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Autour de Platon, par A Diès, Éditeur Gabriel Beauchesne, Paris, 927, p 597-

B. Le but du philosophe

1 Autour de Platon, par A Diès, Éditeur Gabriel Beauchesne, Paris, 927, p 597-

finalité, !’acquisition du bonheur, et par là cette morale est un eudémonisme. On a aussi qualifié cette morale de pragmatique en raison du rôle que joue, comme chez les sophistes, l’utilité ; mais pour le pragmatisme la réussite est la fin de l’acte, alors que pour Socrate l’utile se détermine par rapport à une autre fin qui lui est extérieure et qui est le bonheur 1.

Il ne faut surtout pas exclure l’aspect matériel. Le philosophe doit savoir jouir des biens matériels. Mais, il doit le faire dans les limites de la morale. Le bonheur passe par la possession des bonnes choses. Mais, cette possession exige la capacité de disposer adéquatement de ces biens matériels. Il ne suffit pas d’user des choses, mais de bien en disposer. « Le sage est celui qui sait user de toutes choses de la manière la plus conforme à sa nature, de telle sorte qu’il en résulte son plus grand avantage, et cette capacité lui vient de ce qu’il sait ce qu’il est, il se connaît » 1 2. La valeur d’un objet quelconque s’obtient par !’utilisation adéquate de la chose. Un objet matériel n’est ni bien ni mal en soi. Sa valeur éthique se détermine selon la finalité de son possesseur. Un couteau n’est ni bien ni mal en lui-même. S’il sert à sa finalité première de trancher un aliment, par exemple, alors il sera considéré comme un instrument utile. Mais, s’il sert à trancher la gorge d’un quelconque individu, alors sa finalité a été pervertie par son utilisateur. C’est donc la cause efficiente, c’est-à-dire la personne qui se cache derrière l’objet qui détermine la valeur éthique de l’objet. Les questions morales ne concernent aucunement les objets sensibles, mais les êtres vivants.

Il est alors important de prendre en compte l’aspect éthique qui aborde les actions humaines. Le bonheur, selon Socrate, s’acquiert de façons multiples. Il ne s’obtient pas seulement par la possession des bonnes choses, mais par la bonne utilisation de ces mêmes choses. Le juste emploi des choses est une condition importante dans les œuvres platoniciennes. La justice joue un rôle primordial dans l’emploi des objets sensibles. Le philosophe doit s’enrichir uniquement par la voie de la justice et avec modération. Tous les biens doivent être placés sous la tutelle de la justice. Plus encore, le bonheur, poursuit Socrate, est de marcher dans les pas de la justice. La République l’analyse sous tous les

1 La doctrine de Socrate, par Émile Caillot, Éditions Marcel Rivière & Cie, Paris, 1970, p. 94 2 Les Sophistes, par Eugène Dupréel, Éditions du Griffon, Neuchâtel, 1948, p. 137

angles et surtout ses effets. Mais, elle décortique grandement les effets néfastes qu’apporte l’injustice. La conséquence de ce vice est multiple. Socrate ne cherche pas seulement à démontrer à ses interlocuteurs que l’injustice peut être un élément destructeur à une cité, mais qu’elle s’attaque également à l’individu.

Un homme peut-il être apprécié de ses confrères s’il est injustice envers eux ? Au contraire, tout le monde voudra le chasser de la cité. Par la bande, Platon cherche à justifier le rôle du philosophe dans la cité. Le philosophe est utile et bon pour la société. Il cherche à rendre les citoyens vertueux et par conséquent juste. Or, toute la République est un exercice intellectuel cherchant à prouver que la justice est un bien et qu’il faut la pratiquer pour ses effets bénéfiques. Elle n’est pas l’affaire de quelques despotes, mais elle est une nécessité sociale. La cité ne peut pas exister et perdurer sans la justice. Le rôle de Socrate était justement de montrer le discours du philosophe par rapport aux sophistes et aux rhéteurs de l’époque qui organisaient la cité selon leurs propres intérêts ou leurs propres visions.

La science du bien et du mal qu’est la morale est le fondement de toutes les actions humaines. Mais, qu’est-ce que le bien ? Le bien, répond Socrate, est ce qui répand la lumière de la vérité sur tous les objets de la connaissance. Il est la cause de tout. Il dispense la vérité et !’intelligence. Il est le principe de la science et de la vérité. Mais, plus encore, il est la plus haute des connaissances qui donnent à la justice et aux autres vertus leur utilité. Par exemple, il procure à la beauté la mesure et la proportion. Sa nature est parfaite. Il est aussi la condition essentielle à la voie de la sagesse. Il est la finalité des toutes les finalités. Autrement dit, le philosophe doit le voir comme une fin en soi. Il doit régler sa conduite sur le bien. Le bien est la fin de toutes ses actions. Il doit tout faire en vue du bien car il est la seule condition du bonheur. Comment détermine-t-on si une action est bonne ou mauvaise ? Une action est considérée bonne si elle produit du bien.

