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Le visuel comme outil d’apprentissage

Dans le document Le roman graphique (Page 107-112)

La centration sur l’apprentissage visuel

2. Le visuel comme outil d’apprentissage

Abraham Moles (1981) se plaint que l’image « vienne en plus du texte » qui reste dominant. L’image est un complément qui décore et n’existe que pour illustrer ce que dit le texte. Il n’existe qu’une pédagogie par l’image et non une pédagogie de l’image depuis longtemps. Appréhender alors l’image en lui donnant un rôle autre que celui d’illustration fait qu’elle devienne objet d’étude.

Ainsi, l’image va se placer au même rang que la lecture, l’écriture et la pratique de l’oral. Il est question de l’interroger pour qu’elle éduque le regard. Ainsi le regard éduqué peut à son tour regarder l’image. Elle n’est plus considérée comme support d’apprentissage, mais comme objet d’analyse qui suscite des observations, des hypothèses, une construction du sens (S. Ardon, 2002). En effet, la maîtrise de la trilogie « écrit, oral, image » devient l’une des priorités de l’école.

Nous savons pertinemment que l’image permettrait la coalition entre le domaine du visible (celui de la sensation) et celui de l’intelligible (la réflexion). Elle constitue le principe dynamique pour accéder à la réalité qu’elle reproduit. Ainsi, faire parler l’image se fait par l’intermédiaire d’une langue afin qu’elle puisse sortir de son mutisme. M. Sadoski et A. Paivio (2004) développent la théorie DCT : The dual coding theory of reading) en avançant que la lecture est une fonction à trois constructions : Le décodage, la compréhension et la réaction. En d’autres termes, ce qui est appris verbalement s’inscrit dans la mémoire verbalement, et ce qui est appris non verbalement s’inscrit en tant que fonction de l’information non verbale.

A. N. Hibbing et J. L. Rankin-Erickson (2003) racontent l’histoire d’un jeune étudiant nommé Teyen qui était confus par une phrase dans une histoire (information verbale) où il était question de chenille. Teyen était dans l’incapacité de construire une image mentale d’une personne vendant un insecte qui se transformerait en papillon jusqu’à ce que l’enseignant lui

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montre une photo (information non verbale) de la situation en question. Le processus référentiel associant l’information verbale à l’information non verbale aide Teyen à développer la construction mentale appropriée pour comprendre le texte. La paire mots-images produit un effet de synergie dans plusieurs contextes.

L’apprentissage visuel ou l’alphabétisation visuelle4 est la lecture qui opère dans la conjonction des textes et des images, ce qui exige des compétences de lecture traditionnelles aussi bien que la capacité de lire des cadres, des bulles de discours et d’autres nouvelles caractéristiques ou fonctions graphiques (K. Monnin, 2010). Les étudiants ont besoin d’y avoir accès ainsi tant avec les différentes publications de romans graphiques qu’avec l’alphabétisation visuelle pour être mieux préparés aux demandes du 21ème siècle. Ce qui exige l’interprétation, la négociation et la construction du sens, voire des significations de la part des étudiants/lecteurs. L’agencement de ces exigences procure à son tour la capacité d’interpréter le monde. Les romans graphiques fournissent le moyen/outil idéal pour l’acquisition des compétences écrites et orales à développer en classe (C. Gillenwater, 2009).

Malgré la nature prolifique d’images visuelles, C. Gillenwater (2009) avance que « teach a

one-dimensional concept of literacy, while students learn to negotiate their out-of-school experiences with images via …personal trial and error, peers, and from the media itself. » (C.

Gillenwater, 2009: 33)

Il affirme que bon nombre d’enseignants continuent à utiliser le texte traditionnel et enseignent un concept unidimensionnel d’alphabétisation, tandis que les étudiants apprennent à négocier leurs expériences extrascolaires avec des images via leur propre vécu et leurs erreurs, avec leurs pairs et des médias eux-mêmes (C. Gillenwater, 2009).

Parce que le texte graphique ne décrit pas ce qui se passe en illustrations, il exige un niveau sophistiqué d’alphabétisation du lecteur (C. Gillenwater, 2009). Le dialogue ainsi que des éléments littéraires complexes comme le symbolisme, des informations visuelles et des thèmes sont tissés entre le texte et les images présentés sur la page du roman graphique; le lecteur doit synthétiser ces éléments pour comprendre l’histoire racontée.

