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1 Une analyse des parcours scolaires en termes de processus

5. Hypothèse de travail

Il s’agit pour nous d’étudier et d’analyser les dynamiques des processus qui rendent possible le parcours scolaire des élèves de SEGPA.

Selon une étude effectuée par Jean-Paul Caille1, de suivi d’une cohorte d’élèves entrés en sixième ou en SES-SEGPA en 1989, dans un établissement public ou privé de France métropolitaine ou d’un département d’outre-mer, et concernant les élèves qui ont abandonné leur scolarité entre l’année scolaire 1990-1991 et l’année scolaire 1995-1996, nous savons qu’une scolarisation en SES-SEGPA réduit fortement les chances de sortir du système éducatif avec une qualification : « 54,8 %

des élèves orientés à un moment de leur scolarité en SES-SEGPA sont sortis sans qualification du système éducatif », alors que 3,1% sortis d’une classe de troisième

générale sont dans cette situation2. Nous savons également que le parcours scolaire des élèves de SES-SEGPA est caractérisé par des difficultés scolaires précoces et importantes, dès l’école primaire, tant dans le domaine des mathématiques que du français, ce qui les amène à redoubler parfois plusieurs classes. Il est aussi intéressant d’observer dans l’étude longitudinale de Jean-Paul Caille que les élèves ayant connu une orientation en SES-SEGPA ne réintègrent « quasiment jamais la

filière générale ».

Par ailleurs, ces élèves sont issus de milieux familiaux où les parents exercent principalement les métiers d’ouvriers, d’employés ou encore sont inactifs. De fait, tous les travaux les identifient comme des élèves issus de la catégorie socioprofessionnelle « défavorisée », voire « la plus défavorisée »3, et par dérive et interprétation abusive dans la pensée collective, ils sont qualifiés de porteurs de « handicaps » en tous genres. A ce propos, Serge Boulot et Danielle Boyzon-Fradet « se demande[ent] si la “débilité” est l’apanage des classes populaires ou si ces

structures spéciales ne fonctionnent pas comme une des soupapes du système

1 Jean-Paul Caille, op. cit., p. 24. 2 Ibid., p. 25.

“égalitaire” qui permet à l’école de demeurer “école pour tous” seulement au prix de ne pas être “l’école de tous” »1.

Du point de vue des apprentissages scolaires, Roland Goigoux s’interroge sur la réussite de ces élèves, dans ses travaux concernant les compétences en lecture qui se sont portés sur un échantillon de 561 élèves de SEGPA répartis sur l’ensemble des divisions de la sixième à la troisième. Ce chercheur conclut qu’il est « possible

d’affirmer que les élèves de SEGPA de [son] échantillon progressent en lecture au cours de leur scolarité adaptée et qu’ils disposent d’une marge de progrès qui n’est pas encore totalement exploitée »2. Cependant, dans sa conclusion intermédiaire, Roland Goigoux est moins optimiste et adopte une posture nuancée quant aux résultats obtenus : « [L]es données que nous avons recueillies concernant les

compétences en lecture nous conduisent à penser que le devenir scolaire et professionnel des élèves de SEGPA est fortement compromis. Nous faisons l’hypothèse que les SEGPA disposent d’une marge de progrès, notamment sur certains points qui peuvent paraître positifs au premier abord mais qui freinent en réalité les acquisitions scolaires des élèves. »3 Les hésitations accentuées en lecture et écriture de ces élèves, nous les avons constatées au cours d’une première phase de notre étude4.

Cependant, il est erroné de conclure, à partir des travaux de Roland Goigoux et de nos constats, que tous les élèves de SEGPA ne savent « ni lire, ni écrire » ; nous en tenons pour preuve les textes d’une grande richesse de certains d’entre eux, en l’occurrence des filles.

