Ç LÕinvention des traditions È et lÕanthropologie de lÕOcanie : Naissance dÕune controverse
1. Retour aux textes fondateurs
La rfrence du concept dÕinvention des traditions renvoie immanquablement au recueil publi en 1983 par Eric Hobsbawm et Terence Ranger, o figurent les contributions de plusieurs historiens. Le modle dÕinterprtation des nationalismes europens de type ethnoculturel la fin du XIXe sicle et au dbut du XXe, prn par Hobsbawm dans ce recueil, trouve trs justement sÕappliquer aux situations postcoloniales en Inde et en Afrique (Cohn, 1983 ; Ranger, 1983), soulignant de facto le caractre moderne des idologies du culturalisme identitaire, qualifies de traditionalismes123. Une interprtation comparable des processus de changement social et politique est propose quelques mois auparavant (en aot 1982), cette fois par des anthropologues, pour apprhender divers contextes post-coloniaux en Ocanie, et plus particulirement en Mlansie : un recueil de textes prsent par Roger Keesing et Robert Tonkinson, compos dÕtudes ethnographiques menes sur diffrentes les dans le tout nouvel tat indpendant du Vanuatu et dans lÕarchipel des les Salomon, fera date dans lÕhistoire de la discipline. Ce recueil dÕarticles rassembls par les deux auteurs dans un numro spcial de la revue dÕanthropologie Mankind124 a t cit et comment maintes reprises dans les annes 1990, et il lÕest encore aujourdÕhui. Il a dÕailleurs t dcrit, huit ans aprs sa parution (Macintyre, 1990), comme tant :
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123 Le traditionalisme est compris ici comme un processus qui sÕinscrit ncessairement dans la modernit, et qui se dfinit par lÕobjectivation et la valorisation, vraisemblablement des fins idologiques ou politiques, dÕlments puiss dans la tradition. Sur ce thme, je renvoie aux travaux de Babadzan (1999 : 22-24 ; 2009 : 144-148), qui cite notamment Weil (1971), Boyer et Lenclud (1987). Pour Babadzan, il est important de percevoir le caractre moderne du traditionalisme, sans vouloir apposer cette distinction (tradition/traditionalisme) la moindre vise volutionniste. En effet, dit-il, par essence Ç les traditionalismes ne sont pas traditionnels È (2009 : 148). Je reviendrai longuement sur cette question propos de la culture kanak. Cf. infra.
124 Ç Reinventing Traditional Culture : the Politics of Kastom in Island Malanesia È, Mankind, Vol. 13, No.4, The Anthropological Society of New South Wales, aot 1982.
Ç [un ouvrage] pionnier pour lÕanalyse critique des idologies politiques mlansiennes dans des tats post-coloniaux (É). Tandis que les Mlansiens continuent de rinventer leurs traditions, ces articles conservent leur pertinence. La nature et le rle de la revitalisation culturelle dans les tats dcoloniss demeure un thme central de lÕanalyse anthropologique des socits du Pacifique È125.
Prcisment, dans cette analyse anthropologique Ç chaud È des changements sociaux et politiques en Ocanie, qui se droulent alors sous les yeux des anthropologues, plusieurs ides centrales sont dveloppes par les six contributeurs ce numro spcial dont lÕintitul, rdig sous forme dÕoxymore, interpelle la discipline : Ç Reinventing Traditional Culture. The Politics of Kastom in Island Melanesia È sÕappuie plus particulirement sur des textes introductifs de Roger Keesing et Robert Tonkinson (tous deux anthropologues et chercheurs lÕAustralian National University de Canberra)126, qui seront quelques annes plus tard comments lÕenvi par des chercheurs et universitaires de tous bords127. DÕun point de vue thorique, une des ides dveloppes dans lÕouvrage de Keesing et Tonkinson remet en cause la vision essentialiste des cultures Ç indignes È, largement nourrie du regard port par lÕanthropologie sur les socits dites Ç primitives È. SÕy ajoute lÕhypothse que cette reprsentation essentialiste des cultures prcoloniales, dominante ruraliste (la Ç vraie È culture traditionnelle, oppose la modernit), sÕest trouve progressivement intriorise, puis revendique, par les coloniss eux-mmes. En particulier, dans chaque archipel de Mlansie, de nouvelles lites politiques autochtones, accultures et Ç duques dans la rhtorique des indpendances africaines Ð Nkrumah, Toure, Nyerere, Memmi, Fanon, et les autres È (Keesing, 1982 : 297), jouent un rle dterminant dans la conscientisation dÕune identit culturelle qui serait commune des groupes sociaux autochtones parfois trs pars et diffrencis, notamment
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125 Ç This volume of Mankind isthe pathbreaker forthe critical analysis of Melanesian political ideologies in post-colonial states È (compte-rendu de Martha Macintyre, Canberra Anthropology 13(1), 1990 : 105-106). Dans toute la suite du prsent texte, et sauf mention contraire, les traductions des citations de lÕanglais au franais sont miennes. Pour certaines tournures idiomatiques spcifiques, et pour laisser au lecteur le soin de faire sa propre traduction, jÕai pu choisir de mentionner galement le texte original. Celui-ci figure alors, soit la suite de la traduction franaise (entre parenthses), soit en note de bas de page, comme cÕest le cas par exemple ici. Enfin, afin de ne pas alourdir le texte, jÕai systmatiquement et dlibrment omis les notes auxquelles renvoient les citations dÕauteurs.
