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internationales et la mesure des préférences démocratiques

2.2 Les grandes enquêtes internationales et leurs travaux

2.2.6 Le Barómetro Iberoamericano de gobernabilidad

Même si elles représentent souvent un acteur important dans les grandes enquêtes, les entreprises privées sont rarement impliquées dans toutes les phases de la réalisation des sondages internationaux. Sous la responsabilité d’un  consortium d'entreprises spécialisées en enquêtes d’opinion, le baromètre ibéro -américain  fait  figure  d’exception.  Dirigé  par  le  Consorcio Iberoamericano de Empresas de Investigacion de Mercados y Asesoramiento (CIMA), ce baromètre s’organise autour de ses membres, des firmes qui ont comme mandat de réaliser  une fois par année des sondages dans leur pays respectif de la région ibéro-américain.  L’objectif  premier  de  ces  enquêtes  nationales  réalisées  depuis  1992  est de connaître les opinions des citoyens latino-américains, espagnols et portugais sur les chefs d’États de la région. 

Outre  l’analyse  des  taux  de  sympathie  à  l’égard  des  chefs  d’État, la direction du CIMA et ses membres cherchent aussi à connaître les points de vue des  citoyens  sur  des  enjeux  secondaires.  D’une  année  à  l’autre,  les  sondeurs 

choisissent  des  thématiques  qui  changent  en  fonction  de  l’actualité  ou  d’autres  critères. Par exemple, en 2006 et en 2008, le CIMA chercha à connaître l’attachement  des  citoyens  ibéro-américains pour la démocratie. Des questions d’ordre général étaient ainsi incorporées aux sondages annuels afin de mesurer  la préférence des Ibéro-Américains pour « la démocratie » ou encore pour évaluer  leur  niveau  d’appui  « au système politique ». En 2006, les sondeurs ajoutèrent une série de questions plus précises afin de connaître le niveau de tolérance des sondés envers la participation politique (droit de vote, manifestations, discours télévisés, etc.) des « gens qui critiquent le gouvernement ».

L’intérêt du consortium pour les questions liées à l’appui à la démocratie est  toutefois quelque chose d’assez ponctuel. Plus porté à étudier la perception des  sondés sur  les  acteurs  politiques  ou  l’offre  politique  et  institutionnelle,  le  CIMA  investie peu dans l’analyse des valeurs et des croyances des citoyens ou encore  dans  l’évaluation  des  préférences  démocratiques.  Entre  2006  et  2010,  le  consortium  s’intéressa,  par exemple, à la satisfaction des sondés envers la démocratie, la protection des droits et le travail des tribunaux, mais sans chercher à connaître en détail l’appui des sondés envers ces derniers aspects.

Afin  d’amasser  ses  données,  le  CIMA  procède  généralement à des entretiens téléphoniques, un procédé rarement utilisé dans les enquêtes nationales en Amérique latine. En 2010, les sondeurs interrogèrent plus de 11 000 adultes (donc des personnes âgées de dix-huit ans et plus) résidant dans une vingtaine de pays, dont les États-Unis. Dans le cadre de cette enquête, la taille des échantillons nationaux varia considérablement : de 300 à 1057. Dans certains pays, les enquêteurs se limitèrent à interroger les habitants des grandes villes (choisis aléatoirement) alors  que  dans  d’autres  pays,  ils  effectuèrent  des  sondages à couverture géographique plus importante. Lors de la publication de ses rapports, le CIMA ne divulgue pas la marge d'erreur de ses résultats, ce qui porte à s’interroger sur la nature probabiliste des échantillons du consortium.

2.2.7 AmericasBarometer

Le professeur Mitchell Seligson est un sociologue connu depuis une vingtaine d'années pour ses travaux sur les opinions en Amérique latine. Il dirige aujourd'hui le LAPOP de l'Université Vanderbilt, projet dont il est l'instigateur et

qui  a  permis  la  réalisation  d’innombrables  études  sur  les  opinions  en Amérique  latine et ailleurs. Au début des années 2000, Seligson décida de lancer des études-baromètres dans le continent américain.

