Organis en 1975 sur un terrain en friche prt par la mairie de Nouma, le premier festival mlansien de Nouvelle-Caldonie, Mlansia 2000, fte ses quarante ans en 2015 : depuis plus de vingt ans dj, il est assez unanimement clbr comme Ç lÕan I de la renaissance culturelle kanak È (pour reprendre une expression utilise ironiquement par lÕethnologue Jean Guiart)43. Dans lÕesprit de ceux qui lÕont vcu et, plus largement, pour tous les artisans de la reconnaissance identitaire kanak, Mlansia 2000 est considr comme un mythe identitaire fondateur de lÕunit dÕun peuple mlansien de Nouvelle-Caldonie. La mobilisation collective autour du projet initial de quelques individus, qui ont rendu possible le festival, reprsente, quarante ans aprs, un marqueur historique. Au point dÕoublier que, parmi ceux qui, aujourdÕhui, saluent et encouragent la mise en spectacle de lÕidentit kanak (et bien souvent y contribuent trs officiellement), certains refusaient, en 1975, de participer ce quÕils
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43 Selon Guiart, prcisment, le festival de 1975 a t rig en mythe, alors mme que son initiateur, Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), Ç nÕa jamais prsent Mlansia 2000 comme lÕan I de la renaissance culturelle canaque, mais comme le premier jour de la prsentation aux blancs de cette culture canaque È (1996b : 106 ; soulign dans le texte). Selon Bensa et Wittersheim, Mlansia 2000 reprsente la Ç premire prsentation magistrale et officielle du monde kanak È (in Tjibaou, 1996 : 19). Pour Marie-Claude Wetta, veuve Tjibaou, Mlansia 2000 est le Ç point de dpart dÕune vie tout entire consacre au devenir politique du pays È (ibid. : 9).
prfraient qualifier de Ç prostitution de la culture È, et sÕopposaient au tout premier projet patrimonial port par Jean-Marie Tjibaou et Scholastique Pidjot44.
Quarante annes ont pass. En lÕespace de deux gnrations, la Nouvelle-Caldonie a connu lÕmergence du mouvement nationaliste kanak, la violence des Ç vnements È et lÕtat de semi-guerre civile45 ; des accords politiques ; des prises dÕotages (Canala, Ouva) ; des interventions militaires (Canala en 1985 ; Gossanah en 1988) ; des morts tragiques (plus particulirement parmi les indpendantistes) ; deux accords Ç historiques È ; deux rfrendums ; deux nouvelles usines, lÕune au Nord et lÕautre au Sud, destines lÕexploitation minire et au rquilibrage conomique du pays... En tout juste quatre dcennies, sÕest construit un long chemin vers une forme de compromis, et enfin une cohabitation politique et les prmices dÕune reconnaissance culturelle mutuelle, certainement de bon augure pour un projet de Ç rconciliation nationale È.
A travers les compromis politiques qui ont jalonn lÕhistoire de la Nouvelle-Caldonie, les accords de Matignon ont entrin une reconnaissance institutionnelle des formes de civilisation qui prexistaient la colonisation. Au sein des institutions, des hommes et des femmes ont Ïuvr, ou plutt dfrich, expriment, de nouvelles formes dÕaction symbolique, souvent sans trop savoir ce qui, au bout du compte, resterait grav dans le marbre. Si la conqute symbolique de la dignit kanak ne semble gure faire de doute, que reste-t-il aujourdÕhui de lÕesprit de Mlansia 2000 dont beaucoup se rclament ? Les acteurs ne sont plus trs nombreux, qui ont particip ou au contraire combattu le projet du festival, avant dÕtre emports, quelques annes plus tard, dans le processus de radicalisation politique, et de porter les couleurs du nationalisme ou de lÕanti-indpendantisme. Seuls restent les rcits, les tmoignages de leur engagement de lÕpoque, et les travaux, eux aussi souvent conditionns par une forme dÕengagement ou a minima de parti-pris, des chercheurs : historiens, archologues, sociologues, ethnologues46.
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44Cf. Socit des Ocanistes, 1995 ; Guiart, 1996a, 1996b ; Chappell, 2003 ; Brown, 2008 ; cf. infra.
