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Agir le passé − « […] « tient bon la barre (« steady as

CHAPITRE 2 REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.6 Le modèle de Dufour et Steane

2.6.3 Les grandes étapes du cycle de vie de la pensée stratégique

2.6.3.3 Agir le passé − « […] « tient bon la barre (« steady as

Dufour et Steane proposent d’utiliser comme thème intégrateur de la troisième étape de leur cycle de vie de la pensée stratégique une expression idiomatique anglaise bien connue et très populaire particulièrement auprès des amateurs de sport nautique qui, malheureusement, ne trouve pas facilement son équivalent en langue française : « steady as she goes ». Toutefois, l’on peut tout de même s’aventurer et proposer d’autres expressions nautiques utilisées en langue française comme « maintient le cap, ho et hisse » ou encore « en

avant toute, tient bon la barre » comme candidates pour exprimer l’essentiel de la signification de cette directive de timonier. Il s’agit en somme de maintenir la direction dans laquelle on est maintenant engagé et d’éviter les changements, en particulier les changements brusques de direction.

Comme le soulignent Dufour et Steane, il existe évidemment un danger que ces entreprises s’enlisent dans le passé à force de répéter demain ce qu’elles ont fait aujourd’hui et ce qu’elles faisaient hier. Ils soulignent que Mintzberg, Taylor et Waters (1984 : 17) dans leur étude longitudinale de la formation de la stratégie d’un journal anglophone de la région de Sherbrooke − Le Sherbrooke Record − fournissent un bel exemple qui met en lumière certaines des conditions du maintien du succès lors de cette troisième période dans le cycle de vie de la pensée stratégique :

Trois facteurs interreliés semblent expliquer l’absence de réponse à la détérioration de la situation. Premièrement, les stratégies qui ont une longue histoire de succès ont l’habitude de se perpétuer elles - mêmes, même après que les conditions aient changées (Mintzberg, 1978). Les membres d’une organisation s’habituent de faire les choses d’une certaine façon et se sentent confortables avec les vieilles façons de faire (stratégies). Deuxièmement, l’environnement n’a pas changé de façon brusque autant que graduellement – en d’autres termes la détérioration se manifestait plus par des tendances que par des événements du moins pour la majeure partie de la période […]. Toutefois, ici un troisième facteur joua un rôle important et vient aggraver la situation : Bassett (le propriétaire) − conserva un lien personnel avec l’organisation, mais il avait perdu tout intérêt dans sa gestion. Ces trois facteurs ont eu pour effet de verrouiller en place les stratégies existantes. Un peu comme un enfant de riches trop gâté, cette organisation était bien pourvue matériellement, mais ignorée au plan affectif aussi perdit -elle contact avec le monde réel.

Les déboires d’entreprises similaires aux prises avec les périls du succès ont inspiré Danny Miller (1990) à écrire « Le paradoxe d’Icare (The Icarus Paradox) » :

La légende raconte qu'Icare, personnage fabuleux de la mythologie grecque, vola si haut, si près du soleil, que la cire de ses ailes artificielles fondit et qu'il tomba dans la mer d'Égée, y trouvant la mort. Le pouvoir des ailes d'Icare fut à la source de la témérité qui le perdit. Le paradoxe, bien sûr, est que ses principaux et meilleurs atouts l'amenèrent à l’échec puis à la mort. Le même paradoxe s'applique à beaucoup d’entreprises remarquables : bien souvent, leurs victoires et leurs forces les entraînent dans des excès qui causent leur chute. Le succès mène à la spécialisation et à l'exagération, à la confiance et à la suffisance, aux dogmes et aux rituels.

Dufour et Steane insistent cependant que si les dirigeants restent vigilants, les entreprises qui traversent cette période peuvent facilement éviter les périls du succès pour de très nombreuses années. Ils citent la phrase de conclusion d’étude longitudinale de la formati on de la stratégie du journal anglophone de la région de Sherbrooke :

Peut-être que le message est que les organisations tout comme les sociétés en santé ont besoin de leaders qui non seulement agissent, mais également s’inquiètent et se font un sang d’e ncre pour leur entreprise (Mintzberg et al., 1984, p. 27).

Tout comme dans les deux cas précédents, les trois éléments qui forment le noyau de cette configuration s’harmonisent autour de ce thème orchestrateur. La mission que se donne alors l’entreprise et le défi principal qu’elle tente de relever au cours de cette période est essentiellement de se perfectionner, de faire encore mieux ce qu’elle faisait déjà très bien depuis un certain temps; d’être toujours plus efficace et de plus en plus efficient e tout en retrouvant les avantages de la flexibilité perdue d’une petite entreprise. Le moyen utilisé afin de relever ce défi est le développement , voire l’exploitation de compétences dans un processus d’innovation de procédés qui , paradoxalement, permettront ultimement de demeurer sensiblement différent et de renforcer l’image de marque de l’entreprise. Le marché visé est essentiellement le même que lors de la seconde étape : la majorité tardive

relativement conservatrice à laquelle s’ajoute aussi la minorité des sceptiques retardataires, tous particulièrement sensible aux prix et aux coûts. En bref, ces entreprises peuvent concurrencer efficacement parce qu’elles travaillent plus intelligemment – elles ont un meilleur modèle d’affaires et surtout des opérations plus efficaces ainsi que des partenaires pour mettre l’accent sur l’amélioration de ce qu’elles font non seule ment de bien, mais de mieux.

À ce stade de son évolution dans le cycle de vie, bien dans la pensée stratégique, l’entreprise devient beaucoup plus « intrapreneuriale » qu’entrepreneuriale, en particulier en ce qui a trait à l’amélioration de ses produits et de ses opérations. Toutefois, la séquence normative prescriptive des questions traditionnelles de la formulation de la stratégie n’est toujours pas respectée. En effet, la première question n’est pas où sommes-nous actuellement, mais bien comment pouvons-nous faire encore mieux. La deuxième question − comment allons-nous nous y rendre? − trouve cette fois sa réponse dans la mise à profit des ressources et des compétences distinctives dans le processus d’innovation des processus. Enfin, la réponse à la question « où sommes-nous actuellement? », qui occupe encore une fois la dernière plutôt que la première place dans la séquence de questionnement , s’exprime alors en termes de l’écart entre les processus qui assurent l’efficacité actuelle et les processus qui assureraient l’efficacité souhaitée de l’entreprise.