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Platon, Phédon 99c

D. Description ou qualités du Philosophe

1 Platon, Phédon 99c

qui cherche à se perfectionner en se rendant aussi vertueux que possible. Or, tout cela se passe dans F âme. Alors que les plaisirs du corps sont sans cesse changeants, ceux de l’âme sont stables. Par exemple, lorsqu’une personne est prudente, alors elle le restera tout le long de sa vie. Les plaisirs de la connaissance sont permanents dans l’âme alors que les désirs du corps se renouvellent à chaque jour. Le philosophe peut jouir à tous les jours de la connaissance qu’il acquiert au cours de ses études sans être obligé, contrairement aux plaisirs du corps, de recommencer quotidiennement à étudier de nouveau le sujet.

Platon associe, dans les Lois 1, la vérité et le bonheur. Pour lui, un philosophe ne peut pas être heureux s’il vit dans le mensonge. Une fois de plus, le divin philosophe rapproche la vie des dieux et de celle des hommes. L’argument est de dire que si les dieux sont heureux parce qu’ils possèdent la vérité, alors il en sera de même pour l’apprenti philosophe qui cherche à ressembler aux dieux. La vérité est le premier de tous les biens, aime répéter Platon. Il est absolument nécessaire de posséder la vérité si le philosophe désire avoir une juste idée des dieux. C’est pourquoi il doit la rechercher s’il veut être en mesure de se conformer à la vie des dieux.

Le philosophe sait ce qu’il sait et sait ce qu’il ne sait pas. Les erreurs de conduite proviennent du fait que l’on pense savoir alors qu’il n’en est pas ainsi. Il est nécessaire que le philosophe s’interroge dès le départ sur ce qu’il sait et sur ce qu’il ignore. Cela lui permettra de se situer dans le chemin de la sagesse et de rechercher les éléments qui lui manquent afin de combler le vide intellectuel qui le sépare du monde intelligible. S’il désire savoir où il en est rendu dans sa progression vers la divinité, il est important qu’il se situe par rapport aux dieux. Mais, il faut surtout connaître les choses importantes, et non celles qui ne sont point dignes du philosophe. Il est à dire que ce qui est important, c’est de reconnaître que l’on ne sait pas. Quels sont les signes de cette ignorance ? D’abord, mis à part la double ignorance ci-haut mentionnée, Socrate dit que la personne qui sait ne change pas d’opinions d’un discours à l’autre. Le discours vrai est un et inchangeable. Donc, un discours contradictoire est une marque de la méconnaissance

d’un auteur sur un sujet donné. Un esprit qui ignore ne peut que former des opinions flottantes.

Le troisième indice de l’ignorance est la personne qui commet des fautes. En effet, selon Socrate, celui qui sait ne commet pas de fautes. Ou encore, celui qui ne sait pas s’en remettra à un autre pour accomplir une tâche précise. La société occidentale est remplie de cas de ce genre. C’est ce que les gens appellent une société de services. Le dicton est simple : si tu ne peux faire quelque chose par toi-même, fais-le faire par un autre. Socrate dénonce cette attitude, dans le Protagoras 1 où les sophistes font profession de marchands de connaissances. Le danger est grand si la personne ignore à qui elle remet son âme. Le philosophe ne doit pas mettre son âme entre les mains de ces soi-disant professionnels de la connaissance que sont les sophistes. Les conséquences peuvent être catastrophiques. La question de l’ignorance sous-entend le problème du maître idéal. Il ne s’agit pas seulement de se demander de quoi l’âme se nourrit, mais par qui est-elle alimentée ? Voilà les propos de cette citation.

Et de quoi, Socrate, une âme se nourrit-elle ? - De connaissances, sans nul doute ! répondis-je. Et, mon camarade, ne nous laissons plus abuser, en vérité, par les éloges que fait le sophiste de ce qu’il vend, que, en ce qui concerne l’entretien du corps, par ceux du commerçant en gros ou en détail. De fait, ceux- là, je pense, ne savent pas personnellement, dans les marchandises qu’ils colportent, ce qu’il y a de bon et de mauvais à l’égard du corps, et ils font l’éloge de ce qu’ils vendent ; ni ne le savent ceux qui les achètent, à moins qu’il ne s’en trouve un qui soit maître de gymnase ou médecin ! Or, il en est de même aussi pour ceux qui colportent les connaissances de cités en cités, qui les vendent, qui les détaillent à celui qui, en chaque cas, en a envie ; ils font l’éloge de tout ce qu’ils vendent, quoiqu’il y en ait parmi eux, c’est fort possible, qui ignorent, excellent homme, ce qu’il y a, dans ce qu’ils vendent, de bon ou de mauvais à l’égard de l’homme ; et de même chez ceux qui les achètent, à moins qu’il ne s’en trouve un qui, cette fois, soit un médecin pour ce qui a trait à l’âme (...) 1 2

