LÕanthropologie en Nouvelle-Caldonie : la recherche militante
1. Ethnologie et nationalisme
Revenant sur la place de lÕanthropologie dans lÕanalyse des dynamiques historiques et coloniales en rgion Pacifique, Benot Trpied rsume le cadre pistmologique en des termes plutt manichens :
Ç [La] prise de parole des universitaires autochtones du Pacifique sÕest (É) construite pour une large part en raction aux travaux des anthropologues blancs analysant les stratgies politiques et culturelles des leaders ocaniens en termes dÕ"invention de la tradition". Trs virulentes au sein du monde intellectuel anglophone du Pacifique des annes 1980-1990, ces controverses autour de la notion "dÕauthenticit" en Ocanie ont fortement contribu cristalliser la tension entre chercheurs non-autochtones et chercheurs (ou leaders) autochtones dans la rgion : ce faisant, elles ont dÕautant plus nourri la rflexion sur la question de lÕautorit ethnographique et les enjeux dÕune dcolonisation de la recherche dans le Pacifique È (Trpied, 2011 : 164).
Il ajoute :
Ç Il est frappant de constater combien la Nouvelle-Caldonie est relativement trangre ces dbats pourtant incontournables dans son environnement rgional immdiat, au sein de pays partageant en outre de nombreuses caractristiques socio-historiques communes (politiques de peuplement blanc et minorisation dmographique des coloniss en Australie et en Nouvelle-Zlande, colonisation pour partie franaise au Vanuatu) È (ibid. : 164-165).
Pour Trpied, cette situation est imputable principalement
Ç lÕisolement linguistique et intellectuel de la Nouvelle-Caldonie francophone dans une Ocanie trs majoritairement anglophone. La circulation des ides, rflexions et polmiques autour des enjeux de la dcolonisation de la recherche travers le Pacifique a en effet t rendue possible grce plusieurs espaces partags de socialisation intellectuelle anglophone : universits rgionales dotes de grands centres de recherche sur le Pacifique (É), revues scientifiques spcialises, confrences annuelles des associations de chercheurs anglophones (É).
Or, les cursus scolaires universitaires, linguistiques et professionnels quÕempruntent les tudiants caldoniens, notamment kanak, sont construits en rfrence quasi-exclusive au modle mtropolitain franais, au dtriment des centres de formation anglophones de la rgion (dont la qualit est pourtant internationalement reconnue).
(É)
Cet isolement est dÕautant plus sensible dans les sciences sociales que lÕUNC ne compte aucun cursus en sociologie, ni anthropologie. Les rares tudiants kanak intresss par ces disciplines se retrouvent au final socialiss pour la plupart dÕentre eux dans les universits mtropolitaines de France o les questions de dcolonisation de la recherche sont fort peu prsentes dans le dbat intellectuel (É). De cette situation dcoule notamment le fait que la Nouvelle-Caldonie nÕa pas t touche par les polmiques sur
"lÕinvention de la tradition" et la contestation de lÕautorit ethnographique qui ont profondment marqu le monde intellectuel du Pacifique anglophone depuis trente ans È (ibid. : 165-166)213.
