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OrganisŽ en 1975 sur un terrain en friche prtŽ par la mairie de NoumŽa, le premier festival mŽlanŽsien de Nouvelle-CalŽdonie, MŽlanŽsia 2000, fte ses quarante ans en 2015 : depuis plus de vingt ans dŽjˆ, il est assez unanimement cŽlŽbrŽ comme Ç lÕan I de la renaissance culturelle kanak È (pour reprendre une expression utilisŽe ironiquement par lÕethnologue Jean Guiart)43. Dans lÕesprit de ceux qui lÕont vŽcu et, plus largement, pour tous les artisans de la reconnaissance identitaire kanak, MŽlanŽsia 2000 est considŽrŽ comme un mythe identitaire fondateur de lÕunitŽ dÕun peuple mŽlanŽsien de Nouvelle-CalŽdonie. La mobilisation collective autour du projet initial de quelques individus, qui ont rendu possible le festival, reprŽsente, quarante ans aprs, un marqueur historique. Au point dÕoublier que, parmi ceux qui, aujourdÕhui, saluent et encouragent la mise en spectacle de lÕidentitŽ kanak (et bien souvent y contribuent trs officiellement), certains refusaient, en 1975, de participer ˆ ce quÕils

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43 Selon Guiart, prŽcisŽment, le festival de 1975 a ŽtŽ ŽrigŽ en mythe, alors mme que son initiateur, Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), Ç nÕa jamais prŽsentŽ MŽlanŽsia 2000 comme lÕan I de la renaissance culturelle canaque, mais comme le premier jour de la prŽsentation aux blancs de cette culture canaque È (1996b : 106 ; soulignŽ dans le texte). Selon Bensa et Wittersheim, MŽlanŽsia 2000 reprŽsente la Ç premire prŽsentation magistrale et officielle du monde kanak È (in Tjibaou, 1996 : 19). Pour Marie-Claude Wetta, veuve Tjibaou, MŽlanŽsia 2000 est le Ç point de dŽpart dÕune vie tout entire consacrŽe au devenir politique du pays È (ibid. : 9).

prŽfŽraient qualifier de Ç prostitution de la culture È, et sÕopposaient au tout premier projet patrimonial portŽ par Jean-Marie Tjibaou et Scholastique Pidjot44.

Quarante annŽes ont passŽ. En lÕespace de deux gŽnŽrations, la Nouvelle-CalŽdonie a connu lՎmergence du mouvement nationaliste kanak, la violence des Ç ŽvŽnements È et lՎtat de semi-guerre civile45 ; des accords politiques ; des prises dÕotages (Canala, OuvŽa) ; des interventions militaires (Canala en 1985 ; Gossanah en 1988) ; des morts tragiques (plus particulirement parmi les indŽpendantistes) ; deux accords Ç historiques È ; deux rŽfŽrendums ; deux nouvelles usines, lÕune au Nord et lÕautre au Sud, destinŽes ˆ lÕexploitation minire et au rŽŽquilibrage Žconomique du pays... En tout juste quatre dŽcennies, sÕest construit un long chemin vers une forme de compromis, et enfin une cohabitation politique et les prŽmices dÕune reconnaissance culturelle mutuelle, certainement de bon augure pour un projet de Ç rŽconciliation nationale È.

A travers les compromis politiques qui ont jalonnŽ lÕhistoire de la Nouvelle-CalŽdonie, les accords de Matignon ont entŽrinŽ une reconnaissance institutionnelle des formes de civilisation qui prŽexistaient ˆ la colonisation. Au sein des institutions, des hommes et des femmes ont ÏuvrŽ, ou plut™t dŽfrichŽ, expŽrimentŽ, de nouvelles formes dÕaction symbolique, souvent sans trop savoir ce qui, au bout du compte, resterait gravŽ dans le marbre. Si la conqute symbolique de la dignitŽ kanak ne semble gure faire de doute, que reste-t-il aujourdÕhui de lÕesprit de MŽlanŽsia 2000 dont beaucoup se rŽclament ? Les acteurs ne sont plus trs nombreux, qui ont participŽ ou au contraire combattu le projet du festival, avant dՐtre emportŽs, quelques annŽes plus tard, dans le processus de radicalisation politique, et de porter les couleurs du nationalisme ou de lÕanti-indŽpendantisme. Seuls restent les rŽcits, les tŽmoignages de leur engagement de lՎpoque, et les travaux, eux aussi souvent conditionnŽs par une forme dÕengagement ou a minima de parti-pris, des chercheurs : historiens, archŽologues, sociologues, ethnologues46.

