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Platon, Charmide 73a

D. Description ou qualités du Philosophe

1 Platon, Charmide 73a

La sagesse passe évidemment par la connaissance des choses. Pourtant, Socrate cherchait quelque chose de plus qu’une simple connaissance de la science et de l’ignorance. Le Charmide cherche désespérément une science du Bien et du mal qui contribue le plus au bonheur. Les deux interlocuteurs de ce dialogue se sont mis d’accord sur le fait que la sagesse n’est ni la science de la science, ni celle de l’ignorance. Elle n’est pas non plus une science qui a un pouvoir additionnel sur les autres sciences. Pourtant, les deux Grecs refusent de nier que la sagesse est un grand bien qui conduit au bonheur pour celui qui la possède. La connaissance de la science et de l’ignorance est plutôt vue comme un avantage qui permet au philosophe de se diriger dans le chemin de la sagesse. Cette science est un moyen et non une fin en soi. Le but n’est pas la connaissance pour elle-même mais parce qu’elle contient des directives utiles à la poursuite de la sagesse.

La sagesse consiste à se connaître soi-même. Socrate et Platon signalent que le philosophe doit tout connaître dont lui-même. Par définition, l’homme est un animal raisonnable. Bien que l’homme soit d’abord un animal, le philosophe étudie davantage l’aspect de la raison parce qu’elle fait de lui toute sa spécificité. L’homme est plus qu’un simple animal. Il est un être qui peut participer à la divinité grâce à sa capacité rationnelle. Les êtres humains possèdent en eux quelque chose de divin : !’intelligence. Cet héritage divin est le point central de toute la philosophie. Le travail philosophique se déploie dans toute son extension lorsqu’elle se penche sur cette pensée divine. L’introspection de l’âme est la seule façon de remonter vers la divinité. Le sage prend d’abord soin de son âme, et non de ce qui est à lui. L’étude de l’âme est une connaissance essentielle à la sagesse. Pour Socrate et Platon, !’inscription de Delphes placée au fronton du temple de cette ville indique aux hommes la voie divine à suivre pour parvenir au bonheur.

Auparavant, cet examen avait pour but de trouver les vrais sages. Socrate était conscient que peu de gens étaient capable de l’aider dans sa recherche de la divinité. Seuls les vrais sages, c’est-à-dire les savants de l’époque qui s’intéressaient également à la question de la sagesse, pouvaient réellement l’appuyer dans sa démarche divine.

Beaucoup d’ Athéniens se disaient sages. Il s’agissait alors de départager les faux sages des vrais savants. C’est pourquoi un examen devenait absolument nécessaire. Les textes platoniciens montrent un Socrate qui ne cherche pas tant une réponse à une question précise mais ils décrivent un philosophe qui veut trouver quelqu’un qui pourrait le guider à travers les obstacles de la vie philosophique. Il est drôle de le dire, mais Socrate cherchait un guide. Un être humain capable de lui apprendre à décoder les indications divines. Dieu laisse un tas de petits indices à travers la Nature qui sont des pistes qui permettent de débroussailler la réalité. La dialectique sera l’outil qui permettra au philosophe de se démêler dans la mer des opinions.

Socrate se disait philosophe, et non pas divin. Quelle est donc la différence entre les deux ? Diotime, dans le Banquet, aide le lecteur à répondre à cette interrogation. Elle compare l’amour à un démon qui serait un intermédiaire entre les mortels et les immortels. Ce démon serait un messager qui permettrait une probable communication entre les dieux et les hommes. Mais cette comparaison, rapportée par Platon, peut être interprétée de diverses manières. La première façon de le comprendre est de lire une description très claire de Socrate. La citation se lit comme suit :

« Et maintenant, voici en quelle fortune Amour se trouve placé, en tant qu’il est fils d’Expédient et de Pauvreté. En premier lieu, toujours il est pauvre, et il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau comme la plupart des gens se l’imaginent ; mais, bien plutôt, il est rude, malpropre ; un va-nu- pieds qui n’a point de domicile, toujours couchant à même la terre et sans couvertures, dormant à la belle étoile sur le pas des portes ou dans la rue ; tout cela parce que, ayant la nature de sa mère, il fait ménage avec l’indigence ! Mais, en revanche conformément à la nature de son père, il guette, embusqué, les choses qui sont belles et celles quoi sont bonnes, car il est vaillant, aventureux, tendant toutes ses forces ; chasseur habile, ourdissant sans cesse quelque ruse ; curieux de pensée et riche d’idées expédientes, passant toute sa vie à philosopher ; habile comme un sorcier, comme inventeur de philtres magiques, comme sophiste. De plus, sa nature n’est ni d’un immortel ni d’un mortel ; mais, le même jour, tantôt, quand ses expédients ont réussi, il est en fleur, il a de la vie ; tantôt au contraire il est mourant ; puis, derechef, il revient à la vie grâce au naturel de son père, tandis

que, d’autre part, coule de ses mains le fruit de ses expédients ! Ainsi, ni jamais Amour n’est indigent, ni jamais il est riche \