Dès lors, au regard de notre première phase d’investigation, des résultats et conclusions des travaux cités ci-dessus, nous nous demandons comment il est possible qu’au terme de treize années et plus de scolarité, des élèves qui sont supposés avoir bénéficié d’« actions de prévention, d’aide et de soutien et

1

Serge Boulot et Danielle Boyzon-Fradet, op. cit., p. 23.

2 Roland Goigoux, op. cit., p.163. 3 Ibid., p. 153.

d’allongement de cycles »1 à l’école primaire et d’ « un enseignement adapté » dans un cadre spécifique à la SEGPA sont toujours porteurs « de difficultés », et qu’à terme, ils quittent massivementle système éducatif sans qualification.

Nous ne limiterons pas notre étude aux élèves de SEGPA sortis sans qualification ; c’est l’ensemble des histoires et expériences scolaires qui nous intéresse, et c’est ce qui se joue principalement en amont de la sortie officielle et réglementaire de la SEGPA que nous nous donnons comme objectif d’analyse. Nous soutiendrons ici que ce qui se passe après la SEGPA, que ce soit au lycée professionnel où ailleurs, est le résultat d’expériences construites au cours de la scolarité à l’école primaire et à la SEGPA. Ce qui ne veut pas dire que certains de ces élèves ne réussissent pas après la SEGPA.

Il s’agit pour nous de « déconstruire » la trajectoire scolaire de ces élèves telle qu’elle est généralement rapportée pour la reconstruire en tentant de mettre en évidence les dynamiques qui la sous-tendent. Quels sont les éléments, les événements, les phénomènes et les mécanismes sociaux et institutionnels qui scandent le parcours scolaire des élèves de SEGPA et qui sont susceptibles de rendre raison de leur situation scolaire, tant la persistance de leurs difficultés d’apprentissage que leur sortie du système éducatif sans qualification ?

Si réussir sa scolarité nécessite d’avoir un rapport particulier à l’École et au(x) savoir(s)2, il ne suffit pas pour autant d’être scolarisé pour réussir. Les difficultés d’apprentissage, ou plus communément l’échec scolaire, ne s’expliquent pas uniquement par un cumul de difficultés en termes cognitifs, ou par des « malentendus sociocognitifs »3 ou « décrochage cognitif »4, ou encore par la « non-

maîtrise, dans le cadre d’un rapport de domination, de formes de relations sociales

1 Circulaire n°96-167 du 20 juin 1996 et Circulaire n° 2006-139 du 29 août 2006. 2 Bernard Charlot, Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, op. cit.

3 Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, « Apprendre : des malentendus qui font la différence », pp. 105-

122, in Jean-Pierre Terrail (dir), La scolarisation de la France. Critique de l’état des lieux, Paris : La Dispute, 1997.

4 Stéphane Bonnéry, « Décrochage cognitif et décrochage scolaire », pp.135-149, in Dominique Glasman

particulières »1, comme par exemple ce qui se passe pour certains élèves dans le cadre scolaire au travers des activités de lecture-écriture. Tout en adhérant à ces travaux et en restant dans leur mouvance, il s’agit pour nous de considérer la situation scolaire des élèves de SEGPA « comme une construction sociale, c’est-à-

dire comme un produit historique de mécanismes sociaux et non comme “état” résultant d’attributs individuels »2.

Ce sont les éléments, les phénomènes, les événements et mécanismes caractérisés par des processus qu’il faut étudier et expliquer. Et pour suivre Bernard Lahire, nous tenterons de « saisir le social dans ces processus de construction plutôt

que dans ces états, dans les modalités fines des phénomènes plutôt que dans leurs grands traits »3. L’idée consiste à considérer la situation scolaire des élèves de SEGPA comme « un phénomène social qu’il faut expliquer par des processus

sociaux »4. L’analyse faite et les travaux cités dans notre posture de recherche nous engagent dans une telle direction.