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44Cf. SociŽtŽ des OcŽanistes, 1995 ; Guiart, 1996a, 1996b ; Chappell, 2003 ; Brown, 2008 ; cf. infra.

45 Barbanon (2015 : 47) rappelle utilement les diffŽrentes expressions utilisŽes pour caractŽriser les ŽvŽnements des annŽes 1984-1988 : Ç guerre civile È (Bernard Pons) ; Ç situation voisine de la guerre civile È (Michel Rocard) ; Ç armŽe menant une guerre coloniale È (Tjibaou, ˆ propos de lÕÇ OpŽration Victor È menŽe ˆ OuvŽa). 46 Plusieurs de ces tŽmoignages sont rŽunis dans un numŽro spŽcial du Journal de la SociŽtŽ des OcŽanistes (1995) et un autre de la revue culturelle Mwˆ VŽŽ (n¡10, 1995). Je renvoie Žgalement ˆ la thse de doctorat de Philippe Missotte (1985) qui fut coorganisateur du festival et coauteur dÕun ouvrage de rŽfŽrence consacrŽ au festival (Tjibaou, Missotte et al., 1976). Ces textes seront abondamment utilisŽs dans les pages qui suivent.

Histoire dÕun parcours de recherche

Mon intŽrt pour la Nouvelle-CalŽdonie et pour le phŽnomne communŽment qualifiŽ de Ç rŽveil culturel È du peuple kanak Ð ainsi que, dans une plus large mesure, celui des politiques culturelles en OcŽanie Ð est dÕabord nŽ dÕune premire rencontre fortuite avec le Pacifique Sud en 1995, lors dÕun voyage de plus dÕune annŽe en Asie et en OcŽanie. Ce voyage a ŽtŽ suivi ensuite de sŽjours frŽquents, dÕune durŽe de plusieurs mois, sur le territoire de Nouvelle-CalŽdonie (pour des sŽjours de trois ˆ six mois par an entre 1996 et 2000), lequel est devenu peu ˆ peu mon terrain privilŽgiŽ dÕobservation et lÕobjet principal de mes recherches ethnologiques. Ces dernires se sont rapidement centrŽes sur le thme des Ç politiques de la tradition È, et notamment, la place prŽpondŽrante de Ç la coutume kanak È47 dans le contexte politique et institutionnel qui a prŽcŽdŽ et accompagnŽ la mise en Ïuvre des accords de Matignon (1988-1998) signŽs entre le parti indŽpendantiste kanak, le parti Ç loyaliste È (anti-indŽpendantiste), et lՃtat franais. Ma position thŽorique Žtait alors largement nourrie par les rŽflexions et les controverses qui animaient et dominaient lÕanthropologie ocŽaniste anglo-saxonne des annŽes 1990 ˆ propos des phŽnomnes de renaissance culturelle qui sÕobservaient dŽjˆ dans tout le Pacifique depuis plusieurs dŽcennies.

Mes sŽjours en Nouvelle-CalŽdonie se sont ŽchelonnŽs sur une premire pŽriode (entre 1996 et 2001), qui contraste nettement, il faut dÕores et dŽjˆ le souligner, avec la situation que je connais depuis mon retour sur place (dŽbut 2014), en particulier en ce qui concerne la transformation du paysage culturel local et la prolifŽration du nombre dՎvŽnements (festivals, concerts, spectacles, expositions, ateliers, confŽrencesÉ) et dÕacteurs sociaux engagŽs dans des activitŽs en lien avec lÕart, le patrimoine, ou tout ce qui est dŽsormais regroupŽ sous le label trs abscons de Ç mŽdiation culturelle È.

En mars 1998, pendant mon cursus universitaire, mon directeur de recherche, le Professeur Alain Babadzan, mÕa offert lÕopportunitŽ de participer ˆ une table-ronde quÕil organisait alors ˆ Montpellier sur le thme des identitŽs culturelles et des identitŽs nationales dans le Pacifique, pour y prŽsenter mes observations et hypothses de travail48. Ces premires

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47 Ç La coutume È est le terme consacrŽ en Nouvelle-CalŽdonie. Dans les autres pays de la rŽgion (MŽlanŽsie et PolynŽsie), le mot employŽ sera Ç Kastom È, qui dŽsigne aussi bien le concept gŽnŽrique consacrŽ par le discours nationaliste ocŽanien, que la rŽfŽrence culturaliste prise comme objet par lÕanthropologie (cf. Babadzan, 1988 : 205 ; 2009 : 32).

