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internationales et la mesure des préférences démocratiques

2.2 Les grandes enquêtes internationales et leurs travaux

2.2.2 Le International Social Survey Programme

2.2.3.4 L'Arab Barometer

Une « dimension manquante » de la science politique. Voici de quelle façon les instigateurs de l'Arab Barometer qualifiaient le problème lié à l'absence de données sur les opinions dans le monde arabe (Tessler et Jamal, 2006 : 1). En effet, avant que l'Arab Barometer ne lance sa première vague de sondages en 2006, très peu d'information standardisée était disponible sur les valeurs et attitudes  des  citoyens  de  cette  région.  Lors  de  sa  première  vague  d’enquêtes,  rendue possible en partie grâce au financement des États-Unis, l'Arab Barometer interviewa les citoyens de cinq pays (territoires)83.

83 Lors de la première vague, l'Arab Barometer sonda les opinions en Algérie, en Jordanie, au Koweït, au Maroc et en Palestine. Comme le notent Tessler et Jamal, la WVSA a attendu jusqu'à sa quatrième vague de sondages (1999-2002) avant d'incorporer des données sur le monde arabe. (TESSLER Mark et JAMAL Ananey. « Political Attitude Research in the

L'Arab Barometer fonctionne aujourd'hui comme une association de chercheurs qui bénéficient de l'appui des institutions universitaires dans les pays où  ont  lieu  les  enquêtes  d’opinion. Le principal centre de recherches de l'organisation est cependant situé à l'Université de Jordan et une partie de la coordination des activités se fait depuis les États-Unis. L'ensemble des chercheurs impliqués dans le projet s'intéressent à des thèmes d'enquêtes tels l'appui à la démocratie, la confiance interpersonnelle, la relation entre la religion et le monde politique.

Outre la réalisation d'enquêtes, les activités du baromètre visent à diffuser les plus largement possible ses recherches. La diffusion de l'information sert notamment à dissiper les stéréotypes associés aux opinions dans le monde arabe. Au nombre de ceux-ci, rappelons la tendance à croire que la religion islamique produit des modes de pensée qui sont uniformes alors que, dans les faits,  l'interprétation  du  religieux  varierait  énormément  d’un  endroit  à  un  autre  (Rose, 2002). Par ailleurs, une autre conception erronée veut que l'appui à la démocratie soit faible chez les musulmans84, alors que dans, les faits, il ne serait pas affecté par les croyances religieuses islamiques (Tessler et Jamal : 10).

Les stéréotypes qui sont véhiculés sur le monde arabe s'expliquent en partie par une méconnaissance des opinions dans la région. Cependant, cette méconnaissance s'explique en partie par une situation politique qui rend difficiles, voire périlleuses, la collecte et la diffusion de données de sondages85. En effet, les restrictions qu'imposent les régimes empêchent régulièrement les sondeurs de recueillir les opinions des citoyens sur des thèmes sensibles. Dans de telles circonstances,  les  sondeurs  de  l’Arab Barometer font régulièrement face à des

Arab World: Emerging Opportunities ». Political Science and Politics, 2006, vol. 39, n° 3, p. 2). Nous pouvons ainsi affirmer qu'avant que l'Arab Barometer ne le fasse, aucune donnée amassée dans une optique de comparaison à grande échelle n'avait été compilée sur le Koweït et la Palestine.

84 Rappelons que selon la thèse huntingtonienne, l'islamisation de la région se serait produite aux dépens de la démocratie et affaiblirait par le fait même les opinions favorables envers celle-ci. Voir HUNTINGTON Samuel P. The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order. New-York : Simon & Schuster Paperbacks, 1996, 367 p.