126 Les deux auteurs sont rattachs au Department of Anthropology (Research School of Pacific Studies) de lÕAustralian National University (ANU) Canberra. Les autres contributeurs ce volume sont Lamont Lindstrom, Joan Larcom, Margaret Jolly (que lÕon retrouve ensuite plusieurs reprises dans le dbat sur lÕinvention des traditions, cf. infra), et Ben Burt.
127 Jolly et Thomas (1992), Lindstrom et White (1993). Ces derniers saluent en particulier lÕhabilet smantique du terme Ç invention È, qui laisse entendre que la Ç tradition È, habituellement perue comme Ç ancienne et
immuable È, serait dsormais Ç nouvelle et fabrique È, et ainsi Ç libre È de la fixit quÕon lui attribue systmatiquement (1993 : 469).
sur le plan social, conomique, ethnique, ou linguistique (Ç people whose material circumstances, class interests, and ethnic affiliation are different and often deeply divided È, ibid. : 299). Ces lites, qui se trouvent objectivement de plus en plus loignes des modes de vie dits Ç traditionnels È et dÕune Ç coutume È quÕelles nÕont jamais vritablement connue (ibid. : 299), sÕemparent pourtant dÕune forme de discours idalis sur la tradition, qui doit servir de ciment idologique des mobilisations politiques de type nationaliste. Faisant cho, sans le savoir, au recueil dÕHobsbawm et Ranger qui paratra peu aprs (1983), Keesing souligne ainsi Ç lÕinfluence des idologies politiques internationales, en premier lieu le nationalisme, dans les rfrences mlansiennes la coutume È (Keesing, 1982 : 297-298, cit par Linnekin et Poyer, 1990 : 14). LÕargument-clef qui apparat ici, et qui sert de fil conducteur lÕensemble de lÕouvrage, concerne le caractre intrinsquement imprcis et polysmique du concept de Kastom utilis des fins idologiques dans les socits modernes du Pacifique : lÕefficacit symbolique et politique de la Kastom, conclut Keesing, repose avant tout sur sa capacit voquer et incarner une continuit culturelle fictive entre le pass et le prsent (1982 : 372).
Il est intressant de remarquer que les toutes premires rfrences bibliographiques au recueil de Keesing et Tonkinson sont le fait de deux jeunes anthropologues ocanistes francophones qui, de passage lÕAustralian National University (ANU, Canberra), dveloppent des rflexions et des argumentations de type Ç constructiviste È, par opposition aux conceptions Ç essentialistes È ou Ç primordialistes È des cultures autochtones. LÕune des premires mentions du numro spcial de Mankind apparat ainsi dans un texte rdig par Alain Babadzan lÕoccasion dÕun colloque tenu Houston en octobre 1983, intitul Ç Ethnicities and Nations : Processes of Interethnic Relations in Latin America, Southeast Asia, and the Pacific È. Ce texte a t publi en anglais en 1988 dans les actes dudit colloque (Guidieri et al., 1988). LÕauteur a prcis rcemment que le manuscrit de cet article avait dj circul avant sa publication, et quÕil avait notamment t communiqu Roger Keesing en novembre 1984, lorsque Babadzan, alors jeune chercheur, sjournait lÕANU (Babadzan, 2009 : 84).