48 Ç Traditions et traditionalismes en OcŽanie È, table-ronde organisŽe ˆ Montpellier les 3 et 4 mars 1998 ˆ lÕinitiative dÕAlain Babadzan, avec lÕappui du DEA de sociologie-ethnologie de lÕUniversitŽ de Montpellier 3 et le

recherches mÕont conduite ˆ dŽcrire le processus de reconnaissance officielle dÕune culture kanak revalorisŽe, rŽifiŽe, et donnŽe ˆ voir dÕun point de vue esthŽtique. Surtout, jՎvoquais lՎmergence dÕun groupe social dÕun type nouveau, qui prenait progressivement en charge lÕorganisation et la gestion opŽrationnelle dÕinstitutions tout nouvellement crŽŽes, destinŽes ˆ officialiser, dans lÕespace public calŽdonien, la reconnaissance de lÕidentitŽ culturelle kanak. Ainsi, ds le dŽbut, mes questionnements se sont dirigŽs vers les acteurs sociaux gravitant autour des p™les culturels et artistiques, qui furent longtemps concentrŽs sur la ville de NoumŽa, cÕest-ˆ-dire ˆ lՎcart du contexte spŽcifique de telle ou telle tribu ou aire coutumire49.

JÕai alors conu mon premier projet doctoral (1999) dans le cadre de ce que lÕon pourrait nommer, pour paraphraser Bourdieu, une objectivation des conditions sociales et historiques de production des reprŽsentations successives de lÕÇ identitŽ kanak È. Ce travail sÕappuyait, dÕune part, sur les Žcrits (livres, articles, interviews,É) relatifs aux prŽmisses de lÕaction en faveur de la culture autochtone, et dÕautre part, sur le tŽmoignage de ceux que Bensa nomme les Ç promoteurs patentŽs de la culture kanak È (2002 : 187). Ces derniers appartenaient, ˆ la fin des annŽes 1990, ˆ ce que jÕavais qualifiŽ Ð faute de mieux Ð de Ç classe moyenne mŽlanŽsienne È50 distincte, dÕune part, de lՎlite politique kanak, et dÕautre part, des

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Centre RŽgional des Lettres Languedoc-Roussillon. Cette manifestation a donnŽ lieu ˆ une publication dans un numŽro spŽcial du Journal de la SociŽtŽ des OcŽanistes (Paris, MSH, 1999, 109-2).

49 Exception faite du centre culturel ouvert ˆ Hienghne (dans le Nord-Est du Territoire) en 1984, et crŽŽ ˆ lÕinitiative de Jean-Marie Tjibaou, maire du village depuis 1977, la Ç dŽcentralisation È, plus particulirement au profit de la Province Nord, est un phŽnomne assez rŽcent, mis en Ïuvre ˆ partir des accords de Matignon, mais qui nՙte en rien ˆ la ville de NoumŽa son statut de Ç capitale culturelle È. A ce propos, je dois prŽciser que les enqutes et entretiens rŽalisŽs dans le cadre de mes dernires recherches se sont dŽroulŽs trs majoritairement ˆ NoumŽa (et pour quelques unes, ˆ KonŽ, Ç capitale È du Nord) dans la proximitŽ des institutions dŽdiŽes ˆ la culture. AntŽrieurement, lorsque jÕavais sŽjournŽ en milieu kanak (notamment ˆ Tadine, sur lՔle de MarŽ, ou ˆ YandŽ, ˆ lÕextrme nord de la Grande Terre, durant plusieurs semaines), ce nՎtait pas pour les besoins de ma recherche, mais dans le cadre de missions professionnelles parallles (travaux sous-marins, logistique de chantier) qui me procuraient un revenu. Ces sŽjours avaient nŽanmoins parfois ŽtŽ lÕoccasion de rencontres en lien avec mes travaux de recherche (par exemple une entrevue particulirement marquante avec le Grand Chef Nido•sh Naisseline ˆ MarŽ, ˆ la fin des annŽes 1990), pour lesquelles je me prŽsentais clairement en tant quÕethnologue. Plusieurs entretiens, avec des artistes kanak notamment, se sont dŽroulŽs en tribu (sur la Grande Terre et ˆ OuvŽa), mais sans pour autant que je rŽside sur place plus de quelques jours.