Platon veut souligner la démarche et l’attitude de Socrate. Cette citation indique clairement les qualités que le philosophe doit acquérir pour franchir le chemin de la sagesse. D’autres verront la nature de l’amour. Les deux thèses sont exactes. Elles se rejoignent car elles sont deux intermédiaires. Le philosophe est entre le savoir et l’ignorance alors que l’amour se situe entre l’appétit et le Bien. C’est ce qui explique que les philosophes sont des gens qui aiment la sagesse. Ils ne la possèdent pas encore, mais ils ont déjà fait le premier mouvement pour l’acquérir. Voilà pourquoi Diotime prétend qu’entre savoir et ignorance se situe l’amour qui est au fond un intermédiaire.

Parmi les Dieux, il n’en a aucun qui s’emploie à philosopher, aucun qui n’a envie de devenir sage, car il l’est ; ne s’emploie pas non plus à philosopher, quiconque d’autre est sage. Mais pas davantage les ignorants ne s’emploient, de leur côté, à philosopher, et ils n’ont pas envie de devenir sage ; car ce qu’il y a précisément de fâcheux dans l’ignorance, c’est que quelqu’un, qui n’est pas un homme accompli et qui n’est pas non plus intelligent, se figure l’être dans la mesure voulue : c’est que celui qui ne croit pas être dépourvu n’a point envie de ce dont il ne croit pas avoir besoin d’être pourvu. - Quels sont donc alors, Diotime, m’écriai-je, ceux qui s’emploient à philosopher, si ce ne sont ni les sages ni les ignorants ? 1 2

La réponse de Diotime est prévisible : le philosophe. Seul le philosophe se situe entre la science et l’ignorance. Le philosophe est celui qui aime les belles choses dont la sagesse, mais il désire par-dessus l’acquérir. L’objectif de cette recherche est le bonheur 3. Il faut remarquer que Diotime et Socrate n’ont pas seulement décrit le philosophe et les conditions pour le devenir, mais ils ont aussi donné la raison pour laquelle il est impératif de chercher la sagesse. Le bonheur est toujours et encore la finalité du philosophe. Cette thèse universitaire voudrait détruire cette mauvaise traduction trop souvent attribuée à la

1 Platon, Le Banquet 203d-204a, traduction de Léon Robin, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1950, p. 736- 737

2 Platon, Le Banquet. 204a-204b, traduction de Léon Robin, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1950, p. 737 3 Voir Platon, Le Banquet. 205a

philosophie en décrivant le philosophe comme un ami de la sagesse. Le philosophe n’est pas un ami de la sagesse. Rien n’est plus faux que cette manière de décrire le philosophe. La recherche du bonheur n’est pas l’affaire d’une amitié mais d’un amour. Socrate était un amoureux de la sagesse \ Le philosophe emprunte le chemin de la sagesse pour trouver le bonheur. Il ne s’agit pas d’un bête attachement à quelqu’un que l’on peut perdre de vue après quelques années. Il ne s’agit pas non plus de se lier d’une affection particulière avec la discipline parce qu’elle avance des idées qui peuvent plus ou moins être compatibles avec nos propres opinions. La philosophie (ou la sagesse) est la voie qui mène vers la divinité. Or, personne ne désire suivre un chemin pour suivre un chemin. Les gens veulent ce qui se trouve au bout du chemin. Même s’il y a quelques plaisirs ou quelques joies qui se trouvent sur le chemin de la sagesse, il reste que la finalité du philosophe est le bonheur.

Le philosophe est donc celui qui attend son départ vers l’Hadès, insiste Socrate, car il ne s’est pas attaché aux plaisirs corporels mais aux plaisirs que procure l’étude de la science. Le philosophe est celui qui s’attache à l’âme. Et celui qui se préoccupe quotidiennement de son âme en pratiquant les vertus comme la tempérance, la justice, le courage et la vérité ne peut qu’espérer entrer par la grande porte de l’Hadès. Il n’y a que l’homme qui prend soin de son âme qui pourra se détacher définitivement de ce monde sensible et rejoindre le lieu qui lui a été réservé par les dieux. Socrate disait que !’acquisition de la perfection était l’affaire de dur labeur. Pour l’atteindre, il faut être prêt à affronter toutes les souffrances possibles. Or, l’une de ces souffrances était l’éducation. Il est très dur de se départir de tous ses vices.