Si lÕargument de la barrire linguistique avanc par Trpied est difficilement contestable, tout comme celui des liens Ç historiques È (et humains) plus directs avec certains ples universitaires mtropolitains, en revanche, je serais moins encline valider lÕhypothse dÕune ignorance des intellectuels nationalistes kanak du dbat intellectuel qui occupait le champ acadmique du Pacifique propos du discours anthropologique occidental. De toute vidence, plusieurs intellectuels kanak, par ailleurs engags dans la lutte nationaliste, ont eu lÕoccasion de sÕinformer sur la controverse qui agitait les campus rgionaux au sujet dÕun Ç inventionnisme È
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213 Ce dernier paragraphe me semble particulirement discutable : en effet, lÕUniversit de la Nouvelle-Caldonie (UNC) a accueilli lÕInstitut des Mondes Ocanien et Australasien (IMOA), plac sous la direction du Professeur Paul de Deckker (1950-2009), anthropologue, auteur de nombreux ouvrages et articles (dont certains en anglais) sur la colonisation et les processus dÕaccession lÕindpendance. Selon la brochure dite par lÕIMOA dans les annes 2000, de Deckker (qui avait dbut sa carrire lÕuniversit dÕAuckland en tant que matre de confrence en sociologie, de 1977 1983), tait arriv Nouma en janvier 1992 Ç pour organiser le dveloppement dÕun DEA de sciences humaines et sociales Espaces, Temps et Socits dans le Pacifique insulaire, dont lÕintitul est devenu en 1996 Socits et Cultures dans le Pacifique insulaire : dynamisme et mutations È. A ce DEA sÕajoutait ds 1992 Ç une quipe dÕaccueil de doctorants (EA 3328) "Anthropologie : identits et oralit dans le Pacifique insulaire". Sous sa direction, quelque 110 mmoires de DEA et 10 thses de doctorat ont t soutenus dans le cadre de cette structure doctorale È (Brochure IMOA, non dat, pp. 15-16). Parmi les membres de lÕEquipe dÕAccueil IMOA (issue de lÕEA 3328), se trouvaient dj des auteurs et chercheurs aujourdÕhui incontournables sur la Nouvelle-Caldonie, notamment Ismet Kurtovitch et Sylvette Boyer (tous deux docteurs en histoire), Christiane Terrier (agrge en histoire et gographie) ou Christophe Sand (HDR en archologie). Parmi les anciens tudiants de lÕIMOA, certains ont poursuivi des tudes doctorales en mtropole : Eddy Wadrawane (doctorat en sciences de lÕducation, Universit de Bordeaux, 2010), Hamid Mokaddem (doctorat en anthropologie sociale et ethnologie, EHESS, 2010), tous deux sont actuellement rattachs au Centre des Nouvelles Etudes sur le Pacifique (CNEP) de lÕUNC ; Lon Wamytan (doctorat en droit public, Universit de Clermont-Ferrand, 2013). Les partenariats dÕIMOA incluaient notamment lÕUniversit de Hawaii et lÕAustralian National University (Research School of Asian and Pacific Studies) de Canberra pour la rgion Pacifique. La brochure indique enfin : Ç Dans un environnement scientifique anglophone trs prsent, lÕun des objectifs des recherches qui sont ralises au sein de lÕquipe IMOA est de promouvoir dans les disciplines concernes les approches et les acquis des travaux franais È (ibid., 4e de couverture). Parmi les mmoires de DEA prsents dans le cadre du programme Espaces, Temps et Socits dans le Pacifique insulaire (soit pour la seule priode 1992-1995), on peut citer quelques titres :
glises et aspirations indpendantistes mlansiennes en Nouvelle-Caldonie de 1840 1984 (Olivier Apikaoua, 1993) ; Les lites kanak au miroir de lÕindpendance. Figures et mutations du pouvoir (Olivier Beaunay, 1993),
LÕacculturation urbaine des jeunes Ocaniens : une qute identitaire inacheve (Sylvie Carneau, 1993), Qutes identitaires en Nouvelle-Caldonie. Schmas dÕanalyse (Jean-Claude Mermoud, 1993), etc. (ibid. : 57-59). Paul de Deckker fut aussi Prsident de lÕUniversit de la Nouvelle-Caldonie de 2000 2005. Cf. lÕouvrage publi en son hommage par Faberon et Hage (2010). Je renvoie galement lÕintroduction de lÕhistorien caldonien Frdric Angleviel dans un ouvrage collectif (cf. le paragraphe intitul : Ç LÕmergence dÕune vritable recherche historique universitaire È), o il est galement fait mention de lÕcole Doctorale en sciences humaines et sociales lÕUniversit Franaise du Pacifique, cre au dbut des annes 1990 dans le cadre du rquilibrage prvu par les accords de Matignon, tandis quÕexiste partir de 2007 un Master Recherche pluridisciplinaire sous lÕintitul Ç Espaces, socits et littratures des mondes ocaniens È (2007 : 13). On peut aussi rappeler lÕexistence, depuis la cration de lÕuniversit Franaise du Pacifique, dÕun colloque organis annuellement par lÕassociation C.O.R.A.I.L. (Coordination pour lÕOcanie des Recherches sur les Arts, les Ides et les Littratures), dont les actes sont publis depuis 1990. Dans un rapport de 2012, lÕAgence dÕvalution de la Recherche et de lÕEnseignement Suprieur souligne galement la Ç jeunesse È de lÕUNC, dont lÕautonomie juridique en tant que telle remonte peine 1999 (Rapport dÕvaluation de lÕUNC, AERES, juin 2012, p.11).
