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La mission de Socrate (Le Philosophe)

Il serait intéressant de comparer les commentaires de Socrate sur sa vision du philosophe ainsi que le but et les indices insérés par Platon qui décrivent la mission que s’était donné son ami athénien. Il s’agit d’une manière détournée de voir si ce que disait Socrate sur le philosophe était semblable à ses actions quotidiennes. Le piège est que Platon, tout au long de ses dialogues, ne cherche qu’à présenter le philosophe par excellence, c’est-à-dire Socrate. C’est pourquoi les prochains paragraphes relèveront les passages où Socrate est explicitement décrit par les autres. Ou encore, les extraits où il se décrit lui-même.

Ce que Socrate désirait par-dessus tout était de vivre en philosophant. S’il délaissa les métiers particuliers pour se consacrer à la philosophie, c’est que le philosophe athénien avait la ferme intention de parvenir à son but. Socrate avait compris que la philosophie était un travail de longue haleine. Le chemin qui mène vers la sagesse est un travail de toute une vie, et plus encore. Malgré les moqueries de certains citoyens, Socrate savait que les métiers étaient davantage un emprisonnement qu’une délivrance de l’âme humaine. Socrate n’a jamais dénigré les métiers particuliers. Au contraire, il existe beaucoup de passages dans les textes platoniciens qui démontrent que Socrate se servait de ces métiers pour démontrer certaines finalités sociales et politiques. Mais, le but de Socrate était la connaissance de la divinité, et moins les affaires humaines. Par conséquent, son objectif n’était surtout pas la fabrication d’outils qui serviraient à des fins humaines, mais !’acquisition des outils nécessaires pour la connaissance divine. Il

Il demandait constamment aux gens de s’occuper d’eux-mêmes et de leur perfectionnement moral et intellectuel. Le perfectionnement moral concerne la pratique des vertus alors que le perfectionnement intellectuel consiste à connaître les différentes vertus. Ce génie de la pensée a découvert que le fondement de toute activité humaine et politique passait nécessairement par la morale. Les vertus et leurs pratiques sont la colonne vertébrale de la vie humaine. L’homme ne peut pas parvenir au bonheur s’il ne

pratique pas quotidiennement les vertus. Il est impératif que les gens s’occupent d’abord d’eux-mêmes avant de se préoccuper des choses qui leur appartiennent. Et ce soi-même est l’âme. La plupart des vulgaires détestent toutes les notions qui ont un lien avec la morale. L’éthique est évidemment l’affaire des autres. Les autres citoyens doivent être vertueux car, de cette manière, ils ne dérangent pas les autres personnes dans leur important projet quotidien. Par exemple, tout le monde aime être respecté, mais personne n’estime personne. Tous les vulgaires veulent être respectés par leurs confrères, mais personne ne prend la peine de s’appliquer correctement pour obtenir cette reconnaissance. Une fois de plus, la pensée magique, digne des vulgaires, ne cesse de les illusionner. Ils croient que tout va arriver par hasard ou par magie. Le respect ne se gagne pas, il se travaille. Et ce travail de longue haleine s’étend sur de longues et pénibles années. Il faut non seulement savoir ce qu’est le respect, mais il faut aussi être en mesure de l’appliquer convenablement dans le concret.

Le philosophe d’Alopèce essayait de rendre les citoyens athéniens aussi vertueux que possible. Bien que Socrate et Platon soient souvent catalogués d’« idéalistes », les deux philosophes connaissaient très bien la nature humaine. Ils connaissaient les limites et les capacités intellectuelles des citoyens athéniens. Ils savaient aussi que les Athéniens étaient aussi capables du meilleur que du pire. Il s’agissait de détourner leur regard vers le Bien. Malgré la nostalgie de la grandeur de la cité grecque, Socrate resta persuadé toute sa vie qu’il était possible de rendre les gens vertueux et ainsi préserver la Grèce antique de tous ses maux sociaux et politiques engendrés par les guerres et la présence de plus en plus grandissante des sophistes qui la déchiraient de toute part. Les Athéniens perdaient leurs belles valeurs pour se laisser séduire vers les fruits du monde sensible. Il n’est pas étonnant que Platon, en autre, dans la République, fustige les commerçants vicieux de son époque. Il s’attaque à plusieurs reprises à leur mentalité pécuniaire qui détourne !’attention des autres membres de la société vers une richesse monétaire qui s’obtient par la pratique des vices. Plusieurs critiques socratico-platoniciennes pourraient être encore appliquées de nos jours au monde capitaliste contemporain. Les gens n’en ont plus que pour les richesses matérielles. La richesse de l’âme est devenue chose du passé. Certainement, M. Piat ajouterait que le déclin de la cité athénienne a été causé par le

