LÕanthropologie en Nouvelle-Caldonie : la recherche militante
2. Autres parcours, autres retours dÕenqute
Dans les annes 1990, les conditions dÕexercice de la recherche en sciences sociales en Nouvelle-Caldonie nÕont videmment plus rien de commun avec celles que les chercheurs avaient connues quelques annes auparavant, au plus fort des violences inter-ethniques. Comme lÕcrit encore Soriano en 1999 :
Ç Il est clair (É) que la relative stabilisation de la situation actuelle et la "reconnaissance symbolique du fait colonial" contribue aujourdÕhui attnuer le poids de certaines obligations thiques È (1999 : 47).
Nanmoins, selon Merle, les conditions dans lesquelles les chercheurs mtropolitains, autochtones, ou caldoniens allochtones (les Ç natifs È non-Kanak) peuvent envisager leur travail scientifique, et plus particulirement leur pratique du Ç terrain È, ont longtemps conserv lÕempreinte des clivages ethniques et idologiques forgs tout au long du pass, les tensions entre les communauts ethniques demeurant particulirement exacerbes mme plusieurs annes aprs les Ç vnements È :
Ç On ne peut ignorer la valeur dÕun travail qui consisterait croiser les regards "blancs" et "noirs" sur un hritage commun vcu si diffremment. En 1990, cependant, les tensions encore vives laisses par les "vnements" ne facilitaient pas ce type dÕapproche du fait de lÕextrme sgrgation existant entre les communauts "caldoches" et kanaks. Dans lÕintrieur du pays o tout se sait et tout se voit, il tait alors trs difficile de passer librement dÕune socit lÕautre sans veiller la suspicion È (Merle, 1995 : 23 ; cit par Trpied, 2011 : 177).
Benot Trpied, qui ralise son enqute ethnographique au Nord-Ouest du pays (dans la commune de Kon) au dbut des annes 2000, voque un contexte indniablement apais et propice la recherche :
Ç Avec le temps (É), lÕaffaiblissement de la bipolarisation politique au profit de lÕidologie partage du "dveloppement", de la "construction du pays" et de la rconciliation promue par la provincialisation [les accords de 1988 ont marqu la cration de trois entits provinciales : Nord, Sud, Iles Loyaut] puis par lÕaccord de Nouma, ainsi que la meilleure connaissance scientifique du "pays kanak" et du "pays caldoche", ont progressivement rendu possible ce type dÕenqute. Mon propre travail doctoral sur lÕhistoire de la commune de Kon tmoigne de cette volution : si jÕai pu enquter sur la politique locale et les relations raciales en multipliant les allers-retours entre tribus kanak et village colonial et interrogeant les habitants kanak, europens et asiatiques de la commune de multiples reprises pendant mes deux annes de prsence
sur le terrain (2002-2004), cÕest notamment grce au contexte socio-historique des annes 2000 qui mÕa permis des "circulations interethniques" encore fortement stigmatises dix ans plus tt È (Trpied, 2011 : 177-178)258.
LÕexprience de Soriano (qui est similaire celle que jÕai moi-mme vcue durant mes premires annes de recherche), dmontre surtout les rticences et les apprhensions qui conditionnent le chercheur, ds lors quÕil sÕapprte mettre face face, dÕun ct, la ralit du terrain, et de lÕautre, son projet scientifique dÕobjectivation des discours (en lÕoccurrence politiques) tenus par les acteurs du mouvement nationaliste sur lÕdification dÕune conscience identitaire kanak. Si lÕinvention des traditions est reste localement absente du dbat scientifique, en revanche, ses implications scientifiques sont considrables en ce qui concerne les pratiques ethnographiques. Du point de vue du chercheur, tout se passe comme si son intention Ð ou plutt son insinuation, pour parler comme Jolly Ð ne pouvait pas tre interprte autrement, par ses interlocuteurs, que comme une volont, sinon hgmonique, du moins arrogante, de dlgitimation de leur lutte et de leur discours. Soriano crit ainsi (il parle de lui-mme, en situation dÕentretien avec les lus kanak) :
Ç Nous avions, au dpart, normment de craintes quant leurs ractions lÕnonc de notre hypothse de base. Cette construction semble, pour beaucoup, une ralit ontologique. Annoncer quÕelle est historique ou quÕelle "sÕest construite progressivement" peut laisser penser que lÕon tente de la disqualifier : "puisquÕelle est construite, donc elle nÕest pas vraie". Lors de nos prises de contact initiales avec les enquts, nous avons toujours prsent notre travail comme une recherche sur "la politique" et "les lites politiques chez les kanaks". Ce nÕest quÕensuite, le jour de lÕentretien, que nous avons expos notre objectif rel. A notre surprise, la lgitimit dÕun travail sur la construction de lÕidentit kanak nÕa jamais suscit de ractions indignes ou embarrasses. Il est vrai que nous avions largement annonc que "toutes les identits nationales, y compris lÕidentit franaise, sont des construits". Cette dernire affirmation permettait de parer toute ambigut dÕautant plus quÕelle tait, pour nous, une vidence È (Soriano, 2000a : 65-66 ; cÕest moi qui souligne)259.