Les lecteurs sont entrainés dans la narration qu’offre le roman graphique dans leur propre conception visuelle et impriment la langue qui exige de ces mêmes lecteurs l’utilisation de

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l’imagination et de l’inférence. Les apprenants incorporent le texte, les images, les expressions des visages, la progression de panneaux, la couleur ainsi que le bruitage (onomatopées) pour trouver une signification ou la signification.

J.B. Carter (2007) a identifié trois procédés qui permettent aux apprenants d’aborder un roman graphique : à travers une approche pluridisciplinaire comme ressource complémentaire à l’enseignement habituel, et le recours en théorie à des zones de contact où différentes cultures se chevauchent, ce qui permettra de soulever des questions à caractère social.

Le défi s’instaure alors entre enseignants et apprenants pour un examen critique des multiples questionnements autour de différents points de vue afin de dialoguer avec autrui. A travers ces optiques, le roman graphique vient appuyer l’apprentissage autour des questions sociales et le développement d’une opinion personnelle sur la justice par exemple.

Notre recherche s’appuie sur le roman graphique qui lui, est une association d’images et de fragments textuels (dialogues). En se basant sur le visuel comme premier support appuyé du texte, nous interrogeons le rôle qu’il puisse avoir dans le cours de compréhension et

expression orales du français langue étrangère à l’université quant à sa spécificité et sa

participation efficiente.

2.1. L’image didactisée

L’observation de l’intérêt porté par les étudiants aux supports visuels nous fait remarquer à quel point ils se plaisent à discuter entre eux et avec l’enseignant des représentations graphiques en essayant de dégager du sens. Mieux encore, ils utilisent des mots qu’ils puisent directement dans leur répertoire (avec les moyens de bord en faisant fi des erreurs de structures, de prononciation, etc.) afin de s’approcher le plus possible de ce qu’ils veulent « dire ».

M. Tardy (1975) identifie quatre fonctions dans l’analyse du rôle de l’image dans le cadre de la didactique des langues :

- Fonction psychologique de motivation,

- Fonction d’illustration et de désignation. L’image associe la représentation imagée du concept à l’objet désigné.

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- Fonction de médiateur intersémiotique. L’image constitue le point d’attache de deux systèmes linguistiques : La langue source (langue maternelle) et la langue cible (langue étrangère).

F. Demougin (1999) a retravaillé sur un plan ethno-socio-culturel ces quatre fonctions dans une perspective communicationnelle. L’image narrative, puisqu’il s’agit ici du roman graphique va au-delà du support visuel, elle devient canal de transmission de la langue-culture, de règles conversationnelles, de pratiques sociales du langage, de représentations du monde, de conventions socioculturelles, etc.

Ainsi, nous rejoignons F. Demougin (2012) qui traite des caractéristiques de l’image. Elle met en avant cinq caractéristiques :

- L’image raconte une histoire en mettant en avant la fonction sociale et symbolique de celui qui raconte tout en réveillant la représentation et la symbolisation.

- Elle représente un document modélisateur efficace en ouvrant de nouveaux champs de perception en dehors des automatismes acquis en langue maternelle quant à la reconnaissance d’indices sémantiques multiples (linguistiques, non verbaux, socio-culturels).

- Elle révèle simultanément « les Autres » et son auteur mais aussi la conscience dominante des hommes de l’époque quant à leur regard porté sur le monde et leurs rapports aux autres. Sans pour autant être totalement subjective, l’image narrative est constituée par un nombre de déterminants externes (lecture analogique des images, compréhension de la logique narrative, connaissance de la langue, et placement fictionnel du spectateur). L’approche sémio-pragmatique (Odin 2000) du film par exemple a permis une « une mise en phase » qui aboutit à une réaction affective positive, et de « déphasage » qui aboutit à une réaction affective négative, des réactions étant provoquées par le film. La compréhension ou la construction du sens va donc être indiquée en rapport au degré de maîtrise de la langue étrangère.