qui aurait eu pour seul dessein de dlgitimer les leaders autochtones, que ce soit travers leur curiosit intellectuelle en tant quÕtudiants ou militants, ou ensuite par les rencontres quÕils pouvaient faire lÕoccasion des missions dans les autres pays du Pacifique, avec les leaders des pays nouvellement indpendants : Gorodey, Naisseline, Poigoune, Tjibaou, Wa, et dÕautres intellectuels kanak taient tout fait en mesure de produire une critique des Ç sciences sociales exognes È au nom dÕun refus de lÕimprialisme scientifique franco-franais, et dÕimposer, comme ce fut le cas ailleurs dans le Pacifique, la prise en compte dÕune Ç pistmologie autochtone È dans la conduite des recherches sur le monde kanak. Certains crits pourraient dÕailleurs bien tmoigner dÕun dbut de controverse entre Ç anthropologues È et Ç autochtones È.
Un des pionniers du mouvement nationaliste kanak, Nidosh Naisseline214, a ouvertement critiqu en 1983 les positions de deux anthropologues (Jean Guiart et Pierre Mtais) lÕencontre dÕun prtre et intellectuel kanak, le pre Apollinaire Anova Ataba, qui fut le premier auteur dÕun mmoire sur le monde mlansien215. Naisseline, alors Ç jeune È lu indpendantiste (il est n en 1945), dnonait ce que Soriano dcrit comme une Ç mainmise opre par les Europens sur le travail ethnologique È (2000 : 450). Soriano cite lÕintervention de Naisseline la session extraordinaire budgtaire de lÕAssemble territoriale (o il sige sous la bannire du Parti de Libration Kanak Ð PALIKA Ð depuis 1977) :
Ç En 1974, lorsque jÕtais Paris, jÕai lu un fascicule de M. Apollinaire, cÕest la premire fois quÕun canaque crivait des choses sur la socit canaque, un canaque qui sÕadresse sa propre socit, un discours qui ne sÕadresse pas aux universitaires mais un discours coutumier. JÕai vu une critique de MM. Guiart et Mtais dans le Journal de la Socit des Ocanistes traitant M. Apollinaire de rveur et de non scientifique. Ce qui veut dire quÕun canaque qui sÕadresse aux autres canaques dans un discours coutumier nÕest pas valable. LorsquÕon fait des choses de ce genre de quelle culture parle-t-on, sÕagit-il de discours ethnologique qui sÕadresse au monde blanc universitaire ou bien
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214 Le portrait et lÕengagement de Naisseline seront abords dans la seconde partie, propos de lÕdification de lÕunit symbolique kanak.
