouvelle- CalŽdonie, MŽlanŽsia 2000, vient de fter en 2015 son quarantime anniversaire. Cette manifestation a vraisemblablement constituŽ le ferment culturaliste de la revendication nationaliste qui, dans les annŽes 1980, parvint ˆ Žriger la coutume en symbole unificateur du peuple kanak, contre le statu quo colonial.

EngagŽe depuis plus de deux dŽcennies dans un processus de dŽcolonisation Ð dont lÕissue politique et institutionnelle demeure incertaine Ð, la Nouvelle-CalŽdonie conna”t les effets dÕune politique de rŽŽquilibrage au profit du peuple autochtone, notamment sous la forme dÕune valorisation sans prŽcŽdent de lÕidentitŽ culturelle kanak, dÕune sauvegarde des patrimoines traditionnels matŽriel et immatŽriel, et dÕune action soutenue en faveur du dŽveloppement culturel et de la crŽation artistique ˆ dimension ocŽanienne.

Il convient de retracer la gense de cette Ç renaissance identitaire È, ˆ la lumire des dŽbats

ŽpistŽmologiques qui ont agitŽ lÕanthropologie ocŽaniste de lՎpoque, notamment autour des questions de la (rŽ)invention des traditions, et de leur utilisation ˆ des fins de conscientisation identitaire et de mobilisation politique. Plus encore, le travail des sciences sociales Ð et de lÕanthropologie en particulier Ð permet dÕinscrire dans une perspective historique le processus, toujours en cours, dՎdification des cultures en tant quÕidentitŽs collectives objectivŽes, donnŽes ˆ voir, et sanctifiŽes (ou non) par une reconnaissance officielle et une inscription ˆ lÕintŽrieur de lÕespace public. Avec lՎmergence dÕun nouveau champ social, qui prend en charge cette Ç gestion du symbolique È (Dubois, 1999), une recherche ethnographique menŽe auprs des acteurs sociaux permet de montrer en quoi les reprŽsentations de lÕidentitŽ kanak, qui furent longtemps lÕapanage de militants autochtones et dÕintellectuels engagŽs, incombent dŽsormais ˆ une catŽgorie constituŽe de professionnels de la culture, de lÕart, et du patrimoine.

Au final, cette Žtude largement rŽtrospective entend contribuer ˆ une comprŽhension ˆ la fois

ŽpistŽmologique et sociologique du changement social et culturel en Nouvelle-CalŽdonie, depuis la conversion dÕune crispation identitaire nationaliste (1975-1988) jusquÕau projet multiculturel dÕune Ç communautŽ de destin È induit par la mise en Ïuvre de lÕaccord de NoumŽa (1998-2018).

From the Activists to the Professionals of Culture :

The representations of Kanak identity in New Caledonia (1975-2015)

A symbol of ÒKanak culture revivalÓ, the festival of Melanesian arts Melanesia 2000 has just celebrated in 2015 its 40th anniversary. This event was in all likelihood the cultural catalyst for the nationalist movement which in the 1980Õs successfully established la coutume (ÒkastomÓ) as a unifying symbol for the Kanak people in opposition to the colonial status quo. Having been engaged for more than two decades in a process of decolonization Ð the political and constitutional outcome of which remains uncertain Ð New Caledonia is now experiencing the effects of a policy of rebalancing in favour of the indigenous people, notably in the form of an unprecedented appreciation of Kanak cultural identity, the preservation of tangible and intangible heritage and the active promotion of cultural development and artistic creation within a wider Pacific cultural context.

It is important to retrace the genesis of the ÒKanak renaissanceÓ in light of the epistemological discussions that animated Oceanian anthropology in the period, especially the debates around the (re)invention of traditions and their instrumentalization to promote identity consciousness and political mobilization. The social sciences Ð and especially anthropology Ð make it possible to place in historical perspective the ongoing process of the making of cultures as collective identities that are objectified, put on display and sanctified (or not) through their official recognition and inscription within the public arena. With the emergence of a new cultural field entirely dedicated to Òthe management of symbolsÓ (Dubois, 1999), ethnographical research carried out with the social actors makes it possible to show that the representations of Kanak identity that were for a long time the domain of indigenous militants and engaged intellectuals are now the domain of curators and managers of art and cultural heritage.

Finally, this largely retrospective study aims at a better epistemological and sociological understanding of social and cultural change in New Caledonia in the period since the hardening of Kanak nationalism (1975-1988) up until the multi-cultural project for a Òshared futureÓ brought about by the application of the Noumea Accord (1998-2018).

MOTS-CLEFS : IdentitŽ kanak Ð Nationalisme Ð Anthropologie Ð Invention des traditions Ð AuthenticitŽ Ð Coutume Ð Patrimoine Ð ModernitŽ Ð Postcolonial Ð AgencŽitŽ.

KEY-WORDS : Kanak identity Ð Nationalism Ð Anthropology Ð Invention of Tradition Ð Authenticity Ð Kastom Ð Heritage Ð Modernity Ð Postcolonialism Ð Agency.

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Collge Doctoral du Languedoc-Roussillon UniversitŽ Paul-ValŽry Montpellier 3

THéSE

Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE LÕUNIVERSITƒ

PrŽparŽe au sein de lՎcole doctorale

Territoires, Temps, SociŽtŽs et DŽveloppement (ED 60) et de lÕunitŽ de recherche LERSEM,

Laboratoire dÕEtudes et de Recherches en Sociologie et en Ethnologie de Montpellier Ð CERCE (EA 4584)

SpŽcialitŽ : ETHNOLOGIE

PrŽsentŽe par Caroline GRAILLE

DES M ILITANTS AUX P ROFESSIONNELS DE LA C ULTURE

Les reprŽsentations de lÕidentitŽ kanak en Nouvelle-CalŽdonie (1975-2015)

Soutenue le 12 DŽcembre 2015 devant le jury composŽ de Messieurs :

FrŽdŽric Rognon, Professeur de Philosophie des religions, UniversitŽ de Strasbourg, Rapporteur, PrŽsident du Jury

Alain Babadzan, Professeur dÕEthnologie, UniversitŽ Paul-ValŽry Montpellier 3, Directeur de Thse

Denis Monnerie, Professeur dÕAnthropologie, UniversitŽ de Strasbourg, Rapporteur

ƒric Soriano, Ma”tre de confŽrence en Science Politique, UniversitŽ Paul-ValŽry Montpellier 3, Membre du Jury

Marc Kurt Tabani, Ethnologue, ChargŽ de recherche CNRS-CREDO, Membre du Jury

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A la mŽmoire du Grand Chef Nido•sh Naisseline

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Remerciements

Au moment de clore cette recherche doctorale, mes pensŽes vont naturellement ˆ toutes celles et ceux qui ont contribuŽ, de diverses manires, ˆ lՎlaboration et ˆ la mise en forme de ce travail.

En prioritŽ, je tiens ˆ saluer la disponibilitŽ et lÕengagement de mon directeur de recherche, Alain Babadzan, qui mÕavait permis, ds 1999, de rŽaliser mes premires publications et dÕintŽgrer lՎquipe dÕaccueil du CERCE. Ses commentaires et ses encouragements ont ŽtŽ particulirement dŽcisifs sur ces dix derniers mois, autant que la profondeur et la prŽcision de ses Žcrits ont pu, depuis mon entrŽe en ethnologie, stimuler ma propre rŽflexion.

Je tiens Žgalement ˆ rappeler que mon travail repose pour une large part sur les recherches bibliographiques que jÕavais pu mener lors dÕun visiting fellowship dÕune annŽe (2001) ˆ lÕAustralian National University de Canberra, au cÏur de la prestigieuse Research School of Pacific and Asian Studies, sŽjour durant lequel jÕavais bŽnŽficiŽ dÕune bourse dՎtudes du Ministre des Affaires ƒtrangres. JÕexprime ici ma profonde gratitude ˆ lՎgard de Bronwen Douglas, qui mÕavait accueillie au sein du programme State, Society and Governance in Melanesia. Tout rŽcemment, cÕest un chercheur dont elle dirigeait alors la thse, Adrian Muckle, qui mÕa trs gentiment apportŽ son aide sur des rŽfŽrences et des points de traduction.

