• Aucun résultat trouvé

internationales et la mesure des préférences démocratiques

2.2 Les grandes enquêtes internationales et leurs travaux

2.2.1 Le World Values Survey (WVS)

Basée à Stockholm, la World Values Survey Association (WVSA) est un organisme sans but lucratif qui a comme mission d'enquêter sur les valeurs des citoyens du monde. La WVSA est dotée d'un comité exécutif qui veille au

59 En matière d'enquêtes internationales, ce sont surtout les travaux de Lipset qui ont lancé les recherches sur les valeurs démocratiques. Voir LIPSET Seymour Martin. « Some Social Requisites of Democracy: Economic Development and Political Legitimacy ». The American Political Science Review, 1959, vol. 53, n° 1, p. 69-105.

60 Aux États-Unis, des chercheurs de l'Université du Michigan lancèrent de vastes enquêtes d'opinion organisées lors de l'élection présidentielle de 1952. Depuis lors, des enquêtes, dont les sujets vont au-delà du vote et de l'affiliation partisane, ont toujours lieu le jour des scrutins. Pour de plus amples renseignements, le lecteur peut consulter les travaux de l'American National Election Studies. En France, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) sonde, plus ou moins régulièrement, les électeurs Français depuis 1978. Pour plus d'informations au sujet du Baromètre politique français le lecteur peut accéder au site suivant : http://www.cevipof.com/bpf/barometre/bar0.htm

fonctionnement des opérations et qui assure la coordination entre les nombreux partenaires nationaux, chargés de mener les enquêtes. L'organisme, qui est présidé par le politologue Ronald Inglehart, répond à un besoin en information standardisée sur les opinions des citoyens des pays riches et pauvres, démocratiques et non-démocratiques. Seule en son genre lorsqu'elle débuta ses opérations, la WVSA a très rapidement gagné en notoriété. Aujourd'hui les publications multilingues de l'organisation reçoivent une grande attention tant dans le milieu de la recherche que dans le domaine des organismes gouvernementaux.

Au travers des années, la réputation de la WVSA s'est bâtie notamment sur sa grande capacité de sonde et sur sa contribution à la science politique. La WVSA se targue notamment d'être « la seule source de données empiriques sur les croyances et les valeurs de gens qui couvrent la majorité de la population mondiale » (WVS, 2009). Lors de la cinquième vague d'enquêtes réalisées entre 2005 et 200861, les sondeurs interrogèrent près de 80 000 personnes réparties dans 57 pays. Depuis sa création, l'organisme aurait envoyé des sondeurs dans 97 pays où est concentrée 90% de la population mondiale62.

Même si les pays (tel le Guatemala) de petite et moyenne tailles sont souvent exclus des recherches, les données de la WVSA sont largement utilisées dans les études où on compare les opinions des citoyens de pays développés à celles des gens habitant les pays en développement. Soulignons que les thèmes d'enquêtes de la WVSA sont largement choisis en fonction de considérations liées à la question du développement. Dès la première vague de sondages, les sondeurs  cherchèrent  à  savoir  s'il  existait  un  lien  entre  l’importance  du  développement économique et la transformation des valeurs et des systèmes de pensée (Inglehart, 2000 : 68).

Au fil des années et des vagues de sondages, l'intérêt de la WVSA pour des hypothèses formulées par les tenants de la théorie de la modernisation resta

61 Les résultats de la première vague d'enquêtes ont été publiés en 1990. Depuis lors, la WVSA effectue des vagues de sondages dont les résultats sont connus environ tous les cinq ans.

62 En Amérique latine, assez peu de pays reçoivent la visite de ces sondeurs. En effet, des firmes sont mandatées par la WVSA afin de recueillir les opinions dans seulement six pays, soit l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou. Notons cependant que si on exclut le Venezuela, ces six pays sont les plus peuplés de la région latino-américaine.

intact. À ce jour, sont incorporés aux enquêtes, divers indicateurs qui servent à analyser  l’évolution  des  modes  de  pensée  traditionnels  et  des  valeurs  dites  de 

« survie » vers des mentalités séculaires et la valorisation de l'expression individuelle.

Afin d'amasser des données sur ces sujets d’enquête, le WVSA procède à  des entretiens en face-à-face ainsi qu’à la distribution d’auto-questionnaires. Le nombre  d'entretiens  réalisés  dans  chaque  pays  et  le  nombre  d’auto -questionnaires compilés dépend, dans plusieurs pays, de facteurs autres que démographiques63. Selon les informations communiquées par la WVSA, les sondés qui participent à ces enquêtes sont choisis de manière aléatoire en utilisant des processus d’échantillonnage qui varient d’un pays à un autre. Bien  que les échantillons nationaux soient largement constitués de sondés de dix-huit ans et plus, on observe dans certains pays que des sondés encore mineurs (aussi jeunes que quinze ans) sont interviewés.