45 Barbanon (2015 : 47) rappelle utilement les diffrentes expressions utilises pour caractriser les vnements des annes 1984-1988 : Ç guerre civile È (Bernard Pons) ; Ç situation voisine de la guerre civile È (Michel Rocard) ; Ç arme menant une guerre coloniale È (Tjibaou, propos de lÕÇ Opration Victor È mene Ouva). 46 Plusieurs de ces tmoignages sont runis dans un numro spcial du Journal de la Socit des Ocanistes (1995) et un autre de la revue culturelle Mw V (n¡10, 1995). Je renvoie galement la thse de doctorat de Philippe Missotte (1985) qui fut coorganisateur du festival et coauteur dÕun ouvrage de rfrence consacr au festival (Tjibaou, Missotte et al., 1976). Ces textes seront abondamment utiliss dans les pages qui suivent.
Histoire dÕun parcours de recherche
Mon intrt pour la Nouvelle-Caldonie et pour le phnomne communment qualifi de Ç rveil culturel È du peuple kanak Ð ainsi que, dans une plus large mesure, celui des politiques culturelles en Ocanie Ð est dÕabord n dÕune premire rencontre fortuite avec le Pacifique Sud en 1995, lors dÕun voyage de plus dÕune anne en Asie et en Ocanie. Ce voyage a t suivi ensuite de sjours frquents, dÕune dure de plusieurs mois, sur le territoire de Nouvelle-Caldonie (pour des sjours de trois six mois par an entre 1996 et 2000), lequel est devenu peu peu mon terrain privilgi dÕobservation et lÕobjet principal de mes recherches ethnologiques. Ces dernires se sont rapidement centres sur le thme des Ç politiques de la tradition È, et notamment, la place prpondrante de Ç la coutume kanak È47 dans le contexte politique et institutionnel qui a prcd et accompagn la mise en Ïuvre des accords de Matignon (1988-1998) signs entre le parti indpendantiste kanak, le parti Ç loyaliste È (anti-indpendantiste), et lÕtat franais. Ma position thorique tait alors largement nourrie par les rflexions et les controverses qui animaient et dominaient lÕanthropologie ocaniste anglo-saxonne des annes 1990 propos des phnomnes de renaissance culturelle qui sÕobservaient dj dans tout le Pacifique depuis plusieurs dcennies.
Mes sjours en Nouvelle-Caldonie se sont chelonns sur une premire priode (entre 1996 et 2001), qui contraste nettement, il faut dÕores et dj le souligner, avec la situation que je connais depuis mon retour sur place (dbut 2014), en particulier en ce qui concerne la transformation du paysage culturel local et la prolifration du nombre dÕvnements (festivals, concerts, spectacles, expositions, ateliers, confrencesÉ) et dÕacteurs sociaux engags dans des activits en lien avec lÕart, le patrimoine, ou tout ce qui est dsormais regroup sous le label trs abscons de Ç mdiation culturelle È.
En mars 1998, pendant mon cursus universitaire, mon directeur de recherche, le Professeur Alain Babadzan, mÕa offert lÕopportunit de participer une table-ronde quÕil organisait alors Montpellier sur le thme des identits culturelles et des identits nationales dans le Pacifique, pour y prsenter mes observations et hypothses de travail48. Ces premires
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47 Ç La coutume È est le terme consacr en Nouvelle-Caldonie. Dans les autres pays de la rgion (Mlansie et Polynsie), le mot employ sera Ç Kastom È, qui dsigne aussi bien le concept gnrique consacr par le discours nationaliste ocanien, que la rfrence culturaliste prise comme objet par lÕanthropologie (cf. Babadzan, 1988 : 205 ; 2009 : 32).
48 Ç Traditions et traditionalismes en Ocanie È, table-ronde organise Montpellier les 3 et 4 mars 1998 lÕinitiative dÕAlain Babadzan, avec lÕappui du DEA de sociologie-ethnologie de lÕUniversit de Montpellier 3 et le
recherches mÕont conduite dcrire le processus de reconnaissance officielle dÕune culture kanak revalorise, rifie, et donne voir dÕun point de vue esthtique. Surtout, jÕvoquais lÕmergence dÕun groupe social dÕun type nouveau, qui prenait progressivement en charge lÕorganisation et la gestion oprationnelle dÕinstitutions tout nouvellement cres, destines officialiser, dans lÕespace public caldonien, la reconnaissance de lÕidentit culturelle kanak. Ainsi, ds le dbut, mes questionnements se sont dirigs vers les acteurs sociaux gravitant autour des ples culturels et artistiques, qui furent longtemps concentrs sur la ville de Nouma, cÕest--dire lÕcart du contexte spcifique de telle ou telle tribu ou aire coutumire49.
