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L’émergence de la Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté : Une construction sociale

A L’émergence de la Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté

1. L’émergence de la Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté : Une construction sociale

Si dans le champ de l’éducation spécialisée et adaptée, l’appellation SEGPA est communément admise, pour autant elle n’est pas apparue ex nihilo. Chercher à comprendre ce qui se passe au cours de la scolarité des élèves de SEGPA nécessite inévitablement un retour sur les conditions socio-historiques de son émergence. Ici, notre but, certainement lacunaire, est d’apporter quelques éléments de compréhension quant à l’émergence de la SEGPA comme produit socialement construit.

Comprendre les conditions d’émergence socio-historiques de la SEGPA permet de situer ce qui se joue pour les élèves qui y sont scolarisés. Ce n’est pas un hasard si ces élèves sont appelés, entre autres, par leurs pairs du collège, « enfants

sauvages » et la SEGPA « l’école des fous » ou la « section des enfants sauvages »

– cf. le chapitre VIII –.

1. L’émergence de la Section d’Enseignement Général et

Professionnel Adapté : Une construction sociale

Plusieurs étapes sont repérables dans l’histoire de la SEGPA. De la scolarisation des « arriérés » ou des « débiles mentaux » dès la fin du XIXème siècle au début du XXème , aux « inadaptés » et porteurs de « difficultés scolaires graves et persistantes » d’aujourd’hui, l’accueil des enfants et adolescents dits « anormaux » dans le système éducatif a évolué au fils des objectifs et des transformations de l’École et des enjeux socio-économiques.

A la frontière du XIXème et du XXème siècle, la question de la scolarisation des enfants dits « anormaux » se pose avec acuité1. La création des classes de

1 Il est étonnant d’observer que Christian Cousin passe sous silence cette partie de l’histoire de

l’enseignement spécialisé : Enseigner en EGPA. Adolescents en difficulté scolaire grave et durable, Paris : Delagrave, 2007 et éditions précédentes.

perfectionnement, officialisée par la loi de 19091, accueillant des enfants et adolescents « débiles mentaux » se justifie par une demande de l’intérieur. C'est-à- dire que celle-ci émanerait de l’École confrontée à l’arrivée massive d’enfants après la loi du 28 mars 1882 rendant l’enseignement primaire obligatoire et laïque. Inefficace face à certains de ces enfants, surtout ceux issus des classes populaires et principalement du « prolétariat » et « sous prolétariat » qui seraient en marge des normes scolaires, l’École se serait tournée vers des spécialistes et aurait établi le principe d’un enseignement spécialisé2. Monique Vial3 et Jacqueline Gateaux- Mennecier4 montrent qu’en fait, la dynamique à l’œuvre à cette période était tout autre et plus complexe. Le « triage » des élèves prendra vite une tournure médicale.

En fait, les notions d’idiotie et d’arriération élaborées au sein de l’asile subiront un « glissement » dans l’espace scolaire. Les médecins aliénistes seront des acteurs principaux dans ce « glissement ». Binet et Simon joueront un rôle prépondérant dans l’orientation des élèves en classes de perfectionnement avec leur proposition « de définir des critères scolaires plus précis et plus objectifs […] pour

déterminer quels sont les enfants “les moins intelligents, les moins adaptés” dans une école »5. Le « choix étant de traiter la débilité légère au sein même de l’école

primaire, mais en séparant les enfants concernés dans des classes de perfectionnement »6.

Cependant, l’examen des revues pédagogiques de l’époque – 1875-1909 – révèle que la débilité et l’arriération sont des concepts qui ne renvoient pas à des troubles intellectuels mais construits à partir des comportements asociaux et déviants

1 Loi du 15 avril 1909.

2 Monique Vial, « La création du perfectionnement en 1909 et les débiles des Psychologues ou comment

s’écrit l’histoire », in Centre de Recherche de l’Education Spécialisée et de l’Adaptation Scolaire,

Intégration ou marginalisation ? Aspects de l’éducation spécialisée, Paris : l’Harmattan, Institut National

de Recherche Pédagogique, n°2, 1984, pp. 47-73.

3

Monique Vial, op. cit.

4 Ibid. 5 Ibid., p. 54.

des enfants nouvellement arrivés dans l’espace scolaire1. Ils sont décrits comme issus des familles « pauvres », « prolétaires », « corrompues par la misère ». Et dans ces revues « l’arriéré […] est dépeint comme instinctif, vicieux, pervers,

impulsif, cause de trouble, perturbateur, irrégulier »2. Dès lors, il est difficile de croire à l’évidence de la déficience intellectuelle et dans l’objectivité de sa conceptualisation. Ne négligeons pas la « résonance » du « darwinisme social »3 de l’époque dans cette mouvance de relégation des enfants issus du prolétariat et du sous-prolétariat4 sous le sceau de la « débilité » ou de l’« arriération », dans les classes spécialisées en marge.

Ainsi, dès 19075 avec les classes de perfectionnement annexées aux écoles primaires, un autre circuit parallèle est créé. Une séparation est faite entre élèves « normaux » et « anormaux », « inaptes » à suivre une scolarité « ordinaire ». Les élèves testés y sont accueillis dès l’âge de six ans jusqu'à treize ans. Le but est de leur assurer une prise en charge qui repose sur une pédagogie particulière, par des maîtres en principe spécialisés à cet effet. Selon Michel Schiff, « à l’origine, les

prétendus tests d’intelligence visaient à dépister les enfants ayant besoin d’une aide particulière à l’école »6. En réalité cela s’est traduit par « un gaspillage scolaire

dont sont victimes les enfants des classes populaires »7.