85 Comme exemple frappant de ce fait, le lecteur pourra se référer à l'article de Laura-Julie Perrault sur le dixième anniversaire de règne de Mohammed VI en Égypte paru dans La Presse du 6 août 2009 en page A16.

défis de taille86. Malgré les difficultés liées à la réalisation de sondages d'opinions dans le monde arabe, le baromètre régional assure que ses résultats sont représentatifs de la population. Comme ailleurs, le recueil des données effectué par l'Arab Barometer se fait à partir de questionnaires qui sont administrés par des enquêteurs lors d'entretiens en face-à-face. Dans le cas de la première vague de sondages organisée en 2006, les sondeurs ont complété plus de cinq mille entretiens. Les échantillons nationaux sont constitués de 750 à 1300 sondés.

Les questionnaires de l'Arab Barometer comportent un grand nombre d'indicateurs servant à mesurer l'appui à la démocratie. Alors que certains de ces indicateurs sont plutôt généraux, d'autres sont plus précis et souvent liés au contexte sociopolitique de la région. Parmi les indicateurs généraux, les questionnaires de l’Arab Barometer incluent des questions où les sondés doivent affirmer s'ils croient que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement en dépit  de  ses  failles  ou  s’ils  estiment  que  le  système  politique  démocratique  est  convenable pour gouverner leur pays. De façon similaire à ce qui se fait dans les autres régions du monde, les enquêteurs interrogent les sondés en leur demandant d'indiquer, sur une échelle de un à dix, si la démocratie est

« complètement adéquate » ou « complètement inadéquate ». Moins étroitement lié  à  l’appui  à  la  démocratie, mais aussi pertinent dans une étude sur les opinions, l'Arab Barometer interroge les sondés à savoir s'ils jugent que la

« violation des droits de l'Homme » est « justifiable au nom de la promotion de la sécurité et de la stabilité ».

Les sondeurs du baromètre élèvent aussi le niveau de précision des indicateurs  qu’ils  utilisent  afin  de  mesurer  les  opinions  et  les  valeurs  liées  à  la  démocratie. Un nombre important d’indicateurs utilisés dans les pays du Moyen -Orient font référence de manière plus ou moins directe aux deux principales dimensions de la démocratie, soient le droit à la contestation et la liberté de

86 Outre  les  défis  liés  aux  régimes  politiques,  pensons  aux  difficultés  d’ordre  pratique  notamment à ce qu’implique la construction d'échantillons constitués d’un nombre similaire d'hommes et de femmes dans des pays où ces dernières prennent peu de place dans la vie publique  et  s’expriment  rarement (du moins de façon ouverte) sur des sujets politiques.

Malheureusement, l'Arab Barometer est assez peu explicite sur les techniques employées afin d’interviewer les femmes et que celles-ci se sentent à l’aise de le faire. Nul besoin de  rappeler qu'il est parfois impensable, dans le monde arabe, de s'imaginer qu'un enquêteur puisse se retrouver seul avec une sondée.

participation87. Par exemple, les sondeurs interrogent les citoyens afin de connaître dans quelle proportion ils jugent que les « gens » doivent coûte que coûte appuyer leur gouvernement même s'ils sont en désaccord avec les décisions prises par celui-ci. Autre façon de mesurer les pratiques par lesquelles on jugulerait la contestation, les sondeurs demandent aux citoyens s'il serait souhaitable pour le pays d'avoir un « leader fort » qui se soucie peu du parlement et des élections. Au niveau de la mesure des idéaux liés à la participation, les chercheurs de l'Arab Barometer incluent des questions à leurs questionnaires afin de demander aux interviewés s'ils croient qu'une femme peut être chef d'un pays musulman ou si l'on doit favoriser la compétitivité politique et permettre les désaccords. Finalement, le baromètre mesure les inclinaisons « anti » ou « pro » participation des citoyens en leur demandant s'ils jugent souhaitable de limiter la compétition entre les groupes politiques grâce aux actions d'un leader fort appuyé par les militaires.

Le contexte sociopolitique de la région où ils opèrent est aussi pris en considération par les chercheurs qui élaborent les sondages de l'Arab Barometer.

