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Platon, Phédon 69b 2 Platon, Charmide, 73b-e

D. Description ou qualités du Philosophe

1 Platon, Phédon 69b 2 Platon, Charmide, 73b-e

et de mettre en application les différentes vertus. Le premier test est de comprendre les différentes vertus et de les mettre en pratique dans le quotidien.

Mais, plus encore, la connaissance de soi permet au philosophe de savoir où il en est dans le chemin de la connaissance ou du savoir. Il faut éviter le piège de la double ignorance, recommande Socrate. C’est pourquoi la connaissance de soi prend une place importante dans la philosophie socratique. Avant d’examiner l’âme des autres, il faut être conscient de sa propre ignorance. Nombreux sont les passages dans les textes platoniciens où Socrate insiste sur !’importance que le philosophe doit attribuer à ce qui concerne son ignorance et son savoir. La connaissance de soi est une variable importante qui permet d’examiner correctement les autres et ainsi d’accéder à la vérité. En effet, si le philosophe ne questionne pas les arbres ou toute autre espèce animale quelconque, c’est qu’il n’y a que les âmes humaines qui peuvent accéder au monde intelligible. C’est la raison pour laquelle le philosophe s’éprend des plus belles qualités de l’âme que sont la tempérance, la justice, le courage ainsi que les autres vertus. Socrate et Platon font cette distinction car le philosophe n’est pas celui qui s’éprend de toutes les âmes mais seulement celles qui peuvent lui permettent de gravir les parois de la caverne. Il ne s’intéresse qu’à celles qui lui permettent de se débarrasser de ses vices.

Plus tard, Platon se servira de cette maxime pour lui donner un rôle politique. De fait, le politicien qui connaît l’âme humaine sera capable de distribuer à chacun des citoyens qui composent la cité une tâche différente en accord avec sa nature. Elle sera la condition première à !’application d’une justice sociale. Or, cette justice apportera la paix et la concorde au sein de la cité. Les guerres internes qui divisent les citoyens nuisent au bien commun. Par conséquent, elles causent le malheur dans toute la société. L’unique condition pour installer cette juste concorde, suggère Platon, est que les gens doivent forcer par la contrainte et le châtiment le philosophe à gouverner \ L’une des raisons est que seul le philosophe a appris à commander car il connaît !’intelligence divine. 1

Le philosophe est un homme libre. Le philosophe est libre parce qu’il se commande à lui-même. Il agit librement, il pense librement, il argumente librement et il apprend librement. Platon insiste pour dire que l’homme libre ne doit rien apprendre en esclave, c’est-à-dire qu’il est inutile de forcer une personne à apprendre contre son gré car elle aura sitôt fait d’oublier ce qu’elle a mémorisé. D’où l’importance d’enseigner sans contrainte ni violence afin de mieux discerner les dispositions naturelles des étudiants. Le « connais-toi toi-même » peut alors être appliqué à nouveau dans cette situation. Socrate ne recommande pas seulement de se connaître soi-même, mais il dit implicitement en se servant de cette maxime : libères-toi toi-même. Apprends de toi-même. Commandes-toi toi-même. Pense par toi-même.

D’où provient cette liberté ? D’abord, elle provient de la pratique de la vertu qui conduit inévitablement au Bien. Il faut alors que l’apprenti philosophe apprenne à maîtriser sa raison. Deuxièmement, la maîtrise de soi apporte le bonheur car le philosophe sera capable de mener une vie bien réglée. La pratique de la vertu élimine la présence du vice dans l’âme. Donc, elle assure la liberté. En effet, la liberté provient, pour Platon, de la raison. Voilà l’importance pour le philosophe de chercher à chaque jour à devenir le plus possible maître de lui-même. Une personne qui raisonne bien sera capable d’ordonner les choses et elle ne se laissera pas diriger par elles. C’est la raison qui est fait pour commander, et non l’inverse.

