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A – Des enfants issus de familles aux conditions d’existence socio-économiques « précaires »

5. Violences intrafamiliales

Nous relevons différentes formes de violences qui trament le cadre familial des élèves rencontrés : la violence conjugale, que nous avons déjà évoquée ci- dessus, la violence intra-fratrie, la maltraitance et enfant en danger sur lequel nous apportons un éclairage ci-dessous.

Concernant les violences conjugales, nous ne parlons pas ici de ces disputes que connaît toute configuration familiale ni encore des scènes de ménage. Nous faisons référence à ces scènes violentes, intenses et récurrentes qui affaiblissent les individus et qui déstabilisent le cadre familial de socialisation. Au centre de ces

phénomènes, il est difficile de grandir, de se construire, de se transformer et surtout d’apprendre. Au point que le départ du mari violent constitue un événement libérateur pour toute la famille. Tout se passe comme si sa présence, de par son comportement violent, constituait un frein à l’épanouissement de la famille, son départ est alors vécu comme un soulagement, un allègement des souffrances. En témoignent deux comptes-rendus dans lesquels les assistantes sociales relatent les propos de deux mères soulagées du départ de leur mari : « Actuellement la mère

élève seule ses 8 enfants dont 7 sont encore scolarisés. Le climat familial serait moins tendu et plus serein depuis le départ du père qui remonte à environ 3 mois. […]. Famille connue du service social du secteur. » Et le deuxième exemple :

« Madame T. élève seule ses enfants. Avant le départ du père en 1998 l’ambiance

était très mauvaise, empreinte de violence.»

Lors des épisodes de violence conjugale, certains enfants n’ont pour seule solution que la fuite du domicile familial, quand ils le peuvent et s’ils sont en âge de le faire. Les plus jeunes, qui ne peuvent pas fuir, subissent, grandissent, se « construisent », se « développent » au centre du phénomène. Ainsi, Ingrid, élève d’une des classes de troisième de la SEGPA-F, nous dit qu’elle « préfère partir de la

maison » pendant les moments de conflits entre sa mère et son beau-père, le second

concubin, qui sont en fait séparés mais se retrouvent régulièrement : « Quand ils

bataillent [se bagarrent] moi je pars, je descends [elle vit en immeuble], je vais avec les camarades ». Le plus problématique, c’est qu’en sortant de l’école, Ingrid ne

rentre pas au domicile familial si elle se rend compte de la présence de son beau- père : « Si il est là je rentre pas ». Ou sinon elle rentre et repart de suite : « ou bien

quand il est là, je rentre, je repars tout de suite ». Dans ce contexte, il est clair

qu’Ingrid souffre et la fuite est un moyen d’atténuer cette souffrance : « quand c’est

comme ça ils me fatiguent. ». Cette situation perdure : « Je vis comme ça depuis l’école primaire. » Depuis quelle classe exactement, elle ne sait plus ; ce qui est sûr,

c’est qu’au moment de l’entretien, la situation est pratiquement la même, alors qu’Ingrid est en classe de troisième. Au fil du temps, Ingrid s’éloigne de sa famille, du domicile familial et trouve refuge auprès « des camarades en bas de

pour elle de se livrer à différentes expériences telle que la consommation d’alcool dès l’âge de douze ans, nous dit-elle. Dans cette dynamique, elle s’éloigne aussi de l’École. « A l’école primaire c’était bon », dit-elle, c’est en classe de sixième, au collège « ordinaire », que tout semble avoir basculé. Et elle est consciente de la situation puisqu’elle nous dit que c’est également suite à ses « mauvaises

fréquentations » que ses résultats scolaires ont décliné en classe de sixième :

« Question : – Pourquoi tu as décroché en sixième ?

Ingrid : – Les cours étaient trop vite, je suivais pas, c’était trop dur. J’avais un peu

de mauvaises fréquentations aussi.

Q : – C’est quoi les mauvaises fréquentations ?

I : – Non ! Rires, Rires. Ben ! Je rentre tard à la maison. Q : – A quelle heure ?

I : – Neuf heures, neuf heures et demi comme ça, parfois dix heures [selon une copine de classe elle rentre beaucoup plus tard].

