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CHAPITRE 4 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.2 Historique de l’entreprise l’Auto-Neige Bombardier Limitée

4.2.15 La profondeur du trou de lapin

Le passé dit-on est souvent garant du futur. Confronté à une situation difficile, la stratégie de monsieur Bombardier avait toujours été de faire appel à son génie créatif et de développer une solution qui prenait le plus souvent la forme d’une innovation technologique. Celle-ci n’avait jamais tardé à surgir de son cerveau. Aussi était-il convaincu que la solution résidait à la même adresse et que la crise serait de courte durée. Il refusait donc obstinément de procéder à la mise à pied d’employés de l’usine de Valcourt, tout en tentant initialement de calmer les créanciers et de rassurer les actionnaires en réinvestissant lui-même substantiellement dans son entreprise.

Deux ans plus tard, le problème ne s’était toujours pas résorbé. Le calendrier de la mise en œuvre de la politique de déneigement des routes de la province lui donnait tout de même une période de répit : la politique prendrait

encore une décennie avant d’être mise en œuvre à la grandeur du territoire et d’ici là, il serait toujours nécessaire de véhiculer les enfants à l’école, comme il serait nécessaire aux médecins de se rendre au chevet de leurs malades et aux postiers du Département des bureaux de poste du gouvernement du Canada (ancêtre de Postes Canada) de livrer le courrier. Cela permettrait à l’usine de Valcourt de survivre tout au moins pour quelque temps. Cependant, monsieur Bombardier savait bien qu’il serait futile de faire l’autruche : la fabrication d’autoneiges n’avait définitivement pas un avenir très reluisant.

Conformément au dicton anglais « if you can’t beat them : join them »  si vous ne pouvez les vaincre; joignez -vous à eux , il avait tenté de mettre au point une souffleuse à neige pour nettoyer les routes enneigées de la province, mais il s’était rapidement rendu compte que ce marché était déjà saturé par les grandes entreprises américaines titulaires de l’avantage du premier entrant et qui offraient des véhicules très performants (barrière à l’entrée). Le projet fut donc abandonné rapidement après seulement que lques prototypes. Puis, il eut l’idée de développer une automobile tout-terrain qui serait tout aussi efficace sur l’asphalte que sur la neige. Plusieurs prototypes et essais plus tard réalisés autour des modèles C4 et le B5  qui n’étaient en fait que des versions légèrement modifiées du B12, le premier sans skis, mais avec une chenille allongée jusqu'à l’avant du véhicule et le second dont les skis avaient été remplacés par de petites roues qui pouvaient être changées pour des skis aux besoins  l’avaient convaincu d’abandonner l’idée de changements mineurs après plus d’une année d’effort. Le changement devrait être plus radical.

Si l’usine ne fabriquait plus de véhicules, elle pourrait peut -être tout de même en fabriquer les moteurs. Une autre année s’était écoulée et les designs de moteurs, tout comme les carcasses des prototypes abandonnés, occupaient les tablettes du centre de recherche et développement de l’entreprise à

Kingsbury, un village situé à 25 kilomètres de Valcourt. Alors qu’il était un village fantôme, il avait été acheté entièrement par monsieur Bombardier en 1946 afin de satisfaire aux besoins futurs d’expansion de son entreprise. Un de ces prototypes de moteur s’était toutefois fait remarquer. Il avait été utilisé pour propulser une petite autoneige qui amusait beaucoup tous ceux qui avaient eu le plaisir de l’essayer. Toutefois , de l’avis de monsieur Bombardier, ce moteur nécessiterait encore plusieurs années de recherche et développement avant qu’il puisse être fabriqué de façon industrielle à coûts raisonnables et l’idée avait été abandonnée. Dans sa recherche de solution s, la situation à court et moyen terme le préoccupait beaucoup plus que celle à long terme; la solution devait avant tout remettre l’entreprise sur la voie de la rentabilité, puis ouvrir un domaine d’affaires qui pourrait soutenir la croissance future.

Monsieur Bombardier n’avait toujours pas trouvé de solution , pas plus qu’il n’avait trouvé le sommeil depuis un certain temps; non pas qu’il dormait généralement beaucoup. Il avait visiblement perdu du poids et gagné considérablement en sautes d’humeur et en irritabilité , ce qui n’améliorait pas sa personnalité généralement distante et plutôt froide , ainsi que ses manières directes et souvent presque brusques. Comme le souligne Déry (2010 : 82), cette philosophie de gestion sert bien l’entreprise traditionnelle :

Par son attitude, parfois méprisante et hautaine, mais le plus souvent protectrice et enveloppante, le gestionnaire marque, non pas sa grandeur et sa hauteur, mais bien celle de la tradition qui instaure, pour le bien de tous, la distance hiérarchique qui le sépare des autres. Par son attitude condescendante, le gestionnaire ne fait donc que rappeler à chacun qu’ils doivent tenir leur rang et, par-là, respecter encore et toujours la tradition qui les unit.

Sur les conseils insistants de son épouse, mais principalement sur prescription de son médecin, il s’était finalement résolu à prendre quelques semaines de vacances au soleil de la Floride et à confier, en son absence,

l’entreprise à son frère Gérard. Loin de s’en douter, il venait de prendre la décision qui allait sauver non seulement sa santé, mais également son entreprise et peut-être aussi son mariage; quoique ce dernier n’avait jamais été menacé. Il aimait sa femme, Yvonne, presqu’autant que la mécanique , ce qui n’est pas peu dire. Elle était et de loin sa plus fidèle collaboratrice et sa plus grande admiratrice.