Les seules choses dont le philosophe accepte volontiers de se soumettre sont la science, !’intelligence et la vérité. Elles permettent en autre de se libérer des mœurs de sa propre société. Les stéréotypes et les préjugés sociaux sont des ennemis de la raison. Mais, le pire ennemi de la raison est la paresse intellectuelle. Elle emprisonne les vulgaires dans des cadres de pensées souvent erronés. Pire encore, elle paralyse la raison qui est la seule voie qui mène au bonheur. Il suffit de nommer les jeux que sont les statistiques et les sondages. Plusieurs vulgaires croient que la vérité se trouve dans les mathématiques. Or, les mathématiques ne donnent jamais les causes des problèmes. Pourtant, la plupart des cités modernes sont gouvernées par les politiciens qui donnent foi à ces croyances. Ils dirigent leur semblable en invoquant et en s’appuyant perpétuellement sur les jeux de

chiffres. Or, il faut manquer de sagesse pour ne pas comprendre que ce sont les causes qu’il faut rechercher pour résoudre efficacement les problèmes.

Par conséquent, la sagesse cherche à former des êtres libres. D’ailleurs, la philosophie est décrite dans le Sophiste comme la science de l’homme libre l. Le parallèle peut paraître simple. De fait, la philosophie est la voie qui mène l’homme vers dieu. Elle est la science qui opère la conversion de l’âme pour l’amener vers la divinité. La philosophie englobe non seulement le chemin de la sagesse, mais elle incorpore aussi le point de départ qu’est la maïeutique. Les outils de la sagesse comme la dialectique font aussi partie de la philosophie. La sagesse a pour but de libérer le prisonnier au fond de la caverne. Si la maïeutique est l’élément déclencheur du réveil du prisonnier, la dialectique est la voie (ou les parois) qui le guidera hors de la caverne. Le sage est justement celui qui a su se libérer de tous les maux humains.

Que procure cette connaissance de soi qu’est la sagesse ? D’abord, elle permet d’embrasser l’ensemble et la totalité de l’univers. Elle permet au philosophe de comprendre les choses humaines et divines. Ce qui signifie qu’il doit choisir ce qui est bien et repousser ce qui est mal. C’est pourquoi les vicissitudes du corps comme les passions et les désirs poussés à l’extrême doivent être évité à tout prix. Une fois que le philosophe sait ce qu’il sait et ce qu’il ignore, il est alors en mesure d’examiner les autres. Ayant lui-même fait le travail, il détectera mieux les problèmes auxquels les autres personnes s’exposent et il sera capable de les aider à éviter les tracas.

Deuxièmement, Socrate et Platon croyaient le semblable attirait le semblable. Alors si le philosophe est celui qui cherche à se rendre aussi semblable que possible aux dieux, alors après la mort du philosophe, ce dernier resterait dans le monde des dieux. Or, si le philosophe cherche, à l’aide de la raison, à se connaître lui-même, alors il sera conduit à connaître ce qu’il y a de plus divin en lui. Or, s’il connaît l’âme, alors il connaîtra ce qui est semblable à elle : dieu. M. Marcel Renault écrit avec raison que :

«La seule raison vraiment inébranlable est celle de l’homme qui comprend pourquoi il est vertueux ; ce qui suppose qu’il a jugé définitivement le monde sensible, qu’il sait qu’au-dessus des choses périssables il y a des réalités éternelles, les Idées, et qu’il s’assure en elles contre l’universelle destruction (...)

(...) «Connais-toi toi-même», disait Socrate ; apprends à juger ton esprit ; comprends que la pensée a une importance infinie ; que rien n’existe qu’en elle et par elle. C’est en elle que tu trouveras les Idées qui sont le vrai principe de toutes choses » 1.

Le chemin vers la sagesse est difficile. Les deux conditions primordiales pour parcourir le chemin de la sagesse sont une âme bien éduquée et la pensée bien structurée. L’âme, lieu où réside la pensée, est la seule faculté qui peut acquérir de !’intelligence pour permettre au philosophe de le guider tout au long du trajet qui mène vers la sagesse. Il doit s’intéresser à sa propre pensée s’il veut réussir à avancer dans l’aventure de la connaissance. De fait, l’argument platonicien est le suivant : si l’âme a une origine divine, alors elle est la seule qui puisse diriger adéquatement le philosophe vers sa mission première. Elle est la seule qui puisse s’élever vers la divinité. L’âme devient donc la seule et unique voie qui permet de s’élever vers la sagesse divine. Le philosophe doit pénétrer l’esprit divin par la réflexion. C’est pourquoi il s’attache dans tous ses raisonnements à l’idée de l’Être. Il ne s’agît pas de raisonner pour le plaisir de raisonner, mais parce que le raisonnement est le seul outil que la divinité a mis à la disposition du philosophe pour remonter jusqu’à elle.