215 Apollinaire Anova Ataba (1929-1966) est un prtre kanak, parti poursuivre ses tudes Paris dans les annes 1960. Il prpare alors une licence en thologie et suit en parallle des tudes en sciences sociales et conomiques. CÕest dans ce cadre quÕil rdige un mmoire intitul Histoire et psychologie des Mlansiens. Atteint dÕune leucmie, il sera de retour en Nouvelle-Caldonie fin 1965, et dcdera peu aprs. Deux extraits du texte dÕAtaba ont t publis en 1969 dans le Journal de la Socit des Ocanistes sous le titre : Ç L'insurrection des No-caldoniens de 1878 et la personnalit du grand chef Ata È (Journal de la Socit des Ocanistes, 25, 1969, pp. 201-219). Le texte complet dÕAtaba sera rdit ensuite sous un titre rvlateur dÕune dmarche plus idologique :
DÕAta lÕindpendance (1984) se veut en effet, selon Gasser, Ç une Ïuvre de combat È : Ç Le titre de 1984, ajoute-t-il, est donc historique et politique È (1998 : 54). Une troisime dition du livre dÕAnova Ataba a t publie par Gasser et Mokaddem en 2005, tout aussi politise puisque lÕouvrage sÕintitule dsormais : Caldonie dÕhier, Caldonie dÕaujourdÕhui, Caldonie de demain.
est-ce le discours coutumier, genre discours Apollinaire o un vieux canaque sÕadresse aux autres canaques ? È (ibid.)216.
Des annes plus tard, le sociologue Bernard Gasser souhaite rappeler les propos Ç polmiques È qui pouvaient tre tenus par certains chercheurs en sciences sociales la lecture des deux extraits du mmoire dÕAnova Ataba, publis en 1969 :
Ç Jean Guiart voyait en Apollinaire un pote qui "reconstruit en esprit la socit mlansienne", et jugeait lÕpoque lÕextrait comme la prsentation dÕune "cosmogonie mlansienne". Pour Alain Saussol, cÕtait en 1979 encore "lÕÏuvre dÕun clerc coup (É) de sa culture traditionnelle dont il garde la nostalgie et quÕil cherche recrer en imagination". Les relisant, je ne peux mÕempcher de penser "notre savoir immense et notre profond aveuglement" dÕOccidentaux qui croyons si facilement nos connaissances, acquises sur les bancs de lÕUniversit ou sur le terrain, sur lÕAutre. (É) Le second extrait, intitul "Pour une conomie humaine" (É) a fait juger son auteur comme un utopiste dtach de la ralit È (Gasser, 1998 : 54 ; cÕest moi qui souligne)217.
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216 Pour Soriano, Ç la confusion de Nidosh Naisseline entre discours ethnologique et "coutumier" est ici constitutive de ce rapport la culture caractristique de la situation sociale de ces lites. Elle assimile de manire significative un discours distanci sur la culture la culture elle-mme. Cette opration restera au fondement du discours identitaire produit par les lites È (2000 : 450).
217 Les citations sont extraites de Guiart (1969 : 196), Saussol (1979 : 215, note 246), et Waddell (in K. White, d.,
Cahiers de gopotique, 5, 1996, p.61). Cf. aussi Wittersheim (2006a : 108). On peut mettre quelques rserves ici, car le texte de Guiart est en ralit beaucoup plus long et mriterait sans doute quÕon sÕy intresse (jÕen donne ici une version encore incomplte) : Ç N dans un ancien pays de rbellion de gens dont les parents avaient connu des annes dÕexil, pass par le moule dÕune ducation religieuse effectue, jusquÕ la prtrise, en dehors de sa famille,
nÕayant pas eu le moyen physique de se pntrer en dtail de la culture traditionnelle des siens, le Pre Apollinaire reconstruit en esprit la socit mlansienne. (É) A la recherche dÕune vision de son monde propre quÕil puisse galer celui des Blancs, Apollinaire voque des personnages et leur attribue une philosophie. Il veut pouvoir prsenter grands traits une cosmogonie mlansienne, normalement clate entre les mille et un gestes et mots dÕun lexique de symboles, dÕexpressions et de comportements formaliss. Prophte hsitant au seuil dÕun messianisme quÕil nÕose revendiquer, il passe de la revendication globale des terres spolies