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Voir Xénophon, Les Mémorables, IV, 5,2 2 Platon, Premier Alcibiade 33c

D. Description ou qualités du Philosophe

1 Voir Xénophon, Les Mémorables, IV, 5,2 2 Platon, Premier Alcibiade 33c

peut découvrir les causes divines qui organise tout en vue du bien, alors ces connaissances lui permettront d’examiner ce qui se rapporte à lui et par conséquent, il sera capable de vivre de la meilleure manière possible. Or, il n’y a que l’âme qui ait une nature divine où résident la pensée et la connaissance. Se connaître soi-même oblige le philosophe à examiner cette partie divine qu’est l’âme.

Socrate s’examinait soi-même et les autres quotidiennement. La dernière partie de sa vie a été entièrement consacrée à la pratique de la philosophie. Pour le philosophe d’Alopèce, la philosophie n’était pas seulement de la haute voltige intellectuelle à la recherche de la divinité, mais elle était aussi le reflet fidèle d’une connaissance chèrement acquise. Quelle était la motivation socratique ? Quel intérêt un être humain peut-il avoir à examiner les autres citoyens ? Une réponse vient immédiatement à l’esprit : la compréhension. La connaissance de la divinité devait absolument passer par un examen sur l’homme. L’intérêt de Socrate portait sur une faculté de l’âme très précise : la raison. Seule l’âme est apte à passer un examen. Elle est la seule faculté qui est en mesure de monter jusqu’à la divinité. Seule l’âme est divine. Elle est donc la seule qui peut guider le philosophe vers le chemin de la sagesse.

Dieu a donné une mission précise à Socrate : vivre en philosophant, c’est-à-dire à examiner les autres dont lui-même. Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue, prétendait Socrate. Car le plus grand des biens pour un être humain est de s'entretenir tous les jours de la vertu, en s'examinant soi-même ainsi que les autres. Or, pour vérifier adéquatement si une âme vit bien ou mal, le philosophe doit acquérir trois qualités : la science ou !'intelligence qui est un privilège qui n'appartient qu'à Dieu et à un petit nombre d'hommes. La bienveillance qui exige un intérêt marqué et honnête envers son interlocuteur s'il désire vraiment connaître la nature de son âme, et la troisième qualité est la franchise qui consiste à dire sans détour ce que l’on pense.

Le connais-toi toi-même s'exprime également par une interrogation personnelle, c'est-à- dire que le philosophe ne doit pas avoir peur de se parler à lui-même. Il doit régulièrement regarder en lui-même. Toute sa vie, Socrate s'est autoquestionné. Il a

continuellement regardé en lui-même pour vérifier sa propre connaissance afin de ne jamais avancer des propositions lors des discussions qu'il avait avec les autres citoyens sans qu'elles aient été préalablement vérifiées. Dans le premier cas, il s'agit d'une certaine forme de sagesse. Dans le second, il est question de prudence. De plus, il est impératif de porter un regard sur le gouvernement de son âme pour éviter les excès. Une proposition contenant des arguments poussés à l’extrême ne peut qu’être fausse. Une vie sans examen conduit inévitablement à prendre des positions extrémistes. La recherche de la vérité pratiquée par une dialectique saine conduit souvent le philosophe vers un juste milieu où la réponse peut toujours être remise en cause. L’erreur est tranchante alors que la vérité est patiente et prudente. Il est nécessaire de marcher pas à pas pour mieux garantir sa marche et obtenir à chaque pas l’adhésion de l’esprit. « Ceux qui ne philosophent pas sont misérables » x, disait Socrate. Les vulgaires prennent trop souvent les choses pour acquises. Ils prêtent foi à des croyances complètement dénudées de sens. C’est une méthode paresseuse et peu efficace pour éliminer l’incertitude qui habite leurs âmes. Quelques personnes croient qu’il n’y a que ceux qui se posent des questions qui sont susceptibles de devenir malheureux. Et pourtant, Socrate soutenait le contraire. Les gens qui ne savent pas user de leur intelligence sont voués à une vie humainement pauvre. Pour les philosophes grecs, le bonheur passait par l’exercice de la raison.

La capacité rationnelle d'examiner les autres n'est pas le fruit du hasard. L'âme est mystérieuse et elle se dissimule facilement derrière une apparence qu’est le corps. Le philosophe doit savoir déjouer cette stratégie pour aller voir derrière les visages humains.