Platon, dans le Philèbe 1 2 énumère les trois conséquences les plus probables qui se rapportent à cette ignorance de soi. La première est que la personne va se croire plus riche qu’elle ne l’est en réalité. Autrement dit, les inondations, les tornades, les ouragans et les autres phénomènes naturels peuvent déposséder quiconque de ses biens matériels sans avertissements. Les guerres et l’esclavagisme étaient aussi des variables sociopolitiques dont les Grecs devaient se méfier constamment. Le droit de citoyenneté n’était pas un droit acquis à cette époque de l’histoire. Cette richesse peut être aussi

1 Platon, par Marcel Renault, Éditions Mellottée, Paris, 1930, p. 113-114 2 Platon, Philèbe. 48d

interprétée dans le sens de la connaissance. Celui qui croit savoir plusieurs choses alors qu’au fond, il les ignorait, risque de subir plusieurs échecs humains.

La deuxième est qu’une personne va se croire plus belle et plus grande qu’elle ne l’est. Plusieurs vont se croire plus fort qu’ils ne le sont. Une triste déception les attend lorsque le temps vient de le prouver. Certaines personnes vont littéralement se briser les reins pour le reste de leur vie parce qu’ils ont ignoré les limites de leur force. Malheureusement, les gens apprennent sur le tard les multiples inconvénients qu’imposent les maux de dos et les problèmes reliés aux articulations majeures telles que les poignets, les épaules et les genoux. Ces maux physiques limitent la capacité de l’âme à vaquer à ses occupations philosophiques. De fait, les malaises physiques empêchent le philosophe de raisonner correctement car le corps la trouble indéfiniment dans ses activités de la pensée. L’âme ne parvient pas à se concentrer puisque le corps lui demande une attention toujours renouvelée. Mais, Platon voulait aussi dire que le sage ne doit jamais cesser de pratiquer les vertus et de se perfectionner car son âme n’est jamais assez belle devant la divinité.

La dernière conséquence est que l’individu va se croire plus vertueux que les autres qu’il ne l’est dans les faits. Cette forme d’ignorance aborde plus particulièrement les qualités de l’âme. Bien que les autres formes d’ignorance puissent aussi être transposées du côté de l’âme, Socrate insiste davantage sur celle-ci. Par exemple, une personne peut se croire plus courageuse qu’elle ne l’est vraiment dans les faits. La conséquence sera désastreuse lorsque cet individu sera confronté à une situation dangereuse qui peut lui enlever la vie. L’ignorance est un mal pour tout le monde. Celle des vertus l’est davantage. Si le philosophe désire sincèrement détourner son regard vers la divinité, il doit connaître les limites de son âme afin de les perfectionner. Le philosophe peut être comparé à une personne qui pratique le saut en hauteur. D’abord, l’athlète place la barre à une hauteur qu’il lui est permis de sauter sans se blesser. Au fur et à mesure qu’il maîtrisera les différentes techniques qui lui permettront de progresser dans ce domaine sportif, alors il sera capable de monter la barre à diverses hauteurs jusqu’au moment où il atteindra ses propres limites. Le philosophe doit procéder de la même manière. Au départ,

il doit connaître ses propres capacités intellectuelles pour mesurer le chemin et le travail qui lui reste à parcourir pour parvenir au bonheur. Une fois qu’il a fait le constat de la situation, il ne lui reste plus qu’à maîtriser les différents outils philosophiques afin d’escalader les parois de la caverne pour monter vers la sagesse.

