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C La mise en place de l’École : de Bourbon à La Réunion

3. De la départementalisation à nos jours ou « de l’École coloniale

à l’École républicaine »

6

A l’aube de la départementalisation, « la colonie est un territoire marqué par

une profonde misère »7. « Le retard économique, social et intellectuel pris par la

masse de la population pendant trois siècles de colonisation »8 est considérable.

En 1946, avec la départementalisation, « la donne change pour l’école ; mais

le système est si déficient que les douze années de la Quatrième République ne

1 Raoul Lucas et Karin Radojcic, op. cit. 2 Ibid.

3 Raoul Lucas, Bourbon à l’école…, op. cit., p. 215. 4 Ibid., p. 214.

5 Raoul Lucas, « de l’école coloniale à l’école républicaine », op. cit., p. 12.

6 Driss Alaoui et Frédéric Tupin, « L’École réunionnaise, un modèle ambivalent » in Eliane Wolff et

Michel Watin (dir.), La Réunion, une société en mutation, op. cit., p. 125.

7 Yvan Combeau, Une décolonisation française. L’île de La Réunion 1942-1946, Saint André : Océan

Editions, 2006, p. 11.

peuvent suffire à le rendre efficace »1. Cependant, si de nombreuses infrastructures « avaient été laissées à l’abandon »2, dont les écoles, au moment de la départementalisation, les éléments constitutifs d’un système éducatif existent bien à La Réunion. Il est notamment caractérisé par un parc comprenant des écoles élémentaires privées, publiques, coloniales et communales. On y trouve également des cours complémentaires qui préparent les élèves au brevet élémentaire3. Au terme de l’année scolaire 1947-1948, selon Raoul Lucas, le système éducatif de « l’île

compte 254 écoles, 4 de plus qu’en 1946. Les écoles publiques sont au nombre de 210 et sur les 44 écoles privées 26 sont congréganistes. 38 000 élèves étaient inscrits dans ces écoles. Les écoles publiques se répartissent en nombre égal – 54 – entre écoles de garçons et écoles de filles et 102 écoles sont donc mixtes »4. Cependant, la surcharge des classes est un phénomène marquant du système éducatif de cette période. En 1949, nombreuses sont les classes de plus de 100 élèves. Existent même quelques classes de plus de 150 élèves5.

Au niveau du secondaire, existent deux lycées publics situés dans le chef lieu dont un accueille les garçons et l’autre les filles. Sont également comptabilisés deux établissements privés accueillant d’une part les séminaristes, et d’autre part les garçons qui n’ont pas eu de place au lycée.

Toutefois, ces structures sont insuffisantes et en 1954, nombreux sont les enfants non scolarisés : « 36 % de la population scolaire ne fréquente pas l’école »6 et « en 1956, le département n’a pas suffisamment d’écoles pour accueillir tous les

enfants qui se présentent chaque rentrée »7.

1 Prosper Eve, « Education, culture à La Réunion dans les années 1960 », in Revue Historique des

Mascareignes, Association Historique Internationale de l’Océan Indien, n°4, 2002, p. 147.

2 Jean Defos Du Rau, op. cit., p. 563.

3 Raoul Lucas, « Le développement de la scolarisation… un cas d’école ? », op. cit.

4 Raoul Lucas, « L’enseignement à l’aube de la départementalisation », in Economie de La Réunion,

INSEE, n°42, 1989, p. 7.

5 Ibid., pp. 7-8. 6 Prosper Eve, ibid. 7 Ibid.

Si, pour reprendre les propos de Raoul Lucas, « à La Réunion c’est vers la fin

de la décennie 1950 que les lois républicaines finissent par franchir les portes de l’École »1, marquant ainsi « la fin de l’ordre colonial avec ses discriminations et

exactions »2, néanmoins le retard est tellement important que « pendant les dix

premières années de la Cinquième République, l’école n’est pas en mesure de former tous les jeunes Réunionnais et de leur donner l’espoir d’une vie meilleure »3. « 11 à 16 % d’enfants scolarisables de 6 à 14 ans ne fréquentent pas l’école dans la

seconde moitié des années 1950 et au début des années soixante. Ils sont appelés à grossir le peloton des analphabètes. […]. Des enfants quittent l’école prématurément à l’âge de douze ans parce qu’ils n’en tirent aucun profit, parce qu’ils sont dégoûtés d’être laissés-pour-compte par l’enseignant et d’entendre des remarques désobligeantes, parce que l’école telle qu’elle fonctionne n’offre aucune perspective d’avenir aux élèves en difficulté. »4