Le texte en question entend analyser et comparer les caractristiques des mouvements nationalistes qui ont germ dans lÕensemble des pays (indpendants ou non) de la rgion Pacifique. Babadzan dfend lÕide selon laquelle le dclin du colonialisme en Ocanie, et lÕaccession des anciens territoires coloniss leur indpendance politique (ou une autonomie relative), ont t concomitants de lÕmergence de mythes et de symboles culturalistes, destins reprsenter et incarner chaque unit nationale : jadis stigmatis par le discours colonial et
missionnaire, le pass culturel Ç pr-contact È des populations colonises se trouve ainsi brusquement rhabilit et idalis par les lites politiques montantes et les nouvelles classes dominantes de ces socits Ç dcolonises È (ou aspirant lÕtre), socits qui ont tout bonnement cess dÕtre traditionnelles. La coutume (Kastom), explique Babadzan, se voit ainsi rige en idologie dÕtat (stateÕs customary ideology ou state kastom) dans la plupart des jeunes nations ocaniennes indpendantes : elle va puiser dans les registres micro-locaux de la tradition, un ensemble dÕlments tangibles et disparates (Ç Ç singing È, Ç dancing È, Ç handicrafts È, etc. È), vous incarner une Ç culture nationale È et ncessaires la construction de chaque identit politique collective. Du risque li lÕirruption et lÕaffirmation des localismes et rgionalismes ethno-culturels sur la scne politique,
Ç (É) dcoule la ncessit pour lÕidologie coutumire dÕtat de fournir lÕensemble des ethnies et des groupes sociaux composant la nation une reprsentation laquelle tous puissent sÕidentifier, par-del la diversit des appartenances sociales et des affiliations religieuses È (1988[1983] : 211).
Ç En tant quÕidologie dÕtat, le discours sur la coutume tente dÕaccrditer une fiction : celle dÕun mono-ethnisme imaginaire. Et ce en dpit de la ralit ethnique et pluri-culturelle commune, des degrs divers, chacune des nations ocaniennes (É) È (ibid. : 216)128.
A lÕinstar de Keesing (1982 : 297, cf. supra), Babadzan souligne le rle prpondrant des idologues de la coutume, quÕil dcrit comme issus des Ç classes sociales les plus occidentalises, celles qui sont les plus loignes du mode de vie et des valeurs traditionnels, et les plus engages dans la modernit È (1988 : 206). Ces lites urbanises et accultures, dit-il, ont totalement intrioris les reprsentations du discours dominant (colonial, ethnologique et missionnaire) sur les Ç sauvages È (ou Ç primitifs È, Ç paens È, etc.). Babadzan mentionne au passage, dans une note de bas de page, un lment sociologique quÕil convient ds prsent de relever :
Ç Il est important de noter que les membres des intelligentsias qui produisent ce discours, taient fortement marqus par une ducation religieuse, et quÕils avaient parfois mme appartenu la prtrise indigne È (1988, note 13 : 226-227).
Cet lment ne parat pas fondamental ici pour comprendre lÕmergence dÕune thorie anthropologique de lÕinvention des traditions. Il constitue nanmoins une des clefs de
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128 Ces extraits proviennent de la version originale franaise (1983) du texte (communication personnelle dÕAlain Babadzan, septembre 2015).
comprhension des nouveaux rapports sociaux qui sÕdifient au sein-mme des populations colonises et entre les diffrents groupes ethniques, et lÕamorce dÕune mise en perspective sociologique du parcours ducatif et idologique des lites politiques autochtones129.
En dfendant les valeurs revitalises de la Kastom, les lites nationalistes produisent une idologie Ç qui se dfinit elle-mme comme anti-occidentale et philo-traditionaliste È, et qui nÕest rien de moins que lÕinversion du discours occidental et raciste sur la tradition : le discours nationaliste pro-Kastom serait, en somme, Ç une critique occidentale de lÕoccidentalisation È (a Western criticism of Westernization) selon lÕexpression sduisante (et souvent cite depuis) de lÕauteur130.
Les analyses de Babadzan font clairement rfrence celles proposes dans le recueil de Keesing et Tonkinson (1988[1983] : 206, note 12 : 226), propos du caractre flou et polysmique du concept de Kastom, qui se prte finalement tous les usages politiques et toutes les interprtations idologiques. Une des contributions de Keesing (1982 : 357-373) est dÕailleurs cite dans le dernier paragraphe du texte, intitul Ç Development È (Babadzan, 1988 : 221, et aussi notes 26, 27, 28 : 228), propos notamment de lÕusage de la notion de Kastom dans certaines situations, pour lgitimer des projets communautaires de dveloppement conomique (ibid. : 221)131.