Socrate insiste sur le fait que le hasard n’est pas un bon maître 3. Plusieurs vulgaires vont justement se fier sur lui pour décider de leurs actions. Les connaissances entrent

1 Platon, Protagoras, 313c 2Ibid, 313b-d

dans notre âme sans qu’elles soient vérifiées par un expert. Leurs effets peuvent être néfastes. Le philosophe doit éviter ce piège grâce à deux choses : l’opinion vraie et la science. Ils sont, pour l’homme qui les possède, les meilleurs guides qui le mèneront vers le Bien. Le travail du philosophe est justement de se libérer de ces mauvaises connaissances qui empoisonnent et emprisonnent l’âme humaine dans le monde sensible et elles la détournent de sa mission première : la connaissance divine.

Socrate ajoute que si une personne ignore ce qu’il faut faire, alors elle agira forcément mal. Et si cet individu agit mal, alors il sera malheureux. Voilà pourquoi le sage doit savoir ce qu’il faut faire afin de parvenir au bonheur. La plus grande ignorance, ajoute Platon à la fin de sa vie, est une âme qui se révolte contre la science, le jugement et la raison. Les sages détestent ce qu’il faut aimer et ils aiment ce qu’il faut détester. Et l’une des choses qu’il faut impérativement détester est le vice.

Une autre caractéristique du philosophe est qu’il dit toujours la vérité. Il faut préciser que le philosophe dit toujours ce qu’il croit être la vérité. Sinon, précise Platon, le philosophe commettrait une impiété. Il faut se souvenir que le philosophe est un amoureux de la vérité et de la perfection. Mais, comment parvenir à la vérité ? Pour Platon, il faut éliminer les éléments irascibles de notre cœur comme la colère. Il faut réveiller l’élément raisonnable de notre âme en la nourrissant de belles pensées pour qu’enfin le prisonnier puisse quitter le fond de la caverne.

Mais, plus encore, le philosophe doit reconnaît la vérité et l’admettre comme telle. Qu’est-ce à dire ? Le philosophe ne s’obstine pas dans le but de gagner un débat ou une thèse qui lui est chère. Il ne doit pas se comporter comme un sophiste. Si l’interlocuteur avance une proposition vraie, il est bon pour les deux de la prendre comme point de départ afin d’avancer dans la connaissance.

De plus, dans le Gorgias 1, Socrate dit qu’une autre condition essentielle pour chercher la vérité est de toujours dire sa vraie pensée. Si l’interlocuteur peut enlever de notre âme

l’idée fausse qui l’habite, alors cela n’est qu’un pas additionnel dans le chemin de la connaissance. Or, il est important de découvrir ce qu’est la chose avec la plus exacte précision. La recherche de la perfection passe par l’épuration des fausses notions qui habitent dans l’âme humaine. Les opinions fausses empêchent le philosophe d’emprunter la bonne route. De plus, aucuns signes divins ne peuvent être mensongers puisqu’ils proviennent des dieux. Or, il n’est pas dans la nature des dieux de mentir.

Socrate était entêté et parfois même insupportable. La vérité est le seul intérêt pour le philosophe. Rien n’est plus important qu’une pensée vraie qui connaît les causes. L’entêtement de Socrate n’était pas le résultat d’une perpétuelle obstination à la manière des sophistes qui cherchent à gagner un débat à tout prix mais il s’agit d’une persévérance qui cherche sans cesse la vérité. Il n’était pas question pour le philosophe d’Alopèce de changer d’opinions pour plaire à ses locuteurs. Il faut que la dialectique conduise à la vérité. Le philosophe doit toujours s’incliner devant la majestueuse vérité. C’est le seul et unique moment où il changera son fusil d’épaule. Les gens confondent parfois le philosophe et le sophiste parce que les deux sont occasionnellement perçus comme des êtres obstinés. La différence entre les deux est que l’un est entêté parce qu’il désire acquérir avant tout la vérité alors que l’autre veut faire triompher son opinion à tout prix. Socrate acceptait aisément d’être réfuté si cela lui permettait de le délivrer du plus grand des maux : l’ignorance.

