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Platon, Les Lois 904c 2 Ibid, 965d

D. Description ou qualités du Philosophe

1 Platon, Les Lois 904c 2 Ibid, 965d

pourtant, Socrate cherchait à convertir les citoyens athéniens à la vertu. Aristote aussi disait que tout le monde pouvait entrer dans la maison philosophique mais que peu d’entre eux allaient en sortir. Donc, il est permis de croire que les trois philosophes admettaient que la vertu pouvait être l’affaire de tout le monde. Et pourtant, le doute subsiste toujours. Si peu de gens vont parvenir à franchir toutes les étapes philosophiques, alors quelle est la cause qui expliquerait ces échecs si nombreux.

De toute façon, un argument n’élimine pas nécessairement l’autre. En effet, si l’homme vient au monde avec la capacité de pratiquer les vertus, il n’est pas évident qu’il deviendra vertueux. Que la vertu soit innée ou non, il est possible d’observer des actes vertueux. La problématique concerne plutôt la capacité à enseigner les vertus. La réponse de Platon est de dire que tous les êtres doués d’une âme subissent des changements dont ils portent en eux la cause. Autrement dit, les vertus feraient partie de l’âme.

Une autre qualité associée au sage est qu’il doit être calme et courageux. Il ne doit pas développer une mentalité enfantine, ni posséder une « attitude de femmes ». En effet, l’âme doit vivre dans l’ordre avec calme et constance. La fougue empêche le philosophe d’accéder au monde de la connaissance car elle brouille l’âme en lui faisant prendre des directions contraires. Les larmoiements et les pleurs n’aident aucunement à progresser dans le chemin de la sagesse. Les philosophes doivent apprendre à se maîtriser s’ils veulent franchir les échelons de la vie philosophique. Platon ne précise pas vraiment sa pensée lorsqu’il parle de l’attitude féminine. Pourtant, ses remarques auraient été un précieux atout. Quels auraient été les défauts que le philosophe doit impérativement chercher à se débarrasser pour détourner son regard du fond de la caverne ?

Troisièmement, le philosophe doit non seulement être doué d’une bonne mémoire, mais elle doit être constante et inébranlable. Socrate et Platon admettent volontiers qu’il faut plus qu’une vie pour franchir toutes les embûches de la vie philosophique. C’est pourquoi l’accent sur la mémorisation des connaissances est une qualité essentielle au philosophe. La piètre mémoire du philosophe l’oblige à recommencer continuellement son travail. L’oubli fait toujours retourner le philosophe à la case départ. Il faut toujours garder en

mémoire que l’âme, chez Socrate et Platon, apporte ses connaissances dans l’autre monde. Si la récompense du philosophe est de discuter, dans l’autre monde, avec les autres grands esprits, il doit alors conserver toutes ses facultés dignes d’une âme alerte pour les transporter avec elle dans cet autre univers. Mais, d’abord, il doit les développer autant que sa nature lui permet.

Quatrièmement, il est un amoureux de toute espèce de travail comme les études et les exercices. La paresse physique et surtout intellectuelle est à proscrire. Comment le reconnaît-on ? Le philosophe est sincère et il déteste par-dessus tout le mensonge. Il n’en a que pour la vérité. C’est pourquoi il chérit la science. Elle vise, non pas les fausses opinions et les mythes qui sont des produits de !’imagination, mais la vérité qui est un travail de la raison. Mais Platon ne précise pas dans les détails ce que sont ces exercices. Certains indices peuvent cependant être entrevus. Platon préconisait un type de scolarité que les Latins nommeront plus tard le trivium et quadrivium. Le trivium se composait de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique. L’importance des mots ainsi que l’apport du langage dans le travail philosophique que l’on retrouve tout particulièrement dans le Cratyle n’étaient pas aux yeux de Platon qu’une simple convention. Les mots avaient un rôle majeur dans !’éducation des philosophes. Les mots étaient pour le philosophe d’Athènes le reflet de la pensée. Ils seront donc le point de départ des autres exercices comme la rhétorique et de la dialectique.

La vision rhétorique de Platon et celle des Sophistes de son époque, tel que le dernier chapitre cherchera à l’établir, était diamétralement opposée. Pour Platon, la rhétorique cherche à convaincre les gens de poser telle ou telle action dans le but de faire le Bien alors que les Sophistes s’en servaient dans le seul et unique but de faire de l’argent. La dialectique, pour sa part, était une science qui avait pour mission de rechercher la vérité. La rhétorique et la dialectique part des opinions formulées par la pensée humaine et elles sont transmises par les mots.