Toujours dans les annes 1980, le recueil de Keesing et Tonkinson de 1982 est galement mentionn ailleurs, par un autre chercheur francophone : Jean-Marc Philibert y fait amplement rfrence dans un article paru en avril 1986 dans la revue Mankind (Vol. 16 No. 1),
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129 Ce questionnement sociologique constitue, comme on le verra, un des axes majeurs de la prsente recherche. Les travaux de sociologues et dÕanthropologues relatifs aux parcours personnel et professionnel des Ç lites indignes È (notamment politiques), lorsquÕils soulignent en particulier le rle dterminant des coles missionnaires, seront rgulirement voqus tout au long de mon travail. Cf. notamment Rognon (1993) ; Soriano (2000a ; 2014).
130 Babadzan (op.cit. : 206). Il semblerait que lÕexpression soit rapidement passe dans le sens commun savant, puisque dÕaucuns lÕutilisent sans rfrence son auteur (cf. Ghasarian, 1999 : 371). Il est noter que des extraits de lÕarticle initial (Ç Kastom and Nation-Building in the South Pacific È, 1988[1983]) ont t repris et trs largement complts dans lÕouvrage de Babadzan (op.cit., 2009, cf. chapitre 1 : Ç Kastom. Coutume, tat et nation dans le Pacifique È, pp.15-73). Dans ce mme ouvrage, lÕauteur revient sur la polmique survenue dans les annes 1990 autour du travail de Keesing et de son propre article publi en 1988 (cf. chapitre 2, en particulier p.84-102). Il prcise que son article Ç Kastom et Nation-Builing in the South Pacific È se voulait avant tout Ç un essai dÕobjectivation dÕune idologie et de ses fonctions sociales et politiques È (2009 : 95). Le moins que lÕon puisse dire, cÕest que cet essai a reu un accueil peu favorable, de la part des commentateurs ou chercheurs issus des lites nationalistes, mais pas uniquementÉ (cf. infra).
131 Il est important de noter ds prsent que Babadzan consacrera par la suite une large part de ses travaux et publications la question des traditionalismes ocaniens et des usages politiques de la tradition. Son article de 1988 sur la Kastom demeurera une source quÕil citera volontiers et dont il ne se dpartira aucun moment dans ses travaux ultrieurs.
propos des politiques de la tradition au Vanuatu (1986 : 3)132. Philibert souligne notamment le rle prdominant jou par les Ç lites politiques accultures et urbanises È (ibid.), dans lÕusage idologique de la rhtorique de la Kastom, peu de temps avant la proclamation de lÕindpendance du Vanuatu. Dans ce mme article, Philibert, qui fut Ð comme Babadzan Ð Ç visiting fellow È lÕAustralian National University en 1983-1984, nourrit galement sa dmonstration de plusieurs citations extraites du recueil dÕHobsbawm et Ranger paru en 1983 (1986 : 1-2), en particulier pour dfinir le terme gnral de Ç tradition invente È avant de lÕappliquer la situation post-coloniale et la politique culturelle du Vanuatu. Philibert reproduit la dfinition des Ç traditions inventes È propose par Hobsbawm en introduction du volume de 1983 Ð une dfinition qui sera au cÏur des polmiques ultrieures :
Ç Les "traditions inventes" dsignent un ensemble de pratiques de nature rituelle et symbolique qui sont normalement gouvernes par des rgles ouvertement ou tacitement acceptes et qui cherchent inculquer certaines valeurs et normes de comportement par la rptition, ce qui implique automatiquement une continuit avec le pass. (É) [La] particularit des traditions "inventes" tient au fait que leur continuit avec ce pass est largement fictive. En bref, ce sont des rponses de nouvelles situations qui prennent la forme dÕune rfrence dÕanciennes situations, ou qui construisent leur propre pass par une rptition quasi obligatoire È (Hobsbawm, 1983 : 1-2 ; cÕest moi qui souligne)133.
Philibert met en exergue cette ide, centrale chez lÕhistorien et thoricien de lÕinvention de la tradition et du nationalisme ethno-culturel, dÕune continuit fictive avec le pass (1986 : 1-2). Surtout, il souligne la capacit des nouvelles lites locales (Ç the proto-bureaucratic ÔclassÕ È) Ç prendre le contrle dÕun code symbolique aliment de pratiques traditionnelles (kastom) en vue de promouvoir la cohsion sociale et dÕtablir un rgime politique È134.
