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CHAPITRE 4 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.2 Historique de l’entreprise l’Auto-Neige Bombardier Limitée

4.2.1 La vision initiale

Les dix premières années seront des années d’expérimentation. Les premières années comme propriétaire d’un atelier de réparation et d’entretien automobile mettent rapidement en évidence le caractère saisonnier des activités et donc, des revenus de ce type d’entreprise dans le contexte canadien et en particulier dans le contexte d’une petite municipalité rurale isolée. Le village de Valcourt est situé au cœur des Cantons de l’Est, plus précisément à 120 kilomètres de Montréal. Dans une entrevue diffusée sur les ondes de la

télévision de Radio-Canada, monsieur Bombardier décrit l’isolement de son village en ces termes :

Il n’y avait pas d’industrie, il n’y avait pas de routes ouvertes l’hiver et nous étions très isolés. Plusieurs m e demandaient comment se fait-il que tu construis ces voitures-là à Valcourt, qu’il y a une industrie à Valcourt. Alors, ma réponse favorite était vous n’avez qu’à passer par chez nous en hiver et puis vous avez là la réponse. Nous n’avions pas de service de chemins de fer et aucune communication sauf le cheval et le « bogey » avec les grelots.

À titre de mécanicien et d’employé de garage, il avait évidemment déjà fait l’expérience du caractère saisonnier de l’industrie, mais de façon beaucoup moins aiguë. Il était désormais animé d’une nouvelle motivation. En effet, afin d’être en mesure de satisfaire tout au long de l’année aux besoins de la famille qu’il venait de fonder avec son épouse Yvonne Labrecque, monsieur Bombardier souhaitait changer cette situation. Il est ambitieux et envisage alors de changer les règles du jeu et de désaisonnaliser les revenus, non seulement de sa propre entreprise, mais ce faisant, de l’ensemble des entreprises d’entretien et de réparation automobile. En fait, très tôt après l’ouverture de son atelier, il souhaite bénéficier de l’opportunité que lui offre le marché des voitures adaptées aux rigueurs de l’hiver négligé par les grands fabricants comme Ford, General Motors, Citroën et Renaud. Il est définitivement un industrialiste et ambitionne de devenir le principal manufacturier fabricant nord-américain d’automobiles adaptées aux conditions et aux besoins du transport mécanisé en saison hivernale. Comme le souligne nt De Bresson et Lampel (1985 : 135) :

Joseph-Armand Bombardier, l’inventeur, avait à la fois le loisir nécessaire au processus d’essais et erreurs que l e développement d’une nouvelle technologie requière et une vision claire des problèmes à résoudre de façon à satisfaire les besoins locaux. L’environnement de vie et de travail de Bombardier a de toute évidence eu une influence importante sur la direction qu’a prise son

activité créatrice. Au cours des mois oisifs d’hiver, Valcourt, son village de résidence, était peu fréquenté et bloqué par la neige. Aucun véhicule circulant sur la route comme ils avaient l’habitude de les appeler ne pouvait atteindre son Garage Imperial Oil. Au cours des hivers, Bombardier avait la latitude suffisante pour réfléchir aux lacunes du nouveau mode de transport. Ses activités créatives dans les années 1920 à 1930 peuvent être perçues comme un effort pour remplacer l’automobile sur pneus par une automobile sur chenilles et skis comme le véhicule de transport de base des régions nordiques enneigées. Il a développé une vision d’une automobile mieux adaptée aux espaces sans routes et aux espaces enneigés du nord.

L’idée directrice s’impose alors clairement : les consommateurs des pays nordiques comme le Canada devront posséder non pas une, mais deux automobiles, dont l’une leur permettant de circuler l’hiver. Pour lui, les grands fabricants d’automobiles, alors très préoccupés par les coûts et les économies d’échelles, ne s’intéresseront pas à la fabrication de ce deuxième véhicule. De plus, l’expérience des premières années lui avait démontré que les tentatives de mise au point des ensembles « kit prêt à monter », proposés par certains entrepreneurs mécaniciens de talent et qui permettraient de transformer les automobiles afin qu’elles puissent circuler l’hiver , avaient un avenir et une efficacité limités. Ses efforts antérieurs et les problèmes liés à la conception, notamment au niveau du poids et du mécanisme de traction, l’avaient convaincu que les transformations requises pour convertir une automobile ordinaire en véhicule réellement efficace sur une surface enneigée étaient beaucoup trop importantes. Il serait ultimement plus fac ile et plus économique d’adapter un véhicule véritablement conçu pour circuler sur la neige l’hiver en véhicule pouvant également circuler sur les routes l’été plutôt que de tenter de réaliser le contraire.

