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Hypothèses de travail, propositions et démarche méthodologique

Les arguments présentés dans cette thèse reposent  sur  l’hypothèse  centrale que l’appui  à  la démocratie est un objet multiface et malléable12. Pourquoi attribuer de telles propriétés à notre objet de recherche ? Dans un premier  temps,  nous  estimons  qu’il  est  imprudent  de  réduire  le  soutien  à  la  démocratie à sa plus simple expression en nous fiant à un petit nombre d’indicateurs abstraits13. Cette façon de faire risque de nous mener, au mieux, à analyser les perceptions des citoyens sur un sujet qui est partiellement ou mal défini. Nous croyons qu’il est plus judicieux de déconstruire la notion d’appui à la  démocratie en ayant recours à divers indicateurs qui sauront capturer les différentes faces de notre objet. Pour identifier ces dernières, nous nous référons notamment aux conditions préalables à la polyarchie  telles  qu’élaborées  par  Robert Dahl au début des années soixante-dix. Ainsi, lorsque nous nous penchons sur les points de vue sur la démocratie, nous proposons, entre autres, d’évaluer les réponses aux questions de sondage sur la tenue d’élection justes et libres, sur le droit de vote, sur la liberté d’expression, etc. Par la même occasion,  nous tentons d’évaluer la profondeur des positions exprimées en ayant recours à  des  indicateurs  qui  ont  différents  niveaux  d’abstraction.  Nous  considérons  que 

12 Bien que « prismatique » soit un terme linguistiquement plus approprié que « multiface » afin de décrire le concept de l’appui à la démocratie, nous optons pour ce dernier. Affirmer  qu’un  objet  est  à  la  fois  prismatique  et  malléable  serait  quelque  peu  contradictoire,  un  prisme étant connu pour sa rigidité.

13 En partie pour des raisons de coûts, les sondeurs limitent souvent le nombre d’indicateurs  qu’ils utilisent. Cette situation les pousse souvent à utiliser des questions très abstraites qui  résumeront des attitudes complexes. Plus loin, nous discuterons de la pertinence de demander aux citoyens, par exemple, s’ils préfèrent la démocratie à l’autoritarisme.

c’est véritablement en disséquant la notion d’appui à la démocratie (en termes de  faces et de profondeur) que nous obtiendrons l’image la plus fidèle des opinions. 

Les nuances qui apparaissent en procédant ainsi nous permettent par ailleurs de cerner les logiques de raisonnement qui guident les citoyens dans leurs positionnements vis-à-vis de la démocratie.

L’appui à la démocratie est certes composé de plusieurs faces mais cette  propriété  ne  l’empêche  pour  autant  pas  d’être  malléable.  La  flexibilité  de  notre objet  d’étude  est  observable  de  plusieurs  façons.  Dans  un  premier  temps,  le  soutien  à  la  démocratie  ainsi  qu’aux  droits  et  aux  libertés  est  en  partie  conditionné par le contexte ou la conjoncture. Cette caractéristique explique pourquoi dans des circonstances extraordinaires, il paraîtra acceptable aux yeux de certains citoyens de suspendre la démocratie (ou des droits), alors que dans un contexte de normalité, ils s’y seraient opposés. Ensuite, nous considérons que  l’appui  à  la  démocratie  est  malléable  dans la mesure où les citoyens ont tendance  à  ajuster  leurs  demandes  démocratiques  en  fonction  de  l’offre  en  la  matière. Par ailleurs, la flexibilité des opinions sur la démocratie est observable à travers du peu de rigidité dont font preuve les citoyens dans leurs manières de se positionner vis-à-vis de la  démocratie. Rappelons qu’il est exceptionnel  que  les  sondés acceptent ou rejettent intégralement tous les principes de la démocratie.

Les citoyens prendront dans leur forte majorité généralement « ce qu’ils aiment » de  la  démocratie  et mettront  de  côté  ce  envers  quoi  ils  sont moins  à  l’aise.  La  flexibilité de l’appui à la démocratie se manifeste également alors que les sondés  optent tantôt pour exprimer une opinion claire sur la démocratie, tantôt pour s’abstenir de tout commentaire. En d’autres mots, des citoyens dans leur grande  majorité ne sont ni totalement démocrates, ni totalement autoritaires, ils exprimeront à travers leurs réponses aux enquêtes de sondage une sorte de positionnement plastique vis-à-vis de la démocratie.