Socrate refusait de se montrer sous un autre jour, c’est-à-dire que s’il ne savait pas la réponse à une question, alors il ne cherchait pas à faire croire qu’il savait. Il partait courageusement à sa recherche. La science est cet outil qui permet d'analyser adéquatement l'âme pour savoir si elle est pure ou non. Mais, Socrate n'hésiterait pas à rappeler au philosophe que la condition première pour examiner une âme particulière est de connaître d'abord l'universel, c'est-à-dire l'âme une et immuable. Puis, il faut connaître les qualités qui la composent ainsi que les vices qui peuvent l'améliorer ou la pervertir. Autrement dit, le philosophe est à l'âme ce que le médecin est au corps. Le philosophe

doit être en mesure de reconnaître les symptômes qui affectent l'âme afin de trouver le remède approprié pour la soigner efficacement. Quoique la médecine soit avant tout un art, elle repose en partie sur la recherche médicale. Les médecins doivent, en premier lieu, apprendre les différentes parties du corps humain et ils doivent comprendre leurs fonctions avec une vision unitaire du corps. Le cardiologue sait ce que sont les poumons et le rôle qu'ils jouent au sein de l’organisme corporel. Un spécialiste cherche à redonner la santé au cœur sans endommager les autres organes du corps humain. Il en est de même pour le philosophe. Il doit connaître l'âme avant de lui prescrire quoi que ce soit. Il doit savoir les maux et les biens qui l'affectent et de connaître également les remèdes qui aident à se débarrasser des vices qui empoisonnent l'âme et la rendent malheureuse.

La bienveillance est nécessaire car elle implique un engagement personnel de la part du philosophe. Il sait précisément l'importance de l'âme et de sa nature divine ainsi que du rôle qu'elle joue dans la voie qui mène au bonheur. C'est pourquoi ces examens sur l'âme sont d'une extrême importance. Ce travail exige un sérieux et une implication de soi- même qui ne laisse pas de place à l'erreur. Il ne s'agit d'un banal jeu où le philosophe s'amuse avec la pensée d'autrui. Cette recherche en soi-même et à l'autre nécessite un intérêt prononcé envers son interlocuteur. Tout comme le médecin, la santé "mentale" du patient est entre les mains du philosophe. Une erreur de jugement ou simplement une mauvaise démarche dialectique peut provoquer une convulsion de l'âme. Si le philosophe accepte de travailler avec les autres pour les aider à se guider vers le bonheur, il doit porter une attention toute spéciale à leur âme. Le philosophe doit être capable d'analyser justement et profondément les quatre coins de l'âme humaine. Il n'est nullement question de sombrer dans les discussions inutiles de la psychologie contemporaine. Au risque de se répéter, il ne s'agit pas d'un connais-toi toi-même au sens que l'entend la psychologie moderne, mais cette formule s’adresse à la partie rationnelle de l'âme. C'est un «connais- toi toi-même» philosophique. Le philosophe s'intéresse qu’à l'essentiel, c'est-à-dire à l'âme humaine. Il ne désire point autre chose que la perfection de celle-ci. Il ne s'intéresse ni à l'argent, ni à la réputation.

Le rôle de la franchise est de connaître l'exacte pensée de l'autre personne afin d'être en mesure de la guérir adéquatement. Toujours à l'image du médecin, le philosophe se fie sur les réponses du patient pour relever une série d'hypothèses qui permettent de trouver le remède à la bonne maladie. Or, pour ce faire, le patient doit décrire le mieux possible sa pensée pour que le philosophe soit capable de déceler le véritable malaise. Une pensée incohérente entraîne des actions irrationnelles. Or, les erreurs de la pensée peuvent être multiples. Elles peuvent être le résultat d'un sophisme qui s'est glissé dans un raisonnement. Ou, le fruit de certains préjugés ou stéréotypes à la mode dans la société. Il peut s'agir d'un problème dû à une défaillance intellectuelle, c'est-à-dire que plusieurs personnes sont incapables de raisonner correctement. Le fait de penser selon les règles de la logique est la conséquence de longues années d'études et d'exercices. La franchise rejette toute forme de dispute entre deux interlocuteurs. Le philosophe ne désire pas gagner une joute oratoire. Il veut aider les autres à mieux se conduire dans leur action quotidienne. C'est pourquoi il doit amener l'autre individu dans un milieu de confiance. Il ne faut pas avoir honte de vouloir se débarrasser de ses vices. Au contraire, c'est un mal nécessaire. Comment est-il possible de guérir une personne atteinte d'une maladie si elle le cache à son médecin? Socrate exigeait cette même franchise pour démarrer une discussion. Sinon, si l'interlocuteur est malhonnête ou omet de soumettre son âme de bonne foi à un interrogatoire, alors le travail de la maïeutique est voué à l'échec. Tout individu qui se cache derrière un «persona» ne fait qu'entraver la bonne démarche dialectique. La confession de son ignorance est la première étape que l'ignorant doit franchir pour accéder à la science.