L’une des missions du philosophe est non seulement de découvrir les vérités, mais Socrate et Platon insistent pour dire qu’il doit également les enseigner. Il doit les transmettre aux jeunes pour les rendre aussi vertueux que possible. Étant donné que le philosophe sait ce qu’est le juste, le beau et le bien, il sera capable de les expliquer en disant en quoi ils consistent et comment les pratiquer afin de parvenir au bonheur. Mais, pour ce faire, le philosophe doit remplir certaines conditions.

D’abord, pour élever la jeunesse, le philosophe doit donner l’exemple. Cette éducation doit s’appliquer non seulement aux jeunes mais au philosophe lui-même. Le philosophe éducateur doit faire la preuve que son enseignement n’est pas que pures rêveries. En

pratiquant lui-même la vertu, il sera alors plus facile de convaincre les jeunes de suivre ses traces. Platon semble rejeter un enseignement où on reprend les jeunes. Il insiste surtout sur l’aspect du modèle. Le philosophe doit servir de modèle. Et ce modèle doit s’appliquer de toutes ses forces, par l’éducation et l’étude, à montrer qu’il est bon de fuir le vice et il est avantageux de pratiquer la vertu.

La deuxième façon d’élever la jeunesse est de les amener à acquérir en très bas âge des bonnes habitudes et de leur faire pratiquer les vertus. La plupart des philosophes grecs accordent une grande importance sur !’acquisition des bonnes habitudes en bas âge. De fait, la raison est que la jeune personne qui acquiert très tôt de bonnes habitudes sera capable d’emprunter le chemin de la sagesse plus rapidement que le jeune enfant qui a contracté de mauvaises mœurs. En effet, dans un premier temps, le philosophe sera obligé de reprendre son éducation en le soumettant à une série d’exercices qui le déconditionneront de ses préjugés sociaux acquis au cours de ses études antérieures. Comme il a été ci haut mentionné, le philosophe doit être capable de donner et de comprendre la raison de chaque chose et plus particulièrement des chosès divines. S’il désire que les jeunes empruntent le chemin de la sagesse, le philosophe doit rendre raison des réalités immatérielles qui lui servent de guides.

Le souci de ne dire que la vérité ou ce qu'il croît l'être est le trait de caractère du philosophe qui revient le plus souvent dans les dialogues platoniciens. Seule la vérité lui plaît. Pour Socrate, le sage qui ment volontairement commet une impiété envers les dieux. Le sage est l'ami de la vérité, de la justice, du courage et de la tempérance. Il ne doit jamais acquiescer à ce qui est faux, ni de cacher ce qui est vrai. Le philosophe se rallie toujours en faveur de ce qui est le plus vrai. Le véritable philosophe aime le spectacle de la vérité. Plus encore, Socrate ajoute que le philosophe est toujours sincère et il a une disposition naturelle de ne point admettre volontairement le mensonge, mais surtout à le haïr et à chérir la vérité. Le sage ne s'emporte jamais contre la vérité puisqu'il cherche à connaître la vérité. Le philosophe fonde ses preuves sur l'essence et non sur les apparences. C'est pourquoi la connaissance de la vérité est indispensable. Puisque le philosophe aime apprendre, alors il prend inévitablement plaisir à connaître la vérité. Le

mensonge provient généralement d'un jugement porté sur des apparences. Le philosophe sait précisément reconnaître les gens qui parlent bien ou mal sur les choses. Comment les identifie-t-on? Le meilleur indice est le suivant : la vérité amène à un discours unique car la personne qui est dans le vrai répond et dit toujours la même chose. Les réponses généralement contradictoires ou variantes sur une chose sont une marque infaillible que l'interlocuteur ne connaît pas l'objet de la discussion. Il n'est jamais permis de tenir deux langages différents sur la même chose. Il n'existe qu'un seul discours sur un seul objet. Une pensée égarée engendre un discours à plusieurs visages. Contrairement aux sophistes, le philosophe a de beaux discours et libres entretiens où il recherche la vérité avec passion et par tous les moyens dans le seul but de la connaître. Le sage doit toujours dire la vérité. Or, il choisit dans la vérité ce qu'il y a de plus beau et il le dispose dans l'ordre le plus convenable. Ce qui le conduit ordinairement à bien parler. Le sage est habile à parler parce qu'il dit la vérité. Si, lors d'un entretien, il arrive qu'il soit incapable de fournir une réponse convenable, il ne doit pas hésiter à se gronder et à se fâcher contre lui-même. Il doit se promettre de revenir à la charge après s'être instruit auprès des autres. Il doit remettre à nouveau de l'ordre dans ses idées en approfondissant davantage le sujet. Les « peut-être » ou encore « il est probable que » ne sont pas des réponses acceptées et acceptables pour le vrai philosophe. Pour être parfaitement disposé à communiquer avec la justice, l'âme du philosophe doit être forte pour saisir toute la vérité. Toutes ces expressions sont de l'ordre de la spéculation et de l'opinion qui reposent sur l'incertitude. Or, la vérité décrit l'Être et non sur ce qui semble être.