Naturellement, jÕadresse mes plus chaleureux remerciements ˆ ceux qui sont au cÏur de mon analyse, et qui, en dŽpit de contraintes gestionnaires accrues, Ïuvrent quotidiennement au dŽveloppement dÕune offre culturelle de qualitŽ en Nouvelle-CalŽdonie : les Ç militants È et les Ç professionnels de la culture È, hommes et femmes de terrain et de convictions, qui ont acceptŽ

de se livrer, parfois avec Žmotion, au cours de longues sŽances dÕentretien, et dont je me suis efforcŽe ici de restituer les propos sans jamais les travestir. JÕai une pensŽe particulire pour PŽtŽlo Tuilalo, responsable du DŽpartement des Arts Plastiques et des Expositions ˆ lÕADCK- Centre Culturel Tjibaou : il a ŽtŽ mon interlocuteur privilŽgiŽ et un alliŽ trs prŽcieux depuis notre premire rencontre, en janvier 2011. JÕai interviewŽ plusieurs collaborateurs de lÕADCK, et je remercie lÕensemble des responsables de dŽpartements pour lÕentire libertŽ qui mÕa ŽtŽ

laissŽe dans mes dŽmarches. Je tiens ˆ saluer Žgalement Solange NŽaoutyine et lՎquipe du MusŽe de Nouvelle-CalŽdonie, en particulier Jessica Wamytan, Marianne Tissandier, Muriel Glaunec-Mainguet, et Teddy Dalmayrac, dont les tŽmoignages ont ŽtŽ Žclairants pour ma rŽflexion, comme le furent Žgalement ceux de Christophe Sand et des autres membres de lÕInstitut dÕarchŽologie de la Nouvelle-CalŽdonie et du Pacifique. Je suis rassurŽe aujourdÕhui de savoir que le parcours de recherche retracŽ ci-aprs me conduira ˆ rencontrer ˆ nouveau toutes ces personnes, et dÕautres encore, et ˆ mÕenrichir de leurs paroles et de leurs expŽriences.

Enfin, je tiens ˆ rendre hommage ˆ mes proches, tout particulirement mes parents, mon compagnon, et mes filles, Louise et Mathilde, ˆ qui jÕai imposŽ, des mois durant, la pression et le rythme de travail qui mՎtaient nŽcessaires. Leurs encouragements et leur patience mÕont ŽtŽ infiniment prŽcieux.

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Sommaire

Remerciements...ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ. 5 Introduction : Ç Mais quÕest-ce que cÕest, la coutume ? ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 11

1. Moments de coutumeÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 20 2. PrŽsentation du sujet de rechercheÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 28 3. Le retour ˆ lÕethnographie de terrainÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 51 4. Organisation de la thseÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 60

PREMIéRE PARTIE :

COUTUME ET TRADITIONALISMES EN OCEANIE

DonnŽes ŽpistŽmologiques et filiation thŽoriqueÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 67 Chapitre 1. Ç LÕinvention des traditions È et lÕanthropologie de lÕOcŽanie :

Naissance dÕune controverseÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ.. 75 1. Retour aux textes fondateursÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 75 2. Les succs de la thŽorie Ç inventionniste ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 82 Chapitre 2. De lÕÇ invention È ˆ la Ç construction È des traditionsÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 91 1. La voix des Žlites autochtones contre le Ç colonialisme acadŽmique ÈÉ.É..É 97 2. La banalisation de lÕinvention des traditions et la question de la

continuitŽ culturelleÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 109 Chapitre 3. LÕanthropologie en Nouvelle-CalŽdonie : la recherche militanteÉÉÉÉ 131 1. Ethnologie et nationalismeÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 132 2. Autres parcours, autres retours dÕenquteÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 158

DEUXIéME PARTIE :

CONSTRUIRE LÕIDENTITƒ KANAK

Histoire dÕun sentiment dÕappartenance et usages politiques de la CoutumeÉÉ. 167 Chapitre 4. LÕidentitŽ kanak, miroir du colonialismeÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 175

1. Les donnŽes de lÕhistoire colonialeÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ.É175 2. Ç Quand les Canaques prennent la parole ÈÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉ... 195 3. Le traditionalisme ou lÕidŽologie de la coutumeÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.... 223 Chapitre 5. MŽlanŽsia 2000 : Ç la renaissance de la culture kanak È ?... 231 1. Ç Restaurer la dignitŽ ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 234 2. É Ou la Ç prostitution de la culture kanak È ?ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ252 3. Le Ç chemin de la paille ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 283 Chapitre 6. Coutume et nationalismeÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 293

1. Faire voir, faire croire, faire exister : les artisans de la nation kanakÉÉÉÉ.. 294 2. La Coutume comme langage commun et symbole de lÕunitŽÉÉ.ÉÉÉÉÉ 317

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TROISIéME PARTIE :

LÕINSTITUTIONNALISATION DE LA CULTURE KANAK

Ç Du militantisme ˆ la gestion culturelle ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 337 Chapitre 7. La place de lÕidentitŽ kanak dans le champ culturel calŽdonien.

La conqute symbolique par lÕaction publiqueÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 345 1. De MŽlanŽsia 2000 ˆ lÕADCK : les Žtapes du rŽŽquilibrage culturel

(1975-1989)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 346 2. Naissance de lÕÇ Agence de DŽveloppement de la Culture Kanak ÈÉÉÉ... 379 3. La gense dÕun champ artistique kanak et ocŽanienÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 396 Chapitre 8. LÕADCK et le Centre Culturel Tjibaou :

Ç Notre identitŽ, elle est devant nous ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉ 407 1. Ç Qui peut dire lÕauthenticitŽ ? ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 410 2. Quelle est la part dÕhŽritage de MŽlanŽsia 2000 ?ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 423 3. La place des Ç autochtones non-kanak ÈÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 443 Chapitre 9. Les professionnels de la culture en Nouvelle-CalŽdonie :

Vocations, trajectoires, enjeuxÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 463 1. DonnŽes ethno-sociologiques (mars-dŽcembre 2014)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 468 2. Entre coutume et culture : lÕagency et les nŽo-traditionsÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 503

ConclusionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 537

RŽfŽrencesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 553 Liste des illustrationsÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 590 AnnexesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 591

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Ç Si les anctres de KanakŽ revenaient en lÕan 2000, ils reconna”traient lÕhomme par son nom. Ils reconna”traient son systme hiŽrarchique, ses gŽnŽalogies, sa structure coutumire, sa langue mme appauvrie, son humour en un mot sa manire dՐtre au monde persistant au travers de lÕhistoire.

LÕexpŽrience vŽcue de cette complicitŽ passe par les contingences historiques. Mais elle ne doit jamais tre identifiŽe totalement aux institutions Žcrites, aux rites ou au matŽriel symbolique utilisŽs par une Žpoque donnŽe. En effet, ce qui est primordial et qui perdure au-delˆ des sicles, ce nÕest pas cette expŽrience, mais lÕinspiration ou lՎthique qui fait surgir cette expŽrience dans lÕhistoire. Certes cette Žthique sÕaffine au fil des annŽes et reste teintŽe par la vie des hommes qui la retransmettent mais cÕest surtout lÕinspiration qui la pŽrennise.

En ce qui concerne KanakŽ et son devenir, il est clair que cÕest lՎthique qui inspire la vie de son groupe qui doit survivre. En effet, cÕest elle qui fait que KanakŽ sera toujours KanakŽ.

Vivre cette Žthique, cÕest cela qui doit permettre ˆ KanakŽ de faire des choix aussi bien dans la tradition que dans les immenses possibilitŽs du monde moderne. Seule cette

Žthique clairement vue permettra ˆ KanakŽ de se crŽer une nouvelle culture ou un schŽma dÕidentification renouvelŽ È.

Jean-Marie Tjibaou (1976)1.

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1 Extrait de lÕouvrage de Jean-Marie Tjibaou, Philipe Missotte, Michel Folco et Claude Rives, KanakŽ, MŽlanŽsien de Nouvelle-CalŽdonie, Les ƒditions du Pacifique, 1976, p.112. CitŽ dans De Jade et de Nacre. Patrimoine artistique kanak, catalogue de lÕexposition tenue ˆ NoumŽa et Paris. Paris, RŽunion des musŽes nationaux, 1990, p.17.

