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internationales et la mesure des préférences démocratiques

2.2 Les grandes enquêtes internationales et leurs travaux

2.2.2 Le International Social Survey Programme

2.2.3.2 Le Asian Barometer (ABS)

L’équivalent  du  LB  en Asie  a  été  pendant quelques années le East Asia Barometer, organisme lancé par des chercheurs de l'Université nationale de Taiwan. À l'origine, ces chercheurs se donnèrent comme mission d'interroger les citoyens de huit pays de la zone orientale de l’Asie72. Largement influencés par ce qui était déjà fait ailleurs, mais risquant gros en envoyant les sondeurs dans certains pays, les enquêteurs du East Asia Barometer réussirent à questionner (en 2001 et 2002) des milliers de personnes sur des thèmes tels la démocratie, l'implication politique, la confiance dans les institutions et l'évaluation du régime.

Suite au succès connu lors d'une première vague de sondages, les responsables du projet impliqués dans la collecte des opinions se joignirent au Centre for Study of Developing Societies de Dehli, où travaillaient déjà plusieurs experts sur les pays du sud de l'Asie73. Les deux groupes formèrent rapidement une association – aujourd'hui connue sous l'acronyme ABS – qui mesure les opinions dans dix-huit pays asiatiques à l'aide de questionnaires qui sont pratiquement standardisés.

Comparativement à leurs collègues du LB, les sondeurs de l'ABS opèrent dans une région où le niveau de démocratisation est généralement faible et où il existe de grandes différences entre les pays à ce niveau. En effet, soulignons que la région n'a pratiquement pas connu les effets de la troisième vague de démocratisation décrite par Samuel Huntington (Chang et al., 2007 : 69).

Rappelons également que l'absence (en Chine et à Singapour notamment) et la faiblesse (Hong Kong) de la démocratie s'observent aux côtés d'une plus grande vitalité de celle-ci (en Inde et au Japon, par exemple). Les modes de

72 Les huit pays (territoires) sont le Japon, Hong Kong, la Chine continentale, la Mongolie, la Thaïlande, les Philippines, la Corée du sud et Taiwan.

73 Dans le cadre d'une étude exhaustive sur l'état de la démocratie en Asie du sud, le Centre for the Study of Developing Societies s'intéressa aux opinions des citoyens du Bangladesh, de l'Inde, du Népal, du Pakistan et du Sri Lanka. L'étude en question fut financée par les organisations internationales.

représentation et de sélection des élus ne sont pas moins variés dans la région74. Comme nous le mentionnions précédemment, le contexte sociopolitique influence, dans certains cas, la façon de mesurer les opinions. En Asie, l'intérêt souvent marqué pour l'étude des valeurs qui seraient propres à la région amène l'ABS à inclure des indicateurs qui sont « adaptés » à la région où il opère. Dans ses enquêtes, l'ABS inclut de nombreux indicateurs qui permettent d'évaluer la prédominance des « valeurs asiatiques ». Celui-ci cherche notamment à offrir le plus d'information possible aux chercheurs qui s'intéressent à l'articulation entre les valeurs confucianistes et celles liées à la démocratie75.

Afin d'amasser les opinions, l'ABS procède à des entretiens en face-à-face qui ont lieu à l'endroit de résidence ou de travail des sondés, une pratique qui est rarement utilisée ailleurs. Les entretiens se déroulent dans la langue du pays, ou toute autre langue qui est parlée par au moins 5% de la population. Les personnes sondées par l'ABS sont des adultes qui ont l'âge de voter (le cas échéant). Au total, l'ABS interroge au moins 1200 personnes dans chaque pays.

Les sondés sont choisis de manière aléatoire, tout en ajustant les probabilités lorsque que la représentativité géographique risque d'être déséquilibrée. La marge d'erreur des résultats est établie à 3% à un intervalle de 19 fois sur 20.

Dans le cas de la deuxième vague de sondages, les enquêtes se sont déroulées sur une période de trois ans, soit entre 2005 et 2008.

Comme nous le mentionnions, les enquêtes d’opinion de l'ABS ont lieu dans  des pays démocratiques et non-démocratiques, donc dans des endroits où l'expérience politique des citoyens avec la démocratie varie grandement. Mesurer l'appui à la démocratie à l'aide des questionnaires uniques et abstraits peut donc s'avérer un défi de taille. Face à celui-ci, l'ABS multiplie – ce que Emmanuel

74 Nous trouvons dans la région des monarchies (Népal et Thaïlande), un État communiste (Chine) ainsi que des systèmes parlementaires où siègent des parlementaires choisis par les électeurs.

