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Réfléchir sur le passé − « […] se tenir sur des épaules

CHAPITRE 2 REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.6 Le modèle de Dufour et Steane

2.6.3 Les grandes étapes du cycle de vie de la pensée stratégique

2.6.3.2 Réfléchir sur le passé − « […] se tenir sur des épaules

Cette fois le lecteur aura reconnu le thème central unificateur proposé pour cette période par Dufour et Steane « […] se tenir sur des épaules de géants » comme le slogan utilisé sur la version anglaise de la page d’accueil de Google Scholar. Il s’agit en fait d’une version de la métaphore attribuée à Bernard de Chartres − « des nains sur des épaules de géants » − utilisée pour illustrer l’importance de connaître, de respecter et de s’appuyer sur les idées et réalisations du passé, sur les connaissances et sur l’expérience acquises afin d’aller plus avant. Dufour et Steane soulignent que la devise de la province de Québec « Je me souviens » constitue également une candidate intéressante au titre de thème orchestrateur de cette configuration. En effet, cette devise rappelle à qui veut l’entendre de ne pas oublier les leçons du passé, ses malheurs et ses gloires afin d’avancer plus avant dans la direction historique déjà engagée par le peuple québécois.

Tout comme dans le cas précédent, les trois éléments qui forment le noyau de cette configuration s’harmonisent autour de ce puissant thème orchestrateur. La mission que se donne alors l’entreprise et le défi principal qu’elle tente de relever est essentiellement de poursuivre dans la même voie sur la base de l’expérience acquise et du succès passé. Cette fois , le défi n’est plus de créer une nouvelle industrie, ou encore de changer fondamentalement les règles du jeu de la concurrence de l’industrie, mais bien de rénover et de reproduire dans le temps la recette du succès de l’entreprise; de la rénover en restant fondamentalement la même. Le moyen utilisé afin de relever ce dé fi est le développement de règles de décisions relativement simples (Eisenhardt et Sull, 2001) dans un processus d’innovation du paradigme de l’entreprise. Le marché visé est beaucoup plus large que dans le cas précédent. En effet, l’entreprise tente maintenant de convaincre les membres de la majorité précoce pragmatique d’adopter le produit et d’utiliser le service puis, le cas échéant,

elle s’attaque à ceux de la majorité tardive plus conservatrice en utilisant essentiellement la façon de faire qui lui est propre et qui lui a permis de connaître un certain succès, voire un succès certain.

Pour illustrer leurs propos, Dufour et Steane reprennent l’exemple de la compagnie Steinberg Inc., une importante chaîne de distribution alimentaire du Québec, présenté dans l’étude longitudinale historique réalisée par Mintzberg et Waters (1990 : 297). En effet, après une période initiale de formation qui dura treize ans (entre 1917 et 1930), les membres de la famille Steinberg, et en particulier Sam Steinberg, le deuxième des aînés et héritiers des valeurs (qualité, honnêteté, dévouement, service personnalisé) de leur mère responsable du succès initial de l’entreprise, s’engagea dans une période d’exploitation et de rénovation de la stratégie qui dura onze ans, soit jusqu’en 1941 :

Au cours de cette période d’un peu plus de dix ans, la compagnie se déplaça lentement vers un nouvel ensemble de stratégies, une nouvelle gestalt qui mettait l’emphase sur les éléments dominants du libre-service. Ces stratégies semblent délibérées et toutefois pas autant planifiée qu’opportunistes. En d’autres termes, elles étaient intentionnelles, mais non dans le temps et dans la forme. L’approche avant tout, était entrepreneuriale centrée sur la vision d’un homme qui de son propre dire prenait toutes les décisions tout le temps. Toutefois paradoxalement, tout ceci était stimulé par une crise importante, même si celle-ci était simplement le fruit de la croissance même de l’entreprise. Le besoin de bien servir les besoins des familles devient une force qui allait bien au-delà; un des éléments du succès antérieur de la compagnie − le service personnalisé − devient l’une des premières victimes de cette rénovation majeure; et l’environnement plus hostile était devenu plus réceptif à ces innovations.

À ce stade de son évolution dans le cycle de vie de la pensée stratégique, l’entreprise familiale demeurait encore fondamentalement entrepreneuriale. Aussi, tout comme dans la phase précédente, l’ordre normatif prescriptif des

questions traditionnelles de la formulation de la stratégie n’est toujours pas respecté. La première question n’est pas de savoir « où sommes-nous maintenant », mais bien sommes-nous généralement satisfaits de notre performance, de la façon dont nous nous en sortons au sein de cett e industrie. Comme le soulignent Mintzberg et Waters (1990 : 297) en parlant de Steinberg Inc. :

Ce changement majeur (libre-service) n’était pas une remise en question fondamentale du type « dans quel domaine d’affaires sommes-nous? ». La compagnie connaissait très bien son domaine d’affaires, en fait c’était là une des sources de sa force. C’était plutôt une quête de réponse à la question « comment allons-nous au sein de cette industrie en particulier? ».

La deuxième question − comment allons-nous nous y rendre? − trouve cette fois sa réponse dans la mise à profit des ressources et des compétences distinctives dans le processus d’innovation du paradigme de l’entreprise , c'est- à-dire de la façon dont l’entreprise se représente le monde et se définit elle- même. Enfin, la réponse à la question « où sommes-nous actuellement? », qui occupe encore une fois la dernière plutôt que la première place dans la séquence de questionnement, s’exprime alors en termes de l’écart entre la performance générale souhaitée et la performance actuelle de l’entreprise.