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Introduction

Ç Mais quÕest-ce que cÕest, la coutume ? È

Tina-sur-Mer, un quartier de NoumŽa. Il est un peu plus de 8h30. Le Centre Culturel Tjibaou nÕa pas encore ouvert ses portes au public. Pourtant, sous un soleil dŽjˆ haut, des hommes arrivent par petits groupes, se dirigent vers une clairire proche du Ç Chemin kanak È et des billons dÕignames2. Ils se saluent brivement ; certains discutent ˆ voix basse autour dÕun cafŽ. Des groupes se forment. Puis vient le moment des Ç gestes coutumiers È3. Quelques hommes se placent ˆ lՎcart, au pied dÕun arbre. Certains sortent du groupe pour venir dŽposer, tour ˆ tour, une pile de manous4 et, sur chaque pile, un billet de cinq cents ou mille francs5. Un des hommes prend la parole, pour prŽsenter le geste coutumier qui vient dՐtre dŽposŽ. Il sÕexprime en franais, la langue de lՎcole et de lՃtat, que tous comprennent.

LorsquÕil parle, les ttes sont un peu baissŽes, en signe dÕhumilitŽ et de respect. Deux autres hommes sÕapprochent, font le compte des Ç coutumes È, les rassemblent ; on se concerte quelques instants ; finalement, un billet vient sÕajouter sur la pile. Pendant ce temps, lÕun

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2 Le Ç Chemin kanak È est un itinŽraire balisŽ et vŽgŽtalisŽ qui sՎtend le long du Centre Culturel Tjibaou. BordŽ

d'espces endŽmiques ˆ la Nouvelle-CalŽdonie, Ç son but est dÕinitier le visiteur ˆ la symbolique du vŽgŽtal dans la sociŽtŽ kanak. Il retrace Žgalement ˆ travers le langage des plantes, lÕhistoire du hŽros fondateur TŽ‰ KanakŽ en

Žvoquant successivement les cinq Žtapes de sa vie È (l'origine des tres, la terre nourricire, la terre des anctres, le pays des esprits et la renaissance). DÕaprs le site de lÕADCK (www.adck.nc/presentation/le-centre-culturel- tjibaou/architecture).

3 LÕexpression Ç geste coutumier È est trs communŽment employŽe localement pour dŽsigner les cŽrŽmonies dՎchanges, accompagnŽes de discours, qui prŽcdent et accompagnent les moments importants de la vie du groupe et, par extension, tout ŽvŽnement social qui met en prŽsence deux individus ou deux groupes sociaux (clans, dŽlŽgations, associations, institutions, etc.). Monnerie prŽfre utiliser les termes de Ç prestation cŽrŽmonielle È (2005 : 25) pour dŽcrire ce geste, qui induit gŽnŽralement une acceptation de la part de lÕh™te, accompagnŽe dÕune prestation donnŽe en retour.

4 Le manou est un morceau dՎtoffe aux motifs colorŽs, de longueur variŽe, qui se prŽsente gŽnŽralement repliŽ. Il est donnŽ lors des Žchanges coutumiers, quÕil sÕagisse de cŽrŽmonies Ç traditionnelles È ou de protocoles officiels.

Il est gŽnŽralement accompagnŽ de quelques billets de banque. Dans les grandes cŽrŽmonies, seront inclus

Žgalement des tubercules (ignames, taros), de la nourriture (riz, poisson, etc.), des objets (nattes), des vtements, des plantes (cordyline) ; les cŽrŽmonies les plus prestigieuses nŽcessitent la prŽsence dans les Žchanges de Ç monnaies kanak È traditionnelles (cf. infra) et de nourritures rares comme les tortues, dont la pche est exceptionnellement autorisŽe pour certaines occasions.

5 Il sÕagit du Ç Franc Pacifique È ou Ç Franc CFP È, la monnaie en vigueur en Nouvelle-CalŽdonie. La paritŽ

FCPF/euro est fixe ˆ :1,00 FCPF = 0,01 euro ; 1,00 euro = 119,33 FCPF.

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derrire lÕautre, les hommes du premier groupe Žchangent une longue poignŽe de main avec chacun de leurs h™tes, qui sont alignŽs dans un ordre prŽcis. Parmi ces derniers, un homme prend la parole ˆ son tour.

Il sÕappelle Julien Boanemoi. Il est ici aujourdÕhui en tant que prŽsident de la FŽdŽration des GDPL [Groupements de Droit Particulier Local], une association loi 1901 crŽŽe en 2011 en Province Sud6. Ce premier geste coutumier marque dÕabord lÕarrivŽe des reprŽsentants des huit Ç pays kanak È7 (fig.1), accueillis ensemble par les reprŽsentants de la FŽdŽration.

Fig.1. Depuis 1988, la Nouvelle-CalŽdonie est divisŽe administrativement en trois Provinces (Nord, Sud, Iles LoyautŽ) et en huit aires coutumires (carte : LACITO-CNRS, 2011).

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6 La Nouvelle-CalŽdonie est divisŽe en trois Provinces (Nord, Sud, Iles LoyautŽ) et en huit aires coutumires. Les GDPL ont ŽtŽ crŽŽs par un dŽcret de 1982 pour donner un contenu juridique ˆ des regroupements dÕindividus de statut coutumier, qui concerne les seules populations autochtones (hŽritage de la colonisation, ce statut particulier est distinct du statut de droit commun octroyŽ aux autres citoyens franais Ð non Kanak Ð de Nouvelle-CalŽdonie).

Un GDPL rassemble les membres dÕun groupe clanique liŽs par un anctre commun, ou des familles liŽes par un mme lieu de rŽsidence (la Ç tribu È), principalement en vue de formuler des revendications foncires auprs de lÕorganisme dՃtat (lÕADRAF) chargŽ de gŽrer la restitution du foncier (les Ç terres coutumires È) aux ayant- droits lŽgitimes. Avant de prŽsider la FŽdŽration des GDPL du Sud, Julien Boanemoi avait occupŽ les fonctions de Ç sŽnateur coutumier È (2005-2010) et de prŽsident du SŽnat coutumier (dÕaožt 2009 ˆ aožt 2010), institution crŽŽe par lÕaccord de NoumŽa (1998), dont la composition ainsi que les attributions sont prŽcisŽes par la loi organique n¡99-209 du 19 mars 1999 (art. 137 et suivants).

7 Il sÕagit des huit aires coutumires.

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Boanemoi salue dÕabord la mŽmoire des Ç vieux È, ceux qui Žtaient lˆ avant, le travail qui a ŽtŽ le leur et qui, dit-il, rend aujourdÕhui possible cette rencontre. On ramasse les bouts dՎtoffes et les billets, en prenant soin dÕen mettre deux piles de c™tŽ. Ensuite, tous se dirigent ensemble vers la clairire, ˆ quelques mtres de lˆ, o une natte8 a ŽtŽ posŽe au sol. Les hommes ainsi rŽunis forment ˆ nouveau un arc de cercle. Tous reprennent la mme posture humble, la tte lŽgrement baissŽe. Sur la natte, on pose les deux piles de manous qui viennent dՐtre prŽparŽes et des billets de banque. LÕhomme qui sÕavance alors prend la parole au nom de tout le groupe. Il sÕappelle Franois Luneau (fig.2). Il est prŽsident de lÕaire coutumire X‰r‰c9. Il Žvoque le travail des anciens, sans lesquels, dit-il, rien de ce qui va se faire aujourdÕhui nÕaurait ŽtŽ possible. Il rappelle que les Ç vieux È avaient, en leur temps, crŽŽ

lÕUICALO et lÕAICLF10. Il rend ensuite hommage aux morts, notamment ˆ Rapha‘l Pidjot, un acteur-clef du rŽŽquilibrage Žconomique du pays, disparu tragiquement dans un accident dÕhŽlicoptre quatorze ans auparavant11. Il salue aussi la mŽmoire de Ç Mamie Pidjot È Ð mre de Rapha‘l Ð dŽcŽdŽe ˆ la tribu de La Conception voilˆ ˆ peine quelques jours12. Il exhorte le groupe ˆ Ç poursuivre le travail È, pour aboutir rapidement ˆ des propositions concrtes.

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8 Une natte est un tapis tressŽ en fibre vŽgŽtale, disposŽ ˆ lÕintŽrieur des cases traditionnelles. Il est utilisŽ pour dŽposer les dons durant les cŽrŽmonies coutumires. Les nattes en feuilles naturelles sont parfois remplacŽes par des produits tressŽs en matire plastique.