Ð et il a raison dÕinsister sur lÕattachement port aux anciens habitats dÕavant la conqute Ð la recherche dÕune formule idale assurant le retour des terres sans raction hostile des Europens. (É) Sa description de lÕunicit dÕune socit mlansienne Ð pourtant profondment divise et parcourue de tensions dues pour une part notable la colonisation Ð gouverne par des conseils dÕanciens auxquels il laisse le soin de rgler le problme de la sparation des terres nouvelles, est la fois la traduction dÕune volont tenace dÕautonomie de la part des siens et un cho direct des ides fouriristes, saint-simoniennes (sinon marxistes) du sicle dernier. Le pouvoir collectif de la tribu, forme du communisme primitif, tait lÕidologie des textes lgislatifs pris par les premiers gouverneurs militaires, la justification de la rgression collective et de la spoliation foncire. Par un retour inattendu des choses, le Pre Apollinaire parle le mme language que les conqurants. Il poursuit lÕimpossible dialogue dÕAta avec la gnration morte des premiers militaires et colons. Mal son aise au niveau des manipulations politiques et conomiques actuelles, dont, malgr ses efforts, il nÕarrive pas suivre tous les fils imbriqus, saisir tous les tenants et aboutissants, Apollinaire choisit de se placer un niveau, quÕil dfinit comme de christianisme pratiqu, o les oppositions peuvent sÕamenuiser, o lÕquilibre et la complmentarit subliment la violence des heurts dÕintrts. Apollinaire Ataba est un pote È (Guiart, 1969 : 196-197 ; cÕest moi qui souligne). Les commentateurs nÕont retenu que quelques mots sortis de leur contexte et accols dÕune manire qui peut donner lieu des interprtations un peu loignes du sens initial. Certains lments, o il est notamment question de lÕintriorisation par le prtre de concepts et de reprsentations exognes sur la socit kanak, doivent mon sens tre souligns. Le portrait dÕAtaba fait par Guiart rappelle surtout une autre trajectoire, celle de Jean-Marie Tjibaou, dont on sait par ailleurs quÕil a t profondment marqu par la lecture des crits dÕAnova Ataba (Rollat, 1989). En revanche, Guiart produit ailleurs un long compte-rendu extrmement critique de la rdition de la thse dÕAtaba (1984), qui tend surtout souligner le poids intellectuel et politique des rivalits entre catholiques et protestants (Guiart, 1985).
Mokaddem rappelle opportunment quÕune des figures du nationalisme kanak, Djubelly Wa, originaire de lÕle dÕOuva, militant indpendantiste et membre du FLNKS218, fut tudiant lÕuniversit de Fidji Ð tat anglophone indpendant depuis 1970 Ð dans les annes 1970. Form lÕcole protestante, Ç il tient le discours classique des thologies de la libration È, et rdige durant ses tudes, en 1977, un texte intitul An Education for the Kanak Liberation (Mokaddem, 2005 : 290-291). Selon Mokaddem, le projet port par Wa (et mis en Ïuvre partiellement ensuite notamment au travers des Ç coles populaires kanak È219) constituait
Ç le projet dÕune ducation pour la libration kanak. Ce projet ducatif voulait servir de modle et dvelopper un rseau avec les peuples autochtones du Pacifique anglophone. LÕouverture vers des rseaux extrieurs plutt anglophones caractrisait aussi le mode de vie dÕune autre figure kanak, Yann Cln Uregei, natif dÕune autre des Iles Loyaut, Tiga. Celui-ci tentera de crer des rseaux avec le forum des pays mlansiens du Fer de Lance pour faire reconnatre la lgitimit de Kanaky en dehors de la Nouvelle-Caldonie È (2005 : 291)220.
Les documents dÕarchives des premiers organismes culturels de Nouvelle-Caldonie dmontrent galement que plusieurs des futurs leaders kanak ont particip des missions en lien avec lÕorganisation du Festival des Arts de 1984, en effectuant des dplacements rguliers dans les pays de la rgion (Fidji, Australie, les CookÉ), auprs dÕintellectuels, de responsables culturels, et dÕartistes ocaniens221.
