La « démocratie » dans la culture politique guatémaltèque
Carte 1.2 Nombre d’ha bitants par kilomètre carré dans les municipalités du Guatemala. 2011
Source : INE, 2011.
Cet aspect des opinions nous a amené à nous interroger si la présence de l’État pouvait ainsi influencer les comportements des citoyens au niveau des demandes qu’ils faisaient auprès des élus nationaux, et ce, indépendamment de leur appartenance ethnique. Nous avons observé que cela n’était pas le cas, la demande de coopération des élus nationaux si l’on tient compte de la présence
de l’État dans les régions oùles citoyens résidents variant très peu d’une région à une autre57.
Comparé à une forme de participation parallèle à la « politique traditionnelle » (Warren, 1998 : 153 ; Smith, 2009), le comportement des sondés autochtones s’inscrit dans un contexte où la sphère électorale est reconnue comme étant un lieu sous forte influence des dirigeants et des candidats ladinos et où une participation complémentaire est une façon de s’assurer que leurs voix soient entendues. Dans le cadre d’une discussion sur « la » culture politique guatémaltèque, ces observations soulèvent inévitablement la problématique de l’uniformité des valeurs et des habitudes politiques d’un groupe de la société à un autre. D’ailleurs, certains auteurs nous rappellent que les opinions et les valeurs peuvent varier considérablement d’un groupe à un autre (Knight, 1996 et 2001 ; Hermet, 1993 : 75). Les variations que nous observons ne sont pas uniquement dues à des traits purement culturels entre les Indiens et les Ladinos mais aussi aux outils dont chaque groupe dispose.
Le niveau d’éducation semble expliquer en partie les comportements que nous observons en matière de participation politique. Par exemple, si les citoyens qui ont un faible niveau d’instruction votent moins que ceux qui ont au moins un diplôme d’études secondaires, ils participent davantage à des comités de parents, à des rencontres où on cherche à trouver des solutions à des problèmes locaux ou encore à des assemblées municipales. À l’inverse, ceux qui ont un niveau d’instruction élevé (postsecondaire) ont plus tendance que les moins instruits à faire partie d’association de travailleurs ou de professionnels, à émettre des demandes aux gouvernements ou encore à contribuer activement au règlement de problèmes qui affectent leur communauté.
Plus haut nous observons que les Guatémaltèques affichent à plusieurs niveaux des comportements qui les distinguent des autres Latino-Américains. En termes de participation politique, nous observons que les Guatémaltèques sont portés à prendre part à des activités locales, telles des assemblées municipales
57En utilisant les données du LAPOP et du PNUD sur la densité de l’État nous avons testé l’hypothèse voulant que les résidents des zones où la présence de l’État est faible auraient moins tendance à communiquer avec les élus qui siègent dans la capitale. Nous avons observé que cette hypothèse ne semble pas être valide. Même si la présence de l’État varie considérablement d’une région à une autre, les attitudes, elles, demeurent relativement constantes.
ou des réunions de parents. La distinction du Guatemala des autres pays d’Amérique centrale (et parfois d’Amérique latine) s’expliquent en partie par le poids démographique important ainsi que par les pratiques des citoyens qui se définissent comme étant Indiens. Sur la base de ces observations nous notons par ailleurs que les pratiques des Guatémaltèques varient en fonction de leur niveau d’instruction. Bien que ces nuances soient importantes nous devons toutefois ajouter une précision. Si l’analyse des résultats démontre des variations au niveau des habitudes des groupes ethniques, elle nous permet aussi de constater la brèche qui divise la société entre ceux qui participent à la vie communautaire et politique et ceux qui s’y tiennent à l’écart.
L’analyse des résultats d’enquêtes démontre une tendance intéressante : ceux et celles qui ne votent pas (par intérêt ou parce qu’ils ne sont pas inscrits sur les listes électorales) ont moins tendance que ceux qui affirment voter, à prendre part à la vie politique communautaire. Ceci dit, même si la participation à diverses activités politiques élargit le champ d’action (ou compense pour le peu de lien que les Guatémaltèques entretiennent avec les partis), elle ne vient pas nécessairement remplacer la faible propension des Guatémaltèques à participation aux élections. Que ce soit en nous référant aux enquêtes du LAPOP ou du Latinobarómetro, nous observons que les Guatémaltèques qui affirment voter aux scrutins présidentiels sont aussi plus enclins que ceux qui ne votent pas à contacter les autorités (ou un fonctionnaire) s’ils doivent résoudre un problème, signer une pétition, assister à des réunions de groupe d’intérêt ou de parents, contribuer activement au règlement d’un problème, etc. La tendance semble être encore plus accentuée chez les citoyens qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Rappelons ce que les sondeurs du PNUD enregistrèrent dans leur enquête de 2008 : alors que 80% de sondés qui s’impliquent dans des manifestations, des comités de voisinage et des conseils de développement, votent aux élections présidentielles, 90% de ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales s’abstiennent de prendre part à ces activités.
Les résultats obtenus en interrogeant les bases de données statistiques laissent paraître une subtilité fort importante. D’un point de vue participatif, le Guatemala est particulièrement segmenté entre ceux qui prennent part à la vie politique et ceux qui restent en retrait de celle-ci. Nous avons observé que ce sont souvent les mêmes citoyens qui votent aux élections présidentielles qui prennent part (dans une plus forte proportion qu’ailleurs) aux activités politiques
de leur communauté. En contrepartie, ceux et — surtout — celles qui ne votent pas, se tiennent souvent à l’écart des affaires publiques. Cette observation est encore plus valable pour le grand nombre d’adultes qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Par ailleurs, en terme de comparaisons entre les pays, nous avons vu que la forte proportion d’Indígenas au Guatemala influence les caractéristiques de la culture politiques que nous observons. Comme nous le constatons, les sondés qui se déclarent comme Indiens affichent des habitudes de participation locale plus prononcées que leurs concitoyens ladinos.