Qu'apporte concrètement la vérité pour le cheminement du philosophe vers la sagesse? La sagesse lui fait connaître la vérité lui permet de faire les choses avec sûreté et confiance. La vérité est le point de repère par excellence pour orienter adéquatement le philosophe sur le chemin de la béatitude. Elle est le seul moyen mis à la disposition du philosophe pour se diriger sans détour vers la sagesse divine. Elle est à vrai dire la seule chose vraiment digne de confiance. Elle permet d'élever le philosophe vers le monde divin en le délivrant du monde des opinions des vulgaires. C'est ce qu'exprime la célèbre expression socratique dans le Gorgias qui dit qu'il vaut mieux pour moi avoir « une lyre mal accordée et dissonante, diriger un chœur discordant et me trouver en opposition et en

contradiction avec la plupart des hommes que d'être seul en désaccord avec moi-même et de me contredire » \ La vérité n'a qu'un seul discours et non plusieurs comme c’est le cas pour les vulgaires. La vérité est également une affaire personnelle. Elle fait partie du mode de vie du philosophe. Elle est même nécessaire. La vérité a également une connotation éthique. Elle joue un rôle primordial dans les actions du philosophe. Elle le guide, le conseille et le propulse vers les hautes cimes divines. Elle est une bouée de sauvetage au milieu de l'océan d'opinions. Elle est la seule qui est digne de confiance.

VIII.

La méthode philosophique : La dialectique

La dialectique est l’outil de la science qui permet d’accéder à la vérité. Contrairement à Aristote de Stagire qui distingue nettement les différentes parties de la philosophie, Platon ne semble pas s’être préoccupé à définir les différents outils de la philosophie. Du moins, ces traités ne donnent aucunement le droit de dire que Platon ne se soucia guère des questions de la division de la science. Bien que Platon distingue clairement l’ignorance, l’opinion vraie et la science, il faut admettre que ce grand maître de la pensée ne divisa pas en différentes parties ce qu’il appelle la dialectique. Il est difficile de distinguer la rhétorique de la sophistique ainsi que la dialectique et de la science. Il semble que la science et la dialectique se rapportent à la même chose pour ce philosophe. Nonobstant ce léger problème, la mission de ce chapitre est de trouver tous les passages dans les dialogues qui abordent la question de la dialectique. Il s’agit de reconstituer en un tout cohérent !’ensemble des dialogues qui décrivent les différentes fonctions de la dialectique. Le travail est de constater l’importance de la dialectique dans la recherche de la sagesse.

Bien que le but ultime du philosophe soit le bonheur, il doit absolument acquérir un esprit synoptique, c’est-à-dire qu’un fois le travail dialectique ou scientifique complété, le philosophe doit être capable de saisir d’un même coup l’ensemble des choses divines. La marque distinctive du philosophe est ses objectifs. D’abord, il doit tendre vers un but unique qui consiste à connaître le Bien. Par la suite, il devient impératif qu’il se règle sur lui en l’embrassant tout d’une seule vue. Pour Platon, il n’y a pas de plus belle façon que d’examiner et de voir quoi que ce soit qu’en embrassant sous une seule idée plusieurs choses qui diffèrent entre elles. Cette recherche de l’essence immuable des choses sensibles doit le conduire vers une compréhension globale de chaque chose en elle- même. Le travail du dialecticien est donc de se rendre capable de donner et de comprendre la raison de chaque chose. La dialectique devient alors les directives à suivre pour parvenir à ces connaissances scientifiques. La dialectique platonicienne semble être davantage un bagage de recommandations ou de consignes que l’apprenti sage doit suivre afin de progresser vers la divinité. Les dialogues ne donnent pas l’impression que la dialectique est une discipline fermée sur elle-même, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une route pré déterminée à l’avance. La dialectique socratico-platonicienne est un ensemble de directives qui guident le philosophe à travers le monde sensible. Il faudrait plutôt dire qu’elle est un outil au service du philosophe pour parcourir la route qui mène à la