A ma connaissance, parmi les anthropologues ayant travaill en Nouvelle-Caldonie, bien peu se sont vu reprocher de parler au sujet des Kanak et leur place. Dans lÕouvrage quÕil consacre la pense politique de Jean-Marie Tjibaou, Mokaddem crit nanmoins ces quelques
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258 Comme il lÕajoute lui-mme, cÕest galement la dure de son sjour sur place, et la familiarit qui, invitablement, se cre au fil du temps entre lÕethnologue et les populations locales, qui lui a permis de surmonter une partie des clivages.
259 LÕaccalmie politique des annes 1990 ne signifie pas lÕabsence de sensibilit politique des chercheurs. Soriano exprime sans dtour son soutien la cause indpendantiste. LÕauteur rappelle galement sa Ç filiation È thorique avec son directeur de recherches, le Professeur Michel Miaille, qui participa Ç divers titres, la rdaction de la "Constitution de Kanaky" È dans les annes Ç dures È (1987). Cf. Soriano (ibid. : 60).
lignes qui ne nomment personne, mais qui laissent entrevoir la teneur des attaques quÕil a redoutes ou subies :
Ç Il est une dernire chose que je rcuse, cÕest lÕobscurantisme. LÕobscurantisme scientiste trouve son double dans celui de lÕintgrisme culturaliste. LÕun prtend la neutralit scientifique et rcuse toute implication. LÕautre exclut toute possibilit pour un non Kanak de discourir sur le monde kanak sous prtexte que pour comprendre le monde kanak, il faudrait tre kanak. Ces exclusions des deux partis pris entrent en rciprocit et nÕautorisent aucune forme dÕchange possible entre des univers culturels diffrencis. Comment voulez-vous partager et changer avec des partis pris exclusifs dont lÕexclusion est le seul mobile ? Ce livre ne cherche pas convaincre les intgristes, mais clairer ou apprendre aimer la grandeur. Certes, jÕcris en Nouvelle-Caldonie, mais pas que pour la Nouvelle-Caldonie È (Mokaddem, 2005 : 25)260.
JÕai dÕabord voulu voir dans ce plaidoyer pour une anthropologie transculturelle, un signal peine voil lÕattention de Jean Guiart, anthropologue incontournable de la Nouvelle-Caldonie et du Vanuatu depuis les annes 1950, pourfendeur depuis quelque trente annes de presque toutes les ethnographies produites sur les Kanak par des non-Kanak261.