50 JՎcrivais en 1999 (p .99) : Ç (É) lorsque je parle de "classe moyenne mŽlanŽsienne", je dŽsigne, non pas un groupe rŽel, dŽlimitŽ, un groupe en-soi dotŽ dÕune quelconque "conscience de classe", mais plut™t un groupe "sur le papier", une "classe probable" (Bourdieu, 1984 : 4) È. La mme annŽe, le terme de Ç classe montante È mÕavait ŽtŽ suggŽrŽ lors des Žchanges qui avaient suivi ma communication ˆ lÕEHESS dans le cadre des sŽminaires du Programme de Recherche Interdisciplinaire ƒtudes OcŽaniennes dirigŽ par Alban Bensa (Paris, 18 mars 1999). Cette dŽnomination, presque aussi insatisfaisante que la prŽcŽdente, est sans doute ˆ mettre en rapport avec la discussion sŽmiologique dŽveloppŽe ˆ la mme Žpoque par Wittersheim, par laquelle il sÕefforce de dŽsigner un groupe Žmergent dÕacteurs, aux caractŽristiques sociales particulires (et distincts des leaders politiques), sans pour autant donner ˆ voir une dŽmarcation trop visible entre, dÕune part, cette catŽgorie sociale rattachŽe ˆ une Ç minoritŽ dominante È, et dÕautre part, la Ç majoritŽ dominŽe È (cf. Hamelin et Wittersheim, 2002 : 16 ; Wittersheim, 2006 : 68-69). JՎvoquerai ailleurs les rŽactions suscitŽes en leur temps par les anthropologues qui

reprŽsentants des nouvelles institutions qui se voulaient davantage ancrŽes dans les Ç usages de la coutume È (Conseil Coutumier Ð qui prŽcŽda le SŽnat coutumier Ð, aires coutumires).

Durant cette pŽriode, jÕavais eu lÕoccasion de rencontrer quelques uns des responsables ou collaborateurs de lÕAgence de DŽveloppement de la Culture Kanak (ADCK), notamment Octave Togna (alors directeur gŽnŽral), Jean-Pierre Deteix (secrŽtaire gŽnŽral), Emmanuel KasarhŽrou (directeur culturel et artistique), Susan Cochrane (experte australienne en art contemporain papou et aborigne, responsable du Fonds dÕArt Contemporain Kanak et OcŽanien, le FACKO), Pierre-Olivier Clerc (responsable de la mŽdiathque), Franck-Eric Retire et David Camerlynck (en charge respectivement de la communication et de lÕaccueil des publics), Christine Honakoko (assistante du directeur culturel) ; jÕavais interviewŽ Žgalement le directeur des Affaires Culturelles de lՎpoque, rattachŽ ˆ lՃtat, Pierre Culand, ainsi que des responsables des services de la culture au sein des collectivitŽs (mairie) ou au musŽe : jՎchangeais par exemple longuement avec une jeune anthropologue kanak, Solange NŽaoutyine, qui dŽbutait alors son parcours professionnel au MusŽe de Nouvelle-CalŽdonie51. Sur la question de la place de la coutume dans les institutions et, plus largement, sur le rapport entre tradition et modernitŽ, jÕavais pu rencontrer des reprŽsentants du Conseil Consultatif Coutumier, ainsi que les fondateurs des plus anciens mouvements politiques de revendication kanak des annŽes 1970, qui sՎtaient ˆ lՎpoque opposŽs au festival MŽlanŽsia 2000 (Nido•sh Naisseline, ƒlie Poigoune).

Mon travail dÕenqute sՎtait Žgalement concentrŽ en grande partie sur les artistes kanak Žmergents, promus par la politique dÕexposition et dÕacquisition de lÕADCK : en premier lieu, il sÕagissait de femmes peintres comme Paula Boi, Yvette Bouquet, Micheline NŽporon, Denise Tiavouane, formŽes ˆ lՃcole dÕart de Nouvelle-CalŽdonie (qui, contre toute attente, fut fermŽe ensuite), prŽsentes dans toutes les expositions dÕart contemporain kanak et dans quelques manifestations rŽgionales ou internationales ; ces artistes faisaient dŽjˆ ˆ cette Žpoque figure de pionnires dans lՎmergence dÕun Ç art contemporain kanak È (peinture, bambous gravŽs, installations). SÕy ajoutaient des sculpteurs kanak (par exemple Ito Wa•a ou Norman Song), ou encore de jeunes talents comme Marylin Thydjepache, parrainŽe par les Ç pionnires È plus ‰gŽes. Ce groupe dÕartistes kanak, soutenus ˆ lՎpoque par lÕADCK, commenait alors ˆ gagner en notoriŽtŽ localement et participait ˆ diffŽrentes expositions, de plus en plus souvent en