V. Âme

Si la sagesse est de se connaître soi-même, alors elle conduit inévitablement à la question de l’âme. Pour Socrate et Platon, l’homme n’est pas autre chose que l’âme \ Mais qu’est-ce l’âme ? Quelles sont les principales caractéristiques de l’âme ? D’abord, l’âme est le plus ancien et le plus divin des êtres. Elle est non seulement la cause de tout mais elle est immortelle, impérissable, simple, indissoluble, toujours la même et semblable à elle-même. Elle est forte et semblable à la divinité. Mieux encore, elle a existé avant que nous soyons hommes. L’argument est de dire que si l’âme est immortelle, alors elle est impérissable. Or, pour les Grecs anciens, ce qui donne la vie au corps ne peut être qu’immortel. Donc, elle survit au corps. Si elle est immortelle, alors elle appartient à la nature divine car elle a les mêmes traits communs que la divinité. Tout le Phédon cherche à prouver son immortalité par la puissance de la logique et de dialectique.

L’âme, insiste Socrate, est l’homme. Elle commande au corps. Non seulement elle est la forme du corps, mais elle le dirige. L’âme est un ordre incorporel qui est propre à gouverner un corps animé. L’âme est le premier être qui vient avant le corps et elle est la cause de ses changements. Sans cette entité, le corps ne pourrait prendre aucune forme. De plus, cette puissance divinatoire est la cause de tous les changements dans le monde sensible. Aucun corps matériel n’est la cause de lui-même. Après la mort corporelle d’un organisme vivant, il est possible d’observer la matière perdre sa forme en se désagrégeant en plusieurs millions d’unités qui se dispersent dans des milliers de directions. L’âme représente l’unité. Elle agence et organise la matière pour parvenir à une fin encore inconnue jusqu’ici. L’intrigue philosophique est de connaître la finalité de l’homme. Bien qu’il soit plus difficile de connaître la finalité du tout que de ses parties, il est plus «simple» pour le philosophe de connaître la finalité de l’âme humaine que de l’âme divine. Toute identité qui est apte à diriger et à ordonner la matière suppose donc une

forme d’intelligence. M. Deman confirme cette proposition lorsqu’il écrit qu’il est très «vrai que la thèse de Socrate revient à dire que les vertus sont dans !’intelligence et que l’âme humaine n’est rien d’autre que la raison »l

Dans l’âme réside quelque chose de divin, c’est-à-dire la connaissance et la pensée. Une âme prise en elle-même enferme la science, l’opinion vraie et les arts. Pour Socrate et Platon, les Idées se trouvent dans les âmes. Elle contient tout ce dont le philosophe a besoin pour marcher vers la divinité. Contrairement à certaines disciplines scientifiques, Socrate et Platon placent la connaissance dans l’âme et non pas dans les objets sensibles. En effet, ce qui intéresse les deux philosophes grecs, ce ne sont pas les différents composants de la matière, mais leur mouvement interne qu’est l’âme. La vérité ne se trouve pas dans la matière. Elle se trouve dans l’âme. C’est la cause efficiente qui procure la direction et le mouvement aux choses sensibles. C’est alors de cette cause efficiente dont il faut que le philosophe s’inspire s’il veut décoder les mystères de la divinité.

L’âme est aussi la vie. L’âme est immortelle car elle est toujours en mouvement. L’âme est une « substance » qui est capable de se mouvoir d’elle-même. Elle n’acquiert pas son mouvement par un effet qui provient d’une autre cause ou d’un autre effet. Elle se meut d’elle-même puisqu’elle est le premier être qui vient avant la matière. Autrement dit, elle est la cause de ses propres mouvements. Elle ne dépend que d’elle-même. Elle est le principe du mouvement. Or, tout principe est premier lorsque dépendent toutes les autres choses qui se rapportent directement à elle.

Comme il vient d’être dit, l’âme est immortelle parce qu’elle est un principe. Sa nature est de l’ordre de l’universel. Tout comme l’âme, une démonstration mathématique est impossible si elle n’est pas accompagnée d’un théorème. Le principe vient avant toute démonstration ou induction. Toutes les qualités et les propriétés d’un triangle, par exemple, découlent à la base d’un principe admis a priori. Pour Platon, l’âme est un principe premier car elle est la seule voie explicative possible de la génération et du mouvement, de la corruption et du repos ainsi que !’explication de tous les êtres passés,

présents et futurs. La vérité se situe donc dans l’âme. Elle est la seule voie qui permet au philosophe de remonter jusqu’à la divinité. L’âme n’est pas seulement une simple hypothèse qu’exige la logique, elle a une existence véritable puisqu’il est possible de constater ses effets dans tous les êtres naturels.

