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La présentation en ligne de Wikipédia précise qu’il s’agit « d’un projet d’encyclopédie collective en ligne, universelle, multilingue et fonctionnant sur le principe du wiki [qui] vise à offrir un contenu librement réutilisable, objectif et vérifiable, que chacun peut modifier et améliorer » (« Wikipédia », 2019a). L’encyclopédie est basée sur la licence Creative Commons BY-SA112 qui

repose sur « l’attribution - partage dans les mêmes conditions ». Cela implique que tout un chacun peut partager et adapter le contenu des articles Wikipédia sous réserve d’en mentionner la source et de rendre accessible le nouveau document sous les mêmes conditions. C’est à partir de ces éléments que Florent Gallaire (précédemment mentionné) a décidé de « libérer » l’ouvrage de Michel Houellebecq considérant que le format payant du livre contrevenait à la licence de Wikipédia. Il ne semble pas que la proportion des passages empruntés par rapport à l’intégralité du livre permette d’attribuer la licence Creative Common à La Carte et le Territoire. D’ailleurs Wikipédia autorise une reproduction commerciale de ces articles dans des conditions que précise Adrienne Alix, présidente de Wikimédia France, interrogée par le site Slate.fr : « Pour reprendre un passage de Wikipédia dans un livre, il faudrait que, dans le texte, la partie reprise soit identifiée comme une citation (par des guillemets par exemple) et que la source soit indiquée, par une note de bas de page ou en fin de volume, avec comme mention Wikipédia, article X, version consultée le XX/XX/XXXX et l'URL de l'historique de la page » (Glad, 2010). C’est donc d’une simple citation en bonne et due forme qu’il s’agit.

Dans ce même article, la présidente de Wikimédia France précise que les emprunts « semblent réels, même s'il faut reconnaître que les parties empruntées sont d'une certaine "banalité" rédactionnelle » (Glad, 2010). Cette constatation apparaît contradictoire avec les prétentions mêmes de Wikipédia et de l’un de ses cinq principes fondateurs :

« Wikipédia recherche la neutralité de point de vue, ce qui signifie que les articles ne doivent pas promouvoir de point de vue particulier. Parfois, cela suppose de décrire plusieurs points de vue et de représenter chacun de ces points de vue aussi fidèlement que possible, en tenant compte de leur importance respective dans le champ des savoirs. Cela suppose également de fournir le contexte nécessaire à la compréhension de ces points de vue selon les sources qui les portent, et de ne représenter aucun point de vue comme étant la vérité ou le meilleur point de vue. Ces conditions permettent la vérification des informations en citant des sources faisant autorité sur le sujet (particulièrement dans le cas de sujets controversés). » (« Wikipédia », 2019b)

Wikipédia est une encyclopédie à prétention « objective » comme le rappelle la présentation liminaire du site, ce qui implique une énonciation désubjectivée et factuelle cultivée par la charte du site. Il est habituel de voir apparaître la mention « pas d’avis personnel », comme justificatif

112 Creative Commons — Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 non transposé — CC BY-SA 3.0. (s. d.). Consulté à l’adresse https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr

d’annulation de modification d’un contributeur, dans l’historique des modifications des articles. De plus la « banalité rédactionnelle » d’un article ne change rien, en théorie, à sa protection. Emmanuel Pierrat rappelle que l’œuvre doit être une « création de forme » et doit être « originale ». L’originalité est définie comme « l’empreinte de la personnalité d’un auteur » — ce que la charte Wikipédia permet peu — mais elle est aussi liée à « l’expression et la composition » de cette œuvre qui peut être originale pour un seul de ces éléments. « Il ne faut en aucun cas prendre d’autres critères tels que le genre de l’œuvre (pornographique, humoristique, etc.), la forme d’expression […], le mérite (bon, nul, etc.) ou encore la destination (pratique, esthétique, etc.) » (Pierrat, 2013, p. 110). Ce ne sont donc pas seulement les œuvres littéraires ou à prétention artistiques qui sont protégées.

En théorie, il semblerait donc que les emprunts de Michel Houellebecq soient, en l’état, répréhensibles. Une œuvre libre, n’est pas pour autant libre de droit.

Dans sa réponse adressée à Slate.fr, les Éditions Flammarion indiquent : « Lorsque nous avons pu constater ces très rares reprises, nous avons remarqué que la source n'indique pas elle-même l'identité des auteurs » (Glad, 2010). L’argument est donc circulaire : nous n’avons pas indiqué de source puisque la source ne les indique pas elle-même. Cette remarque ne peut s’entendre qu’en raison d’une méconnaissance totale du fonctionnement de Wikipédia. L’encyclopédie, grâce à son interface renseigne, à la virgule près, chaque contributeur d’un article. Pour l’article Frédéric Nihous, par exemple, l’onglet historique113permet de voir chaque changement intervenu sur la page

depuis sa création. L’onglet Auteurs et statistiques114 permet de savoir qu’il y a 179 rédacteurs

référencés sur cet article. Cette même page permet d’en connaître les dix principaux.

Figure 10 : Les principaux rédacteurs de la fiche Frédéric Nihous

113https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Nihous&action=history 114 https://xtools.wmflabs.org/articleinfo/fr.wikipedia.org/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Nihous

Bref, l’ergonomie du site permet de retrouver les contributeurs de chaque article alors identifiés par un pseudo ou leur adresse IP. Peut-être est-ce là un autre argument sous-jacent de la remarque de l’éditeur qui consiste à penser que sur le web 2.0 il n’y a que des anonymes qui de ce fait ne peuvent être cités ? Rappelons que la mention de Wikipédia comme auteur suffit à respecter la licence Creative Common. S’il avait fallu aller plus loin alors indiquer « Cheep » ou « EvguenieSokolov » n’aurait pas été mentionner des anonymes mais des pseudonymes rattachés individuellement à des personnalités civiles car « l’anonymat (le fait de ne pas signaler de nom) n’existe pas en tant que tel sur internet puisque toute connexion requiert une identification ; le pseudonyme, comme l’adresse IP, ou le nom officiel, constitue par conséquent un identifiant possible » (Paveau, 2017, p. 269). De fait, les contraintes techniques des différents espaces du web 2.0 qui interdisent le référencement dans leurs base de deux pseudonymes identiques implique « qu’un pseudo est unique, [et] représent[e] finalement bien plus spécifiquement son porteur que son état-civil, ce qui réduit paradoxalement l’anonymat : il est plus anonyme de porter un nom très fréquent (Isabelle Dupont ou Pierre Durand) qu’un pseudo qui identifie à coup sûr un seul porteur » (Paveau, 2017, p. 270).

Je fais cette remarque car c’est à partir de ces confusions entre anonymat et pseudonymat que se construit un discours déploratoire identifiant internet et le Web 2.0 comme une zone de non-droit ou chacun est libre d’exprimer sa haine, sans contrôle et sans risque. Cela contribue à décrédibiliser tous les discours produits sur internet dont ceux de l’encyclopédie Wikipédia. Car le web 2.0 est, entre autre chose, un formidable réservoir de partage de connaissance, de science libre, participative, collaborative et le plus souvent sous l’égide du bénévolat. Toutes ses valeurs sont occultées par les discours, souvent basés sur des préjugés, qui attaquent le web 2.0 du dehors. Et s’il ne fallait à l’éditeur et à l’auteur qu’une seule démarche pour se conformer au droit d’auteur, Wikipédia intègre sur chacune de ses pages l’onglet : « Citer cette page »115.