LÕauteur voque aussi les influences exo-ducatives qui caractrisent la trajectoire des lites nationalistes ni-Vanuatu : Ç la plupart taient, avant lÕindpendance, des ecclsiastiques presbytriens ou des fonctionnaires de lÕadministration coloniale È, crit-il (1986 : 3), et Ç les acteurs de lÕancien pouvoir colonial ont t remplacs par une caste de bureaucrates ni-Vanuatu, forms par lÕOccident, anciens hommes dÕglise et fonctionnaires È (ibid. : 7). La
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132 Selon la bibliographie constitue par Marc Tabani (2002), il semblerait que lÕarticle ait t nouveau publi ( lÕidentique ?) en 1990 dans un recueil codit par lÕauteur. Cf. Manning et Philibert (eds), Customs in Conflict : The Anthropology of a Changing World, Peterborough, Broadview Press, pp. 251-273. La version laquelle je me rfre est celle issue du Mankind de 1986.
133 JÕutilise ici la traduction franaise de lÕintroduction de Hobsbawm, publie dans la revue Enqute en 1995 (Mary, Fghoul et Boutier, 1995 : 174).
134 Ç (É) the proto-bureaucratic ÔclassÕ is attempting to gain control over a symbolic code derived from traditional practices (kastom) so as to promote social cohesion and establish a civil polity. È (Philibert, 1986 : 1).
question des lites nationalistes autochtones apparat rapidement ici comme un sujet crucial et minemment polmique, puisque lÕauteur tente aussitt de minimiser la porte (que lÕon devine au moins autant politique quÕacadmique et scientifique) de ses propos, et de rpondre dÕventuelles critiques auxquelles il semble se prparer : il prcise ainsi, ds lÕintroduction, que son texte ne prche aucun moment en faveur dÕune quelconque Ç thorie du complot È (ibid. : 1). Surtout, en conclusion, il crit ceci :
Ç Si [mon] analyse apparat comme la mise en vidence dÕune conspiration des membres de lÕlite politique pour tromper les populations, afin de continuer exercer leur domination sur ces dernires, alors cela va au-del de ce que je voulais. (É) La complexit de la relation dialectique entre pouvoir et culture ne peut jamais sÕexpliquer par une vulgaire thorie conspiratrice È (ibid. : 9 ; cÕest moi qui souligne).
La contrition qui mane de cette formule conclusive est dÕautant plus paradoxale que Philibert dbute le mme article par une critique pour le moins Ç radicale È lÕgard des lites nationalistes :
Ç Qui taient les inventeurs des no-traditions ? Ceux qui taient au pouvoir, comme les dirigeants de la Troisime Rpublique en France, que les traditions inventes ont aids conduire une duperie politique de faon magistrale. (É) Ceci soulve le problme dÕune possible manipulation politique par ceux qui contrlent les discours publics È (ibid. : 2). Il recourt dÕailleurs, pour appuyer cet argument, une citation proverbiale employe par Hobsbawm propos de la Troisime Rpublique en France :
Ç Le fait essentiel tait que ceux qui contrlaient lÕimaginaire, le symbolisme, les traditions de la Rpublique, taient des hommes du centre dguiss en hommes de lÕextrme-gauche : les radicaux-socialistes, dont le proverbe dit quÕils sont comme les radis, rouges lÕextrieur, blancs lÕintrieur, et toujours du ct de leurs intrts È (Hobsbawm, 1982 : 270, cit par Philibert, 1986 : 2)135.
En soulignant quel point Ç cette intellectualisation du pass est bien trop goste politiquement pour ne pas tre suspecte È (ibid., 4), Philibert ne se borne pas une interrogation sociologique des politiques de la Kastom et des modes de lgitimation des nouvelles lites politiques : bien plutt, il dnonce clairement une stratgie de domination de ces lites qui
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135 Ç Yet the basic fact was that those who controlled the imaginery, the symbolism, the traditions of the Republic were the men of the centre masquerading as men of the extreme left : the Radical Socialists, proverbially Ôlike the radish, red outside, white inside, and always on the side the bread is butteredÕ È (Hobsbawm, 1983 : 270). Dans la version originale, le proverbe est entre guillemets ; ils disparaissent dans le texte cit par Philibert, ce qui nÕest pas neutre.
Ç tiennent le sceau authentifiant les vnements comme traditionnels È (ibid. : 9), qui contrlent et instrumentalisent les symboles dont se sert le discours traditionaliste officiel. Il oppose ainsi la classe dirigeante celle des Ç citoyens obissants È (complying citizens), pour qui la coutume reste encore une pratique vcue (kastom is still lived practice) et non un discours idologique abstrait.
Sans anticiper sur ce qui va suivre, notons simplement que cette position critique, quasi idologique, particulirement lisible dans lÕarticle de Philibert, sera prcisment celle qui sera