L'idée répondait à un besoin de combler un manque en information standardisée (les grandes enquêtes mondiales excluant de nombreux pays latino-américains) et d'élever la qualité des données disponibles (la rigueur méthodologique des enquêtes régionales étant parfois discutable)91. C'est donc dans cette optique que démarra le AmericasBarometer, lequel est maintenant devenu le plus important sondeur (en nombre de pays et de personnes interviewés à chaque vague) du continent.

Le sérieux et la rigueur92 avec lesquels sont menées les enquêtes ont rapidement donné une solide crédibilité au AmericasBarometer. Les résultats d'enquêtes du groupe sont aujourd'hui utilisés tant par les agences gouvernementales et internationales que par les chercheurs et les étudiants, qu'ils s'intéressent ou non aux principaux pays de la région. En effet, en plus de recueillir les opinions là où le LB le fait déjà, le AmericasBarometer mène des enquêtes dans une foule de petits pays (tels au Belize, en Guyana, en Haïti et en Jamaïque) sur lesquels, jusqu'à tout récemment, on connaissait très peu de choses en matière d’opinion. Lors de sa quatrième vague de sondages effectuée  en 2010, les sondeurs du baromètre mesurèrent les opinions dans vingt-six pays de l'hémisphère, dont le Canada et les États-Unis.

Les thèmes d'enquêtes abordés par le AmericasBarometer sont divers. Au nombre de ceux-ci, et peu explorés par les autres sondeurs, notons les opinions vis-à-vis de la corruption, la victimisation d'actes criminels, la politique locale et le populisme. Comme c'est le cas dans les autres études-baromètres, le

91 Pour plus de détails sur ces deux points, voir SELIGSON Mitchell A. « The Rise of Populism and the Left in Latin America ». Journal of Democracy, 2007, vol.18, n° 3, p. 82-95. ainsi que SELIGON Mitchell A. « Improving the Quality of Survey Research in Democratizing Countries ». Political Science and Politics, 2005, vol. 38, n° 1, p. 51-56.

92 Soulignons que par souci de transparence, le LAPOP informe ses partenaires et les utilisateurs de ses données des règles auxquelles doivent se soumettre ses intervieweurs.

Le Manuel de l'intervieweur peut être consulté à partir du site de LAPOP à l'adresse suivante :

http://www.vanderbilt.edu/lapop/ab2010/Interviewer_Manual_25Aug2010_V3_clean.pdf

AmericasBarometer procède principalement à des entretiens en face-à-face afin de recueillir les opinions. À la différence des autres enquêtes en Amérique latine, la taille des échantillons est cependant plus importante, variant de 1200 à 3000 personnes. Autre caractéristique à souligner : le processus de sélection aléatoire des sondés est clairement dévoilé. Les pays à l'étude sont divisés en zones géographiques qui, elles, sont subdivisées en fonction de la concentration de la population que l'on y retrouve, procédé qui assure une plus grande représentativité des résultats. Tout dépendant des régions visées, les questionnaires sont traduits dans les langues qui y sont les plus parlées.

Dans ses enquêtes, le AmericasBarometer se penche en profondeur sur le thème de l'appui à la démocratie. Les questionnaires administrés aux sondés comportent en effet un grand nombre d'indicateurs, lesquels pourraient être classés en trois catégories. Dans un premier temps, le AmericasBarometer mesure les opinions vis-à-vis la démocratie en utilisant des questions d'ordre général. Cependant, comparativement aux autres sondeurs qui font usage de ce type de questions, il procède à la fois avec plus d'originalité et de précaution.

