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Qui sont ces sondés qui ne sont pas des « démocrates de toute circonstance » ?

Le temps court des opinions

3.3 Les opinions des Guatémaltèques dans le temps court

3.3.2 Qui sont ces sondés qui ne sont pas des « démocrates de toute circonstance » ?

Hommes, Ladinos et instruits sont des qualificatifs qui reviennent régulièrement pour décrire les sondés qui expriment en grand nombre leur soutien à la démocratie en toute circonstance. Femmes, Indígenas et non instruits sont quant à eux des adjectifs utilisés pour décrire les groupes qui se montrent souvent ambivalents ou peu portés à exprimer une opinion sur la démocratie. Si nous connaissons les profils des « démocrates », des

« ambivalents » et de ceux qui ne prennent pas position, nous connaissons mal les caractéristiques des citoyens qui se disent prêts à soutenir des mesures autoritaires lorsque la stabilité du Guatemala est menacée.

Qui sont donc les « autoritaires de circonstance » ? Sont-ils jeunes ou vieux ? Instruits ou analphabètes ? Riches ou pauvres ? Indígenas ou Ladinos ? Si nous nous fions aux données 2008 du LAPOP nous constatons en fait que l’âge, le niveau d’éducation, les revenus ou encore l'appartenance ethnique ont  peu  d’effet  sur  la  prédisposition  à  accepter  des  mesures autoritaires dans un contexte d’instabilité. En contrepartie, la confiance que portent les citoyens en les  institutions  et  le  chef  d’État  semble  avoir  un  rôle  à  jouer.  Chez  les  sondés  qui  estiment  qu’un  coup  d’État  est  parfois  justifiable,  nous  retrouvons plusieurs individus qui affirment avoir peu confiance en le système de justice, les élections ou  le  président.  L’appui  à  un  coup  d’État  dans  des  circonstances  d’instabilité  serait ainsi pour plusieurs, une manière de compenser pour les faiblesses qu’ils  attribuent aux institutions et aux dirigeants. Les doutes quant à la capacité des institutions  à  trouver  des  solutions  à  l’instabilité  ne  constituent  toutefois  qu’une  facette  des  opinions.  En  effet,  les  sondés  qui  estiment  que  l’intromission  des  militaires dans la politique est parfois justifiable ont plus tendance que les autres groupes de la société à avoir confiance en l’armée.

Malgré leur confiance en une institution controversée (notamment pour les abus commis durant la guerre civile) et leur tendance à se déclarer de droite, il ne faut pas déduire pour autant que les autoritaires de circonstance soient complètement « décalés » de la démocratie. Dans une proportion importante, ils disent être intéressés par les affaires politiques et l’actualité. Dans un peu moins

d’un  tiers  des  cas,  ils  affirment  qu’ils  annuleraient  leur  vote  si  des  élections  avaient eu lieu dans les jours suivant leur entretien avec les enquêteurs de LAPOP. Ni portés à l'abstention, ni portés à voter pour l’opposition, ces sondés utilisent tout de même les canaux légitimes afin de communiquer leur insatisfaction.  D’ailleurs  notons  que  dans  un  cas  sur  quatre,  les  sondés  qui  toléreraient un coup d’État affirment être insatisfaits de la démocratie.

Les autoritaires d’occasion forment en quelque sorte une base de citoyens qui seraient prêts à appuyer des mesures anti-démocratiques afin de régler divers problèmes face auxquels la démocratie serait impuissante. Dans certaines circonstances qui paraissent inquiétantes (par exemple, lors qu’un niveau élevé  de délinquance est évoqué) à un bon nombre de Guatémaltèques, ces

« autoritaires » sont rejoints par plusieurs de leurs concitoyens qui, paradoxalement, portent à la fois peu de confiance en les institutions civiles et en l’armée.

3.3.3 L’opinion et sa dimension contextuelle

En analysant les données de sondages, on remarque des variations considérables des attitudes en fonction des situations, une variation importante au  niveau  de  l’appui  à  «l’alternative  autoritaire ». Par exemple, alors que 11%

des  Guatémaltèques  estiment  qu’un  gouvernement  autoritaire  serait  préférable  dans certaines situations, 35% d’entre eux jugent qu’un coup d’État est justifiable  face  à  un  niveau  élevé  de  corruption.  Bien  que  des  facteurs  d’ordre  méthodologique puissent contribuer à ces écarts111,  il  y  a  lieu  de  croire  qu’un  grand nombre de sondés prennent position vis-à-vis la démocratie en fonction des circonstances qui leur sont présentées plutôt qu’en se fiant à des valeurs et  des principes bien définis. En s’intéressant aux profils des Guatémaltèques pour  qui un coup d’État militaire est parfois être justifiable on remarque quelque chose  d’assez révélateur: la majorité (entre 53 et 55%) de ceux qui estiment qu’un coup  d’État  est  parfois  justifiable,  jugent  pourtant que la démocratie est toujours préférable aux autres formes de gouvernement.

111 La formulation des questions peut certainement être évoquée comme l’un des facteurs qui  peut  influencer  les  réponses,  tout  comme,  d’ailleurs,  les  choix  de  réponses  donnés  à  chaque question.