Quelle est la différence entre dieu et le bien ? Le bien est le modèle par excellence. Dieu est un artisan qui s’inspire du bien pour mouvoir les choses sensibles vers une fin bonne. Il ordonne tout en vue du bien. Le bien lui est alors supérieur, c’est-à-dire que le

démiurge ne pourrait donner une forme à la matière s’il ne connaissait pas le bien. Or, le problème est que le bien est pratiquement inconnaissable de l’homme. Bien qu’il soit comme un phare qui éclaire les bateaux égarés dans la nuit, le fait de l’approcher ne fait qu’aveugler les regards trop désireux de le voir dans toute sa pureté. Est-ce à dire, pour Platon, que la connaissance du bien est impossible pour le sage ? L’intelligence humaine est-elle trop impuissante pour remonter jusqu’à l’idée du bien ? Pour sa part, la réminiscence est-elle suffisante pour entrevoir la notion du bien ? La durée de la vie humaine est peut-être trop courte pour accéder à cette suprême connaissance ?

Le bien est également le remède au mal. C’est la raison pour laquelle les êtres vivants le recherchent. Sa présence élimine le mal. Citons la médecine. Les gens ne voient-ils pas la santé comme un bien ? La raison est que la maladie est considérée comme un mal. Or, la santé exclut nécessairement la maladie. Un être vivant ne pourrait pas être considéré en parfaite santé s’il était atteint d’une quelconque maladie. Et pourtant, le bien exclut-il entièrement le mal ? En ce qui concerne la partie, il y a fort à parier que le bien élimine nécessairement le mal. Mais, lorsque la question du tout est abordée, le problème se complexifie. Un patient peut en partie être en santé mais un de ses organes peut aussi être atteint. Le cancer affecte d’abord un organe en particulier avant de se généraliser dans le reste de l’organisme. Or, la présence du bien n’exclut pas nécessairement le mal s’il est pris dans son ensemble. Le problème est de même dans le domaine politique. Le système de l’éducation peut être parfaitement ordonné à sa fin alors que !’économie peut être malade. Le bien qui se trouve dans un domaine n’influence pas forcément l’autre. Alors, il y aurait le bien attaché à la partie et le bien relié au tout. Dans le premier cas, si la présence du bien exclut le mal, il n’en est pas nécessairement de même pour le second.

Socrate définit le philosophe comme un être intelligent qui poursuit le Bien 1. Le bonheur de l’homme ne s’arrête pas à vivre, mais à bien vivre. C’est pourquoi le chercheur est autorisé de comparer le philosophe et dieu. Le philosophe cherche à connaître le monde intelligible tout comme le démiurge. Si le démiurge dirige les choses du monde sensible en vue du bien en imitant le monde intelligible, le philosophe en fait

autant dans ses actions quotidiennes. La contemplation du monde intelligible permet de choisir la bonne voie qui mènera vers le bonheur. La contemplation des choses divines vise à régler l’âme afin de conformer sa conduite sur ce monde. Celui qui a commerce avec l’ordre divin devient lui-même ordonné et divin dans la juste mesure humaine.

Mais, Socrate ajoute, dans le Phédon \ qu’une âme réglée et sage qui a vécu dans la pureté et la tempérance, guidée par les dieux, trouve tout de suite sa résidence dans l’autre monde. Ce traité souligne que le philosophe restera parmi les dieux s’il y a su purifier son âme. Il s’agit d’une sorte de récompense divine. En effet, cette notion a été apportée par Socrate car il ne pouvait pas croire que la vie se terminait après la mort corporelle. S’il est vrai que le démiurge organise tout selon la droite raison, alors il doit nécessairement exister une vie après la mort. Cette pensée vient de l’argument de l’immortalité de l’âme débattu par Socrate tout particulièrement dans le traité intitulé le Phédon. Le philosophe d’Alopèce tente de convaincre ses disciples que l’âme est immortelle. Après une série d’arguments, Socrate en conclut que l’âme étant de nature divine ne peut donc pas mourir. Et, s’il existe un dieu, alors il doit nécessairement être juste puisqu’il est parfait. Alors les âmes bonnes obtiendront la justice divine. Et l’âme du philosophe qui a cherché toute sa vie à se rapprocher de la divinité ne peut qu’être récompensée. Les philosophes vont être récompensés parce qu’ils ont choisi la meilleure voie. Du fait que tout le monde a le choix entre le vice et la vertu, il n’y a que ceux qui ont pris la deuxième option qui peuvent espérer acquérir la récompense divine. D’ailleurs, le Socrate, dans le Phédon, n’a-t-il pas cherché à convaincre ses disciples en leur démontrant qu’il était lui-même convaincu ? Comment a-t-il procédé ? En affrontant la mort. Il désirait aller chercher la justice divine située dans l’autre monde. Plus encore, l’âme du philosophe qui a cherché à se rapprocher de la divinité ne peut qu’être récompensée.