75 Cet intérêt n'est pas nouveau, mais il a grandement été ravivé par Huntington. Ce dernier voit dans les valeurs confucianistes un obstacle à la démocratisation. (HUNTINGTON Samuel P. The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order. New-York : Simon

& Schuster Paperbacks, 1996, p. 238). Pour une discussion sur la « compatibilité » de ces valeurs et du soutien à la démocratie voir PARK Chong-Min et CHULL Shin Doh. Do Asia values deter popular support for democracy? The case of South Korea [en ligne]. 2004, [consulté le 2 septembre 2010]. Disponible sur :

http://www.asianbarometer.org/newenglish/publications.

Rivière et Delphine Martelli-Banégas (2002 : 304) appellent – « les angles d'approche ».

Dans ces enquêtes, les sondeurs cherchent à savoir si la démocratie est jugée comme étant préférable, prioritaire, adéquate, efficace et souhaitable (Chang et al., 2007 : 67-68). La mesure de l'engagement des citoyens se fait de concert avec celle du détachement de l'autoritarisme exprimé par ces derniers76.

Afin de faciliter les comparaisons avec les données amassées par les autres membres du GlobalBarometer, l'ABS utilise un certain nombre d'indicateurs « standards ». L'ABS emploie notamment la question de Linz. De façon similaire à ce qui se fait ailleurs, l'ABS interroge aussi les sondés afin de savoir s’ils croient que la démocratie peut résoudre les problèmes ou s'ils jugent que celle-ci est plus importante que le développement économique. Mais multiplier les angles d'approche veut aussi dire élever le niveau de précision ou encore omettre d'inclure le mot « démocratie » dans la formulation des questions d'enquêtes. C'est justement ce que fait l'ABS alors qu'elle mesure l'appui aux principales caractéristiques de la démocratie. L'ABS évalue si les interviewés sont en accord avec l'idée que les élus sont ceux qui doivent détenir les pouvoirs décisionnels77. Plus précisément, l'ABS leur demande si ce sont les militaires qui devraient gouverner le pays. Avec moins de subtilité encore, on interroge les citoyens afin de savoir si l'on devrait bannir les élections et permettre aux

« experts » ou à un leader « fort » de prendre la relève. Au niveau de la participation politique et de la liberté d'expression, les sondeurs interrogent les interviewés afin de voir s'ils jugent que les moins éduqués devraient laisser leur place à ceux qui ont un niveau d'instruction élevé. Indépendamment de ceux qui ont le droit de parole, on demande également si le gouvernement devrait déterminer quels sont les sujets à discuter en société et quels sont ceux à proscrire.

76 Cet élément d'analyse est particulièrement intéressant alors que les gouvernements autoritaires (passés ou présents) ne souffriraient pas d'un discrédit marqué dans la région.

(CHANG Yu-tzung et al. « Authoritarian Nostalgia in Asia ». Journal of Democracy, 2007, vol. 18, n° 3, p.69).

77 Selon O'Donnell, en polyarchie, les élus ne devraient pas voir leur travail entravé par des acteurs non élus. (O’DONNELL  Guillermo.  Counterpoints. Selected Essays on Authoritarianism and Demcoratization. Notre-Dame : University of Notre Dame Press, 1999a, p. 176). Ce principe vient donc compléter la première caractéristique de la polyarchie telle que pensée par Dahl.

De nombreux autres indicateurs sont inclus aux enquêtes de l'ABS, notamment certains qui sont liés à la loi et à l'ordre. Au-delà de la multiplicité des indicateurs qui permettent de mesurer l'appui à la démocratie, soulignons la présence de quelques-uns qui pourraient être fort utiles à considérer pour évaluer si les sondés sont portés à soutenir une démocratie de qualité faible ou élevée78. En effet, sont également inclues aux enquêtes de l'ABS des questions sur l'appui aux principes d'imputabilité horizontale et de la primauté du droit. Pour reprendre une expression des chercheurs de l'Asie du Sud, l'emploi de plusieurs indicateurs permet de mesurer la « profondeur de l'appui à la démocratie » (de Souza et al., 2008).