L’âme est aussi la cause de tous les biens. Bref, elle est la cause de tout ce qui concerne la morale. Elle est sans contredit une volonté qui dirige tout vers le bien. Ses efforts et ses actions visent essentiellement le bien. Les démarches de l’Intelligence divine et les révolutions célestes ne peuvent que le prouver. L’âme ne peut pas être mauvaise puisqu’elle est divine, donc parfaite. Or, tout ce qui est parfait est exempté de maux. Donc, il faut tenir l’âme pour divine. Le philosophe est un être humain qui désire le bonheur. Or, bien qu’il soit emprisonné dans un corps, il doit tout de même se perfectionner en éliminant tous les maux corporels et ceux de l’âme pour qu’elle retrouve sa pureté originelle qui lui procurera le bonheur. Le problème est qu’il semble que les deux philosophes sous-entendent que le bonheur est inaccessible dans ce bas monde ? Et pourtant, c’est l’exacte vérité. Bien que cette affirmation risque de décevoir le lecteur, le philosophe ne peut qu’emprunter la bonne voie qui mène au bonheur. Il ne peut que s’en approcher. Seul l’être parfait peut être heureux. Le chemin de la sagesse cherche à se rapprocher de la divinité. À l’image de la peinture de Michelangelo Buonarroti (alias Michel-Ange), le philosophe est cet Adam (ou l’homme) qui cherche à toucher à la divinité.

La finalité de l’âme, soulignent les deux philosophes grecs, est d’être belle, c’est-à-dire qu’elle doit remonter à son origine afin de connaître sa vraie nature. Platon parle longuement, dans les Lois, de l’âme en comparant l’âme individuelle et l’âme divine. Cette dernière gouverne et habite dans tout ce qui se meut et elle gouverne aussi le ciel. Elle est une âme douée de toutes les perfections. Or, si elle est parfaite, la raison est qu’elle gouverne selon !’intelligence. Elle est l’Intelligence qui dirige avec sagesse car elle conduit tout au bonheur. Ce que l’histoire ne révèle pas, c’est que la sagesse est une voie qui mène au bonheur. Aucuns dialogues socratiques ne promettent au philosophe un accès concret au bonheur. La sagesse ne peut que le guider.

Une âme bonne se trouve nécessairement sur le chemin du bonheur. Mais, la condition essentielle de cette âme bonne est d’être réglée et ordonnée. Une âme bonne, c’est-à-dire qu’elle est bien réglée et tempérante, doit savoir arranger et de disposer des choses de bonnes manières. Car, avant de classer et d'agencer convenablement les choses, l’âme doit elle-même être arrangée et ordonnée. L’âme servira alors de point de repère au philosophe. Il devient le premier objet d’étude de l’amoureux de la sagesse. Par la suite, sa seconde mission sera de connaître l’âme des âmes, c’est-à-dire l’âme divine.

Il faut toujours se rappeler que le but est le bonheur. Et l’âme doit impérativement cultiver la philosophie car elle a besoin d’une vie réglée. La maîtrise d’elle-même devient par conséquent une qualité à reconquérir par la voie de la philosophie. Toutes les qualités sont importantes au philosophe car la perfection les exige toutes. La philosophie doit alors connaître toutes les qualités de l’âme pour les utiliser à bon escient. Il faut qu’il retrouve en lui tout ce que la mémoire lui a fait oublier en redescendant dans le monde sensible. La réminiscence devient alors un outil d’une importance capitale. La remémoration des vertus de l’âme permet aux philosophes de retracer les indications divines laissées sur le chemin de la sagesse. Il

Il existe, annonce Socrate, un désir commun à tous les êtres humains : que tout arrive au gré de notre âme. La raison est que les actions doivent être à l’image de l’âme, c’est-à- dire réglée et ordonnée selon l’Intelligence. Plus encore, les actions doivent être orientées vers le bien. Socrate ajouterait que la fonction de l’âme est de surveiller, de commander et de délibérer. L’idée de l’âme devient alors indispensable à la morale. L’éthique socratique passe inévitablement par la connaissance de l’âme. Désormais, les principes des actions morales reposent sur la science divine qui a pour objet l’âme. L’âme cache en elle la connaissance de l’immuable, de l’inchangeable et divine qui est la cause de tous les mouvements. L’éthique a besoin de ces causes divines pour orienter ses actions vers le bien.

L’étude de l’âme apprend qu’il y a deux choses dont il doit prendre soin : d’abord le philosophe doit accroître sa confiance autant que possible. La deuxième est qu’il doit porter ses craintes au plus haut degré possible. Le vertige est à déconseiller. Le rôle de la