JÕai alors conu mon premier projet doctoral (1999) dans le cadre de ce que lÕon pourrait nommer, pour paraphraser Bourdieu, une objectivation des conditions sociales et historiques de production des reprsentations successives de lÕÇ identit kanak È. Ce travail sÕappuyait, dÕune part, sur les crits (livres, articles, interviews,É) relatifs aux prmisses de lÕaction en faveur de la culture autochtone, et dÕautre part, sur le tmoignage de ceux que Bensa nomme les Ç promoteurs patents de la culture kanak È (2002 : 187). Ces derniers appartenaient, la fin des annes 1990, ce que jÕavais qualifi Ð faute de mieux Ð de Ç classe moyenne mlansienne È50 distincte, dÕune part, de lÕlite politique kanak, et dÕautre part, des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Centre Rgional des Lettres Languedoc-Roussillon. Cette manifestation a donn lieu une publication dans un numro spcial du Journal de la Socit des Ocanistes (Paris, MSH, 1999, 109-2).
49 Exception faite du centre culturel ouvert Hienghne (dans le Nord-Est du Territoire) en 1984, et cr lÕinitiative de Jean-Marie Tjibaou, maire du village depuis 1977, la Ç dcentralisation È, plus particulirement au profit de la Province Nord, est un phnomne assez rcent, mis en Ïuvre partir des accords de Matignon, mais qui nÕte en rien la ville de Nouma son statut de Ç capitale culturelle È. A ce propos, je dois prciser que les enqutes et entretiens raliss dans le cadre de mes dernires recherches se sont drouls trs majoritairement Nouma (et pour quelques unes, Kon, Ç capitale È du Nord) dans la proximit des institutions ddies la culture. Antrieurement, lorsque jÕavais sjourn en milieu kanak (notamment Tadine, sur lÕle de Mar, ou Yand, lÕextrme nord de la Grande Terre, durant plusieurs semaines), ce nÕtait pas pour les besoins de ma recherche, mais dans le cadre de missions professionnelles parallles (travaux sous-marins, logistique de chantier) qui me procuraient un revenu. Ces sjours avaient nanmoins parfois t lÕoccasion de rencontres en lien avec mes travaux de recherche (par exemple une entrevue particulirement marquante avec le Grand Chef Nidosh Naisseline Mar, la fin des annes 1990), pour lesquelles je me prsentais clairement en tant quÕethnologue. Plusieurs entretiens, avec des artistes kanak notamment, se sont drouls en tribu (sur la Grande Terre et Ouva), mais sans pour autant que je rside sur place plus de quelques jours.
50 JÕcrivais en 1999 (p .99) : Ç (É) lorsque je parle de "classe moyenne mlansienne", je dsigne, non pas un groupe rel, dlimit, un groupe en-soi dot dÕune quelconque "conscience de classe", mais plutt un groupe "sur le papier", une "classe probable" (Bourdieu, 1984 : 4) È. La mme anne, le terme de Ç classe montante È mÕavait t suggr lors des changes qui avaient suivi ma communication lÕEHESS dans le cadre des sminaires du Programme de Recherche Interdisciplinaire tudes Ocaniennes dirig par Alban Bensa (Paris, 18 mars 1999). Cette dnomination, presque aussi insatisfaisante que la prcdente, est sans doute mettre en rapport avec la discussion smiologique dveloppe la mme poque par Wittersheim, par laquelle il sÕefforce de dsigner un groupe mergent dÕacteurs, aux caractristiques sociales particulires (et distincts des leaders politiques), sans pour autant donner voir une dmarcation trop visible entre, dÕune part, cette catgorie sociale rattache une Ç minorit dominante È, et dÕautre part, la Ç majorit domine È (cf. Hamelin et Wittersheim, 2002 : 16 ; Wittersheim, 2006 : 68-69). JÕvoquerai ailleurs les ractions suscites en leur temps par les anthropologues qui
reprsentants des nouvelles institutions qui se voulaient davantage ancres dans les Ç usages de la coutume È (Conseil Coutumier Ð qui prcda le Snat coutumier Ð, aires coutumires).
