• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.3 Le cycle de vie du produit

La théorie du cycle de vie du produit est plus âgée que la théorie du cycle de vie de l’entreprise. Alors qu’elle avait connu une période latente de fréquentations plutôt longue et un peu discontinue au cours des années 1940 et de la décennie des années 1950, elle est entrée dans sa phase de croissance

rapide au cours de la décennie des années 1960 sous la plume de nombreux auteurs et en particulier sous celles de Theodore Levitt (1965) et de Philip Kotler (1966), pour ne nommer que deux des plus célèbres d ’entre eux. La théorie du cycle de vie du produit était jusqu’alors considérée dans la littérature, tout comme celle du cycle de vie de l’entreprise, comme une idée attrayante, un nouveau concept intrigant, mais qui demeurait néanmoins relativement marginale. Comme le soulignent Polli et Cook (1969 : 385) :

Le concept de cycle de vie du produit a largement été discuté au cours de la décennie précédente, mais il n’avait pas réellement été mis à l’épreuve empiriquement de façon systématique. Ceci peut s’expliquer par la tendance générale dans la communauté scientifique tout comme dans celle d’affaires à ne pas prendre le concept très au sérieux – une tendance qui était cohérente avec le fait que la validité tant théorique qu’empirique même du concept demeurait une question sans réponse.

En fait, la validité de la théorie du cycle de vie du produit s’est alors vue considérablement renforcée par la publication au début des années 1960 des résultats des études aujourd’hui célèbres d’Everett M. Rogers (1962, 1983 , 1995, 2003) sur la dynamique de la diffusion et de l’adoption de l’innovation. Celle-ci fournissait à la théorie du cycle de vie du produit , et par symbiose à la théorie du cycle de vie des organisations, un rationnel théorique éprouvé empiriquement (Rink et Swan, 1979; Polli et Cook, 1969 : 386) :

La forme de la courbe caractéristique du cycle de vie (S majuscule italique allongé également décrit comme une courbe normale en cloche − courbe de Gauss − tronquée du deuxième et troisième écarts-types positifs) reçoit un appui théorique solide par la théorie de la diffusion et de l’adoption de l’innovation de Rogers (1962). En bref, le concept implique qu’un nouveau produit rencontre une résistance initiale à l’adoption à grande échelle d’un nouveau comportement. En conséquence, le produit est donc acheté par un segment relativement limité de la population d’acheteurs potentiels. Plus tard alors que l’efficacité du produit et sa valeur intrinsèque sont mieux connues et communiquées un segment plus large

d’acheteurs est alors disposé à l’adopter et en conséquence les ventes augmentent à un rythme plus rapide. Éventuellement, le rythme de croissance diminue alors que la proportion de personnes qui l’adoptent s’approche de plus en plus du maximum et que la majorité des ventes sont des achats répétés par les mêmes consommateurs. Le taux d’adoption demeure constant tout au long de la phase de maturité et diminue lors du déclin. Le lien entre la théorie de Rogers et le concept de cycle de vie du produit devient plus évident lorsque l’on considère que la forme de la courbe généralement utilisée pour représenter le cycle de vie est l’équivalent cumulatif de la fonction normale de densité qui dessine précisément la forme de la fonction d’adoption de l’innovation de Rogers.

Alors que la théorie du cycle de vie de l’entreprise amorçait sa propre phase de croissance rapide au cours des années 1970, la théorie du cycle de vie du produit s’était, elle, déjà engagée depuis quelques années dans sa phase de maturité. Toutefois, avec l’éclosion du concept de stratégie en général et en particulier du mouvement de la planification stratégique , elle entamait rapidement un nouveau cycle de relance grâce à ses enseignements normatifs , particulièrement au chapitre de la structure de la concurrence et du comportement des consommateurs. Comme le souligne nt Boman, Singh et Thomas (2002 : 35) :

La planification stratégique, souvent appelée planification prévisionnelle dans les années 1970 commença à mettre l’accent sur les facteurs externes tels que le marché et les concurrents et les facteurs fonctionnels internes. Ici, les consommateurs et les concurrents étaient les principaux sujets d’attention et la structure de l’entreprise fut réorganisée en domaines d’activité stratégique (DAS) pour bien souligner l’existence de ces différents groupes de consommateurs et de concurrents.