Socrate s’adressait aux âmes tant par ses actions que par ses discussions. Le but était de faire naître la justice dans l’âme et de bannir l’injustice. Il faut faire germer la tempérance 1

1 Voir Pierre Hadot, Ou’est-ce aue la philosophie antique ?. Gallimard, Paris, 1995, p. 81 qui enrichit cette thèse lorsqu’il affirme qu’avec le Banquet, « l’étymologie du mot philosophia, «l’amour, le désir de la sagesse», devient ainsi le programme même de la philosophie. On peut dire qu’avec Socrate du Banquet, la philosophie prend définitivement dans l’histoire une tonalité à la fois ironique et tragique. Ironique, puisque le vrai philosophe sera toujours celui qui sait qu’il ne sait pas, qui sait qu’il n’est pas sage, et qui donc n’est ni sage, ni non-sage, qui n’est pas à sa place ni dans le monde des insensés ni dans le monde des sages, ni totalement dans le monde des hommes ni totalement dans le monde des dieux, inclassable donc, sans feu ni lieu, comme Éros et Socrate ».

et de faire fuir l’incontinence. Il faut impérativement introduire dans l’âme toutes les vertus et y exclure tous les vices. L’accord des actions et des discours est primordial. La seule façon de faire naître la vertu dans les âmes est de démontrer qu’une vie vertueuse conduit au bonheur. Pour Socrate, l’important n’était pas de paraître bon mais de l’être véritablement. Socrate cherchait à être aussi parfait que possible. Il ne taillait donc pas qu’il se néglige.

Le philosophe d’Alopèce possédait une bonne mémoire. Le rôle de cette faculté n’est pas seulement de garder les connaissances afin de progresser dans le monde du savoir. Pour Socrate, la mémoire doit conserver les connaissances pour les emporter dans l’autre monde. Platon, dans le Phèdre cite une prière où Socrate demande la chose suivante à la divinité : « Donnez-moi la beauté intérieure, et que l’extérieur soit en harmonie avec l’intérieur ; que le sage me paraisse toujours riche, que j’aie juste autant d’or que le sage peut seul en emporter avec lui » \ Cette richesse est la connaissance des causes divines. Socrate prétendait que l’âme avait observé les révolutions et toutes les autres causes divines. Désormais, le travail philosophique était de se ressouvenir de ces observations afin de retrouver le chemin de la divinité. La mémorisation de ces connaissances est donc la condition première pour retracer les indications divines sur le chemin de la sagesse. Platon insiste sur l’importance de ne rien écrire. Les écrits affaiblissent la mémoire car les gens ne sentent plus le besoin de mémoriser. La confiance se porte sur les écrits et non plus sur l’une des facultés de l’âme qu’est la mémoire. De plus, si l’âme humaine doit redescendre dans ce bas monde, elle doit se ressouvenir des connaissances apprises dans le passé. Il faut absolument apprendre par cœur car l’âme humaine doit transporter avec elle les connaissances mémorisées et non celles qui sont écrites parce qu’elle les amènera après la mort.

Il instruisait les hommes sur la vertu, les devoirs et les préoccupations de l’homme de bien. La vertu se divise en deux groupes. D’abord, il y a la morale. Elle se divise à son tour en trois sous-groupes. La première est la morale individuelle. Elle concerne 1

l’éthique. La deuxième est la morale domestique. Elle aborde la famille. La dernière est la morale politique. Elle représente l’art. La deuxième division concerne la vertu intellectuelle. Elle concerne la science, la sagesse et !’intelligence. Pierre Hadot ajoute avec raison que :

« Les Sophistes avaient prétendu former à la vie politique, Platon veut le faire en les dotant d’un savoir bien supérieur à celui que les sophistes pouvaient leur fournir, d’un savoir qui, d’une part, sera fondé sur une méthode rationnelle rigoureuse, et qui, d’autre part, selon la conception socratique, sera inséparable de l’amour du bien et de la transformation intérieure de l’homme. Il ne veut pas seulement former d’habiles hommes d’État, mais des hommes » 1.