Nombre de questions posées par l'Arab Barometer font justement référence aux tensions entre les idéaux islamiques et la démocratie. L’objectif de ces questions  est précisément de savoir si les sondés pencheront plus d'un côté que de l'autre.

Au sujet des règles politiques, les sondeurs questionnent et demandent aux citoyens s'il est souhaitable que seuls des partis islamistes puissent siéger au parlement ou, par ailleurs, si le gouvernement devrait uniquement habiliter les lois de la sharia. Plus extrêmes encore, les sondeurs cherchent à savoir si le sondés jugent qu’il faille plutôt bannir tous les partis politiques et gouverner en fonction  de la loi islamique. Les questions sont nombreuses et sont adaptées à un milieu où la religion musulmane y est importante et où fidèles et incroyants participent côte à côte aux affaires de l'État. Les enquêteurs demandent justement si les droits politiques des non-musulmans devraient être les mêmes que ceux des musulmans. Bref, le baromètre du monde arabe s'inspire amplement du cadre historique et des préoccupations religieuses afin de mesurer l'appui à la démocratie, un idéal que l'on met en opposition aux valeurs islamiques (plutôt qu'en contraste à des préceptes plus généraux liés à l'autoritarisme).

87 Les indicateurs peuvent devenir plus précis en étant associés aux deux principales dimensions de la démocratie mais sans être exclusivement liés à une des caractéristiques de cette dernière.

Jusqu'ici nous avons vu qui sont les deux principaux sondeurs qui mesurent les opinions à l'échelle mondiale et comment ces derniers évaluent les niveaux d'appui à la démocratie. À ce sujet, nous pouvons déjà établir des différences importantes entre les deux sondeurs ainsi qu'entre les membres qui les constituent (du moins dans le cas du GlobalBarometer). Concrètement, nous pouvons avancer que l'ABS, l'Afrobarometer et l'Arab Barometer misent sur la précision et la multidimensionnalité de ses indicateurs tandis que la WVSA et le LB tendent à mesurer l'appui à la démocratie de façon plus générale et unidimensionnelle.

D'entrée de jeu, nous indiquions que l'examen des baromètres permettra d'évaluer les possibilités de recherche qui s'offrent à nous en vue de l'analyse sur les temps court et long de l'appui à la démocratie. La parenthèse méthodologique que nous effectuons dans ce chapitre est utile pour au moins deux raisons. Dans un premier temps, il est important de connaître quelle base de données est la mieux adaptée à nos besoins et de pouvoir évaluer les avantages et les inconvénients liés à leur utilisation. Dans un deuxième temps, l'analyse des travaux de sondage effectués ailleurs qu'en Amérique latine nous aidera à élaborer une théorie plus précise de l'appui à la démocratie. Pensons notamment aux techniques utilisées en Afrique (afin de mesurer la « demande pour la démocratie ») ou en Asie (afin d'évaluer la « profondeur » des valeurs démocratiques). En guise de conclusion préliminaire, nous pouvons déjà affirmer que nous devrons nous inspirer des recherches où la démocratie est perçue comme un phénomène multidimensionnel et par lequel seule une approche

« maximaliste » permet de mesurer l’appui des citoyens à son endroit. 

Pour le moment, retournons à notre analyse des baromètres. Dans cette section, nous nous concentrons sur les travaux de trois autres sondeurs, soient de l'Eurobaromètre, du New Europe Barometer et du AmericasBarometer. Ces derniers pourraient être qualifiés « d'indépendants » dans la mesure où ils se concentrent sur les opinions dans une région précise du globe sans participer à des efforts plus ambitieux (c’est-à-dire mondiaux) de collectes d'opinions.

Tableau 2.1 Les grandes enquêtes internationales et leurs principales caractéristiques

Notes : F : face-à-face ; P : poste ; AQ : auto-questionnaire ; T : téléphone ; I : Internet ;

* : information non divulguée ou difficilement accessible.

Sources : les sites Internet des groupes-baromètres.