En fait, la théorie du cycle de vie du produit associe alors de façon normative et prescriptive une stratégie d’affaire particulière à chacune de ses étapes. Comme le soulignent Thietard et Vivas (1984 : 1405) :

Selon la théorie du cycle de vie du produit (Buzzell, 1966; Clifford, 1977; Cox, 1977; Dhalla et Yuspeh, 1976; Doyle, 1976; Levitt, 1965; Wright, 1971), des stratégies différentes sont utilisées dans les différentes phases du cycle de vie. Plus spécifiquement, une stratégie de leadership est utilisée au cours des phases d’introduction et de croissance et elle est suivie d’une stratégie de niche en phase de maturité. Finalement lorsque la phase de déclin s’installe alors une stratégie de récolte de la moisson est alors poursuivie.

La contribution importante de la théorie du cycle de vie du produit à la prise de décisions stratégiques par les experts du marketing est de toute évidence indéniable. Son utilité ne fait aucun doute. Comme le souligne Mintzberg (1979 : 469) « les théories les plus utiles sont souvent très simples lorsqu’énoncées et très efficaces lorsqu’elles sont utilisées ». La théorie du cycle de vie du produit est, tout comme celle des quatre P du plan de marchéage (Kotler et al., 2012), à la fois simple et utile aux praticiens du marketing et de la gestion stratégique, et ce, pour plusieurs raisons. En effet, elle prescrit un ensemble d’actions stratégiques spécifiques à chaque phase. Comme le soulignent Polli et Cook (1969 : 386) :

Le cycle de vie du produit semble être simplement un autre exemple de modèles de prévision à moyen terme basés sur une analogie biologique. Toutefois, cette conception est trompeuse. Le modèle n’a pas été principalement utilisé pour des fins de prévision. En place et lieux, il a été principalement utilisé comme un support à la planification et à la formulation de politique. Par exemple, le positionnement dans l’une ou l’autre des étapes du cycle de vie est perçu comme utile parce qu’il permet l’évaluation d’une série de réflexions tactiques et stratégiques reliées à la politique de produits de l’entreprise.

De plus, elle facilite la planification de leur mise en œuvre dans le temps et elle invite à réfléchir sur la configuration cohérente des activités des différentes fonctions de l’entreprise.

La littérature sur le cycle de vie du produit est abondante et a déjà fait l’objet de plusieurs synthèses à la fois intéressantes et exhaustives (Polli et Cook, 1969; Rink et Swan, 1979; Mullor-Sebastien, 1983). Toutefois, aux fins de la présente recherche sur la pensée stratégique de l’entreprise, la théorie du cycle de vie du produit demeure beaucoup trop centrée sur les questions relatives aux rapports produits/marchés et elle n’est pas suffisamment préoccupée par les questions de politique général e d’administration et de la direction générale. Elle offre donc une vision trop étroite pour rendre compte de la diversité et de la complexité de la réflexion et de la pensée stratégique des entreprises. Les principales critiques formulées à l’endroit de l a théorie du cycle de vie du produit ont été très bien résumées il y a quelques années par Allouche et Schmidt (1995 : 15) :

Les critiques les plus fréquentes sont les suivantes : 1) des difficultés réelles d’identification des phases dans lesquelles se situent les produits et d’anticipation des moments où se déroule le passage d’une phase à l’autre persistent; 2) la confusion est possible entre plusieurs niveaux d’analyse à l’échelle de la marque, du produit générique ou de la branche; 3) les travaux empi riques ont permis de distinguer jusqu'à dix formes de cycles autres que la forme traditionnelle; 4) le cycle de vie du produit apparaît en définitive comme une variable dépendante, sur laquelle l’entreprise dispose d’une capacité d’action plutôt que comme une variable indépendante qui agirait nécessairement sur la vie de tous les produits et favoriserait une gestion prévisionnelle efficace du portefeuille de produits en termes prédictifs. Ces critiques soulignent le caractère incomplet de la théorie du cycl e de vie, dans une vision principalement marketing et insuffisamment stratégique.

Cette section a tracé l’évolution de la théorie du cycle de vie du produit en relation avec celle du cycle de vie des organisations afin de permettre de bien discerner les deux idées, leur cycle de vie respectif ainsi que leur contribution à la prise de décisions stratégiques. La prochaine section décrit l’esprit qui a présidé au relevé de la littérature de la présente recherche et elle

fait l’inventaire des principales contributions à la connaissance sur le cycle de vie des organisations.