La sagesse a toujours été une notion énigmatique en philosophie. Pourtant, Socrate et Platon fournissent quelques pistes intéressantes qui peuvent aider le jeune philosophe pour débuter sa recherche du bon pied. D'abord, la sagesse est la science de soi-même. Ses efforts portent sur la connaissance de soi. Il ne faut surtout pas l'entendre au sens que la psychologie contemporaine lui attribue, c'est-à-dire que cette science ne consiste pas à l'étude du comportement. Cette sagesse doit définir la règle de vie que chacun de nous doit suivre pour vivre de la façon la plus agréable possible. Même s'il est beau pour un philosophe de chercher à tout connaître, il doit d'abord se connaître lui-même. La sagesse doit permettre à l'homme de ne commettre aucunes fautes en agissant bien et en atteignant son but qu’est le bonheur. Cette piété vise la vie après la mort corporel avec la divinité. Tout homme de bien obtient, pour Socrate, une juste destinée et de grands honneurs, tant dans le monde sensible que dans le monde intelligible. Or, ces récompenses proviennent d'une vie bonne puisque le sage est celui qui fait le bien. Donc, la sagesse, en quelque sorte, consiste à faire le bien. Pour les Grecs anciens, le sage ne fait pas de mal car il est de la nature de la sagesse de rendre son possesseur bon et beau. Elle ne rend jamais les gens mauvais. Or, pour passer une vie sans faire de fautes, il ne faut pas que le philosophe entreprenne des choses qui sont hors de sa portée. De plus, il doit se mettre à la recherche de ceux qui savent ce qui est bien pour l'être humain. Cette 1

affirmation est double, elle amène le lecteur inévitablement sur la question de la connaissance. Puis, il faut définir ce qu'est l'être humain.

Se connaître soi-même consiste à connaître et à se comporter selon ce qui fait la spécificité de l'homme : la rationalité. Un vieux dicton grec disait qu'il n'appartenait qu'au sage de faire ses propres affaires et de se connaître soi-même. Cette connaissance de soi conduit à !'intelligence. Or, il n'y a pas de sagesse et d'intelligence sans âme. Il convient alors que l'étude première du philosophe sera l'âme. Il faut savoir que celle-ci constitue une partie de soi-même qui commande et qui possède aussi la science de ce qui profite à chacun. Le rôle de l'âme, par !'intermédiaire de la sagesse et de !'intelligence, est d'ordonner, d'arranger et diriger. Il n'est pas dans sa nature d'être gouvernée, ni d'être diriger car cela est la nature d'une âme d'esclaves. Le sage règle ses propres affaires domestiques. Il sait également prendre le commandement de lui-même. D'abord, il doit commencer à mettre de l'ordre en lui-même Par exemple, pour Socrate, la sagesse procure une maison bien administrée, un état bien gouverné ainsi que toutes les entreprises qu'il dirigera à condition qu'il soit présidé par la sagesse. Platon et Socrate reprendront cette affirmation pour l'appliquer à leur politique « républicaine ». Pour les deux philosophes grecs, il existe trois genres de vie : une vie agréable, c'est-à-dire exempte de douleur et de joie, une vie douloureuse et une qui est ni l'une, ni l'autre. Celle du philosophe se situe dans une vie paisible où il fait ses propres affaires tout seul et par lui-même. Lajoie du philosophe est de voir, dans les mouvements mortels, l’imitation de l'harmonie divine. Le sage sait appliquer en toutes choses la sagesse, !'intelligence, la science et la mémoire sans avoir part au plaisir, ni à la douleur. Le bonheur ne consiste-t- il pas à faire sagement un bon usage de toutes choses et en diriger la pratique? Or, cette pratique ne dépendrait-elle pas justement de la connaissance des choses naturelles en passant en revue les différentes espèces animales pour remonter à l'unité.

La connaissance conduit le lecteur sur la deuxième voie qu'est la connaissance. De fait, la sagesse implique la connaissance. Le philosophe doit savoir beaucoup de choses. Premièrement, il doit savoir savoir que la sagesse, qui seule parmi les sciences, gouverne selon les principes de la Nature. Le philosophe est celui qui connaît les principes et les

causes qui régissent les phénomènes. Les mêmes causes lui fourniront les indications à suivre pour remonter jusqu'à la divinité. Mais, elles lui procureront également les connaissances nécessaires pour vivre le plus agréablement possible sur cette belle planète. C'est une marque de sagesse de pouvoir suivre les choses en mouvement pour découvrir ce qui est immuable. Plus encore cette sagesse consiste à être supérieur à soi- même alors que l'ignorance consiste à avoir des opinions fausses et de se tromper sur les choses de grande importance. Le sage est alors celui qui sait ce qu’il sait. Et, il sait ce qu'il ne sait pas. Il sait telles choses et il sait qu'il ignore telles autres. Cette connaissance de soi implique aussi qu'il sache reconnaître cette même science aux autres hommes s'il veut être capable de trouver le bon maître qui le guidera vers le bonheur. L'ignorance, qui