Nous allons tenter de lire et de relever ces éléments, événements, phénomènes et mécanismes qui rendent possible le parcours scolaire des élèves de SEGPA dans leur cadre familial de socialisation, dans le cadre scolaire de socialisation et dans les relations d’interdépendances qui existent entre ces deux pôles de socialisation. Cadre familial et cadre scolaire sont pour nous deux pôles essentiels, sans pour autant que nous négligions la place des pairs dans le processus de socialisation de ces élèves. Cependant, peut-on faire la part entre ce que la trajectoire scolaire des élèves de SEGPA doit à la socialisation familiale et à la socialisation scolaire, aux pratiques enseignantes, ou encore aux processus cognitifs ?

1 Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, op. cit., p. 58.

2 Claude Dubar, « socialisation et processus », in Serge Paugam (dir.), L’exclusion : L’état des savoirs,

Paris : La Découverte, 1996, p. 111.

3

Bernard Lahire, « Les raisons de l’improbable. Les formes populaires de la “réussite” à l’école élémentaire », pp. 73-74, in Guy Vincent (dir.), L’éducation prisonnière de la forme scolaire ?, op. cit..

4 Marie Duru-Bellat, Les inégalités sociales à l’école. Genèse et mythes, Paris : Presses Universitaires de

Quand bien même nous avons suivi certains élèves jusqu’au lycée professionnel, l’essentiel de ceux qui font partie de notre échantillon sont scolarisés en classe de quatrième et de troisième, et c’est dans leurs SEGPA respectives que nous les avons d’abord rencontrés. Ces élèves peuvent parler de leur scolarité passée et de ce qui s’est sédimenté au cours de leur histoire scolaire. Ils sont également à une étape de leur parcours où l’orientation constitue une dimension essentielle. Nous allons donc nous intéresser également aux processus et aux mécanismes d’orientation, ainsi qu’aux phénomènes sous-jacents.

Dès lors, nous postulons, et cela constitue notre hypothèse de travail, que le parcours scolaire des élèves de SEGPA ne se réduit pas à une aventure individuelle mais est avant tout le produit de diverses expériences sociales, familiales et scolaires dont la compréhension ne peut être réduite aux seules analyses des caractéristiques personnelles de ces élèves ; leur sortie massive du système éducatif sans qualification ne peut être dissociée des dynamiques des processus constitutifs de ces expériences.

Dans sa forme générale, notre approche n’est certes pas nouvelle, mais appliquée à la situation scolaire des élèves de SEGPA à l’île de La Réunion, elle prend un caractère inédit. D’autant plus que d’une manière générale, les dispositifs d’éducation spécialisée et adaptée de notre île constituent un terrain de recherche en friche.

Compte tenu de la complexité de l’expérience de vie et scolaire des élèves rencontrés, nous avons mis en place une procédure de recherche basée sur diverses méthodes et techniques de recueil de données que nous allons décrire dans le chapitre suivant.

Chapitre III

Méthodologie

Comment appréhender le parcours scolaire des élèves de SEGPA dans leur logique propre et en termes de processus ? Selon Bernard Charlot, Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, « pour comprendre un processus (le processus global ou un

sous-processus), il faut d’abord identifier les phénomènes qui entretiennent la dynamique et les analyser, il faut ensuite tenter de reconstruire cette dynamique, en s’aidant de la connaissance des effets que produit le processus »1. Pour atteindre cet objectif « le travail d’enquête constitue un moment fondamental de toute recherche

sociologique puisque ce qui différencie le raisonnement sociologique, en tant que raisonnement scientifique, d’une herméneutique libre, c’est précisément la nécessité de fonder ses affirmations sur un matériau empirique »2. C’est ce que nous nous sommes efforcé de faire dans ce travail, résultat d’une enquête et d’un recueil de données qui ont duré pratiquement quatre années scolaires : 2005/2006, 2006/2007, 2007/2008 et 2008/2009.

1.

Enquête exploratoire et négociation d’accès au terrain d’étude

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