L,Apologie de Socrate raconte non seulement le procès de Socrate, mais Platon a voulu décrire un Socrate qui a pleinement rempli ses devoirs de citoyens. C’est la raison pour laquelle il insistait pour dire que sa récompense terrestre était d’être traité de la même

manière que les athlètes olympiques de son époque. Son travail social méritait également une récompense de l’État. Socrate croyait que chaque citoyen avait des obligations dans ce bas monde. Pour lui, elles étaient pleinement remplies. Le Phédon n’abordait pas seulement la question de la survivance de l’âme au corps, mais si l’âme va dans un endroit plus plausible. Pour Socrate, une condition s’impose : l’état de l’âme en fonction de la vie menée ici-bas. C’est pourquoi il est important d’encourager la vertu individuelle et politique. La fin de la pratique humaine est la vertu chez Platon parce qu'elle va garantir une vie après la mort.

1. Le bonheur

Qu'est-ce que le bonheur? Cette difficile question est encore énigmatique. Quoi que la plupart des gens le désirent, peu d'entre eux peuvent véritablement se déclarer heureux. Paradoxalement, un grand nombre de philosophes ne le sont pas. Pourtant n'est-ce pas la finalité recherchée par ces chercheurs de sagesse? Une chose est sûre, elle fut la préoccupation première de Socrate. Contrairement à plusieurs philosophes, Socrate avait une idée précise de ce qui était le bonheur. À quoi un homme heureux peut-il ressembler? Que doit-il posséder pour se déclarer heureux ? D'abord, réplique Socrate, cet homme doit posséder la sagesse. Cette sagesse le guidera à travers les multiples périples de la vie. Elle lui apprendra non seulement à vivre, mais à bien vivre. Mais, plus encore, elle lui montrera à vivre selon la science. Quelle est-elle cette science? Elle est la science du bien et du mal, avance Socrate. L'homme véritablement heureux est celui qui ne possède aucun vice dans l'âme. Il a su la purifier des maux corporels, sociaux et individuels qu'elle acquiert au cours d'une vie. De là l'importance pour le philosophe de chercher à perfectionner quotidiennement son âme. La perfection élimine graduellement les maux et les vices qui nuisent à son développement en tant qu'humain.

L'injustice et l’imprudence sont des vices qui accablent tout particulièrement l'âme humaine. Socrate insiste beaucoup sur cet important détail. Seul l'homme qui vit selon la justice peut espérer parvenir au bonheur. Mais, cette vertu ne suffit pas. L'âme qui se

dirige vers le bonheur doit être guidée par la prudence. Elle doit à tout prix éviter de sombrer dans la folie qui conduit directement au malheur. La prudence joue un rôle déterminant en ce qui concerne l'obtention du bonheur. L'honnêteté doit aussi être mentionnée car !'acquisition de certains biens matériels nécessaires à tout être humain pour son plein développement corporel et mental doit être faite selon la volonté de la vertu. Cette science du bien et du mal implique nécessairement la pratique des vertus qui doit permettre au philosophe de se suffire à lui-même. Bien qu'il soit vrai que le philosophe ait besoin de plusieurs biens matériels qui lui fourniront une vie plus agréable, il ne doit pas devenir esclave de ces objets terrestres, ni leur accorder plus de valeur qu'ils ne le méritent. Le perfectionnement de son âme doit lui procurer tout le matériel intellectuel dont elle a besoin pour parvenir au bonheur. Le philosophe ne doit jamais oublier que les biens matériels sont destinés au corps. Bien que son âme soit prisonnière du corps jusqu'à la mort de celui-ci, elle ne doit jamais se laisser distraire par le corps qui peut la faire déraper vers des finalités autres que le bonheur. Il est facile de croire que le bonheur se trouve dans les plaisirs sensibles, mais le philosophe doit garder son regard vers les joies de l'esprit qui conduisent à la béatitude.

2. Le bien

Peut-être indescriptible, certainement indémontrable en raison du fait qu'il est un principe 1, le bien est un mot obscur chez Socrate. Il sert de phare dont les humains se servent pour bien se conduire. Le problème est que plus ils s’en approchent, plus il devient aveuglant pour l'œil d'un mortel. La difficulté provient du fait que sa méconnaissance entrave la marche vers sa conquête. Étymologiquement, rapporte Platon, le bien signifie ce qui est admirable (!agaston) dans toute la nature 1 2. Quoi qu'il se mêle à tout en le traversant et qu'il répand la lumière de la vérité sur les objets de connaissances, il reste cependant inaccessible à l'esprit humain. Socrate et Platon énumèrent, dans différents endroits dans les dialogues, les effets qu'il exerce sur les choses. L'idée du bien,

1 Joseph Moreau, dans son livre intitulé La construction de !,idéalisme platonicien, (p. 356) écrit plutôt que