2.2.3.3 L'Afrobarometer

Le statut et la structure de l'Afrobarometer sont similaires à ceux des autres membres du GlobalBarometer. En effet, l'organisme africain est indépendant, impartial et opère grâce à la collaboration de nombreux chercheurs. La coordination des travaux effectués par ces derniers se fait depuis trois principaux centres situés au Bénin, au Ghana et en Afrique du Sud. Comme c'est souvent le cas des autres sondeurs indépendants, les revenus de l'Afrobarometer proviennent en grande partie de gouvernements étrangers. Avec le soutien financier qu'il reçoit, le baromètre enquête sur les opinions dans vingt pays d'Afrique subsaharienne79 où vivent plus de 450 millions d'habitants. En 2008 et 2009, le baromètre africain procédait à sa quatrième vague de sondages. La première de ces vagues a eu lieu dans douze pays entre 1999 et 2001. Depuis ce temps, plus de 100 000 personnes ont été interrogées par l'Afrobarometer, faisant de ce dernier le membre le plus actif du GlobalBarometer.

L'organisme africain accomplit son travail en fonction de trois objectifs qui sont de produire des données fiables sur les opinions en Afrique, de diffuser le plus largement possible ses résultats d'enquêtes et de renforcer les

78 Le lecteur pourra consulter le texte de Diamond et de Morlino afin de se familiariser avec les « dimensions » attribuées à la qualité de la démocratie. Voir DIAMOND Larry et MORLINO Leonardo. « The Quality of Democracy. An Overview ». Journal of Democracy, 2004, vol. 15, n° 4, p. 20-31.

79 Ces derniers sont l'Afrique du Sud, Bénin, le Botswana, le Burkina Faso, le Cap Vert, le Ghana, le Kenya, le Lesotho, le Liberia, Madagascar, le Malawi, le Mali, le Mozambique, la Namibie, le Nigeria, l'Ouganda, le Sénégal, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.

connaissances et les compétences liées au travail de sondeur et à l'utilisateur de données. L’Afrobarometer effectue son travail en se penchant sur des thèmes qui sont à la fois universels et spécifiques à la région où il opère. En effet, le baromètre africain recueille un grand nombre de données sur des thèmes tels la démocratie, la confiance interpersonnelle, les réformes économiques mais également sur l'accès à la nourriture et sur les tensions ethniques.

L'Afrobarometer opère dans des régions où il y a peu de conflits et où la démocratie connaît – ou a connu dans le passé – un certains succès. Toutefois, soulignons que les pays où ont lieu les enquêtes se distinguent tout de même par des variations importantes quant au niveau de respect des droits et des libertés80 qu’on y observe ou encore par l'évolution de la démocratie. Comme c'est souvent  le  cas  dans  d’autres  régions  du monde,  le passé autoritaire et conflictuel de la région amène les sondeurs à se questionner sur l'existence d'une culture favorable à la démocratie et à ses institutions (Bratton et Mattes, 2001 : 449). En fait, le cadre de « valeurs africaines » serait reconnaissable par quelques particularités. Parmi quelques-unes de ces valeurs puis de ces spécificités, rappelons l'inclinaison de nombreux citoyens à entretenir une relation du type parent-enfant avec le gouvernement (Afrobarometer, 2008 ; Schatzberg, 2001) ainsi que la faiblesse des liens qu'entretiendraient ces derniers avec les élus et les autorités, au profit de relations plus étroites avec les chefs traditionnels (Afrobarometer, 2009 ; Piron, 2006 : 291).

La méthodologie employée par le baromètre africain pour recueillir les opinons est similaire à celle des autres membres du GlobalBarometer. En effet, l'Afrobarometer amasse ses données en procédant à des entretiens en face-à-face avec des citoyens choisis de manière aléatoire, mais tout en s'assurant de la représentativité des principaux groupes démographiques. Dans la plupart des pays, la taille des échantillons est établie à 1200 personnes. Ce nombre peut varier en fonction du contexte politique et de la taille de la population. En 2009, un peu moins d'entretiens ont été réalisés au Zimbabwe dû à des violences dans le pays. Ailleurs, comme c'est le cas en Afrique du Sud, au Nigeria et en

80 Selon les analyses de Freedom House en 2009, huit des vingt pays sous enquêtes seraient

« libres » alors qu’onze le ne seraient que partiellement. Un seul, le Zimbabwe, ne le serait pas du tout. (Freedom in the World, 2010. [Ressource électronique]. [Washington D.C.] : Freedom House. [Réf. du 29 juin 2009]. États-Unis. Disponible sur :

http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=15).