Contrairement à la très grande majorité des autr es fabricants d’autoneiges québécois, canadiens et nord-américains, Bombardier sera dans l’esprit de son fondateur non pas un atelier artisanal de production unitaire sur commande,

mais une entreprise manufacturière de production à plus grande échelle. Dès 1936,  une date qui marque la fin de la première période et le début de la deuxième  il inaugure sa première usine d’assemblage d’autoneiges. Comme il l’explique lors d’une entrevue réalisée par l’animateur Jean Ducharme de Radio-Canada, le défi était de taille :

En 1926, je possédais un petit garage ici (à Valcourt au Québec) et puis quand l’hiver est arrivé — nécessairement la neige avec – il s’est trouvé que les clients du garage, les automobilistes, se sont faits plus que rares et dans le temps il n’y avait pas d’assurance chômage ou autre alors il fallait se débrouiller (Jean Ducharme – on n’entretenait pas les routes à ce moment -là évidemment) absolument pas, il m’est alors venu à l’idée d’inventer, de fabriquer une automobile qui irait sur la neige pensant que si je réussissais l’idée, ce serait une aubaine pour moi et pour mes confrères garagistes qui eux pourraient s’occuper à la réparation et à l’entretien de ces voitures et vendre de la gazoline et ainsi de suite en hiver comme en été alors ce serait souhaitable pour les gens de la campagne en plus de ça pour se transporter du village aux villes et pour les médecins enfin et pour tous ceux qui ont à sortir l’hiver […] je me suis mis à la tâche pensant que c’était une affaire de rien, mais après coup ça m’a pris 12 ans à développer l’autoneige.

Malheureusement, ce n’est que vers la fin de sa vie que son rêve se réalisera et les opérations de fabrication de l’entreprise Bombardier seront finalement transformées en véritable usine de fabrication d ans le style des lignes d’assemblage des grandes entreprises manufacturières d’automobiles américaines de la région de Détroit.

Tout au long de la décennie de la première période, Joseph-Armand Bombardier développera son autoneige en améliorant le systèm e de suspension, le mode de direction, la répartition du poids, etc. Au cours de cette première période, il fabriquera une dizaine de véhicules sur commande afin de satisfaire les besoins de ses clients. Le premier acheteur sera un hôtelier de Valcourt, monsieur Charles Boisvert. Son autoneige sera fabriquée à partir

d’une automobile Franklin munie d’un moteur refroidi à l’air. Toutefois , bien que chacun des véhicules fabriqués au cours de cette période est techniquement et en réalité un prototype unique, chaque véhicule fabriqué conserve essentiellement l’allure générale du modèle T de Ford muni de skis plutôt que de pneus à l’avant et des chenilles montées sur les roues arrière doublées à la manière des automobiles semi-chenillées (half-track) mises au point au tout début du siècle par l’ingénieur mili taire français Adolphe Kégresse – qui deviendra le père de la transmission automatique et un très proche collaborateur du célèbre fabricant de voitures françaises André -Gustave Citroën.

1936-1941

La fin de la première étape et le début de la deuxième surviennent en 1936 avec l’ouverture de la nouvelle usine et le dépôt de la demande de brevet pour le système d’engrenage qui marquera l’histoire de Bombardier : l’autochenille semi-chenillée (half-track) Bombardier. Toutefois, les débuts de la nouvelle usine de fabrication en lots des nouveaux modèles de véhicules seront lents. Comme le souligne monsieur Bombardier lors de l’entrevue diffusée sur les ondes de Radio-Canada, tout comme le développement du produit, la fabrication en lots représentait également un défi important :

Ce n’est qu’en 1937 que j’ai, à la suite de mon premier brevet que j’ai obtenu, que j’ai commencé à en fabriquer  Jean Ducharme : de façon industrielle à ce moment-là  de façon industrielle si vous voulez, mais la première production s’est chiffrée à trois unités pour le premier hiver  Jean Ducharme : le premier hiver  la raison principale : manque d’argent pour en lancer plus et puis je crois c’était sage aussi même si j’avais eu l’argent il était sage de commencer lentement parce que c’était tout un problème.

L’approbation de la demande de brevet en juin 1937 aura une influence considérable sur la croissance de Bombardier Limitée.