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Platon, La République, 503c-d

D. Description ou qualités du Philosophe

1 Platon, La République, 503c-d

Il est généreux. De plus, il est honnête envers tous ses concitoyens. Or, sans contredit, c'est le Banquet qui décrit le mieux à quoi ressemble le philosophe. Ce travail ne pourrait être complet s'il ne citait pas ce magnifique passage de ce grand traité. Ce passage décrit merveilleusement bien Socrate ainsi que le philosophe en général. Il débute de la façon suivante :

« Étant fils de Pôros et de Pénia, l'amour en a reçu certains caractères en partage. D'abord il est toujours pauvre, et, loin d'être délicat et beau comme on se l'imagine généralement, il est dur, sec, sans souliers, sans domicile; sans avoir jamais d'autre lit que la terre, sans couverture, il dort en plein air, près des portes et dans les rues; il tient de sa mère, et l'indigence est son éternelle compagne. D'un autre coté, suivant le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon; il est brave, résolu, ardent, excellent chasseur, artisan de ruses toujours nouvelles, amateur de science, plein de ressources, passant sa vie à philosopher, habile sorcier, magicien et sophiste. Il est par nature ni immortel; mais dans la même journée, tantôt il est florissant et plein de vie, tant qu'il est dans l'abondance, tantôt il meurt, puis renaît, grâce au naturel qu'il tient de son père. Ce qu'il acquiert lui échappe sans cesse, de sorte qu'il n'est jamais ni dans l'indigence ni dans l'opulence, et qu'il tient de même le milieu entre la science et l'ignorance, et voici pourquoi. Aucun des dieux ne philosophe ni ne désire devenir savant, car il l'est; et, en général, si l'on est savant, on ne philosophe pas; les ignorants non plus ne philosophent pas et ne désirent pas devenir savants; car l'ignorance a précisément ceci de fâcheux que, n'ayant ni beauté, ni bonté, ni science, on s'en croit suffisamment pourvu. Or, quand on ne croit pas manquer d'une chose, on ne la désire pas » 1.

Un autre trait de personnalité du philosophe est qu'il sait distinguer ce qu'est utile de ce qui ne l'est pas. Or, il est entendu que ce qui est utile procure quelques biens. Pourtant, le philosophe ne doit pas acquiescer à l'opinion de la multitude sur le bonheur qui consiste, pour eux, à !'augmentation des biens qui entraînent aussi une augmentation des maux. La corruption des objets nécessite de la part de leur propriétaire un remplacement sans fin. Le philosophe doit concentrer ses efforts sur la recherche de la communication divine. Son temps est très restreint à ce qui a trait aux objets sensibles. Ces derniers doivent aider le philosophe à poursuivre son but. Or, la plupart des vulgaires dépensent toute leur

énergie et leur précieux temps à renouveler à acquérir de nouveaux gadgets qu’inventent les marchands de la technologie contemporaine sans se soucier de leur âme. Socrate croyait que la seule chose que l'homme apportait avec lui dans l'Hadès était son âme. Or, les objets devaient l'aider à se perfectionner pour se présenter devant les dieux avec une âme pure. Seule l'âme avait une véritable importance aux yeux de Socrate. Il ne faut pas croire que le philosophe d'Alopèce dénigrait totalement les objets sensibles. Mais, ce qui est de l'ordre des moyens doit y rester. Contrairement à la croyance populaire, les objets de la technologie sont des moyens, et non des fins. Elles doivent apporter leur soutient aux actions humaines pour qu'ils puissent atteindre les objectifs qu'ils se sont fixés. Et pourtant, les âmes des vulgaires se laissent diriger par des moyens. Par exemple, il suffit de prononcer le mot «argent» pour faire apparaître tous les vices cachés au plus profond de leur être. Il est étonnant de constater qu'un seul homme peut en manipuler des milliers d'autres à cause du fait qu'il possède une importante somme d'argent. Les gens sont prêts à exécuter toutes les bassesses humaines pour se procurer de l'argent. Il s’agit pourtant d’un manque flagrant de pudeur et de dignité qui sont pourtant deux conditions nécessaires pour devenir vertueux. La pudeur fait du lâche un homme libre et intrépide.