Certains chercheurs attirés par la capacité du sondeur à rejoindre des gens de différents horizons et à mener des enquêtes dans un grand nombre de pays, seront surpris de constater que dans ces enquêtes la WVSA aborde peu la question de la démocratie. En fait, dans les questionnaires de l’organisation, les  indicateurs servant à mesurer  l’appui  à  la  démocratie  occupent  un  place  assez  modeste.  Ceci  pourrait  bien  s’expliquer  par  la  philosophie  du  groupe  d’enquête  voyant  la  manifestation  de  l'appui  à  la  démocratie  comme  l’un  des  nombreux  sous-produits de plus grands bouleversements de valeurs qui s'opèrent dans le monde (Inglehart, 2003) plutôt que comme variable maîtresse expliquant l’évolution  des  croyances.  Fait  tout  aussi  pertinent  à  souligner,  les  concepteurs  des questionnaires de la WVSA considèrent l'appui à la démocratie comme étant quelque chose « d'universelle »64.

La vision selon laquelle l'attrait pour la démocratie est très répandue (ou souhaitable) dans le monde pourrait avoir incité la WVSA à choisir des questions

63 Si on s'en tient uniquement à l'Amérique latine lors des enquêtes de 2005 et 2006, le nombre de citoyens interviewés varie d'un pays à un autre. Par exemple, bien que la population de la Colombie soit quatre fois inférieure à celle du Brésil, deux fois plus de citoyens (3025 contre 1500) ont été sondés dans le premier pays par rapport au deuxième.

64 Sur le site Internet de la WVSA, Inglehart explique que la démocratie est une aspiration souhaitable dans le monde entier, bien qu'elle varie dans les priorités que lui donnent les citoyens.

assez générales et abstraites afin de mesurer l'appui à la démocratie. Dans ses enquêtes, la WVSA interroge notamment les sondés afin de savoir s’ils estiment  qu'il serait très bien, bien, mauvais, très mauvais d'avoir un système politique démocratique. Sans plus préciser ce qu’ils entendent par la démocratie ou ce qui est démocratique, les sondeurs demandent également à leurs « sujets » d’indiquer  jusqu'à  quel  point  il  est  important  pour  eux  de  vivre  dans  un  pays  gouverné démocratiquement. En contrepartie, les sondeurs de la plus grande enquête mondiale cherchent tout de même à savoir ce que représente la démocratie aux yeux des individus qu’ils interrogent. Au fil du questionnaire, les  enquêteurs cherchent à connaître jusqu'à quel point il est essentiel pour les sondés que la démocratie repose sur l’élection juste et libre de leurs dirigeants ou sur la protection des droits civils et des libertés individuelles.

La WVSA sait aussi se faire plus précise dans son évaluation des valeurs, et ce, principalement afin de connaître les opinions des citoyens sur qui devrait diriger les affaires de l'État. À cet effet, les enquêteurs interrogent les sondés afin de savoir s'ils jugent convenable que l'armée et les autorités religieuses gouvernent leur pays. Alors que l'on aborde le sujet des religions avec les sondés, les enquêteurs leur demandent aussi si le fait d'être athée devrait disqualifier une personne pour représenter ses concitoyens. À l'aide des données amassées sur ces sujets, les chercheurs pourront en partie analyser les opinions au sujet de deux fondements de la démocratie : la formation de gouvernement civil et l'éligibilité à la fonction politique.

Les analystes sauront certainement trouver une utilité aux données de la WVSA. Mais les possibilités demeurent tout de même assez limitées, particulièrement pour les chercheurs  qui  s’intéressent  à  l’Amérique  latine. 

D'abord, notons que les enquêtes de la WVSA sont menées dans peu de pays latino-américains. Ensuite, seul un nombre limité de conclusions peuvent être tirées sur l'appui à la démocratie à partir des enquêtes du groupe, et ce, particulièrement si on s'intéresse à autre chose qu'aux opinions sur les préférences démocratiques qui sont assez abstraites. Sans même aborder la question de problèmes méthodologiques de l'enquête, soulignons que de nombreux aspects restent « à découvert » si on s'intéresse à l'appui des citoyens aux principales caractéristiques de la démocratie65. Par exemple, les données ne

65 Dahl établit cette liste dans son célèbre livre sur la polyarchie. DAHL Robert. Polyarchy.

permettent d'aucune façon d'évaluer l'appui des citoyens à des idées centrales à la démocratie, telle la liberté d'expression et d'association.

Documents relatifs