Les  chercheurs  les  plus  critiques  à  l’endroit  des  sondages  d’opinions  s’interrogeraient  sûrement  sur  la  validité  de  ces  résultats  et  sur  la  fiabilité  des  instruments utilisés par le LAPOP. En y voyant sans doute des contradictions entre les réponses des sondés, ces chercheurs souligneraient que les citoyens sont appelés dans ce type d’enquêtes à s’exprimer spontanément sur des sujets  auxquels ils n’ont jamais réfléchi. Uneautre explication à l’ambivalence observée  pourrait toutefois provenir de la théorie du temps court que nous tentons d’élaborer.  Selon  les  paramètres  de  temporalité  courte,  il  n’y  a  pas  automatiquement de contradictions entre le fait d’appuyer un coup d’État et celui de  refuser  de  croire  qu’un  gouvernement  autoritaire  puisse  parfois  être  préférable.  Comme  nous  l’évoquions  plus  haut,  aux  yeux  de  nombreux  Latino -Américains, l’effet anti-démocratique d’un coup d’État serait assez modeste dans  la  mesure  où  l’intromission des militaires dans la sphère politique est souvent perçue comme une fin plutôt qu’un moyen. En d’autres mots, la fonction première  d’un coup d’État semble être d’abord de circonscrire une menace dans l’immédiat  plutôt que de revoir l’ensemble des règles du jeu politique.

Qu’est-ce  que  nous  apporte  l’ensemble  des  résultats  présentés  jusqu’ici  dans cette section ? Dans un premier temps, il n’y a pas lieu de croire que les  Guatémaltèques se transformeraient en « autoritaires » dès que la situation se présente, et ce, indépendamment du fait qu’ils soient nombreux à croire que dans  certaines circonstances un gouvernement autoritaire est préférable à un gouvernement démocratique. En deuxième lieu, la variation au niveau de l’appui  à « l’alternative autoritaire », d’une situation à une autre, nous confirme l’influence  qu’exerce le contexte sur les opinions. Même si les sondés penchent parfois vers  des  solutions  peu  démocratiques,  rien  ne  porte  à  croire  qu’ils  le  font  sans  discernement.  Par  exemple,  s’ils  sont  portés  à  faire  confiance  à  l’armée  pour  contrer la délinquance, ils rejettent très majoritairement l’idée de voir les militaires  s’imposer  dans  la  sphère  politique  afin  de  calmer  des  turbulences  qui  seraient  causées par des manifestations.

Si ces résultats  renforcent  l’argument  selon  lequel  le  contexte  affecte  les  opinions, ils nous rappellent aussi quelques éléments clés afin de procéder à l’étude et de comprendre les attitudes politiques vis-à-vis de la démocratie :

→ D’un point de vue méthodologique, il semble plus ou moins pertinent  de donner de l’importance aux indicateurs généraux qui font référence à 

l’appui  à  un  « gouvernement autoritaire » dans des circonstances non spécifiées  ou  plutôt  abstraites.  À  l’opposé,  et afin de tirer des conclusions trop simplistes, il est judicieux, pour comprendre les opinions,  d’employer  des  indicateurs  où  les  sondés  doivent  prendre  position vis-à-vis des situations précises, des acteurs clairement identifiés et des droits déterminés.

→  D’un  point  de  vue  empirique,  les  résultats  présentés  dans  cette  section nous amènent à questionner davantage les analyses qui classent les sondés dans des catégories simplifiées faisant des uns, des « démocrates » et des autres, des « autoritaires ». Si l’ambivalence,  l’indifférence  et  l’abstention  (SR  /  NSP)  sont  notoires  dans  certaines  circonstances, les opinions tendent à varier considérablement en fonction du contexte.

→  D’un  point  de  vue  théorique,  il  semble  que  plus  une  situation  représente une menace potentielle, plus les sondés opteront pour des solutions anti-démocratiques. Dans les résultats présentés dans cette section,  l’appui  majoritaire  au  coup  d’État  face  à  une  poussée  de  criminalité, un évènement qui menacerait beaucoup plus l’intégrité des sondés qu’une simple hausse de la corruption, est révélateur.

Poursuivons  notre  analyse  en  nous  intéressant  au  cas  de  l’autogolpe orchestré par Jorge Serrano en mai 1993. Comme nous le verrons, en réponse à ce  coup  d’État,  la  plupart  des  Guatémaltèques refusèrent de soutenir leur président. Cet exemple concret d’opposition à des mesures autoritaires rappelle  que les citoyens sont généralement réticents à cautionner la restriction des droits et libertés lorsque celle-ci  est  imposée  sans  qu’une  forte  menace ne soit largement ressentie. En fait, dans le cas de l’autogolpe de 1993, ce qui devint le plus menaçant aux yeux des Guatémaltèques furent beaucoup plus les actions extraordinaires menées par Serrano que les problèmes que ce dernier tentait de résoudre en première instance.

3.4  Le  coup  d’État  civil  de  1993  et  la  fin  abrupte  de  la  carrière  de  son 

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