Le seul souci du philosophe est de ne rien faire d’injuste et d’impie. Il ne doit pas agir, ni parler qu’en vue de la justice. Si le philosophe veut réellement combattre en faveur de la justice, il doit se confiner dans la vie privée et éviter la vie publique. Voilà ce qui distingue nettement la pensée politique de Socrate et celle de Platon. Pour l'un, la politique se pratique d'âme à âme, alors que, pour Platon, la politique est le travail de l'un pour influencer l'autre. Le philosophe, à la tête de la République et naturellement fait pour commander à cause de son éducation et de ses études, doit diriger et orienter les autres citoyens pour les conduire vers le bonheur. Pourtant le but est le même pour les deux philosophes : le bonheur pour tous. Alors que pour Platon, chacun possède une nature qui lui est propre, leur place est alors déterminée dans la société. Chacun joue le rôle social qu’il est capable d'assumer. Pour Socrate, chaque individu doit faire l'effort de s'élever vers la divinité en cherchant à se perfectionner. Bien qu’il ne soit pas dans la nature de tout le monde de parvenir à cette fin, il est tout de même du devoir de chacun de se perfectionner autant qu’ils le peuvent. Seul le philosophe peut arriver à cette fin

divine, soit à cause de son éducation, soit à cause de son don naturel ou de ses qualités innées. Pour Platon, le philosophe apprend à se maîtriser et à se perfectionner. C’est la raison qui justifie sa présence à la tête de la cité. Apte à diriger les êtres les moins parfaits, il est l’être le plus parfait. Pour Socrate, tout le monde doit apprendre à se gouverner eux-mêmes. Leurs âmes ont contemplé les choses divines. Il suffit donc, pour le philosophe, de les délivrer de leur double ignorance. Il n’y a que ceux qui parviendront à gravir les parois de la caverne qui pourront se souvenir à nouveau les beautés divines.

Le philosophe est un homme divin apte à la philosophie et il est digne d’elle. Socrate avance même que le philosophe est une personne, en vertu de quelques dispositions divines, qui s’adonne véritablement à la philosophie. L'homme de bien milite en faveur de la forme pure. Son bien avec le divin lui permet d'unir les parties de la vertu. Voilà pourquoi Socrate cherchait désespérément la définition de la vertu. Elle lui aurait permis de mieux organiser sa vie en unifiant les différentes vertus entre elles. Son amour de la divinité, fondé sur la vertu, lui permettrait d'aspirer à la perfection. D'ailleurs, les Thémiens ne décrivaient-ils pas Socrate comme un être divin ? Ses discours étaient, de premier abord, grotesques et répétitifs. Il aimait beaucoup utiliser des arguments « terre à terre ». Mais, une fois qu’ils étaient décortiqués, ils n'avaient pas leur pareil. Ils avaient une marque divine que les autres discours ne possédaient pas. Ses propos étaient, selon plusieurs témoins, les plus divins et les plus riches en images de vertu. Ils les invitaient à embrasser tout ce qu'il convient d'avoir devant les yeux pour devenir un honnête homme. Socrate, lui-même, disait que le philosophe était quelqu'un qui avait les yeux tournés vers l'océan de la Beauté. Qu’il enfante sans relâche de beaux et de magnifiques discours dont les pensées jaillissent en abondance à cause de son amour de la sagesse jusqu'à ce que son esprit bien organisé aperçoive une science unique : celle du Beau. Le Critias enrichit cette pensée lorsque Socrate parle de la décadence morale de l'Atlantide où il est possible de déceler une remarque pertinente à ce que doit faire le philosophe pour vivre heureux. Le philosophe d'Alopèce insiste beaucoup sur l'attachement du philosophe envers la divinité. Cet abandon conduit à des conséquences désastreuses.

« Pendant de nombreuses générations, et tant que domina en eux la nature du Dieu, les rois écoutèrent les lois et demeurèrent attachés au principe divin, auquel ils étaient apparentés. Leurs pensées étaient vraies et grandes en tout; ils usaient de bonté et aussi de jugement en présence des événements qui survenaient, et les uns à l'égard des autres. Aussi, dédaigneux de toutes choses, hors la vertu, faisaient-ils peu de cas de leurs biens : ils portaient comme un fardeau la masse de leur or et de leurs autres richesses, ne se laissaient pas griser par l'excès de leur fortune, ne perdaient pas la maîtrise d'eux-mêmes et marchaient droit. Avec une clairvoyance aiguë et lucide, ils voyaient bien que tous ces avantages s'accroissent par l'affection réciproque unie à la vertu, et qu'au contraire, le zèle excessif pour ces biens et l'estime qu'on a font perdre ces biens eux-mêmes, et que la vertu aussi périt avec eux. Par l'effet de ce raisonnement et grâce à la présence persistante du principe divin en eux, tous les biens que nous venons d'énumérer ne cessaient de s'accroître à leur profit. Mais, quand l'élément divin vint à diminuer en eux, par l'effet du croisement répété avec de nombreux éléments mortels, quand domina le caractère humain alors, incapables désormais de supporter leur prospérité présente, ils tombèrent dans l'indécence. Aux hommes clairvoyants, ils apparurent laids, car ils avaient laissé perdre les plus beaux biens les plus précieux. Au contraire, aux yeux qui ne sait pas discerner quel genre de vie contribue véritablement au bonheur, c'est alors qu'ils semblèrent parfaitement beaux et bienheureux, tout gonflés qu'ils étaient d'injuste avidité et de puissance » \