9 Ç LÕaire x‰r‰c est lÕune des huit aires coutumires et linguistiques de la Nouvelle-CalŽdonie. Elle se situe entre les aires coutumires aji‘-arhš et drubŽa-kapum‘. PartagŽe entre les provinces Nord et Sud, lÕaire x‰r‰c

comprend les communes de Canala, Kouaoua, SarramŽa, La Foa, Boulouparis et Thio. Canala et Kouaoua faisant partie de la province Nord, le reste en province Sud È (dÕaprs le site de lÕAcadŽmie des Langues Kanak : www.alk.gouv.nc/portal/page/portal/alk/antennes/xaracuu).

10 LÕUICALO catholique (Union des Indignes CalŽdoniens Amis de la LibertŽ dans lÕOrdre) et lÕAICLF protestante (Association des Indignes CalŽdoniens et Loyaltiens Franais) sont deux mouvements associatifs crŽŽs en Nouvelle-CalŽdonie en 1947 ˆ lÕinitiative des deux ƒglises pour entraver la montŽe du Parti Communiste CalŽdonien (PCC), crŽŽ pour sa part en 1946. Les deux mouvements fusionneront ensuite pour former un parti politique autonomiste, puis indŽpendantiste : lÕUnion calŽdonienne (UC), dÕo seront issus de nombreux Žlus kanak. La gense de lÕUICALO et de lÕAICLF intervient aussit™t aprs lÕabrogation du rŽgime de lÕIndigŽnat (o

les MŽlanŽsiens cessent dՐtre des Ç sujets coloniaux È, pour devenir juridiquement des Ç citoyens franais È) : elle occupe une place symbolique extrmement forte dans lÕhistoire politique du pays et dans la mŽmoire collective kanak. Pour un rappel historique, cf. Kurtovitch (1997), Soriano (2000a ; 2014 : 64-75). Cf. infra.

11 Rapha‘l Pidjot (1960-2000) Žtait originaire de la tribu de La Conception. Il Žtait le neveu de Rock Deo Pidjot (1907-1990), fondateur emblŽmatique de lÕUICALO, prŽsident de lÕUnion calŽdonienne ds sa crŽation, Žlu ˆ lÕAssemblŽe territoriale ds 1956, puis premier dŽputŽ kanak ˆ siŽger ˆ lÕAssemblŽe Nationale. Dipl™mŽ de lÕIEP de Grenoble et du CEFEB (Centre dՃtudes Financires, ƒconomiques et Bancaires, Paris), Rapha‘l Pidjot sՎtait investi en politique en 1988, peu avant la disparition du leader politique indŽpendantiste, Jean-Marie Tjibaou, dont il partageait les convictions. Il militait surtout pour le rŽŽquilibrage Žconomique des Provinces et lÕaccession des Kanak aux responsabilitŽs en matire Žconomique, en particulier dans la gestion de lÕindustrie minire. Il occupait depuis 1999 les fonctions de prŽsident de la SMSP (sociŽtŽ minire du Nord), alors que lÕusine de production de nickel dans la Province Nord, voulue par les indŽpendantistes, nՎtait encore quÕun projet. Il est dŽcŽdŽ avec dÕautres reprŽsentants de la SMSP, le 28 novembre 2000, dans un accident dÕhŽlicoptre (donnŽes issues de : http://unioncaledonienne.com/?page_id=488).

12 Les tribus de Saint-Louis et La Conception ont ŽtŽ fondŽes au XIXe sicle autour dÕune mission des pres maristes. Ces tribus rŽunissaient ˆ lÕorigine des familles et des clans originaires de plusieurs rŽgions de la Grande

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La fin de son discours est accueillie par un Ç ei È collectif dÕapprobation. Dans le cercle, la parole revient ˆ Julien Boanemoi, qui fait Žcho, presque mot pour mot, ˆ ce qui vient dՐtre dit.

Fig. 2. Franois Luneau prend la parole pour prŽsenter le geste des dŽlŽgations coutumires venues participer au sŽminaire sur le foncier et la justice. Centre Culturel Tjibaou, 28 novembre 2014 (photo : C. Graille).

En face, se tiennent trois hommes, qui jusque lˆ Žtaient restŽs en retrait. Eux sՎtaient dŽjˆ retrouvŽs auparavant, en apartŽ, autour dÕun geste coutumier qui les avait Ç attachŽs È ensemble. LÕun dÕentre eux se nomme LŽonard KatŽ. Originaire de la chefferie de Saint-Louis (une tribu voisine de celle de La Conception), il est salariŽ de lÕAgence de DŽveloppement de la Culture Kanak (ADCK, crŽŽe en 1989) et porte ostensiblement un badge du Centre Culturel Tjibaou. Lors des cŽrŽmonies coutumires qui sÕy dŽroulent rŽgulirement, il est chargŽ de reprŽsenter les clans du Sud du pays, puisque cÕest ici, sur les Ç terres coutumires du Sud È,

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Terre, rassemblŽes autour de la mission. La famille Pidjot, avec le dŽputŽ Rock Pidjot et sa femme Scholastique Togna-Pidjot (fondatrice en 1971 dÕune association militant au sein des tribus contre les ravages de lÕalcoolisme en milieu mŽlanŽsien et trs active dans lÕorganisation du festival MŽlanŽsia 2000 en 1975 ; cf. infra), est trs largement reprŽsentŽe dans les gŽnŽrations successives de lՎlite politique kanak, au point que lÕon a pu parler dÕune Ç dynastie È Pidjot (Ç LÕadieu ˆ Mamie Pidjot È, Les Nouvelles CalŽdoniennes, 27/11/2014, p.14). Deux autres familles originaires de Saint-Louis et La Conception sont Žgalement trs prŽsentes dans le champ politique ou culturel calŽdonien (les Wamytan et les Togna, qui ont Žgalement nouŽ des alliances Ð mariages Ð avec le clan Pidjot). Pour une monographie prŽcise des clans de la tribu de La Conception, cf. Cugola (2009).

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quÕa ŽtŽ ŽrigŽ le Centre Culturel Tjibaou : reprŽsentant ˆ la fois les clans du Sud et lÕinstitution culturelle, il se charge dÕaccueillir coutumirement les dŽlŽgations venues dÕailleurs, comme ce jour-lˆ. Il est rapidement rejoint par Maurice Dhou, sŽnateur coutumier, originaire de la tribu de La Conception, qui apporte dÕautres manous. Les piles dՎtoffes sont rŽarrangŽes et complŽtŽes. Lorsque tout est prt, le troisime homme, le Grand Chef ClŽment Pa•ta, parle ˆ son tour au nom des coutumiers de lÕaire DrubŽa Kapum‘, pour remercier ses h™tes venus nombreux de tous les Ç pays kanak È13. En langue drbŽa, puis en franais, il rappelle lui aussi le r™le des Ç vieux È, et lÕacte fondateur qui a vu na”tre les associations religieuses, lÕUICALO et lÕAICLF. En silence, derrire lui, un nouveau petit groupe sÕest formŽ discrtement, composŽ

dÕun responsable administratif et de quelques collaborateurs de lÕADCK. Aprs quoi, les coutumes sont rŽparties, chaque groupe emportant une part minutieusement calculŽe.

Ces Žchanges auront durŽ de longues minutes, pendant lesquelles les hommes seront restŽs debout, impassibles, sous un soleil de plomb. A la fin du protocole, tous se dispersent, discutent, se dŽsaltrent. Puis, par petits groupes, lÕassemblŽe sÕengouffre finalement dans lÕamphithŽ‰tre du Centre Culturel Tjibaou, la grande salle Ç Sisia È, dŽdiŽe aux spectacles et aux confŽrences.

Nous sommes le 28 novembre 2014. Ce jour-lˆ et le lendemain, le Centre Culturel Tjibaou accueille un sŽminaire sur les questions du foncier et de la justice, organisŽ

conjointement par une association (la Ç FŽdŽration des GDPL de Province Sud È) et deux niveaux dÕinstitutions coutumires (le SŽnat Coutumier et lÕaire coutumire Drubea Kapum‘)14. Aprs cette cŽrŽmonie aux codes prŽcis, les Ç accueillants È Ð aire Drubea Kapum‘ et Centre Culturel Ð ont pu souhaiter la bienvenue aux Ç accueillis È Ð les responsables des autres aires coutumires et de la FŽdŽration des GDPL, qui venaient eux-mmes de sÕunir coutumirement.