Ouganda, les échantillons sont de 2400 individus81. La marge d'erreur des résultats d'enquêtes varie de 2 à 3%. Depuis sa troisième vague de sondage (2005), l'Afrobarometer administre ses questionnaires au cours d'une même année. En 2008, un contexte politique difficile a demandé un report des collectes des données au Zimbabwe.

Dans sa collecte d'opinions sur la démocratie, l'Afrobarometer adopte une approche que l'on pourrait qualifier de maximaliste. En plus de chercher à connaître, en détails, la conception que se font les citoyens de la démocratie82, le sondeur incorpore à ses enquêtes un grand nombre de questions sur « l'offre » et la « demande » pour celle-ci (Afrobarometer, 2006). Alors que l'offre est liée à l'évaluation que font les sondés de la démocratie « offerte » par les gouvernants, la demande renvoie à l'appui pour la démocratie, à ses principes et à ses valeurs.

Nous pourrions synthétiser en affirmant que l'Afrobarometer évalue la

« demande » pour la démocratie de quatre façons. Dans un premier temps, et par souci d'uniformisation avec les autres baromètres, le sondeur africain utilise l’approche de Linz à laquelle nous faisions référence précédemment. L'organisme africain le fait cependant en modifiant quelque peu le contenu de la question normalement utilisée. Contrairement à son partenaire latino-américain, le baromètre donne le choix au sondés d’indiquer s’ils ont une préférence : pour un

« gouvernement non-démocratique » plutôt que pour un « gouvernement autoritaire ». Deuxièmement, dans ses questionnaires, le baromètre africain inclut un nombre important d'indicateurs qui prennent directement en considération le contexte socio-historique de la région. Par exemple, dans les enquêtes, les sondés doivent indiquer s'ils croient que le gouvernement est un « parent » qui devrait prendre soin des « gens » ou plutôt que le peuple devrait être « le patron » du gouvernement. Plus indirectement en lien avec l'appui à la

81 Soulignons que ces trois pays sont parmi les cinq plus peuplés de la région où opère le baromètre africain.

82 Comme nous le mentionnions brièvement, la conception que se font les citoyens de la démocratie tend à varier d'une personne à une autre. L'Afrobarometer a une façon originale d'évaluer cette facette des opinions publiques. Dans les questionnaires, les sondeurs de l'organisation africaine donnent des mises en situation auxquelles sont confrontées des personnes fictives (dans un pays qui n'est pas spécifié) et demandent aux interviewés d'indiquer si ces mêmes personnes vivent dans une « démocratie pleine », dans une démocratie avec des problèmes « mineurs » ou « majeurs » ou simplement s'ils ne vivent pas dans une démocratie.

démocratie, les sondeurs demandent aux interviewés s'ils jugent que les chefs coutumiers devraient être davantage impliqués dans la gouvernance locale.

L'Afrobarometer mesure aussi l'appui aux principales caractéristiques de la démocratie. L'organisme cherche notamment à savoir si les sondés jugent acceptable que les gouvernements interdisent les publications qui lui sont défavorables ou que ceux-ci censurent les opinions minoritaires. La pluralité et de la représentation politique sont aussi des sujets abordés dans les enquêtes. Par exemple, les sondeurs interrogent les citoyens afin de savoir s’ils sont en accord  avec  l'idée  qu’il  n’y  ait  qu'un  seul  parti  qui  participe  aux  élections,  que  l'armée  gouverne leur pays ou que le parlement et les élections soient abolis pour donner les pouvoirs au président.

En plus de ces questions, l'organisme africain s'intéresse aussi au soutien que démontrent les sondés à des principes qui améliorent la qualité de la démocratie. Le sondeur interroge les citoyens pour savoir s'ils considèrent que la loi doit s'appliquer à tous, ce qui inclut le président de leur pays. Tout aussi intéressant, l'Afrobarometer interroge les sondés afin de connaître s'ils jugent que la presse doit jouer un rôle de vigilance. Dans l'ensemble, les données de l'Afrobarometer permettent ainsi de brosser un portrait assez complet des opinions liées à l'appui à la démocratie dans une partie de l'Afrique sub-saharienne.

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