- L’image narrative transmet aussi la culture légitimée officiellement (une culture reproduite ou dénoncée), que ce soit au niveau de mythes manifestes et latents, des stéréotypes dits ou non dits. Elle apparaît alors comme objet didactique particulier puisqu’elle met en valeur la pluralité des normes d’usage.

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F. Demougin (2012) continue avec les critères de l’image pour dire :

- L’image permet de percevoir une langue dans tous ses états (verbaux et non verbaux), sans que le purement linguistique ne l’emporte nécessairement dans l’approche langue-culture. Le rapport de l’image au réel constitue « l’existence d’un espace de

référence où le sens dénoté peut s’épanouir à travers la dimension iconique de l’image liée à la dénomination et inductrice d’une fonction d’identification, de lecture commune du sens porteuse de consensus » (F. Demougin, 2012 : 106).

Mais ouvre aussi dans la reconstruction du réel un espace symbolique qui voit se mêler des faits culturels aux valeurs connotées.

2.2. Le visuel et la classe de français

Nous pensons à la nécessité de retracer le parcours de l’utilisation de l’image comme outil didactique dans la classe de français langue étrangère.

A travers la pédagogie qui met en jeu des activités orales, celles de lecture, de travaux écrits, etc., le visuel s’est encastré dans l’enseignement du FLE. Il a pu trouver sa place au sein de multiples choix méthodologiques en proposant des formes diversifiées d’interactivité. La domination de la linguistique et de la psychologie behavioriste étant ébranlées, l’image est ramenée au devant de la scène didactique grâce à l’approche communicative. Ainsi dés 1974, S. Moirand et d’autres redressent la problématique de l’image dans toutes ses formes avec l’introduction d’une conception dynamique dans le processus d’apprentissage de la langue étrangère.

Pour F. Demougin (2012), l’image a eu plusieurs statuts dans la pratique pédagogique :

- Celui d’un facilitateur sémantique, puisqu’elle permet un transcodage du sens étranger dans un sens iconique accessible. D. Coste (1975) l’explique en disant qu’« elle parle

d’elle-même sans détour. La bande magnétique peut faire entendre cat ou katze, l’image elle, bonne fille, atteste qu’un chat est un chat » (D. Coste, 1975 : 6).

Et de ce fait, sur le plan théorique, l’image permet aux apprenants d’accéder à la compréhension des unités de la langue cible. Cependant, les formes de représentations mentales ne sont pas identiques pour tous les apprenants puisque l’image n’est pas universelle, ni monosémique. L’image sémantique a été remplacée par l’image situationnelle

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qui met en évidence des traits de la situation d’énonciation et de ce fait, justifie des énoncés produits (P. Rivenc, 2000). Ceci dit, l’apprenant est amené à croire que le discours imposé est celui qu’il faut tenir. On revient à dire que ce qui est sollicité dans l’image reste la dimension référentielle.

- Un stimulateur verbal : la parole spontanée a besoin pour émerger, de la pluralité des lecteurs. L’image apparait comme matériau didactique (F. Demougin, 2012) ayant pour fonction, celle de déclencheur verbal qui aide à l’expression orale des apprenants : plusieurs composantes, linguistique, socio-pragmatique et culturelle sont travaillées simultanément quand l’apprenant traite des éléments du langage de l’image, iconique et/ou iconographique (U. Eco, 1992).

- Un révélateur : L’image devient objet d’enseignement et non simple prétexte, polarisatrice de la réalité de la langue étrangère pour l’apprenant, elle est considérée comme le centre d’activation des compétences linguistiques, socio-pragmatiques et culturelles (F. Demougin, 1999).

L’image œuvre culturellement pour s’ouvrir sur une identité collective. Le visuel est alors considéré comme outil didactique singulièrement efficient

« pour la mise à jour de l’entrecroisement des médiations stéréotypées par lesquelles

l’homme se repère et s’identifie collectivement dans son rapport au monde. Mais au-delà, l’image va renvoyer celui qui la regarde à sa propre identité. Cela implique didactiquement, et c’est important, de s’intéresser à l’apprenant comme sujet singulier et pas seulement comme entité collective. » (F. Demougin, 2012 : 108)

Ce qui impose des tâches normées (ex : exercices de repérages des éléments d’une image) et d’autres non normées (ex : le jeu des associations libres à partir d’une image).

Dans le document Le roman graphique (Page 107-112)