Durant cette priode, jÕavais eu lÕoccasion de rencontrer quelques uns des responsables ou collaborateurs de lÕAgence de Dveloppement de la Culture Kanak (ADCK), notamment Octave Togna (alors directeur gnral), Jean-Pierre Deteix (secrtaire gnral), Emmanuel Kasarhrou (directeur culturel et artistique), Susan Cochrane (experte australienne en art contemporain papou et aborigne, responsable du Fonds dÕArt Contemporain Kanak et Ocanien, le FACKO), Pierre-Olivier Clerc (responsable de la mdiathque), Franck-Eric Retire et David Camerlynck (en charge respectivement de la communication et de lÕaccueil des publics), Christine Honakoko (assistante du directeur culturel) ; jÕavais interview galement le directeur des Affaires Culturelles de lÕpoque, rattach lÕtat, Pierre Culand, ainsi que des responsables des services de la culture au sein des collectivits (mairie) ou au muse : jÕchangeais par exemple longuement avec une jeune anthropologue kanak, Solange Naoutyine, qui dbutait alors son parcours professionnel au Muse de Nouvelle-Caldonie51. Sur la question de la place de la coutume dans les institutions et, plus largement, sur le rapport entre tradition et modernit, jÕavais pu rencontrer des reprsentants du Conseil Consultatif Coutumier, ainsi que les fondateurs des plus anciens mouvements politiques de revendication kanak des annes 1970, qui sÕtaient lÕpoque opposs au festival Mlansia 2000 (Nidosh Naisseline, lie Poigoune).
Mon travail dÕenqute sÕtait galement concentr en grande partie sur les artistes kanak mergents, promus par la politique dÕexposition et dÕacquisition de lÕADCK : en premier lieu, il sÕagissait de femmes peintres comme Paula Boi, Yvette Bouquet, Micheline Nporon, Denise Tiavouane, formes lÕcole dÕart de Nouvelle-Caldonie (qui, contre toute attente, fut ferme ensuite), prsentes dans toutes les expositions dÕart contemporain kanak et dans quelques manifestations rgionales ou internationales ; ces artistes faisaient dj cette poque figure de pionnires dans lÕmergence dÕun Ç art contemporain kanak È (peinture, bambous gravs, installations). SÕy ajoutaient des sculpteurs kanak (par exemple Ito Waa ou Norman Song), ou encore de jeunes talents comme Marylin Thydjepache, parraine par les Ç pionnires È plus ges. Ce groupe dÕartistes kanak, soutenus lÕpoque par lÕADCK, commenait alors gagner en notorit localement et participait diffrentes expositions, de plus en plus souvent en
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! dsignaient sans quivoque les lites autochtones (intellectuelle, politique) porteuses dÕun discours sur une Kastom
dont elles taient majoritairement dtaches.
51 Elle en est dsormais la conservatrice, chef du service des muses et du patrimoine (SMP), lequel relve de la Direction de la Culture, de la Condition Fminine et de la Citoyennet de la Nouvelle-Caldonie (DCCFC-NC).
individuel, parvenant mme sÕexporter hors de Nouvelle-Caldonie par le biais de partenariats institutionnels ou de rsidences dÕartistes. Le monde de lÕart tant alors trs cloisonn, je rencontrai galement des artistes non-Kanak, parmi lesquels Florence Giuliani, Aline Mori, Yvon Jeauneau (dcd depuis), qui ne pouvaient sÕappuyer que sur le rseau local des galeristes, et qui se fdraient alors autour dÕune galerie de la ville, Galria (aujourdÕhui ferme). Pour le secteur de lÕdition (embryonnaire lÕpoque), jÕavais rencontr Laurence Viallard des ditions Grain de Sable (apparues au dbut des annes 1990, disparues depuis), qui devait prsenter peu aprs quelques uns de Ç ses auteurs È au Salon du Livre Paris (1999). Enfin, jÕavais tenu questionner les personnes engages la fois dans le projet scientifique du Centre Culturel Tjibaou et du Muse du quai Branly, notamment Stphane Martin (qui occupe toujours les fonctions de directeur du quai Branly) et Roger Boulay (alors au Muse des Arts dÕAfrique et dÕOcanie), anthropologue, impliqu depuis plus de trente ans dans lÕinventaire et la mise en valeur du patrimoine kanak traditionnel52.
Les entretiens que jÕai pu mener durant mes sjours successifs en Nouvelle-Caldonie, y compris en octobre-novembre 2000, au moment du 8e Festival des Arts du Pacifique, consistaient gnralement en discussions dÕune trois heures, pour lesquelles je dispose de prises de notes et de quelques enregistrements. Il tait trs net, durant ces squences, que certains de ces nouveaux professionnels de la culture et de la politique taient rompus ce genre dÕexercice, quand ils nÕtaient pas eux-mmes auteurs de publications sur des sujets apparents mes propres recherches (Boulay ; Kasarhrou). Pour dÕautres personnes, la mise en situation dÕentretien constituait une exprience encore peu familire et intimidante pour lÕinterview(e), et dÕautant plus malaise conduire quÕelle ne sÕinscrivait pas dans un contexte Ç classique È dÕenqute ethnographique, qui suppose gnralement lÕimmersion du chercheur au cÏur dÕun groupe social prcis et localis, pendant une dure assez longue53. Prcisment, la diversit des parcours personnels et professionnels semblait caractriser ce moment-l la composition dÕun groupe social mergent dont la mission consistait construire les expressions de Ç la culture kanak È destines tre rendues publiques.