En classe de sixième, malgré le constat de sa « bonne participation » dans toutes les disciplines, les enseignants parlent d’elle et du premier au deuxième trimestre ses bulletins scolaires indiquent une baisse régulière par manque de travail : « En baisse, des difficultés et peu de travail. Travaillez davantage » (professeur de français, bulletin du deuxième trimestre) et en mathématiques : « De

la bonne volonté, doit poursuivre ses efforts », en anglais : « En baisse », en histoire

géographie : « Bonne volonté, des difficultés ». Pour Ingrid, dès le deuxième trimestre la procédure de réorientation vers une cinquième SEGPA a été activée.

Y a-t-il un rapport entre les mauvais résultats scolaires d’Ingrid et la fuite du domicile familial pour s’éloigner des conflits conjugaux ? Si, rentrer au domicile familial très tard régulièrement ou fuir les conflits conjugaux pour y revenir le plus tard possible n’est pas suffisant pour anéantir le processus d’apprentissage scolaire, néanmoins celui-ci peut en être considérablement affaibli et compromis. En outre la classe de sixième est une classe charnière où « le travail scolaire, qu’il soit fait en

classe ou le soir à la maison, prend une place prépondérante dans la vie des collégiens. […]. La masse de travail […] augmente ainsi que le niveau des attentes

des enseignants, ce qui conditionne des trajectoires de travail et de réussite contrastées en cette première année de collège. »1 Et pour réussir, les collégiens sont amenés à beaucoup plus travailler hors des cours, chez eux : « L’année dernière, je

prenais à peine trente minutes pour faire mes devoirs. Maintenant je prends trois heures » ; « c’est plus dur le travail. J’ai été obligé d’apprendre plus, et mes parents ils m’ont plus aidé. » 2

Ainsi, quelques éléments du processus de la réussite scolaire en classe de sixième sont énoncés ici. Ingrid fait partie de ceux pour qui ces éléments font défaut : elle ne peut pas travailler chez elle et ses parents – principalement sa mère – ne peuvent pas l’aider.

Dans certaines familles, les conflits conjugaux ont parfois une issue dramatique. Pour Jonathan, élève d’une des deux troisièmes de la SEGPA-K ayant refusé nos entretiens : « J’ai rien à dire, c’est bon comme ça » ; c’est par l’un des deux quotidiens régionaux que nous apprenons que sa mère a donné un coup de couteau à son concubin suite à de longues années de disputes sur fond d’alcoolisme : « Triste histoire que celle du couple B. Sans travail, épris d’alcool, les deux amants

qui partagent la vie commune depuis vingt ans, passent leur temps à se quereller. De coups de gueule en coups de poing, une dispute a dégénéré [….] dans leur appartement […] et s’est soldée par un coup de couteau dans l’abdomen du concubin. Elle avait un taux de 3,22 g d’alcool dans le sang […] et lui 2,81 g » (Le

journal de l’île de La Réunion du samedi 12 mai 2007, p. 8)3. Jonathan fait partie de ces élèves en très « grandes difficultés scolaires » que les sociologues ont du mal à approcher par la méthode qualitative4. Il s’absente régulièrement et a toujours fui à chaque fois que nous cherchions à engager la conversation (avec lui) dans la cour de récréation. Certains de ces élèves que nous abordons nous disent qu’ils n’ont pas

1 Olivier Cousin et Georges Felouzis, Devenir collégien. L’entrée en classe de sixième, Paris : Edition

sociale Française, 2002, p. 40.

2

Ibid.

3 Sur la même page du journal, il est relaté l’histoire d’un autre père de deux élèves de la SEGPA-C

poursuivi pour agression sexuelle. Ce père a bénéficié d’une relaxe du tribunal.

4

confiance. Malgré toutes les précautions que nous prenons, leur crainte est que nous rapportions leurs propos à l’institution scolaire.

Parmi les élèves rencontrés, certains subissent également des violences dans la fratrie. Quand ils se plaignent aux agents éducatifs, un signalement pour maltraitance peut être fait au Procureur de la République, comme dans le cas de Mathilde, élève de la SEGPA-B. : « Je […] vous signale un cas de maltraitance

intrafamiliale sur la collégienne Mathilde […]. Mathilde est venue dans mon bureau se plaindre de recevoir quasi quotidiennement des coups et gifles infligés par son grand frère de 20 ans […]. Mathilde vit dans une famille nombreuse de plus de 10 enfants qui est déjà connue des services sociaux. L’enfant est d’aspect plus que négligé et d’une hygiène très douteuse. Il lui arrive parfois à elle aussi d’être très violente envers ses camarades. »

Or, quand la maltraitance est avérée après enquête(s) sociale(s), les enfants sont amenés à être retirés de leur famille et placés dans une famille de substitution.

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