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218 CÕest lui qui assassinera Jean-Marie Tjibaou et Yeiwn Yeiwn le 4 mai 1989 lors de la leve de deuil des dix-neuf indpendantistes (auteurs dÕune prise dÕotages o quatre gendarmes furent tus le 22 avril 1988), qui furent abattus par les hommes du GIGN au cours de Ç lÕOpration Victor È du 4 mai 1988 Ouva.
219 Sur le thme des coles Populaires Kanak (EPK), cf. le livre de Jacques Gauthier, Les coles Populaires Kanak. Une rvolution pdagogique ? Paris, LÕHarmattan, 1996 ; cf. aussi lÕintervention de Marie-Adle Joredi lÕatelier Ç Identit, Education, Langue, Culture È, 1er Congrs des Peuples Autochtones Francophones, Agadir, 2-6 novembre 2006 (http://www.unesco.org/culture/fr/indigenous/Dvd/pj/KANAK/JOREDIE.pdf) et, plus rcemment, Nchro-Jordi (2015).
220 Mokaddem ajoute : Ç Intellectuel, grand lecteur, auteur (É), Djubelli Wea mit en place la premire cole populaire kanak. Il implanta Gossanah une universit populaire et organisa des ramifications avec les pays anglophones : les Fidji, les Samoa, la Papouasie Nouvelle-Guine. Des Aborignes sjournrent Gossanah pour trouver des modles ventuels contre la dcimation qui acculturait les enfants de la civilisation aborigne en Australie È (ibid. : 257). Selon Guiart, cette universit ne vit jamais le jour et tait simplement une Ç invention en lÕair È (2007 : 247).
221 On retrouve dans les compte-rendus de ces missions les noms de personnalits montantes du champ politique, issues de lÕadministration territoriale : Louis Kotra Urege, Lopold Jordi, Roch Wamytan, Edmond Nekiriai (Archives de Nouvelle-Caldonie, ANC, carton 538W-1 : OCSTC). Dans les annes 1970, les indpendantistes des territoires franais du Pacifique Sud, la recherche dÕappuis rgionaux et internationaux, avaient tabli des liens avec leurs voisins anglophones, Ç un mouvement qui sÕamplifia tout au long des annes 1980 È (Mohamed-Gaillard, 2010 : 90-91). Dw Gorodey, auteur et femme politique kanak, faisait galement partie de cette lite nationaliste active dans le dveloppement dÕun rseau rgional et international : cf. lÕarticle intitul Ç Une "ponoche" lÕO.N.U. Interview exclusive de Melle Dewe Gorodey, membre du groupe 1878 È, dans le journal Les
Rtrospectivement, Trpied sÕemploie justifier par lÕimpratif de la mobilisation politique et par le militantisme des intellectuels kanak, lÕabsence de tout discours endogne vritablement hostile lÕanthropologie exogne dans les annes 1980. Il crit :
Ç (É) les priorits "historiques" de la revendication kanak ont toujours t lÕaccs au pouvoir politique, la redistribution foncire, le dveloppement conomique, la promotion de lÕidentit kanak et la dcolonisation de lÕcole. Parce que lÕobjectif final de la lutte consistait crer un nouvel tat et en assumer les responsabilits affrentes, les leaders kanak se sont fortement investis dans les activits militantes, lectorales et reprsentatives (É). Leur engagement consistait galement lutter contre les formes les plus prgnantes et visibles de lÕhritage colonial dans la socit caldonienne de la fin du XXe sicle, en lÕoccurrence la question des terres, les ingalits socio-conomiques, lÕalination culturelle et lÕchec scolaire kanak Ð mais non pas "lÕimprialisme scientifique occidental". Confronts ces enjeux sociaux dterminants dans leurs pratiques politiques quotidiennes et ne disposant que de moyens humains et financiers