Multiface et malléable, les deux propriétés que nous attribuons à notre objet de  recherche  guident  l’élaboration,  dans  notre  travail,  de  trois  hypothèses  secondaires. Comme première sous-hypothèse, nous proposons que les points de vue des citoyens sur la démocratie soient, par moment, largement influencés par les circonstances, ce qui veut dire qu’ils sont susceptibles d’évoluer selon les  évènements qui se produisent sur la scène politique. Si elles peuvent rapidement se transformer pour devenir plus ou moins favorables à la démocratie, les

opinions peuvent aussi être statiques, notamment en période de stabilité politique. Cette caractéristique nous amène à proposer une seconde sous hypothèse : si aucun évènement extraordinaire ne se produit, les citoyens prendront position sur la démocratie sur la base de logiques de raisonnement qui reposent largement sur la stabilité et l’ambivalence de leurs préférences et leurs  valeurs. Les deux premiers postulats placent le contexte (élément externe) et les valeurs (élément individuel) au centre de notre analyse des points de vue sur de la démocratie. Notre discussion nous amène à examiner ces deux éléments de façon séparée. Cependant, combiner leur analyse peut nous apporter des indices afin de comprendre pourquoi les citoyens affichent souvent des points de vue paradoxaux, par exemple, en affirmant être insatisfaits de la démocratie et du gouvernement et en s’opposant à ce que les gens qui critiquent le gouvernement  s’impliquent  dans  le  jeu  politique.  Ce  type  d’opinion  repose  en  partie  sur  des  valeurs et sur l’évaluation que font les citoyens de l’offre en démocratie. Comme  troisième hypothèse secondaire, nous proposons d’examiner  la  supposition  suivante : plus les citoyens ont des réserves quant à la capacité de l’État de faire  fonctionner la démocratie, plus leurs demandes en matière de démocratie, reflètent des tensions entre l’idéal démocratique et la pratique de celui-ci.

Les hypothèses que nous proposons sont testées respectivement dans les troisième, quatrième et cinquième chapitres de cette thèse. Avant d’examiner ces  postulats, nous devons préalablement préparer le terrain de notre recherche. À cette  fin,  nous  soumettons  deux  propositions,  une  première,  d’ordre  empirique,  concernant la culture  politique  guatémaltèque  et  une  deuxième,  d’ordre  méthodologique, relative aux sondages comme instrument de mesure des opinions. Dans un premier temps, nous avançons qu’il est imprudent d’analyser  la culture politique guatémaltèque en partant du point de  vue qu’elle est le lieu  d’expression  de  fortes  tendances  autoritaires.  Nous  préférons  amorcer  nos  recherches en proposant qu’il existe, au Guatemala, un profond fossé entre les  citoyens et leur démocratie. Ce fossé, qui prend une forte dimension ethnique, ou Indígenista, a une incidence à plusieurs niveaux sur les rapports qu’entretiennent  les Guatémaltèques avec le monde politique. À la base, une bonne partie des comportements politiques et des opinions propres aux Indígenas et aux Ladinos que nous distinguons  est  mise  en  évidence  à  l’aide  de  sondages  d’opinion. 

Compte tenu de l’importance fondamentale que prennent ces derniers dans nos  recherches, nous devons leur accorder une attention particulière. Comme

deuxième proposition, nous estimons que toutes les enquêtes d’opinion et tous  les indicateurs utilisés dans celles-ci pour mesurer l’appui à la démocratie ne se  valent  pas.  Cette  proposition  nous  amène  d’ailleurs  à  nous  intéresser  aux  techniques employées pour cerner et recueillir les opinions.

Afin  d’étudier nos propositions et nos hypothèses de travail nous avons largement eu recours aux bases de données des grandes enquêtes internationales.  Un  grand  nombre  de  nos  analyses  statistiques  a  d’ailleurs  été  réalisé  à  l’aide  du  logiciel  Stata  10.  Toutefois, lorsque notre budget ne nous permettait pas de nous procurer les fichiers de données (sous la forme de feuilles de calculs), nous avons opté pour l’utilisation de tableurs mis à la disposition des  internautes sur les sites des grandes enquêtes. Une partie des sources utilisées dans cette thèse proviennent également de rapports produits par de plus petites firmes de sondage, qui ne donnent habituellement pas accès à leurs données primaires.

Nos  sources  ne  se  limitant  pas  aux  données  d’enquêtes,  nous  avons  effectué  d’intenses  recherches  bibliographiques  dans  des  universités  guatémaltèques, françaises et canadiennes. Nos recherches sur le Guatemala ont été conduites dans ce pays à trois reprises (entre 2008 et 2010) pour effectuer des séjours d’une durée variant de vingt à trente jours. Notre première visite de terrain fut de nature exploratoire, nous permettant ainsi de repérer des lieux de recherches et de tisser de premiers contacts avec des politologues du pays. Lors de notre deuxième visite nous avons principalement effectué des recherches bibliographiques, notamment dans les archives de la Bibliothèque nationale où nous avons consulté un grand nombre de journaux et de revues spécialisées parus en 1993 alors que le Guatemala connaissait son premier coup d’État  de  l’ère  « démocratique ». Dans le cadre de notre troisième visite, nous avons  effectué  des  entretiens  avec  des  chercheurs  ainsi  qu’avec  un  acteur  politique de premier plan : le Général Otto Pérez Molina, investi à la présidence au  début  de  l’année  2012. Par ailleurs, nos recherches nous ont amené à Washington D. C. où nous nous sommes entretenus avec un ancien ambassadeur du Guatemala. Afin d’élargir nos sources, nous avons effectué de  brèves  recherches  bibliographiques  en  marge  de  missions  d’observations électorale réalisées au Costa Rica, au Salvador et au Pérou.

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