Concernant l’enseignement secondaire, « dans la décennie qui suit la mise en

place de la départementalisation [il] reste verrouillé à La Réunion, dans l’incapacité dès lors de dégager une clientèle accrue vers le supérieur »5. Le seul recours pour La Réunion, c’est de rattraper son retard en ouvrant l’enseignement secondaire. Pas à pas, le système éducatif réunionnais va se développer, se démocratiser et l’instruction sera une priorité première, voire « absolue » : « différents fonds et crédits seront conjugués pour permettre à l’éducation de se

développer »6. De nombreux établissements scolaires sortent de terre, dont un lycée dans le sud de l’île, en 1964, et le recrutement et la formation des enseignants seront massifs. La démocratisation de l’éducation et de la formation permet de passer d’un taux d’analphabètes de plus 60% pour les plus de quinze ans, en 1954, à 39 % en 1967, puis à 22 % en 19827. Toutefois, cette baisse n’exclut pas qu’en 1982, 70 %

1 Raoul Lucas et Karin Radojcic (dir.), op. cit., p. 71.

2 Raoul Lucas, « Le développement de la scolarisation… un cas d’école », op. cit., p. 35. 3 Prosper Eve, op. cit., p. 148.

4 Ibid. 5

Raoul Lucas et Karin Radojcic(dir.), ibid.., p. 62.

6 Raoul Lucas, ibid., p. 27.

7Jacques Pougnard et Claude Parain, « La lutte contre l’illettrisme n’est pas gagnée » in INSEE,

des jeunes sortent du système scolaire sans formation professionnelle1. Jeunes qui, par ailleurs, ont un niveau scolaire général tellement fragile et lacunaire qu’ils deviennent plus tard « des analphabètes fonctionnels »2.

« En 1985, l’école primaire ne permettait encore qu’à six élèves sur dix

d’accéder en sixième »3, jusqu’à la même période « le collège constituait pour la

majorité des jeunes un palier d’orientation vers la vie active, ou au mieux vers le lycée professionnel »4 et que « le taux d’accès en terminale était alors de 18,3 % ». C’est dans ce contexte scolaire que l’analyse de Myriam Chevillon et Claude Parain5, à l’image des travaux de Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron6, montre que « l’origine sociale » est l’un des éléments explicatifs de l’« échec scolaire » à La Réunion. Les jeunes qui réussissent sont issus des familles favorisées. Et ceux « issus des milieux défavorisés qui réussissent et entrent en seconde de L.E.G.T.

appartiennent à des familles dont le comportement est proche de celui des milieux favorisés »7. Par ailleurs, est mise aussi « en évidence une forte corrélation entre le

redoublement à l’école primaire et l’orientation des jeunes à l’issue du collège »8.

Ainsi, bien que des progrès aient été réalisés, ces indicateurs montrent que « le caractère socialement sélectif de l’enseignement réunionnais est encore bien

marqué, la démocratisation de l’accès aux études étant simplement amorcée »9.

1 André Scherer, op. cit., p. 113.

2 Définition : « Est fonctionnellement analphabète toute personne incapable d’exercer toutes les activités

pour lesquelles l’alphabétisation est nécessaire dans l’intérêt de sa communauté et aussi pour lui permettre de continuer à lire et écrire, à calculer en vue de son propre développement et celui de sa communauté » : UNESCO, 1958 in INSEE-CARIF-OREF-CIRILLE, L’illettrisme à La Réunion, Volet 2 : des hommes, Saint Denis, 1996, p. 3.

3 Claude Parain et Christian Larbaut, « L’enseignement supérieur en pleine croissance », op. cit., p. 6. 4 Myriam Chevillon et Claude Parain, « Parcours scolaires et milieu social à La Réunion » in Education et

Formations, n°38, 1994, p. 52.