Dans le cadre de ses enquêtes, le LAPOP interroge les citoyens au sujet

« de la démocratie » de façon différente de ce qui est fait ailleurs. Par exemple, dans ses sondages, les interviewés doivent indiquer s'ils croient que la

« démocratie électorale »93 est plus souhaitable que d'avoir un « leader fort qui ne soit pas élu ». Cette question leur est présentée de manière à atténuer l'effet de rectitude qui influence parfois les résultats. On interroge en effet les sondés précautionneusement en leur indiquant d'entrée de jeu que certaines personnes préfèrent la première opinion alors que d'autres optent pour la seconde. Le AmericasBarometer ne fait pas pour autant exception et demande aussi aux sondés d'indiquer si la démocratie leur semble préférable aux autres formes de gouvernement. La question est bien calquée sur celle employée partout ailleurs, mais le AmericasBarometer y introduit une subtilité appréciable. Considérant, comme règle générale dans les sondages, que les interviewés optent parfois sans réfléchir pour le premier choix de réponses qu'on leur soumet

93 Comme nous le mentionnions plus haut, le terme « démocratie », lancé sans plus d'explication, est parfois mal compris par les sondés. L'ajout du qualificatif « électoral » semble être une excellente façon de renforcer la validité de l'indicateur. En méthodologie, un indicateur est jugé « valide » lorsqu'il mesure vraiment ce que le chercheur souhaite mesurer.

Nachmias et Nachmias, 2000 : 239), les chercheurs de LAPOP inversent les choix de réponses à la question en plaçant l'option pour « l'indifférence » au premier rang94. Finalement, au nombre des questions générales, les sondeurs interrogent les sondés et leur demandent si le « pays » a plus besoin d'un gouvernement de type « main de fer » ou qui promeut la « participation de tous ».

La deuxième catégorie d'indicateurs employés dans les enquêtes du AmericasBarometer tient compte des circonstances politiques, sociales et économiques comme facteurs pouvant influencer les opinions, chose qui est rarement faite par les autres sondeurs. L'appui à la démocratie n'étant pas un phénomène qui soit figé et qui puisse, conséquent, évoluer, le LAPOP cherche à connaître dans quelles circonstances les citoyens soutiendraient un coup d'État.

Des problèmes tels un taux de chômage élevé, de nombreuses manifestations, la délinquance ou encore une forte inflation justifieraient-ils l'intromission des militaires dans le monde politique ? Avec un peu moins de précision mais toujours en invoquant la variable circonstancielle, on demande aux sondés s'ils jugent qu'il puisse parfois exister une raison suffisante pour que le président ferme le Congrès ou dissolve la Cour suprême.

Comme nous le verrons dans les chapitres subséquents, l'appui à la démocratie est autant une question de circonstance que de degré. Le choix des indicateurs par les chercheurs de la LAPOP semble refléter la compréhension du phénomène étudié dans ces termes. La troisième catégorie d'indicateurs utilisés par le AmericasBarometer évalue la force de l'inclination des sondés soit vers la démocratie ou son contraire. On place ainsi les interviewés devant une foule de mises en situation dans lesquelles les principales caractéristiques de la démocratie sont transgressées. En lien avec le vote universel et les libertés de participation, on demande aux sondés d'indiquer jusqu'à quel point (sur une échelle de 1 à 10) ils approuveraient ou désapprouveraient l'idée de retirer le droit

94 Rappelons que dans toutes les autres enquêtes l'option de l'indifférence (« pour une personne comme moi, il n'y a pas de différence au fait qu'un gouvernement soit démocratique ou non ») est placée au dernier rang alors que celle de la démocratie (« La démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement ») apparait en tête de liste.

En inversant l'ordre, le AmericasBarometer cherche probablement à présenter, dès le départ, un choix « neutre », ce qui éviterait que les sondés optent inconsciemment pour la démocratie. L'ordre des réponses tel qu'établi par le AmericasBarometer porte peut-être plus à la réflexion plutôt que de pousser les sondés vers un premier choix qui est de surcroît

« socialement acceptable ».

de vote ou de représentation politique à ceux et celles qui critiquent le gouvernement. On mesure aussi le degré d'approbation (ou de désapprobation) par rapport à la liberté de manifestation pacifique, d'expression d'organisation et d'opposition des partis politiques.

Au-delà des trois catégories d'indicateurs, les données fournies par la LAPOP permettent aussi d'évaluer l'appui et la confiance des citoyens envers le système politique, une expression indirecte, comme nous l'avons vu, de l'appui à la démocratie. Bref, la base de données du AmericasBarometer est très riche en informations, un élément appréciable d'autant plus que les enquêtes du LAPOP sont menées avec transparence et souci de fiabilité.

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