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13 LÕaire drubea-kapum‘ se situe dans la partie sud de la Nouvelle-CalŽdonie. Elle est habitŽe par environ 57 930 habitants (ISEE 2004) hors NoumŽa. Elle se dŽcoupe en huit districts et en onze chefferies (dÕaprs le site de lÕALK : www.alk.gouv.nc/portal/page/portal/alk/antennes/drubea_kapume, consultŽ le 20 avril 2015).

14 Le SŽnat coutumier a ŽtŽ crŽŽ par lÕAccord de NoumŽa en 1998 et la loi organique de 1999. Il est composŽ de 16 sŽnateurs : deux pour chacune des huit aires coutumires. Ç La loi rŽfŽrendaire du 9 novembre 1988 a crŽŽ les huit aires coutumires, huit conseils coutumiers et un conseil consultatif coutumier. Ce Conseil consultatif reprŽsentait toutes les chefferies. Il Žtait constituŽ de leurs reprŽsentants, systŽmatiquement consultŽs sur les projets de textes des assemblŽes de province relatifs au statut civil de droit particulier et au droit foncier. La loi organique modifiŽe N¡99-209 du 19 mars 1999 (issue de lÕAccord de NoumŽa) maintient les Conseils coutumiers dÕaire (É), mais instaure le SŽnat coutumier, en lieu et place du Conseil consultatif. La reprŽsentation coutumire franchira le pas de lÕinstitutionnalisation. SÕil reste une instance Žminemment consultative, ses attributions sont Žlargies : son droit dÕinitiative et de saisine sont Žtendues. Il devient ainsi la deuxime institution du pays, aux c™tŽs du Congrs È (dÕaprs le site du SŽnat coutumier : www.senat-coutumier.nc, rubrique Ç PrŽsentation du SŽnat È consultŽe le 20 avril 2015).

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Le programme de la matinŽe se poursuit : aprs avoir pris place dans lÕamphithŽ‰tre, les invitŽs entendent plusieurs discours dÕouverture et de prŽsentation. Le premier intervenant sollicite dÕabord la parole dÕun prtre, afin de bŽnir les deux journŽes du sŽminaire. LÕhomme qui se lve alors pour prononcer un court sermon sÕappelle Berger Kawa. Il est Grand Chef du district de La Foa et SarramŽa (aire x‰r‰c). Son nom et son visage sont devenus familiers : quelques mois auparavant (aožt 2014), au MusŽe dÕHistoire Naturelle ˆ Paris, il prenait la parole devant les mŽdias pour exprimer son Žmotion, tandis quՎtait organisŽ, aprs des annŽes dÕattente et de formalitŽs, le retour en Nouvelle-CalŽdonie des reliques de son anctre, le Grand Chef Ata•, tuŽ et dŽcapitŽ en 1878 Ð reliques dont on avait longtemps pensŽ quÕelles avaient purement et simplement disparu15.

Aprs un bref sermon, diffŽrents intervenants se succdent au micro ; tous sans exception commenceront par invoquer Ç le respect et lÕhumilitŽ devant les vieux qui sont ici È : le reprŽsentant du Conseil Coutumier de lÕaire Drubea Kapum‘ ; le secrŽtaire gŽnŽral du SŽnat Coutumier ; le prŽsident de la FŽdŽration des GDPL. Puis les reprŽsentants de lՃtat franais, de lÕexŽcutif territorial (Gouvernement et Congrs de Nouvelle-CalŽdonie), et des Provinces sont invitŽs ˆ prendre la parole ; aucun nÕest prŽsent. Aprs plusieurs minutes dÕattente silencieuse, un homme se lve et se dirige finalement vers le pupitre16. Puis vient le tour de spŽcialistes des questions foncires et judiciaires, qui seront aussi les animateurs des quatre ateliers proposŽs. Ces derniers sÕarticulent autour de deux thmes : dÕune part, le statut et le r™le des Ç assesseurs coutumiers È dans lÕorganisation judiciaire, et dÕautre part, lÕavenir des organismes dŽdiŽs ˆ la gestion du foncier coutumier17.

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15 Initiateur dÕune rŽvolte des Ç indignes È contre les abus de la colonisation, et notamment les spoliations foncires, Ata• fut tuŽ et dŽcapitŽ en 1878 par des Ç auxiliaires È kanak de Canala ayant pris le parti des forces coloniales. Ses reliques, ainsi que celles de son Ç sorcier È, ont ŽtŽ ramenŽes en Nouvelle-CalŽdonie en septembre 2014 et restituŽes ˆ ses descendants. Depuis leur arrivŽe, ces reliques ont ŽtŽ disposŽes dans la maison commune de la tribu de Petit Couli. Plusieurs comitŽs (fondation Ata•, comitŽ de rŽhabilitation mŽmoriel, comitŽ technique culturel Ata•) travaillent en concertation avec les collectivitŽs locales et les autoritŽs coutumires, selon un calendrier prŽcis, afin que soit ŽdifiŽ un mausolŽe destinŽ ˆ accueillir les reliques dÕAta• et de son sorcier (Les Nouvelles CalŽdoniennes, 2 mars 2015, p.6). Cf. la rubrique Ç CommŽmorations ˆ la mŽmoire du Grand chef Ata• È sur le site : www.senat-coutumier.nc (consultŽ le 21 avril 2015). Une premire cŽrŽmonie, conduite dans un esprit de paix et de recueillement, sÕest dŽroulŽe le 19 septembre 2015, en prŽsence des reprŽsentants des institutions du pays (SŽnat coutumier, Provinces, Congrs, Gouvernement) et du Haut-Commissaire de la RŽpublique (Ç Partages autour dÕAta• È, Les Nouvelles CalŽdoniennes, 21 septembre 2015, p.4).

16 Il sÕagit de Philippe SŽverian, en charge du dŽveloppement rural ˆ la Province Sud, qui prend alors la parole au nom de lÕinstitution provinciale.

17 Les Ç assesseurs coutumiers È (instituŽs par lÕordonnance n¡82-877 du 15 octobre 1982) occupent un r™le consultatif au sein des tribunaux, et servent surtout de mŽdiateurs entre les magistrats, formŽs au droit franais, et les individus ou les familles kanak ayant le statut de droit particulier (droit coutumier, distinct du droit commun) qui sont prŽsentes aux audiences, en tant que mis en cause ou en tant que victimes. La Justice demeure encore en 2015 une des compŽtences rŽgaliennes rŽservŽes ˆ lՃtat franais. LÕun des souhaits du SŽnat coutumier est dÕamplifier le r™le des assesseurs dans le dŽroulement des procŽdures, et de prŽciser leur statut juridique. Dans le

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Aprs un bref exposŽ des thmes, les participants sont invitŽs ˆ rejoindre lÕatelier de leur choix. Par petits groupes, les Ç ateliers È se remplissent et sÕorganisent peu ˆ peu. Aprs un dŽjeuner tardif, les Žchanges reprendront lÕaprs-midi et le lendemain, avant une Ç coutume dÕau-revoir È qui prŽcdera le dŽpart de chaque groupe.

A quelques dizaines de mtres de lˆ, dans une autre salle du Centre Culturel Tjibaou, une exposition a rŽcemment ouvert ses portes. Elle sÕintitule Ç Coutume Kanak È (fig.3).

Fig.3. LÕaffiche de lÕexposition Ç Coutume kanak È rŽalisŽe par SŽbastien Lebgue, prŽsentŽe au Centre Culturel Tjibaou de novembre 2014 ˆ aožt 2015 (source : ADCK ; photo et illustration : S. Lebgue).

LÕartiste est un photographe franais, qui vit au Japon depuis 2008. Sur un projet soutenu par lÕADCK18, SŽbastien Lebgue y prŽsente des clichŽs en noir et blanc ou en couleurs, rŽalisŽs en 2013 et 2014 lors de cŽrŽmonies coutumires marquant des ŽvŽnements sociaux importants, tels que la distribution des ignames nouvelles, le mariage, la naissance, ou

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domaine du foncier, cÕest un Žtablissement public dՃtat, lÕADRAF, qui est chargŽ de lÕacquisition puis de la rŽtrocession des terres aux clans kanak pouvant justifier dÕun lien coutumier Žtabli et non contestŽ avec les lieux.