L’expression socratique «ceux qui ne philosophie pas sont misérables» entre coupe cette dernière citation. Le bonheur passe, pour Socrate, par la conformité à la pensée divine. Or, la philosophie propose la voie pour atteindre cette perfection. Socrate prenait un plaisir sans égal à entendre parler de philosophie et de son utilité. Le philosophe se préoccupe surtout de vivre et de penser. Il se tient éveillé le plus longtemps possible en évitant de long repos et il s'en tient à ce qui est utile à sa santé. Il mène une vie réglée et il se contente de ce que chaque jour lui apporte. D'un caractère modéré, calme et ferme, il est toujours égal à lui-même. Être conséquent avec lui-même, Socrate va jusqu'à dire que le philosophe ne connaît aucuns vices. Difficile à imiter, il est facilement reconnaissable lorsqu’il devient attentif, éveillé et plein d'idées devant les questions de vertus. Son discours s’enflamme, ses yeux s'illuminent et son âme s'ouvre aux autres.

Il est possible d'établir un parallèle avec le célèbre démon de Socrate. Il est à se demander si Platon n'a pas quelque peu exagéré la fonction «messager» pour montrer aux lecteurs l’attachement que porte le philosophe à la divinité. Ce démon, disait Socrate, le détournait de ce qu’il proposait de faire mais il ne le poussait jamais. Ce δαίμων est semblable à la description du philosophe en matière d'éducation. Le philosophe ne peut pas forcer quelqu'un à agir de telle ou telle manière, mais il peut drôlement l'influencer et même le détourner de ses intentions en lui servant de modèle. Les dieux suggèrent, mais ils ne dictent pas leur volonté. L'homme est un être entièrement libre. Le travail de Socrate était de concilier l'être humain et le besoin de remonter jusqu'à la divinité pour parvenir au bonheur. L'un est indissociable de l’autre. Le démon socratique était-il une autre astuce de Platon pour démontrer à ses élèves toute l'importance de la divinité en ce qui concerne !'acquisition du bonheur? Il est peut-être aussi vrai que les dieux, par l'entremise de ce démon, voulait détourner Socrate des vicissitudes de la vie. D'ailleurs, une thèse n'exclut pas l'autre. Platon a probablement profité de ce δαίμων pour faire ressortir l'importance de vivre avec une pensée tournée vers les dieux.

CHAPITRE HI

La Philosophie (ou le chemin de la sagesse)

I. Introduction

Chez Socrate et Platon, la philosophie et la sagesse sont indissociables. En fait, ces deux mots définissent la même chose. La philosophie et la sagesse sont le chemin qui mène à la divinité. La philosophie est une voie qui guide le philosophe vers la divinité. Par conséquent, le philosophe est une personne qui emprunte le chemin de la sagesse. Pierre Hadot ajoute, à juste titre, que « la philosophie est amour et recherche de la sagesse, et la sagesse est précisément un certain mode de vie » 1. L’objectif est le même : le bonheur. Ce même auteur écrit admirablement bien que :

«Si la philosophie est l’activité par laquelle le philosophe s’exerce à la sagesse, cet exercice consistera nécessairement non pas seulement à parler et à discourir d’une certaine manière, mais à être, agir et voir le monde d’une certaine manière. Si donc la philosophie n’est pas seulement un discours, mais un choix de vie, une option existentielle et un exercice vécu, c’est parce qu’elle est désir de la sagesse» 1 2

Une étude attentive des dialogues platoniciens permet de constater que les deux philosophes emploient le même mot pour désigner la même réalité. Un parallèle peut facilement s’établir entre la conception socratico-platonicienne de la sagesse et la définition de la philosophie. Bien que la sagesse sera étudiée dans un texte ultérieur, il serait utile pour ce travail de relever certains indices laissés par Socrate et Platon sur leur conception de la philosophie. Ce troisième chapitre sera entièrement consacré à l’étude portant sur la philosophie et de ses indications qui peuvent mener à la divinité. Il est pratiquement impossible de définir le philosophe sans une compréhension adéquate de la philosophie. Ce présent chapitre serait dénudé de sens si la philosophie n’était pas

1 OU est-ce que la philosophie antique ?. par Pierre Hadot, Gallimard, Paris, 1995, p. 161 2 Ibid, p. 334

analysée sous tous ses angles. Le but du philosophe, tel qu’explicité ci haut, n’est pas la pratique de la philosophie pour elle-même, mais parce qu’elle fournit les indications nécessaires pour parvenir au bonheur.