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260 JÕai eu le loisir dÕinterroger Hamid Mokaddem au sujet de Ç lÕintgrisme culturaliste È auquel il fait rfrence ici, qui voudrait que seuls les Kanak puissent parler au nom des Kanak. LÕauteur admet que, si ce rejet du discours exogne nÕest pas directement formalis, surtout par crit, par des intellectuels et chercheurs kanak, il est en revanche palpable Ç sur le terrain È : lui mme dit y avoir t confront de multiples reprises (communication personnelle, Nouma, 23 mai 2015). Il sÕagit plus vraisemblablement dans ce cas, de personnes qui nÕappartiennent pas au champ scientifique ou intellectuel, et qui expriment plutt une sorte dÕhostilit a priori de type simplement raciste, sans grand rapport avec les ides ou les problmatiques portes par les chercheurs (qui plus est, Mokaddem nÕa jamais fait mystre de son engagement militant au sein du PALIKA, et ses convictions politiques ne sont videmment pas absentes, on lÕa vu, de ses travaux scientifiques, ce que nÕignore aucun intellectuel ou universitaire localement). DÕautres dires de chercheurs ou de professionnels de la culture, recueillis par mes soins en 2014, semblent confirmer que ce type de raction o lÕhostilit se cristallise sur une appartenance ethnique exogne est rcurrent dans des contextes sociaux et professionnels oprationnels, plutt loigns du dbat scientifique. CÕest dÕailleurs un point que jÕaborde plus loin propos de certains mtiers du secteur de la culture. 261 Entretien avec un chercheur (Nouma, novembre 2014). Cf. aussi Bensa (in Bensa et Bourdieu, 1985 : 75). Quoique trs controvers, lÕethnologue Jean Guiart reste une vritable rfrence en matire dÕanthropologie ocaniste, notamment sur la Nouvelle-Caldonie (en particulier pour ses travaux et publications des annes 1950-1960 ; cf. Douglas, 1982). Je tiens nanmoins signaler que sa personnalit apparemment peu amne, et ses critiques quasi systmatiques lÕgard de tous les travaux produits par les autres chercheurs (et ce, ds les annes soixante-dix), ont gnr un nombre considrable de contre-attaques dans la littrature anthropologique. Guiart reproche de manire rcurrente aux anthropologues qui lui ont succd de ne pas assez tenir compte des travaux de Leenhardt, et surtout dÕtre trop nafs, et de ne se fier quÕ un petit nombre dÕinformateurs kanak, quÕil accuse de Ç servir È aux anthropologues les discours quÕils ont envie dÕentendre (Guiart, 1992 ; 2007). Parmi les principaux auteurs pris parti et dnigrs par Guiart, il convient de citer en premier lieu Bensa (dont il dirigea la thse), qui demeure aujourdÕhui sans conteste le Ç mentor È officiel de la plupart des anthropologues travaillant en Nouvelle-Caldonie. Pour une liste plus exhaustive des auteurs ayant subi des critiques parfois trs acerbes de la part de Jean Guiart et des polmiques engendres par ses propos, cf. Angleviel (2003, 91-110) ; pour un chantillon des rponses qui lui ont t faites sur un ton quivalent, voir, par exemple, Bensa et Rivierre (1984), Pillon (1993), ainsi que Bensa et Wittersheim (1998) pour la presse spcialise anglophone ; plus rcemment : Mokaddem (2014). LÕanimosit flagrante et exacerbe de Guiart envers les gnrations suivantes de chercheurs en sciences sociales est dÕautant plus regrettable quÕelle ne contribue pas produire, loin sÕen faut, de vritable dbat scientifique, mais alimente principalement des rglements de compte et des justifications (parfaitement lgitimes tant certains propos de Guiart sont indlicats), qui tendent surtout le disqualifier dans le champ anthropologique
Encore assez rcemment, Guiart (2007) a svrement critiqu la plupart des crits produits par des chercheurs exognes au sujet de Jean-Marie Tjibaou, dnonant le Ç culte È construit autour du leader politique comme une invention no-coloniale. Guiart voque une forme de Ç malhonntet È de plusieurs chercheurs en sciences sociales, allant mme jusquÕ les accuser de procder une manipulation, voire une Ç falsification È a posteriori des crits de Tjibaou, et dÕutiliser son image posthume Ç comme une chelle de carrire È (Guiart, 2007 : 74 ; cit par Mohamed-Gaillard, 2008)262.
Pour ce qui me concerne, je nÕai encore jamais t confronte la moindre raction Ç fondamentaliste È (sans doute galement du fait que je nÕai pas orient mes recherches en direction des personnalits prminentes dans le champ politique)263. JÕai eu en revanche lÕoccasion de constater personnellement quel point lÕindignisme zl pouvait avoir, en Ocanie, des consquences inattendues sur lÕorientation de certaines recherches, surtout en termes dÕautocensure : lors dÕune confrence laquelle jÕassistais, en tant que visiting fellow lÕAustralian National University, en octobre 2001, une jeune historienne australienne (blanche) expliquait avoir finalement renonc son projet de thse initial sur lÕidentit des Aborignes de Tasmanie car, expliquait-t-elle (non sans une certaine solennit propice sa dclaration et accueillie avec une gravit entendue par son auditoire de chercheurs Ð des Blancs) : Ç cÕest eux mmes de le faire È. Pareillement, lÕexprience assez rcente de recherche dcrite par lÕethnologue qubcoise Natacha Gagn en Nouvelle-Zlande, semble rvlatrice du
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Mlansia 2000 (Guiart, 1996a, 1996b, cf. infra).