2.2.4 L'Eurobaromètre

Lancé en 1973, l'Eurobaromètre88 est un organisme précurseur dans le domaine de la collecte des opinions. À l'origine, la Communauté européenne demanda à un groupe d'experts de suivre l'évolution des opinions en Europe. Le mandat de procéder à des enquêtes d’opinion internationales fut donné près de  vingt ans avant que la WVSA n'effectue sa première vague de sondage. Depuis plus de tente ans, les experts de l'Eurobaromètre questionnent les citoyens de l'Europe sur des sujets liés – de près ou de loin – à la participation de leur pays à l'Union européenne. Depuis sa création, le baromètre a effectué des dizaines de vagues de sondages, faisant de ce dernier le plus actif de toutes les organisations qui s'intéressent aux opinions dans une perspective

« comparatiste ».

88 L'Eurobaromètre ne doit pas être confondu avec l'European Values Survey. Ce dernier opérait de façon indépendante dans les années quatre-vingt avant de se joindre à la WVSA.

De nature gouvernementale, l'Eurobaromètre est fondamentalement différent des autres groupes de sondeurs que nous avons vu jusqu'à présent.

Bien que les résultats du sondeur européen soient disponibles pour quiconque voudrait les analyser, les données recueillies servent en première instance à des fins institutionnelles. Souvent qualifié « d'oreilles de l'Union européenne », le baromètre amasse des données qui servent d'abord à la Commission européenne afin de formuler des recommandations qui prennent en considération les priorités et les inquiétudes des citoyens de la région.

Dans le cadre de ses principales activités, l'Eurobaromètre recueille les opinions des citoyens des vingt-sept pays de l'Union. Les enquêtes, qui ont lieu deux fois par année, sont aussi menées dans les pays qui aspirent à devenir membres de l'Union européenne ou qui entretiennent des liens étroits avec celle-ci. Généralement, 1000 entretiens en face-à-face sont effectués dans les pays de la région lors de chaque « vague ». À chaque coup de sonde, l'Eurobaromètre interroge environ 30 000 personnes choisies aléatoirement dans un territoire où vivent plus de 453 millions d'habitants. Par la fréquence de ses enquêtes, l’Eurobaromètre  démontre  que  sa  capacité  de  recherche dépasse de loin celle des autres sondeurs internationaux.

L'Eurobaromètre est peut-être le plus actif de tous les baromètres, mais il est cependant celui qui s'intéresse le moins à la question de l'appui à la démocratie. En effet, les questionnaires de l'organisation comportent très peu d'items servant à mesurer la question. De manière assez précise, les indicateurs utilisés servent principalement à mesurer le degré de tolérance des sondés envers les immigrants européens et la participation politique de ceux-ci. Par exemple,  les  sondeurs  de  l’Eurobaromètre  interrogent  périodiquement  les  citoyens afin de savoir s'ils sont d'accord que des étrangers (provenant de l'Union européenne) qui viendraient s'installer dans leur pays se portent candidats et votent aux élections (locales et européennes). D'autres questions en lien avec la démocratie sont posées mais ceci dans un objectif autre que celui de mesurer le soutien aux valeurs démocratiques. Les sondeurs demandent notamment aux Européens s'ils sont satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays et au niveau de l'Union européenne.

Les nombreux rapports de l'Eurobaromètre constituent une source d'information extraordinaire, mais ils contiennent très peu de détails sur le thème

qui nous intéresse. Peut-être que l'omission d'indicateurs liés à l'appui à la démocratie s'explique par une simple question d'intérêt scientifique ou encore par précaution – dans la mesure où des résultats « gênants » pour certains gouvernements (les mêmes qui financent les enquêtes) pourraient être dévoilés.

Ceci dit, afin d'en connaître davantage sur l'appui à la démocratie en Europe et sur la manière dont cette dernière est évaluée sur ce continent, les intéressés devront se tourner vers d'autres sources.

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