Il ne faut pas oublier l’autre maxime grecque qui découle de !’inscription de Delphes. Le « rien de trop » qui consiste à porter un regard sur son âme pour qu’elle puisse éviter les excès. Cette maxime demande aux citoyens de dépenser selon leurs moyens. Qu’il s’agisse de leur âme ou de leur corps, les extrêmes sont toujours à proscrire. En médecine, par exemple, il y a beaucoup de gens qui souffrent d’arthrite aux articulations de leurs doigts parce qu’ils ont abusé de la capacité de leurs mains à exécuter un travail qui dépassait largement ses limites. Il en est de même pour l’âme. Les différentes maladies reliées à l’âme proviennent en grande partie de la méconnaissance de ses propres capacités intellectuelles. Plusieurs vulgaires exagèrent dans leur travail quotidien parce qu’ils croient être en mesure d’encaisser plusieurs heures de travail supplémentaires. Alors, il apparaît des problèmes comme les dépressions nerveuses, l’insomnie et un grand manque de repos nécessaire au corps pour récupérer de ses difficiles journées de travail. La connaissance de soi délimite les paramètres de la juste mesure intellectuelle. Pour Socrate, la connaissance de soi permet à la raison de mieux organiser et de mieux planifier les obstacles et les difficultés dont l’âme devra affronter au cours de sa vie.

Toute la sagesse grecque reposait sur ces deux maximes. Le déclin de l’empire athénien s’amorça le jour où ils cessèrent d’appliquer ces deux sages formules. La ruine d’Athènes commença lorsque les citoyens se divisèrent sur les questions éthiques, sociales et militaires. Lorsque les Athéniens perdirent leur plus grand représentant de cette sagesse qu’était Socrate d’Alopèce, alors la perte sociale athénienne prit de l’ampleur. Les dialogues socratiques de Platon fourmillent d’exemples qui montrent les premiers symptômes des maux humains et sociaux qui se multiplièrent dans les différentes « classes » sociales. Socrate ne se reconnaissait plus dans cette grande cité qu’avait été jadis la Grèce antique. La montée de l’individualisme, les chicanes internes qui

déchiraient les citoyens, !'augmentation des procès ainsi que le manque d’intérêt à une pratique politique démocratique n’étaient que les premiers effets les plus évidents. Socrate et Platon dénoncèrent le problème majeur de la Grèce antique : la disparition des valeurs morales. L’éthique sert de toile de fond à tous les dialogues platoniciens. La cause est que la morale est le point central de toutes les actions humaines. Or, l’être moral n’est-il pas spécifié par les vertus qu’il incarne?

Le philosophe est celui qui apporte le bonheur à la cité. Cette connaissance de soi qu’est l’âme est indispensable au politicien pour assigner à chacun des citoyens une tâche différente en conformité avec sa nature. La République reprend à son compte cette connaissance de soi pour inciter le philosophe à gouverner la cité car il est le seul qui connaît la nature de l’âme, ses qualités, ses maux, ses remèdes ainsi que les indications divines qui mènent au bonheur. Le philosophe est à la cité ce que Dieu est à la Nature. Un esprit supérieur qui organise et ordonne tout vers le bien. Tant que le philosophe n’aura pas pénétré la nature de l’âme, alors il ne sera jamais capable de diriger adéquatement un état car elle est la condition essentielle pour orienter les âmes vers le bonheur. Le philosophe-roi dirige les âmes et non les corps des citoyens. Il devient la seule personne dont les gens peuvent remettre leur âme en toute quiétude. Xénophon, dans les Mémorables, ajoute que le remède premier est tout d'abord l’indépendance \ Il faut élever l’élève de l’état d’esclave à l’état de maître. Il faut davantage se délivrer de ses passions. Il est de toute nécessité de savoir les utiliser dans une mesure déterminée par la raison.

Un dicton grec, ci haut mentionné, disait qu’il n’appartenait qu’au sage de faire ses propres affaires et de se connaître soi-même. Platon se sert de ce proverbe grec pour montrer que la connaissance de la divinité passe uniquement par l’âme. Quel est le meilleur moyen de se connaître soi-même? C’est en regardant Dieu, répond Socrate dans le Premier Alcibiade 1 2, qui permettra à l’homme de reconnaître la vertu de l’âme. Dieu est l’esprit qui ordonne tout et place chaque objet de la façon la meilleure. Or, si le sage

1 Voir Xénophon, Les Mémorables, IV, 5,2