18 LÕexposition est Žgalement prŽsentŽe sur un site de financement participatif : http://fr.ulule.com/coutume-kanak/

(consultŽ le 31 mars 2015). LÕartiste y propose un Ç reportage photo et illustration en Nouvelle-CalŽdonie È, Ç la

"coutume kanak" racontŽe par les Kanak, dessinŽe et photographiŽe par SŽbastien Lebgue È.

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le deuil. LÕexposition propose un Ç reportage È, dans une version esthŽtisŽe, sur les pratiques et usages kanak contemporains autour de Ç la coutume È. Dans des jeux de lumire, des visuels aux formats imposants ou inattendus (panoramiques, alternance dÕimages en couleurs et en noir et blanc) dŽvoilent quelques instants de lÕintimitŽ sociale et des moments forts de la vie clanique : la Ç confrontation chromatique È (selon les mots du photographe) entre les vtements (chemises dÕhommes et Ç robes mission È19), dÕun rose vif dans le clan de lՎpouse, mauves dans celui de lՎpoux ; la posture humble et lՎmotion de la mariŽe qui intgre le clan de son

Žpoux et se pare dÕune robe aux couleurs de son nouveau clan ; le regard bienveillant des femmes qui lÕaccueillent comme Žtant dŽsormais lÕune dÕentre elles ; les mains dÕhomme qui manient avec prŽcaution les ignames rassemblŽes pour les coutumes ; lÕimage dÕun bŽbŽ

endormi, dont on lit quÕil appartient dÕabord au clan de ses oncles maternels, pourvoyeurs du souffle de la vie. Les murs de cette premire salle dÕexposition sont Žgalement couverts de croquis et de notes manuscrites qui expliquent lÕorganisation sociale kanak et les symboles identitaires les plus significatifs : le clan, la famille, la case, la chefferie, lÕigname, le taro, le drapeau20, y sont ŽvoquŽs un peu ˆ la manire de Ç notes de terrain ethnographiques È, qui courent en tous sens sur les murs, tout autour des images, et o viennent sÕajouter quelques objets choisis pour leur force symbolique (une pile de manous ; une Ç monnaie kanak È blanche21 ; un Ç totem È, branche dÕarbre dressŽe sur laquelle ont ŽtŽ nouŽs symboliquement des morceaux dՎtoffe). A lՎcart se trouve une petite pice trs sombre : lÕentrŽe est marquŽe par un rideau de feuilles tressŽes, qui oblige le visiteur ˆ se courber avant dÕy pŽnŽtrer ; ˆ lÕintŽrieur, le sol est recouvert de nattes ; dans une quasi obscuritŽ, les images prŽsentŽes sur les murs sont celles du corps dÕun dŽfunt, veillŽ par deux femmes. La salle est simplement intitulŽe : Ç Le deuil È. Dans une interview tŽlŽvisŽe (NCTV), lÕartiste invite le visiteur au

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19 Il sÕagit de robes amples, dÕabord imposŽes par les missionnaires pour cacher la nuditŽ des femmes. ParŽes de motifs colorŽs, elles sont dŽsormais portŽes par la plupart des femmes kanak, assimilŽes ˆ des vtements Ç traditionnels È, et investies dÕune symbolique identitaire forte (Pa•ni, 2003).

20 Le drapeau kanak, crŽŽ en 1984, est un des plus puissants symboles de la lutte indŽpendantiste et de la Ç nation kanak È. Il appara”t aujourdÕhui comme une reprŽsentation iconique de lÕidentitŽ kanak, dŽclinŽe sur de multiples supports commercialisŽs (T-shirts, sacs, parapluies, porte-clefs, stickers, briquets, parŽos, etc.), trs prisŽs par les jeunes (et moins jeunes) Kanak, en particulier dans le Grand NoumŽa (ville et communes attenantes).

21 Selon lÕanthropologue BŽalo Gony, la Ç monnaie traditionnelle È dite communŽment Ç monnaie kanak È constitue Ç un objet symbolique, social et Žconomique. Elle est sacrŽe et constitue pour les Kanak de la Grande Terre, lÕobjet dՎchange le plus prŽcieux È. Circulant lors des cŽrŽmonies coutumires, Ç elle est lÕexpression et le support des Žchanges sociaux. Elle est le conservatoire de la coutume dÕhier, dÕaujourdÕhui et de demain È (Gony, 2006 : 53). Dans son livre, lÕauteur dŽcrit par ailleurs les diffŽrents matŽriaux utilisŽs pour la fabrication, et les fonctions symboliques attachŽes ˆ chaque type de monnaie. Il prŽcise Žgalement que les monnaies avaient eu tendance ˆ dispara”tre dans certaines rŽgions (Hienghne, par exemple), au profit de substituts monŽtaires (billets), avant de rŽappara”tre ˆ partir de la revendication ethno-nationaliste des annŽes 1980 (cf. infra). Sur la disparition de la monnaie traditionnelle, cf. aussi Tjibaou, Missotte et al. (1976 : 104).

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silence, au respect, et suggre de se dŽchausser en pŽnŽtrant dans cet espace, afin de Ç vivre le deuil È comme lui mme lÕa vŽcu. Il insiste fortement sur lÕauthenticitŽ des cŽrŽmonies auxquelles il a eu le privilge dÕassister : Ç Ils lÕont vŽcu comme a, ils ne me lÕont pas montrŽ

comme a È, explique-t-il encore ˆ lÕantenne dÕune radio locale (Radio Djiido).

Enfin, dans une autre salle (KanakŽ), le mur incurvŽ et trs haut (habituellement utilisŽ

pour des rŽtroprojections), est entirement recouvert de Ç portraits kanak È : les visages, peints

ˆ la manire des carnets de voyage (acrylique et gouache), de soixante-trois personnes parmi les quelque cent-cinquante que lÕartiste a rencontrŽes durant son sŽjour Ç au cÏur de la vie culturelle kanak È.

LÕartiste insiste sur la Ç Parole È, celle de ses interlocuteurs de chaque Ç pays kanak È, qui lui a ŽtŽ dŽvoilŽe et quÕil a recueillie puis retranscrite en images. Il ajoute que certains des croquis quÕil a pu rŽaliser ne seront pas montrŽs au public, car ils appartiennent aux clans et relvent du domaine privŽ : Ç a je le garde pour moi, (É) je nÕen parlerai pas, cÕest quelque chose qui reste dans le privilge de mon Žcoute, de mon oreille, et ne sera jamais transmis È. A dÕautres moments, explique-t-il, sa prŽsence nÕa dÕailleurs pas ŽtŽ autorisŽe par les chefs de clans, car les gestes et les paroles Žtaient tabous22.

LÕillustrateur Žvoque longuement la Ç prŽsence È et lÕÇ ampleur È du mot Ç coutume È :

Ç A toutes ces personnes, jÕai posŽ une premire ou une dernire question, qui Žtait trs, trs large et qui Žtait : "Mais quÕest-ce que cÕest, la coutume ?" Pas une ne mÕa rŽpondu de la mme manire. (É). Une des rŽponses qui me revient en tte, qui Žtait trs forte, cՎtait : "Mais la coutume, cÕest moi !" La coutume, cÕest intrinsque. On mÕa mme dit que je posais mal la question parce que cՎtait tellement large quÕon ne pouvait pas y rŽpondre. Mais sa rŽponse, en disant que cՎtait lui, cՎtait dŽjˆ tout. (É) Vulgairement, lorsque lÕon prend dans une dŽfinition du dictionnaire pour le mot coutume, on peut parler de la tradition, on peut parler dÕactes sociaux qui se rŽptent, de faon ˆ crŽer des habitudes, etc. Mais lˆ, en Nouvelle-CalŽdonie, en langage kanak, la coutume, a ne peut pas se dŽfinir dans le dictionnaire, ou il faudrait un dictionnaire seulement qui sÕappelle "la coutume" (rires), avec une dŽfinition trs, trs longue ! È23.

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22 Les interviews de SŽbastien Lebgue sont disponibles sur le site Facebook de lÕexposition (https://www.facebook.com/projetcoutumekanak). Je me rŽfre ici ˆ une Žmission de tŽlŽvision (NCTV, La Quotidienne n¡213, 18/12/2014), et une Žmission radio du DŽpartement Patrimoine et Recherche de lÕADCK (entretien avec Emmanuel Tjibaou, Radio Djiido, 28 octobre 2014). Cf. Žgalement lÕinterview dans la revue culturelle de lÕADCK, Mw‰ VŽŽ, n¡85, 2015, p.10.