La philosophie ne doit pas être une discipline universitaire étudiée pour elle-même. Elle est la voie qui mène au bonheur. Pierre Hadot dit qu’avant de se convertir « à ce mode de vie qu’est la philosophie, il faut donner une idée de ce qu’est la philosophie » 1. Tout chemin est composé d’un début, d’un milieu et d’une fin. Si la maïeutique est le point de départ pour emprunter la voie philosophique et que le bonheur est le but poursuivit par le philosophe, alors la philosophie est le milieu. Tout chemin demande des préparatifs qui serviront tout au long du voyage. Par exemple, la navigation exige des cartes, une boussole, des indications ou des points de repère comme les étoiles. Du capitaine, elle exige également une parfaite maîtrise de son art qui lui permet d’user adéquatement de ces outils de navigation pour assurer aux passagers l’atteinte de la terre promise. Il en est de même de la philosophie. Elle exige de la part des philosophes une maîtrise de certains outils intellectuels de base et d’une certaine disposition de l’âme afin de parcourir adéquatement le chemin philosophique. Les philosophes oublient souvent que la philosophie comporte aussi une fin. La philosophie n’est pas une discipline qui contient plusieurs outils indépendants les uns des autres. La logique et la dialectique sont des instruments qui servent à franchir les étapes de la vie philosophique. Pour Socrate et Platon, l’étude de la dialectique ne fait sens que si elle reste incorporée à la philosophie. Une dialectique sans la voie philosophique est comme un bras humain sans corps. Les parties de la philosophie ne doivent être prises à part. Elle doit fixer leur regard sur la finalité première de la philosophie : le bonheur. Nombreux sont les professeurs de philosophie qui sont malheureux car ils enseignent une partie de la sagesse qui est complètement sorti de son contexte. La cardiologie est nécessaire à la médecine si elle ne perd pas de vue la finalité première de cet art : la santé corporelle.

Il est maintenant nécessaire de trouver les indications subtilement laissées par Platon où il décrit la philosophie. Plus encore, ce chapitre propose de montrer au lecteur les grandes lignes directrices de la philosophie socratique. D’abord, les textes platoniciens fournissent quelques indications sur la voie à suivre pour traverser la vie de la meilleure façon possible. D’abord, la philosophie représente tout le chemin (le début, le milieu et la fin) définit par la divinité que doit suivre le philosophe pour parvenir au bonheur. La dialectique est une partie de la philosophie et non la philosophie elle-même. Le logicien est un être qui étudie les instruments de la raison pour mieux interpréter les indications divines qui se trouvent sur le chemin de la sagesse pour le guider dans sa montée vers la divinité. Une grande quantité de gens se disent philosophes parce qu’ils se spécialisent dans une branche précise de la philosophie. La connaissance spécialisée de la disposition des étoiles qui s’appelle l’astronomie ne donne pas au voyageur l’assurance qu’il atteindra son objectif. L’astronomie est une connaissance utile pour parcourir les mers avec une certaine assurance. Mais, cette connaissance n’est pas la destinée souhaitée. Le pilote n’étudie pas l’astronomie pour elle-même mais parce qu’elle lui permet de mieux comprendre la circularité de la terre par rapport à lui. Donc, les étoiles lui permettent de se situer par rapport à un point fixe. Le logicien n’est pas un philosophe parce qu’il connaît les règles de la logique mais parce qu’il se sert de cet outil pour parcourir le chemin de la sagesse. Un pilote est une personne qui est capable, grâce à son art, de parcourir un chemin précis pour parvenir à une destination précise. Le philosophe est un être humain qui emprunte le chemin de la sagesse dans le but d’escalader les parois de la caverne qui mènent à la divinité. Il

Il faut simplement réaliser que ce parcours est pré déterminé par la divinité. Platon rappelle que le chemin qui mène à la divinité n’est pas un parcours pavé d’idéologies imaginaires et de préjugés humains. Le philosophe peut interpréter incorrectement les indications, mais le chemin reste tout de même fixe, inchangeable, immuable. Il n’y a qu’une voie et il n’existe qu’une seule façon de suivre le chemin. Il y a dans l’homme un