Le quadrivium portait sur la musique, la géométrie, l’arithmétique et l’astronomie. La première concernait l’étude des harmonies tandis que les autres abordaient surtout les

questions mathématiques. Cette base éducationnelle était, pour Platon le point de départ de toute bonne étude philosophique. Elles ne suffisent pas, mais elles sont nécessaires pour Γ éducation des philosophes. Enfin, Γ astronomie cherchait à comprendre le monde céleste grâce à la rotation des astres. Les astronomes de l’époque voulaient comprendre la logique qui se cachait derrière la course des planètes et de leurs lunes. La première question qui vient à un jeune esprit qui lit ces lignes platoniciennes est de comprendre les raisons qui ont motivé Platon à insister tout particulièrement sur les mathématiques pour la découverte de la sagesse. Bien qu’il soit vrai que les mathématiques aident à former des esprits scientifiquement rigoureux, le problème est que les mathématiques font référence à !’imagination, et non pas à la raison. Bien que !’intelligence dépende de !’imagination pour fonctionner adéquatement, la géométrie et l’arithmétique n’ont seulement qu’une utilité pratique. Il est vrai que Platon chercha à comprendre le monde sublunaire en l’expliquant par des opérations mathématiques. Mais, ces disciplines ne peuvent pas fournir les causes des phénomènes. Comment peut-on expliquer la nature du Bien si ces matières ne peuvent pas aider le sage à comprendre le monde intelligible ? Pour Platon, il n’y a que !’intelligence seule qui puisse parvenir à une compréhension claire et distincte des Idées. Doit-on croire que les mathématiques, pour Platon, n’étaient qu’un tremplin pour la formation d’un esprit scientifique ?

Le philosophe est celui qui est capable de raisonner par lui-même. Plus important encore, il doit être en mesure, après une courte étude, de porter ses découvertes au-delà de ce qu’il a appris. Cela provient évidemment d’un talent authentique. L’apprenti philosophe ne doit pas toujours être à la remorque de son tuteur. Il doit apprendre au fur et à mesure de sa montée vers le haut de la caverne à raisonner par lui-même. Le chemin vers la perfection exige que le travail soit exécuté par le philosophe lui-même. Ce n’est pas seulement l’âme du professeur de philosophie qui doit chercher à monter vers le monde intelligible, mais celle du jeune apprenti aussi. De là l’importance pour Platon de la paideia. Une méthode de travail est nécessaire afin d’utiliser adéquatement toutes les connaissances apprises à l’intérieur des sciences. Le professeur doit servir de mentor. Sa tâche est de le guider vers le monde intelligible. Il doit l’aider à repérer et à déchiffrer les indications qui se trouveront éventuellement sur sa route. C’est peut-être la raison pour

laquelle, dans Γallégorie de la caverne, le prisonnier redescend dans la caverne. S’il n’y a pas un guide qui doit d’abord convaincre que le chemin de la sagesse est bien réel et qu’il peut être franchi, alors l’obtention de la sagesse ne reste que pure illusion. Le prisonnier devient alors la preuve vivante que le discours philosophique n’est pas une chimère.

Il est aussi de la marque du philosophe de s’étonner. Mais de quoi s’étonne-t-on ? Il existe deux possibilités. La première est que le philosophe va être étonné par la beauté et l’ordre qui se trouvent dans un objet quelconque. Par exemple, le philosophe peut être impressionné par la complexité du cerveau humain. L’arrangement et l’ordre sont des éléments qui ouvrent l’esprit sur une vision des choses qui le dépassent. Ou encore, il peut être épaté par le désordre et le chaos qui peut exister dans un même sujet. La politique est un bel exemple. Comment de nombreuses idées sociales contradictoires peuvent arriver à subsister au sein d’une même unité étatique ? Plus les contradictions sont grandes, plus l’étonnement prend de l’ampleur. Par exemple, comment une société arrive-t-elle à marier certaines idéologies sociales avec la religion capitaliste ? Comment est-il possible de faire coexister à la fois le cancer et la santé au sein du même organisme vivant ? L’étonnement joue donc un rôle primordial. Il ne s’agit pas de s’étonner bêtement devant une chose pour le simple plaisir de s’étonner, mais il est un outil certain qui permet au philosophe de découvrir à la fois les contradictions et les problèmes qui se trouvent dans un discours. L’étonnement est d’une certaine manière un outil dialectique.

Platon ajoute que la pudeur doit commander en maîtresse absolue pour quiconque désire être former à la vertu puisqu’elle délivre le sujet de la lâcheté qui l’empêche de devenir un être libre et intrépide. Voilà un premier pas vers la question de !’apprentissage de la vertu. Quel est le rôle de la pudeur ? Comment peut-elle délivrer quelqu’un de la lâcheté ? Socrate disait que le philosophe est une personne qui ne doit pas avoir des habitudes honteuses. S’il recherche véritablement la perfection, alors il doit apprendre à se débarrasser d’une attitude qui pourrait lui nuire. Une nuisance qui affecte l’esprit parce qu’elle corrompt l’âme au lieu de la libérer des maux quotidiens. De plus, un manque de pudeur peut développer, chez ses concitoyens, un mépris à son égard qui pourrait le chasser de la cité. Les conséquences de cette jetée hors des lieux civils peuvent affecter le

philosophe. De fait, la société est un besoin pour tout être humain. Elle procure à tout être humain un endroit où il est possible de combler ses besoins élémentaires et secondaires comme Γéducation et le droit de citoyenneté qui sert à Γépanouissement de tout individu. Il est donc utile au philosophe de ne pas se faire haïr au point d’être expulsé ou même condamné à mort. Mieux encore, il doit être utile aux autres membres de sa communauté. La dialectique, en autre, est une recherche en commun qui permet une instruction commune. La dialectique ne se pratique pas seule. Elle nécessite la présence d’une autre personne apte à discuter correctement.