262 Ç Le fond du problme est que quelque Europen que ce soit reprsente toujours, quÕil le veuille ou non, le systme de domination en place, mme sÕil affiche personnellement une position critique vis--vis de ce dernier. La notion quÕil puisse exister une amiti sincre entre un blanc, dominant et un Canaque, domin, est trop souvent une illusion È (Guiart, 2007 : 85-86). Auparavant, Guiart (1996a) avait nanmoins dfendu la monographie Ç bien crite È selon lui, du journaliste Alain Rollat (1989) sur Jean-Marie Tjibaou. Ses critiques rcentes concernent plus srement les crits de Bensa et Wittersheim (1996), et Mokaddem (2005). Pour un compte-rendu de lÕouvrage de Mokaddem, cf. Favole (2006). Mokaddem est lÕauteur dÕun autre ouvrage sur Tjibaou (2009), dont Leblic dresse un compte-rendu plutt critique (Leblic, 2010a).
263 DÕautres doctorant(e)s en anthropologie, amen(e)s rencontrer des personnalits politiques et/ou coutumires kanak dans le cadre de leurs recherches, mÕont pareillement confirm lÕabsence de tout parti-pris Ç fondamentaliste È lÕencontre des chercheurs non-kanak. Serait-ce l le signe quÕils sont perus par les acteurs sociaux comme des Ç anthropologues de service È dont les travaux viendront utilement appuyer la lgitimit de leurs actions ? Pour lÕheure, cette bienveillance lÕgard des chercheurs exognes, peu commune en Ocanie, mrite dÕtre souligne. Certains signaux rcents pourraient nanmoins annoncer un revirement prochain de situation, ou tout au moins une inflexion critique, dont on peut esprer quÕelle ouvrira un espace de dbats et dÕchanges particulirement fructueux.
Ç malaise È qui touche depuis vingt ans les chercheurs Ç non autochtones È qui entendent travailler sur les cultures autochtones, cette seule dmarche tant encore, aujourdÕhui, perue comme une Ç intrusion È (2008 : 282). A lÕinstar de lÕtudiante australienne cite plus haut, Gagn explique :
Ç (É) je pris soin de choisir un sujet qui ne me semblait pas porter sur les dimensions touchant directement ce que Laurent Jrme [n.d.], sÕinspirant de Michael Herzfeld [1997], identifie comme lÕ"intimit collective", soit ce quÕil dfinit comme la sphre du "sacr-secret", cÕest--dire la sphre de ce qui est considr comme devant tre protg contre le regard scrutateur de lÕAutre et comme tant au fondement de lÕidentit collective et de la lutte dÕun peuple engag dans un processus dÕaffirmation culturelle et politique È (2008 : 278).
Aprs avoir rdig sa thse, Gagn dit avoir reu des menaces, de la part dÕÇ un membre dÕune des familles qui participa [ses] recherches doctorales È, de Ç faire un recours en justice et de dposer une plainte au comit dÕthique de lÕuniversit È si la doctorante ne changeait pas Ç certains dtails de la thse È (ibid. : 285) Ð ce quÕelle a dÕailleurs fait, aux fins bien comprhensibles dÕapaiser la situation. Selon Gagn, un conflit avait surgi entre les membres de la famille concerne :
Ç Dans les changes, lÕide qui ressortait avec le plus de force tait que certaines personnes dans la famille taient censes connatre mieux que dÕautres ce qui signifie tre maaori, et ce qui peut tre dit en public sur les Maaori. La principale ligne de conflits fut donc celle entre ceux qui avaient reu une ducation universitaire et qui, pour cette raison, savaient ce quÕest la "bonne" recherche et connaissaient les "vraies" traditions et faons de faire maaori, et les autres qui nÕtaient pas alls lÕuniversit, et qui ne savaient pas ou ne savaient pas aussi bien. Du ct de ceux qui critiquaient mes travaux, il tait entendu que jÕaurais d reprsenter davantage la vision des universitaires puisquÕelle tait cense tre la meilleure, la plus claire, tant donne leur connaissance des crits des anciens et des spcialistes de lÕhistoire et de la culture maaori et, pour cette raison, la plus "authentiquement" maaori È (ibid. : 286 ; cÕest moi qui souligne)264.