23 Interview de SŽbastien Lebgue avec Petelo Tuilalo, Annne-Laure Aubail, Allan Haeweng, Haochen Lin (DŽpartement des arts plastiques et des expositions, ADCK-CCT), Žmission Ç Echos culturels È, Radio Djiido, 28 octobre 2014. LÕillustrateur y dŽfinit sa dŽmarche comme Ç artistique, journalistique, plasticienne, peut-tre, photographique (É), entre le journalisme et la crŽation plastique È.

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Aprs quelques mois au Centre Tjibaou, puis en Province Nord, il est prŽvu que lÕexposition sÕenvole fin 2015 pour Paris. Une partie des images a Žgalement ŽtŽ exposŽe ˆ Tokyo en juillet 201524.

1. Moments de coutume

La juxtaposition, le mme jour, en un mme lieu emblŽmatique dŽdiŽ ˆ lÕart et ˆ la culture kanak, de ces deux Ç moments de coutume È, interpelle nŽcessairement lÕanthropologue, et ce pour plusieurs raisons. Ici (lÕexposition), des expressions de coutume kanak sont saisies dans leur dimension communautaire, Ç au cÏur mme de lÕintimitŽ familiale et clanique È25. Bien que montrŽes et magnifiŽes sous une forme esthŽtisŽe, elles Žvoquent surtout la Ç culture vŽcue È, et lÕauthenticitŽ dÕune tradition bien vivante, qui scande les moments forts de la vie des individus et des groupes sociaux Ç ˆ la tribu È, lÕespace identitaire kanak par excellence. La dimension symbolique comporte en outre lÕidŽe dÕune persistance et dÕune force culturelle immŽmoriale, quelque chose Ç qui a toujours ŽtŽ lˆ È, et qui persiste, gŽnŽration aprs gŽnŽration :

Ç Coutume et culture sont indissociables, dÕun point de vue kanak. La premire a fait la preuve de son aptitude ˆ perdurer au fil du temps et de lÕhistoire, ˆ se renouveler et ainsi

ˆ confirmer sa place et son r™le dans la Nouvelle-CalŽdonie dÕaujourdÕhui. LÕexposition

"Coutume kanak" prŽsentŽe au centre culturel Tjibaou exprime cette densitŽ et cette permanence È (Del Rio, 2015 : 4).

Lˆ-bas (le sŽminaire), la Ç coutume È rassemble au contraire des institutions coutumires et Žtatiques, qui furent en leur temps des exigences de la revendication identitaire kanak, radicalisŽe dans les annŽes 1980 : ces institutions (assesseurs coutumiers ; GDPL ; aires coutumires ; SŽnat coutumier ; Agence de DŽveloppement Rural, Agricole et Foncier : ADRAF) sont elles-mmes nŽes de la lutte autochtone et des accords politiques validŽs successivement entre lՃtat, les indŽpendantistes et les Ç loyalistes È hostiles ˆ lÕindŽpendance.

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24 Initialement prŽvue de novembre 2014 ˆ mai 2015, lÕexposition a finalement ŽtŽ prolongŽe ˆ NoumŽa jusquÕen aožt 2015, avant de se dŽplacer en Province Nord (KonŽ, Voh) en septembre et octobre 2015. Des clichŽs extraits de lÕexposition ont ŽtŽ prŽsentŽes au Roppongi Hills, Tokyo city view Gallery, du 4 au 14 juillet 2015, ˆ l'occasion du New Caledonia Sky Beach Event organisŽ par le Bureau du Tourisme de Nouvelle CalŽdonie. La prŽparation dÕun livre est Žgalement en cours.

25Introduction ˆ lÕinterview de SŽbastien Lebgue, photographe, dessinateur, par GŽrard del Rio (ADCK).

Editorial, Ç DensitŽ et permanence de la coutume È, Mw‰ VŽŽ, n¡85, 2015, p. 7.

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Le Ç geste coutumier È qui prŽcde les discussions sur le foncier et la justice, rassemble alors des hommes Ð tous kanak Ð autour dÕun rituel dÕaccueil qui, sÕil Žvoque certains grands rassemblements de clans, nÕa rien de traditionnel. Il reste pourtant empreint de solennitŽ et dÕauthenticitŽ, tandis quÕil semble adapter les protocoles selon Ç une manire de faire kanak È, dans un moment syncrŽtique, mi-coutumier, mi-institutionnel, quasiment ignorŽ des mŽdias et des plateaux de tŽlŽvision (lÕabsence des Žlus et des reprŽsentants de lՃtat est dÕailleurs symptomatique, tout comme le lieu choisi pour le dŽroulement de la cŽrŽmonie)26.

Un apparent paradoxe rŽside en premier lieu dans le fait que cÕest prŽcisŽment lÕintimitŽ

familiale des moments de coutume kanak qui se trouve trs largement exposŽe et mŽdiatisŽe : aprs le vernissage, les Žmissions de radio et de tŽlŽvision locales, la revue de lÕADCK, Mwˆ

VŽŽ, a Žgalement consacrŽ un dossier complet ˆ cette exposition, sous le titre Ç Coutume et culture È ; lÕexposition possde son propre compte Facebook, alimentŽ par lÕartiste ; enfin, ce dernier prŽpare un livre illustrŽ de ses clichŽs et de ses carnets de croquis. A contrario, le protocole administrativo-coutumier qui rassemble les reprŽsentants de plus de dix entitŽs coutumires et juridiques, venus de tous les terroirs de Nouvelle-CalŽdonie, rŽcolte tout juste quelques lignes dans le quotidien local27.

La tentation pourrait tre de voir dans lÕexposition photographique une exhibition et une mise en spectacle de Ç la coutume È, destinŽe ˆ un public de Ç Blancs È curieux de mieux conna”tre les Ç us et coutumes È kanak, et qui serait autorisŽ, le temps dÕune exposition, ˆ entrer dans lÕintimitŽ dÕune culture populaire et rurale, comme on dŽambule dans un tableau vivant.

Mais, en contrepartie, se dŽfend Lebgue, les moments photographiŽs sont Ç vrais È (authentiques), ils sont Ç vŽcus È (et seulement subsidiairement photographiŽs) et se seraient passŽs de la mme manire sans lÕÏil et le crayon de lÕartiste28. A contrario, la coutume protocolaire qui prŽcde le sŽminaire nÕa besoin dÕaucun public : sans doute illustre-t-elle simplement une expression, parmi dÕautres, dÕun processus syncrŽtique de transformation ou

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26 Comme lÕexplique lÕanthropologue Alban Bensa (2002), le Centre Culturel Tjibaou se compose de deux entitŽs distinctes : le centre culturel ˆ proprement parler (o sont situŽs les salles dÕexposition ou de spectacle, la mŽdiathque, les bureaux, les rŽserves et espaces techniques), et Ç lÕaire coutumire È (aire du Mw‰ Kˆˆ) qui symbolise le monde kanak traditionnel, dŽlimitŽe par trois Ç cases È (une pour chaque Ç Province È). En rgle gŽnŽrale, les cŽrŽmonies coutumires qui accompagnent les invitations, protocoles, inaugurations, accueils de dŽlŽgations, ou toute autre manifestation officielle, se dŽroulent sur lÕaire du Mw‰ Kˆˆ (cf. infra). Ce nÕest pas le cas ici, le site choisi Žtant une clairire proche de lÕaccueil du Centre et de la salle de confŽrence. Ce lieu confre ˆ lÕacte coutumier une dimension moins Ç officielle È et plus Ç intimiste È, ˆ mettre encore en lien avec lÕabsence du public et des mŽdias.

27 Ç Synergie chez les coutumiers È, Les Nouvelles CalŽdoniennes, 26 novembre 2014.