Quels sont les pires ennemis du philosophe ? D’abord, la personne qui est rebelle aux sciences ou celle qui ne participe à aucunes discussions, à aucunes recherches, ni à aucuns exercices philosophiques. La perfection n’est pas un don divin. Le travail est laborieux. C’est pourquoi ce travail est une entreprise quotidienne. Il faut toujours être en recherche. Les plus grands esprits de la pensée comme Socrate, Platon, Aristote, Euclide ou Einstein n’ont jamais cessé de toute leur vie de poursuivre leurs recherches afin de découvrir les vérités liées à un objet d’étude particulier. Leurs recherches n’étaient pas un travail de parures. Ils s’identifiaient littéralement à leurs travaux. Ils ont consacré toute leur vie à une cause particulière. Si, pour l’un, sa recherche était de découvrir les vérités concernant la physique, pour d’autres, !’acquisition de la sagesse était leur priorité.

Un autre ennemi est la haine de la raison. Une personne peut être victime des discours erronés, mais elle ne doit pas développer une haine envers la raison. La dialectique est une discipline difficile. Il est aisé de se noyer dans la mer des opinions. C’est la raison pour laquelle elle a besoin de recourir à des moyens qui lui permettent de rester la tête au- dessus de l’eau. C’est pourquoi il est important d’acquérir une paideia. Bien que plusieurs prétendent qu’il faut se lancer à l’eau pour apprendre à nager, la natation a développé des techniques pour patauger adéquatement. Il en est de même pour la dialectique. Plusieurs personnes ont développé une phobie de l’eau car leur première expérience a tourné au désastre. Le même phénomène peut être remarqué en dialectique. Plusieurs étudiants abandonnent dès les premiers moments car la tâche leur semble trop difficile. Ils se tournent alors vers une autre discipline en pensant que la philosophie est

inutile et qu’ils perdent leur temps à aborder des sujets de conversation où l’espoir de trouver une réponse à leurs questions est sans issue. Un élément important de cette paideia est la capacité de juger. Le sage a toujours affaire à !’intelligence. Le sage se

distincte par sa capacité à juger adéquatement des sujets qui lui sont présentés.

Socrate insiste beaucoup sur le fait que le philosophe est une personne qui ne doit pas faire de mal volontairement. Il est entendu que le philosophe ne doit, en aucun cas, commettre d’actes injustes car ils punissent davantage la personne qui les commet que celle qui les subit. En effet, il est difficile pour l’amant de la sagesse qui recherche la perfection d’être atteint par l’un des plus grands vices humains qu’est l’injustice. Afin d’exclure toute forme de vices à l’intérieur de lui, le philosophe doit travailler sans relâche à exorciser l’injustice qui se trouve en lui afin de poser des actions vertueuses qui propagera le bien autour de lui. Le Lysis 1 soutient la thèse qu’une personne de bien ne peut qu’être attirée que par une autre personne de bien. C’est un argument qui recoupe les commentaires ci hauts sur la recherche d’un ami aussi parfait que possible. L’homme juste est potentiellement capable de transmettre cette vertu dans l’âme d’une autre personne. Le philosophe qui cherche à se perfectionner ne peut pas trouver un meilleur modèle que l’homme juste. S’il est possible d’apprendre ce qu’est le juste, c’est précisément au près de cet homme que le philosophe l’apprendra. Le côtoyer ne pourra qu’apporter le plus grand bien à l’élève qui cherche à s’élever vers les dieux.

Dans les Lois 1 2, Platon reprend cette idée socratique que le bonheur consiste à ne commettre aucune injustice. Mais, il ajoute un élément tout aussi intéressant en mentionnant que, non seulement, le philosophe ne doit commettre aucune injustice, mais qu’il doit également acquérir une force de caractère suffisamment développée afin de supporter toute forme d’injures et d’injustices. La condition essentielle est la probité. Ce rajout de Platon apporte une nouvelle dimension aux paroles de Socrate puisqu’il faut comprendre que ce qui attend l’apprenti philosophe est un travail de dure haleine. Mais, plus encore, l’homme de bien peut, malgré ses bonnes intentions, être injustement injurié.

1 Platon, Lysis. 214e