manque de recherche du pourquoi du bien. « Or c’était, lui semblait-il < Socrate >, l’ignorance de ce pourquoi qui perdait les générations nouvelles et précipitait l’Attique vers sa ruine : on se livrait au vice, parce que qu’on ne savait pas la raison de la vertu » l.

Socrate parle aussi de la recherche de la beauté. Il est aisé de comprendre que Socrate parle surtout des beautés divines. Mais, il existe une beauté divine qu’il est possible de retrouver dans ce bas monde. Cette chose divine est l’âme. Elle est d’origine divine et elle est la cause de tous les mouvements du monde sensible. Voilà l’intérêt premier et unique de Socrate. Si Socrate abandonne les études physiques d’Anaxagore, c’est qu’il avait compris que la seule chose divine qu’il est possible d’observer sur cette terre est l’âme. Anaxagore avait effleuré cette question mais il n’arriva jamais à séparer l’Esprit (le νους) de la matière. La beauté terrestre est l’oeuvre d’une cause divine. Que ce soit l’âme humaine ou l’âme divine, la beauté provient nécessairement d’un de ces deux aspects. Socrate partit alors à la recherche de la beauté divine en partant des beautés terrestres.

Le seul intérêt de Socrate était de revenir à la vraie cause : l’âme. Sa mission première était de la connaître sous toutes ses coutures. Elle est la seule chose qui puisse permettre au philosophe de remonter jusqu’aux causes divines. De plus, la connaissance des vertus passe nécessairement par l’âme. L’âme humaine est la seule chose qui existe sur cette planète qui est libre et consciente de ses actions quotidiennes. De là, l’importance de veiller sur elle. Que les actions soient bonnes ou mauvaises, l’homme peut être convaincu d’une chose : il est la cause efficiente de ses propres actions. Mieux encore, l’âme peut être corrigée si les gens veulent bien la soigner. Or, toutes fautes peuvent être redressées si les gens prennent d’abord conscience de leurs erreurs. Voilà en quoi consiste la mission première du philosophe. La seconde est de leur indiquer la voie à suivre pour éviter de les reproduire pour s’assurer d’une place parmi les dieux à la fin de leur vie terrestre.

Le philosophe voit et aime la nature du beau lui-même. Le philosophe est celui qui s’élève jusqu’au beau lui-même et il cherche à le voir dans son essence. Existe-t-il quelque chose de plus beau que la divinité? Alors il est de l’intérêt du philosophe de rechercher tout ce qui se rapproche d’elle. Ou encore, il est important qu’il trouve toute chose qui a un point en commun avec elle. Bien que Platon admette une certaine beauté corporelle comme la symétrie du visage, il n’est pas difficile de comprendre que la beauté qui intéresse tout particulièrement le philosophe est la beauté produite par la divinité. Le logos était la plus belle chose pour les philosophes grecs. La meilleure vie n’est-elle pas celle qui se conforme aux recommandations du logos? Il ne s’agit pas seulement pour le sage de connaître le logos, mais il doit également être en mesure de l’appliquer dans ses actions quotidiennes. Il aime la beauté parce qu’elle lui permet d’emprunter correctement la voie de la sagesse. Elle est une forme de signe divin qui indique secrètement la voie à suivre pour parvenir à la divinité. Les textes platoniciens indiquent plutôt que Socrate recherchait la science qui était pour lui la plus belle chose. Il ne faut pas se méprendre. Il s’agit bien de la science qui fait voir les objets intelligibles.