28 Interview de lÕartiste sur Radio Djiido, 28 octobre 2014.

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dÕadaptation, qui touche les pratiques sociales associŽes aux dŽplacements de Ç notables kanak È ou de congrŽgations symbolisant lÕautoritŽ traditionnelle, et qui parvient ˆ les intŽgrer ˆ des formes plus protocolaires et occidentalisŽes de rassemblement strictement professionnel ? A moins quÕil ne sÕagisse plut™t dÕun de ces nŽo-rituels apparus depuis plusieurs dŽcennies, sous la forme de rassemblements coutumiers ˆ visŽe tout ˆ fait contemporaine, o les Ç porteurs de paroles È ne sont pas issus de clans prŽcis, ni dŽsignŽs par Ç la coutume È, mais par une certaine hiŽrarchie administrativo-coutumire qui se pare des habits et du langage symbolique de la tradition ? 29 Le formalisme occidental du Ç sŽminaire È serait alors tout bonnement appropriŽ

par les acteurs sociaux qui participent ˆ son dŽroulement, et en quelque sorte Ç indigŽnisŽ È Ð pour parler comme Sahlins (1993) Ð ou Ç kanakisŽ È. Enfin, ne faut-il pas y voir tout simplement une forme moderne dÕÇ authenticitŽ culturelle È, une vision pragmatique du Ç Kanak de lÕan 2000 È tel que Jean-Marie Tjibaou (et avec lui, dÕautres intellectuels nationalistes de lÕUnion calŽdonienne) lÕappelait de ses vÏux ? Ç Un pied dans la tradition, lÕautre dans la modernitŽ È ; respectueux ˆ la fois de ses Ç us et coutumes È (le Ç geste È alliŽ ˆ la Ç parole È dans la clairire) et empreint de religion chrŽtienne (le sermon qui prŽcde les discours ; la rŽfŽrence ˆ lÕUICALO et lÕAICLF) ; et surtout capable, tout en restant lui-mme, de prendre en main son destin social, culturel, et ŽconomiqueÉ

On pressent la nŽcessitŽ quÕil y a ˆ apprŽhender ces deux ŽvŽnements dÕun point de vue ethno-sociologique et critique : ici, en proposant une analyse de lÕobjectification qui dirige la mise en exposition dÕune culture nommŽe coutume, puisŽe dans des scnes de la vie tribale locale, pour tre ensuite Ç Žlargie È et assimilŽe ˆ une identitŽ globale et ˆ un peuple tout entier ; lˆ-bas, en soulignant la modernitŽ et lÕinventivitŽ de plusieurs catŽgories dÕacteurs sociaux dotŽs de statuts Ç coutumiers È, qui mobilisent le registre du symbolique et, ce faisant, contribuent ˆ faire exister ce quÕils Žnoncent.

Les questions soulevŽes sont autant celles du syncrŽtisme culturel que des modalitŽs de mise en spectacle de la culture Ç vŽcue È (o apparaissent aussi des ŽlŽments de syncrŽtisme

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29 Dans lÕexemple que je donne, les orateurs utilisent principalement la langue vŽhiculaire, le franais, mais ils sÕexprimeront Ç en langue È (expression qui dŽsigne lÕusage dÕune ou plusieurs langues vernaculaires) dans dÕautres contextes que jՎvoquerai Žgalement. LÕethnologue Denis Monnerie propose une description et une analyse approfondie de plusieurs nŽo-rituels inspirŽs des cŽrŽmonies coutumires traditionnelles (thiam), auxquelles il a assistŽ dans le Nord du pays dans les annŽes 1990 ; il relate en particulier le cent cinquantime anniversaire (en 1993) de la premire messe qui fut cŽlŽbrŽe par les maristes, ˆ Balade, en 1843 ; la cŽlŽbration, toujours en 1993, de lÕAnnŽe des Peuples Indignes (proclamŽe par lÕONU), organisŽe par une association locale en Province Nord ; ou encore la visite du plus haut reprŽsentant de lՃtat en Nouvelle-CalŽdonie (le Haut- Commissaire de la RŽpublique) auprs des autoritŽs coutumires rassemblŽes ˆ Balade en janvier 1994 (Monnerie, 2005).

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religieux, totalement intŽgrŽs ˆ cette culture kanak, comme les Ç robes mission È) : il convient ds lors de sÕinterroger, non pas tant sur la notion dÕauthenticitŽ des reprŽsentations (aucune nÕest inauthentique), ou de sincŽritŽ des acteurs (chacun est Ç ˆ sa place È ; aucun ne Ç fait semblant È), mais sur les expressions et les contenus de la parole : qui parle ? ˆ destination de qui ? pour montrer quoi ? CÕest aussi comprendre ce que peut signifier la diffŽrence de ces Ç gestes È en fonction dÕune sorte de Ç gradation symbolique È (manous et billets, dÕun c™tŽ ; et de lÕautre : ignames, monnaies kanak, manous, tortues marines, denrŽes alimentaires,É)30.

Enfin, cette configuration bouscule aussi les certitudes et les croyances de lÕethnologue : en effet, soudain, un tŽmoin extŽrieur, de passage dans lÕespace social o se dŽroulent les cŽrŽmonies, se voit confŽrer, par une institution culturelle phare en Nouvelle-CalŽdonie (dont la mission est dÕÏuvrer ˆ la prŽservation et au dŽveloppement des expressions contemporaines de la culture autochtone, ˆ destination du public), une lŽgitimitŽ ˆ parler de la coutume, ˆ photographier et ˆ mettre en exposition des scnes relevant de la sphre privŽe des familles et des clans (il ne sÕagit pas de manifestations publiques, ni de rituels produits ˆ des fins de spectacle). Quel sens les protagonistes vont-ils lui donner ? On parle ici de lÕartiste lui-mme, des reprŽsentants de lÕinstitution, mais surtout des acteurs sociaux impliquŽs dans lՎvŽnement : dans la partie de lÕexposition consacrŽe aux mariages, lÕun des hommes dont lÕunion est mise en images par le photographe est aussi un collaborateur de lÕADCK, o il exerce le mŽtier de Ç collecteur È31. La dŽmarche de cet homme (faire entrer le photographe dans lÕintimitŽ de son clan dans le but de prŽparer une exposition) a-t-elle un sens particulier du fait de son affiliation

ˆ lÕinstitution Ç ADCK È (une sorte dÕendo-ethnographie par procuration) ? Lui-mme ou un

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30 La notion dÕauthenticitŽ est ici entendue comme une catŽgorie dÕanalyse appliquŽe aux expressions culturelles post-coloniales, en particulier dans un contexte o la culture se trouve trs largement institutionnalisŽe. En effet, lÕauthenticitŽ des manifestations et productions culturelles contemporaines demeure une prŽoccupation constante des acteurs sociaux (Ç Nous, on ne fait pas du folklore È) et des commentateurs ou analystes issus notamment des sciences sociales. Un certain dŽbat anthropologique a dÕailleurs placŽ la notion dÕauthenticitŽ au centre de ses prŽoccupations dans les annŽes 1990, comme je le rappellerai plus loin (cf. infra). Dans les pages qui suivent, les notions dÕauthenticitŽ et de sincŽritŽ sont Žtroitement liŽes, car elles relvent du mme rapport sacralisŽ ˆ la culture, cette dernire Žtant conue comme lÕexpression de lÕidentitŽ du groupe.

31 Il sÕagit dÕYvon Kona, originaire de la tribu de Canala, collecteur de danses et chants traditionnels pour le DŽpartement Recherche et Patrimoine de lÕADCK (cf. Mw‰ VŽŽ, revue culturelle de lÕADCK, n¡70, 4e trimestre 2010). Les collecteurs exercent des fonctions similaires aux Ç fieldworkers È ni-Vanuatu : il sÕagit dÕautochtones (majoritairement, mais pas exclusivement, des hommes), locuteurs dÕune ou plusieurs langues vernaculaires, dont la mission consiste ˆ rŽcolter les rŽcits et les traditions orales auprs des populations, en fonction de thŽmatiques dŽfinies annuellement par lÕADCK avec les conseils dÕaires coutumires. Chaque collecteur intervient au sein dÕun district coutumier, et rend compte ensuite ˆ un coordinateur (entretien avec Emmanuel Tjibaou, directeur du Centre cultuel Tjibaou, NoumŽa, 6 mai 2014 ; entretien avec ƒloi Meureureu-Yari, collecteur et coordinateur, KonŽ, 19 aožt 2014). Yvon Kona, qui est aussi coordinateur, travaille sur les traditions orales de sa rŽgion dÕorigine (Canala) et sur la rŽhabilitation de savoir-faire disparus, comme la fabrication du tapa.

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