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! dŽsignaient sans Žquivoque les Žlites autochtones (intellectuelle, politique) porteuses dÕun discours sur une Kastom

dont elles Žtaient majoritairement dŽtachŽes.

51 Elle en est dŽsormais la conservatrice, chef du service des musŽes et du patrimoine (SMP), lequel relve de la Direction de la Culture, de la Condition FŽminine et de la CitoyennetŽ de la Nouvelle-CalŽdonie (DCCFC-NC).

individuel, parvenant mme ˆ sÕexporter hors de Nouvelle-CalŽdonie par le biais de partenariats institutionnels ou de rŽsidences dÕartistes. Le monde de lÕart Žtant alors trs cloisonnŽ, je rencontrai Žgalement des artistes non-Kanak, parmi lesquels Florence Giuliani, Aline Mori, Yvon Jeauneau (dŽcŽdŽ depuis), qui ne pouvaient sÕappuyer que sur le rŽseau local des galeristes, et qui se fŽdŽraient alors autour dÕune galerie de la ville, GalŽria (aujourdÕhui fermŽe). Pour le secteur de lՎdition (embryonnaire ˆ lՎpoque), jÕavais rencontrŽ Laurence Viallard des Žditions Grain de Sable (apparues au dŽbut des annŽes 1990, disparues depuis), qui devait prŽsenter peu aprs quelques uns de Ç ses auteurs È au Salon du Livre ˆ Paris (1999). Enfin, jÕavais tenu ˆ questionner les personnes engagŽes ˆ la fois dans le projet scientifique du Centre Culturel Tjibaou et du MusŽe du quai Branly, notamment StŽphane Martin (qui occupe toujours les fonctions de directeur du quai Branly) et Roger Boulay (alors au MusŽe des Arts dÕAfrique et dÕOcŽanie), anthropologue, impliquŽ depuis plus de trente ans dans lÕinventaire et la mise en valeur du patrimoine kanak traditionnel52.

Les entretiens que jÕai pu mener durant mes sŽjours successifs en Nouvelle-CalŽdonie, y compris en octobre-novembre 2000, au moment du 8e Festival des Arts du Pacifique, consistaient gŽnŽralement en discussions dÕune ˆ trois heures, pour lesquelles je dispose de prises de notes et de quelques enregistrements. Il Žtait trs net, durant ces sŽquences, que certains de ces nouveaux professionnels de la culture et de la politique Žtaient rompus ˆ ce genre dÕexercice, quand ils nՎtaient pas eux-mmes auteurs de publications sur des sujets apparentŽs ˆ mes propres recherches (Boulay ; KasarhŽrou). Pour dÕautres personnes, la mise en situation dÕentretien constituait une expŽrience encore peu familire et intimidante pour lÕinterviewŽ(e), et dÕautant plus malaisŽe ˆ conduire quÕelle ne sÕinscrivait pas dans un contexte Ç classique È dÕenqute ethnographique, qui suppose gŽnŽralement lÕimmersion du chercheur au cÏur dÕun groupe social prŽcis et localisŽ, pendant une durŽe assez longue53. PrŽcisŽment, la diversitŽ des parcours personnels et professionnels semblait caractŽriser ˆ ce moment-lˆ la composition dÕun groupe social Žmergent dont la mission consistait ˆ construire les expressions de Ç la culture kanak È destinŽes ˆ tre rendues publiques.

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52 La revue culturelle de lÕADCK (Mwˆ VŽŽ), qui avait commencŽ ˆ para”tre ˆ partir de 1993 (jÕen avais dÕailleurs fait le sujet de mon mŽmoire de licence en 1997), propose un Žventail trs complet de la diversification des performances culturelles et artistiques en Nouvelle-CalŽdonie depuis plus de vingt ans. Plus rŽcemment, la revue

Endemix (qui dispose Žgalement dÕun format dՎmission tŽlŽvisŽe, dÕune Žmission radio, et dÕun site web), produite par lÕassociation du PoŽmart, se consacre ˆ lÕactualitŽ culturelle et artistique du pays.

