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Difficultés dans la cueillette des données de base

CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.2 La démarche méthodologique

3.2.4 Difficultés dans la cueillette des données de base

Outre une litanie habituelle d’imprévus, de problèmes de santé et de problèmes personnels qui, selon Dufour et Steane (2011), sont caractéristiques d’une démarche d’études supérieures avec mémoire, la cueillette de données de base et la recherche d’évidences sur les décisions prises ainsi que les actions entreprises par l’organisation au cours de cette période se sont révélée s à la fois beaucoup plus longues et beaucoup plus ardu es que prévu au moment de la sélection de la période qui devait être étudiée.

L’hypothèse implicite au deuxième critère de sélection (décrit ci-haut) était l’existence d’une rétroaction positive et donc d’un lien positif direct entre, d’une part la renommée manifeste par le niveau de reconnaissance officielle du protagoniste principal de l’étude de cas, en l’occurrence monsieur Bombardier, et d’autre part les données disponibles dans la littérature tant populaire qu’universitaire. Cette hypothèse s’est révélée non supportée empiriquement par les données recueillies; au contraire l’évidence empirique

semble supporter l’existence d’une relation négative plutôt que positive entre ces deux variables.

Si le volume de littérature est tout de même relativement important, son contenu est extrêmement redondant et réitère sous plusieurs formes différentes les mêmes événements qui semblent tirés directement de la version officielle approuvée par l’entreprise et qui supportent généralement les principaux mythes entourant la vie de monsieur Bombardier, dont notamment en ce qui a trait à son titre d’inventeur de la motoneige. S’il fallait en croire la légende populaire qui l’entoure, monsieur Bombardier serait né prématurément poussé par un désir impératif, impérieux et irrésistible, non pas de mettre sur pied une grande entreprise manufacturière viable et rentable, mai s d’inventer aussitôt que possible la motoneige afin de permettre aux malades l’hiver de se rendre à l’hôpital; aux médecins de se rendre auprès des malades, aux prêtres de se rendre au chevet des grands malades, et aux croque-morts de se rendre auprès des cadavres pour les « mettre en bière » avant de les transporter − forcément dans le blizzard − afin de les mettre en terre.

Le titre d’inventeur de l’autoneige que monsieur Bombardier lui-même ne niait pas, sans toutefois l’encourager, lors d’une entrevue diffusée en 1956 sur les ondes de la Société Radio-Canada reste énigmatique. Cette attitude équivoque semble être devenue depuis la politique de la maison. Il faut toutefois admettre que dans le lexique du français de la très grande majorité des francophones du Québec, le lemme simple motoneige et le lemme composé Ski-Doo sont de parfaits synonymes totalement interchangeables , et donc que la confusion est enracinée très profondément dans la culture populaire sans que personne n’en soit véritablement responsable.

Ce premier problème dans la cueillette des données de base s’est vu amplifié par l’effet conjugué du mode de propriété de l’entreprise au cours de

la période étudiée. En effet, constituée initialement comme une entreprise à propriétaire unique, elle est devenue au cours de la Deuxième Guerre mondiale une société privée par actions, puis une société publique par actions en 1966 uniquement. Aussi, tout au long de la période 19261966, l’entreprise était une entreprise privée. La Fondation Joseph-Armand Bombardier, le personnel du Musée J.A. Bombardier, dont notamment son archiviste et les principaux dirigeants de l’entreprise, réitèrent tous à qui veut l’entendre, d’une même voix et avec une empathie sincère, que les données et la documentation relatives à cette période sont toujours à ce jour fort malheureusement exclusivement du domaine privé et donc essentiellement confidentiel les et ne peuvent donc, suivant la loi canadienne, être consultées que par les administrateurs désignés aux lettres patentes. La recherche sur cette première période dans l’histoire de l’entreprise repose donc malheureusement pour l’essentiel sur des données secondaires qui paradoxalement , bien que moins fiables, se sont révélées beaucoup plus laborieuses et plus diffic iles à colliger.

Bien que le secret qui entoure la documentation aux mains de l’entreprise pourrait facilement exciter l’imagination des adeptes de la théorie du complot, il faut bien admettre en toute justice que si l’un des plateaux de la balance de Thémis porte le poids du progrès et du développement de la connaissance, l’autre plateau porte lui aussi un poids qui exerce une force tout aussi sinon plus importante : la pérennité de l’image non seulement de l’homme, mais du héros légendaire, source d’une grande fierté et donc d’estime de soi, d’une nation en manque aigu qui pourrait avaler la mer et les poissons pour assouvir à nouveau son désir de goûter ne serait -ce qu’un soupçon supplémentaire d’inspiration.

La collecte de données de base auprès des organismes gouvernementaux et des ministères impliqués a elle aussi généré son lot de difficultés et de frustration. À titre d’exemple, la recherche de données sur la formulation,

l’adoption en 1948 et la mise en œuvre de la loi sur le déneigement des route s du Québec s’est révélé un cauchemar bureaucratique qui n’a d’équivalent que dans l’une des scènes du film Les douze travaux d’Astérix (Goscinny et Uderzo, 1976), où l’on voit nos deux célèbres héros du village gaulois d’Armorique − Astérix et Obélix − tenter d’obtenir un laissez-passer A-38 dans « la maison qui rend fou ». Le ministère du Transport du Québec (MTQ) et la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) se sont lancé la balle à maintes reprises. Toutefois, tout comme dans le cas précéde nt, il faut bien comprendre que ce n’était pas par manque de bonne volonté de la part des fonctionnaires de l’État, mais le résultat de l’effet combiné d’au moins quatre facteurs importants : 1) les structures du gouvernement du Québec ont considérablement changé depuis cette époque; 2) ceux qui étaient en poste lors de l’adoption de la loi sont évidemment tous retraités, et ce, depuis belle lurette; 3) les technologies et processus d’archivage de cette époque n’étaient en rien comparables à ce qu’ils sont devenus aujourd’hui; et finalement 4) la loi sur le déneigement des routes n’occupe certainement pas , et à raison, le haut du palmarès des lois les plus importantes de l’histo ire parlementaire du Québec.