Cette lecture particulirement clairante des enjeux symboliques dont fait lÕobjet sa propre recherche doctorale conduit nanmoins lÕauteur Ç viter lÕobstacle È en se posant des questions Ç pistmologiques È assez effarantes Ð qui ne sont pas sans rappeler les interrogations de Linnekin presque vingt ans plus tt (1991) :
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264 Je renvoie sur ce point lÕargumentation dveloppe par Babadzan (2009 : 92) au sujet des lites autochtones (cf. supra).
Ç Quel est lÕavenir de la recherche sur les questions autochtones pour des non-autochtones ? Quel est le rle des anthropologues non maaori dans la comprhension de situations impliquant des Maaori ? Quelle peut-tre la relation entre nous ? Dans le contexte hautement conflictuel actuel, il est mme difficile de ne pas se demander ce que des non-Maaori peuvent ajouter ce que les Maaori eux-mmes ont dire È (Gagn, ibid. : 292 ; cÕest moi qui souligne)265.
Or, ces propos et ces situations drangent car ils font cho, peu ou prou, la critique formule par Alain Gresh, propos dÕune dclaration similaire de Jacques Lanzmann : Ç Les Noirs, ironise Gresh, devraient crire sur les Noirs, les Arabes sur les Arabes, les Juifs sur les JuifsÉ Logique ethnique, tribale, logique de guerre, loigne de tout idal humaniste È, et donc, de tout idal anthropologique266. En 2006, Bensa crit lui aussi :
Ç En affirmant que lÕappartenance une ethnie, une socit, une civilisation va de soi par la magie de la culture qui transcende et donc abolit les effets de lÕhistoire, les fondamentalismes ignorent le poids de cette dernire dans la construction des identits sociales (ethnies, peuples, nations, civilisations) et posent comme impossible toute communication entre elles. Ce point de vue est aujourdÕhui trs souvent adopt par celles et ceux qui veulent, selon leurs propres termes, "dfendre leur identit" ; ainsi, selon une drive aussi irrationnelle que rpandue, entend-on dire souvent que "seuls les Kanaks seraient en mesure de comprendre les Kanaks, les Franais ("de souche" videmment) les Franais, les musulmans lÕIslam", etc. È (Bensa, 2012[2006] : 137). L encore, lÕargument, pourtant entre guillemets, ne cite personne. Plus loin dans le mme ouvrage, Bensa sÕexclame :
Ç (É) la parole de lÕethnologue ne risque-t-elle pas de se substituer celle des Kanaks ? La question est frquemment pose au nom du principe, vaguement populiste, que seuls les membres dÕun groupe seraient habilits en parler. Ainsi me fut-il reproch aux tats-Unis, pays o comme on le sait le communautarisme ethnique est fort, de "parler la place des Kanak". QuÕavaient-ils besoin dÕun ethnologue pour dire qui ils sont ? Malheureusement lÕappartenance une communaut ne prjuge en rien du discours quÕon peut tenir sur elle. Faut-il tre chrtien pour parler du christianisme, femme pour rflchir la condition fminine, serfs pour tudier le servage ? Plus srieusement, il convient de se demander quel type de relation il faut entretenir avec sa communaut
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265 LÕauteur va mme plus loin, puisquÕelle rejoint les critiques formules lÕencontre de certains chercheurs (Kuper, 2003 ; Rata, 2005) : Ç Pour certains, il semble que ce soit leur devoir comme scientifique qui leur dicte de mettre au jour les processus de construction de lÕidentit et donc, de dnoncer les manÏuvres politiques supposes des autochtones au nom la fois de leur diffrence et de leur primaut. Il nÕy a ds lors quÕun pas de lÕentreprise