53 Les conditions dans lesquelles jÕai effectuŽ mon retour sur le terrain presque quinze ans plus tard, et en particulier la facilitŽ de rŽalisation des entretiens, tŽmoignent, si besoin Žtait, des profonds changements qui ont eu lieu dans tous les secteurs dŽsormais considŽrŽs sous le label de Ç la culture È, et notamment de Ç la culture kanak È.

Ainsi institutionnalisŽe, cette culture prŽsentait trois caractŽristiques majeures : en premier lieu, elle revtait une dimension mono-ethnique et unificatrice, o la diversitŽ des us et coutumes localisŽs se retrouvait dans un creuset identitaire commun ; deuximement, elle Žtait dŽcrite comme Žtant vŽritablement enracinŽe dans un Ç passŽ immŽmorial È (prŽcolonial), et nourrie par la tradition54 ; pour finir, elle sÕimposait, bien vivante, sur la scne culturelle moderne, ˆ travers des performances et des crŽations artistiques contemporaines. Dans cette optique, jÕai alors tentŽ de dŽcrire et dÕanalyser lÕapparition dÕune nouvelle gŽnŽration dÕartistes kanak, brusquement transplantŽs de leurs ateliers prŽcaires Ç en tribu È vers les salles dÕexposition dÕun centre culturel kanak flambant neuf et trs largement mŽdiatisŽ ; ces artistes, parfois peu reconnus, voire inconnus, ˆ lÕintŽrieur mme de leur pays dÕorigine, se trouvaient soudainement appelŽs ˆ reprŽsenter lÕart moderne autochtone de la Nouvelle-CalŽdonie dans les expositions internationales et les grandes mŽtropoles de lÕart contemporain55.

Durant cette premire phase de ma recherche, dans un contexte culturel largement teintŽ dÕenjeux politiques quant au choix, pour ce territoire, dÕune autonomisation croissante ou dÕun rattachement durable ˆ la mŽtropole56, jÕai toujours souhaitŽ prŽserver une certaine autonomie vis-ˆ-vis des institutions culturelles, coutumires, ou artistiques kanak et calŽdoniennes dont je brossais le tableau : jusquÕen 2002, date o jÕai dž dŽcider, pour des raisons professionnelles et personnelles, dÕinterrompre mes recherches et de laisser ce projet de thse entre parenthses, ma participation aux ŽvŽnements culturels et artistiques locaux sÕest donc gŽnŽralement faite de lÕextŽrieur, avec les avantages (libertŽ de pensŽe et dÕaction) et les inconvŽnients (participation passive et non-appartenance ˆ ce que Bourdieu nomme le monde des Ç cŽlŽbrants È) liŽs ˆ cette position57.

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54 Il convient dÕy inclure lÕinfluence du christianisme, sur laquelle je reviendrai longuement.

55 Ces travaux ont donnŽ lieu ˆ plusieurs publications : Ç Patrimoine et identitŽ kanak en Nouvelle-CalŽdonie È,

Ethnologies comparŽes, 2, 2001 ; Ç Primitifs dÕhier, artistes de demain : lÕart kanak et ocŽanien en qute dÕune nouvelle lŽgitimitŽ È, Ethnologies comparŽes, 6, 2003 (http://recherche.univ-montp3.fr/cerce/r6/c.g.htm). Des extraits de ces textes, dans leur version remaniŽe, ont pu tre partiellement repris dans les pages qui suivent (chapitres 7 et 8). Les rŽfŽrences sont alors signalŽes.

56 La Nouvelle-CalŽdonie, Territoire dÕOutre-Mer depuis 1957, est devenue en 1998 une Ç collectivitŽ sui generis È. Bien que toujours intŽgrŽe ˆ lÕensemble national franais, elle est communŽment appelŽe Ç le pays È par ses habitants.

57 Exception faite peut-tre de mon intervention lors du 6e Symposium de lÕAssociation des Arts du Pacifique (NoumŽa-Lifou, 23-28 juillet 2001). Le titre du symposium Žtait le suivant : Contemporary Pacific Arts : rupture or continuity ? A cette occasion, jÕavais soulignŽ le r™le jouŽ par les institutions culturelles dans le processus de crŽation et de promotion artistique en contexte post-colonial, au travers dÕune communication intitulŽe : Ç Building