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52 La revue culturelle de lÕADCK (Mw V), qui avait commenc paratre partir de 1993 (jÕen avais dÕailleurs fait le sujet de mon mmoire de licence en 1997), propose un ventail trs complet de la diversification des performances culturelles et artistiques en Nouvelle-Caldonie depuis plus de vingt ans. Plus rcemment, la revue
Endemix (qui dispose galement dÕun format dÕmission tlvise, dÕune mission radio, et dÕun site web), produite par lÕassociation du Pomart, se consacre lÕactualit culturelle et artistique du pays.
53 Les conditions dans lesquelles jÕai effectu mon retour sur le terrain presque quinze ans plus tard, et en particulier la facilit de ralisation des entretiens, tmoignent, si besoin tait, des profonds changements qui ont eu lieu dans tous les secteurs dsormais considrs sous le label de Ç la culture È, et notamment de Ç la culture kanak È.
Ainsi institutionnalise, cette culture prsentait trois caractristiques majeures : en premier lieu, elle revtait une dimension mono-ethnique et unificatrice, o la diversit des us et coutumes localiss se retrouvait dans un creuset identitaire commun ; deuximement, elle tait dcrite comme tant vritablement enracine dans un Ç pass immmorial È (prcolonial), et nourrie par la tradition54 ; pour finir, elle sÕimposait, bien vivante, sur la scne culturelle moderne, travers des performances et des crations artistiques contemporaines. Dans cette optique, jÕai alors tent de dcrire et dÕanalyser lÕapparition dÕune nouvelle gnration dÕartistes kanak, brusquement transplants de leurs ateliers prcaires Ç en tribu È vers les salles dÕexposition dÕun centre culturel kanak flambant neuf et trs largement mdiatis ; ces artistes, parfois peu reconnus, voire inconnus, lÕintrieur mme de leur pays dÕorigine, se trouvaient soudainement appels reprsenter lÕart moderne autochtone de la Nouvelle-Caldonie dans les expositions internationales et les grandes mtropoles de lÕart contemporain55.
Durant cette premire phase de ma recherche, dans un contexte culturel largement teint dÕenjeux politiques quant au choix, pour ce territoire, dÕune autonomisation croissante ou dÕun rattachement durable la mtropole56, jÕai toujours souhait prserver une certaine autonomie vis--vis des institutions culturelles, coutumires, ou artistiques kanak et caldoniennes dont je brossais le tableau : jusquÕen 2002, date o jÕai d dcider, pour des raisons professionnelles et personnelles, dÕinterrompre mes recherches et de laisser ce projet de thse entre parenthses, ma participation aux vnements culturels et artistiques locaux sÕest donc gnralement faite de lÕextrieur, avec les avantages (libert de pense et dÕaction) et les inconvnients (participation passive et non-appartenance ce que Bourdieu nomme le monde des Ç clbrants È) lis cette position57.
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54 Il convient dÕy inclure lÕinfluence du christianisme, sur laquelle je reviendrai longuement.
55 Ces travaux ont donn lieu plusieurs publications : Ç Patrimoine et identit kanak en Nouvelle-Caldonie È,
Ethnologies compares, 2, 2001 ; Ç Primitifs dÕhier, artistes de demain : lÕart kanak et ocanien en qute dÕune nouvelle lgitimit È, Ethnologies compares, 6, 2003 (http://recherche.univ-montp3.fr/cerce/r6/c.g.htm). Des extraits de ces textes, dans leur version remanie, ont pu tre partiellement repris dans les pages qui suivent (chapitres 7 et 8). Les rfrences sont alors signales.
56 La Nouvelle-Caldonie, Territoire dÕOutre-Mer depuis 1957, est devenue en 1998 une Ç collectivit sui generis È. Bien que toujours intgre lÕensemble national franais, elle est communment appele Ç le pays È par ses habitants.
57 Exception faite peut-tre de mon intervention lors du 6e Symposium de lÕAssociation des Arts du Pacifique (Nouma-Lifou, 23-28 juillet 2001). Le titre du symposium tait le suivant : Contemporary Pacific Arts : rupture or continuity ? A cette occasion, jÕavais soulign le rle jou par les institutions culturelles dans le processus de cration et de promotion artistique en contexte post-colonial, au travers dÕune communication intitule : Ç Building