5 Ibid.

6 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris : Editions de

Minuit, 1964.

7 Myriam Chevillon et Claude Parain, op. cit., p. 51. 8 Ibid.

C’est la création d’une Académie de plein exercice qui va permettre au système éducatif réunionnais de redynamiser son processus de démocratisation de l’enseignement.

« L’Académie, une instance majeure »

1

La transformation du vice-rectorat, dont s’est dotée La Réunion en 1946, en Académie de plein exercice le 1er décembre 1984, marque une nouvelle étape dans le développement du système éducatif réunionnais. C’est un « événement majeur » qui « ouvre l’ère d’une logique quantitative de l’offre scolaire »2 que Raoul Lucas appelle la « troisième déferlante »3.

Dès lors, « La Réunion possède désormais l’outil stratégique nécessaire pour

une politique [d’éducation et] de formation à la mesure des enjeux auxquels elle est confrontée »4.

Pendant les dix premières années, suite à la création de l’Académie, des efforts collectifs sont consentis. L’état injecte des moyens financiers et humains importants. Les écoles, les collèges, les lycées se construisent et l’enseignement supérieur se développe. C’est également au cours de cette période que l’on observe une ouverture du collège au plus grand nombre. Le taux d’élèves qui atteint le lycée est également en augmentation. Simultanément, des associations et des organismes de formation contribuent aux efforts d’éradication de l’illettrisme, d’élévation du niveau de connaissances générales et de qualifications professionnelles et techniques.

Le 22 décembre 1995, le Conseil Régional adopte un « Plan Régional de

Développement des Formations » qui couvre l’ensemble du système de formation

dont « la finalité recherchée est de miser sur la formation de l’homme pour qu’il

1 Raoul Lucas, in Académie de La Réunion, 1984-2009 : Un nouveau défi, l’excellence, Rectorat

Académie de La Réunion, décembre 2009, p. 43.

2 Driss Alaoui et Frédéric Tupin, op. cit.

3 Raoul Lucas, « Le développement de la scolarisation… un cas d’école », op. cit., p. 32. 4 Raoul Lucas, in Académie de La Réunion…, ibid., p. 44.

devienne l’acteur principal de son développement et de celui de sa région »1. Si parmi les orientations fixées et mises en œuvre par le « Programme Régional de

Formation Professionnelle », l’accent est mis sur la formation qualifiante, un volet

tout aussi important est consacré à l’alphabétisation, à la remise à niveau, à l’aide au choix professionnel, à la mobilité des stagiaires, etc.2.

A la rentrée scolaire 2007, l’Académie compte 535 écoles primaires, 78 collèges, dont 24 accueillent une SEGPA, 30 lycées d’enseignement général et technologique, dont 16 comportent une section d’enseignement professionnel, 15 lycées professionnels, dont 3 incluent une section d’enseignement général et technologique3. Dans ces effectifs, il faut compter 35 structures privées : 26 écoles, 5 collèges, 2 lycées et 2 lycées professionnels.

En 1985 apparaît l’éducation prioritaire, qui se réorganise au cours de l’année 2006-2007. Dès lors, 40 collèges sont classés en éducation prioritaire : 19 dans le réseau « Ambition réussite », et 21 dans le réseau de « Réussite scolaire ». Au total, un collégien sur deux bénéficie de l’éducation prioritaire4. L’enseignement supérieur, dont les écoles, les instituts et l’université, qui se répartit sur deux pôles, le nord et le sud, connaît également une expansion. L’ensemble des structures, premier degré, second degré et enseignement supérieur, accueille, à la rentrée scolaire 2007, un effectif qui a tendance à se stabiliser, de 240 847 élèves et étudiants5, alors que pour l’année 1965-1966, l’effectif comprenant le primaire, dont le préscolaire, le secondaire, le supérieur et le technique comptait 111 062 élèves et étudiants6.

Après 25 ans d’existence, l’Académie de La Réunion accueille en 2009 un peu plus de 240 000 élèves et étudiants. Ces derniers sont inscrits dans 532 écoles

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