Selon Viviane Isambert-Jamati, « l’apparition de termes comme “enfance

anormale”, “débilité légère” avait à peu près coïncidé avec la promulgation de l’obligation scolaire. Ont été désignés ainsi une petite fraction des écoliers estimée

1

A noter qu’à la même période, en 1905, Binet et Simon inventent le test d’intelligence pour distinguer les « déficients intellectuels » des cas où la déficience intellectuelle accompagne d’autres troubles – caractériels où psychiatriques –.

2 Jacqueline Gateaux-Mennecier, « Les sciences humaines et la segmentation du champ de l’enfance

inadaptée », in Michel Chauvière et Eric Plaisance (dir.), op. cit., p. 45.

3 Jacqueline Gateaux-Mennecier, La débilité légère. Une construction idéologique, Paris : CNRS éditions,

2001, pp. 28-29.

4 Une étude menée par Marie-Anne Hugon et al. concernant les caractéristiques des élèves accueillis dans

les classes de perfectionnement de 1907-1950 confirmera l’affiliation à des structures familiales très défavorisées de ces élèves : Marie-Anne Hugon et al., « Les enfants des classes de perfectionnement (1907-1950) » in Centre de Recherche de l’Education Spécialisée et de l’Adaptation Scolaire, op. cit..

5 Avant la loi du 15 avril 1909 promulguant leur création, dans certaines villes françaises des classes de

perfectionnement existaient déjà : Marie-Anne Hugon et al., ibid..

6

Michel Schiff, L’intelligence gaspillée. Inégalité sociale, injustice scolaire, Paris : Seuil, 1982, p. 30.

“incapables de bénéficier de l’enseignement proposé”. C’est à leur propos que s’est constituée toute une nosographie, et pour eux qu’ont été créées une série d’institutions spécialisées »1. Cependant, Viviane Isambert-Jamati précise que cela a concerné un petit nombre d’enfants de couche populaire mais non moins significatif. La grande majorité poursuivait leurs études à l’école primaire jusqu’au certificat d’étude, mais nombreux sont ceux qui quittaient l’école avant l’âge et sans diplôme.

Aussi, n’oublions pas qu’en France jusqu’en 1930, le système scolaire est organisé en deux réseaux. Hormis la question de l’enseignement technique et professionnel, les écoles primaires gratuites accueillent les enfants du peuple, le lycée et le collège payants sont réservés aux enfants de notables. Ainsi, la répartition se fait distinctement selon l’origine sociale, « deux publics, deux écoles »2. En fait, c’est la naissance qui fixait la trajectoire scolaire. La masse d’enfants issue du peuple allait à l’école primaire, et ceux issus de la bourgeoisie fréquentaient le lycée. Ainsi, la performance n’était pas et de loin, le seul élément qui déterminait le destin scolaire.

A partir de 1930, un certain nombre de changements vont s’opérer, avec tout d’abord la loi de finances du 16 avril 1930 instaurant la gratuité de l’enseignement secondaire. Puis le ministre Jean Zay prolonge la scolarité obligatoire jusqu'à quatorze ans en 1936. Au début de la Vème République, un tournant décisif va s’opérer : l’école est obligatoire jusqu'à seize ans « pour les enfants qui atteindront

l’âge de six ans à partir du premier janvier 1959 ». Si on observe qu’une

réorganisation du système s’opère avec Christian Foucher de 1962 à 1967, pour autant les filières ne disparaissent pas3. C’est en 1975, avec la loi Haby appliquée à la rentrée 1977, que « l’évolution des structures scolaires trouve son

1 Viviane Isambert-Jamati, « Quelques rappels de l’émergence de l’échec scolaire comme “problème

social” dans les milieux pédagogiques français » in Eric Plaisance (Coord.), L’échec Scolaire. Nouveaux

débats, nouvelles approches sociologiques, Paris : Editions du CNRS, 1989, p. 156.

2 Pierre Albertini, L’école en France XIXème-XXème siècle, de la maternelle à l’université, Paris : Hachette, 1992, p. 6.

aboutissement »1 : le collège unique est né, et depuis il ne cessera d’être remis en question2 et critiqué avec force.

Mais que faire des élèves de classes de perfectionnement, avec l’avènement de l’ordonnance Berthoin prolongeant la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans ? La loi du 15 avril 1909 prévoyait que ceux « reconnus incapables d’apprendre une

profession au dehors pourront être reçus dans les écoles autonomes ». Autrement

dit, les autres au terme, de leur scolarité vers treize ans, partaient dans la vie active.

Dès lors, au sein des collèges sera officialisée la création des Sections d’Education Spécialisée (SES). « Ces sections […] accueillent quatre-vingt-dix

élèves déficients intellectuels légers des deux sexes à la sortie des classes de perfectionnement. Elles assurent un enseignement général ainsi qu’une formation pré-professionnelle et professionnelle. »3

Un premier changement s’opère dans la circulaire du 27 décembre 1967 officialisant la création des SES : le qualificatif « arriéré », employé dans la loi du 15 avril 1909 est remplacé par celui de « déficient ». On ne parle plus d’« enfants

arriérés », mais d’« élèves déficients intellectuels légers » et « ne présentant pas de handicaps associés importants ». L’autre point essentiel de cette circulaire c’est la

marque du début d’un processus d’intégration4 de la SES. Ainsi on peut considérer que l’entrée au collège est une sorte de promotion pour ces élèves qui auparavant n’y avaient pas accès. Cette volonté d’intégrer les sections d’éducation spécialisée et les élèves dans la structure même du collège sera de plus en plus affirmée dans le temps par les divers textes officiels successifs, jusqu’en 1989, où une autre étape fondamentale sera franchie dans leur évolution. Mais nous verrons dans le chapitre

1 Antoine Prost, op. cit., p. 29. 2 Jean-Louis Derouet (dir.), op. cit.

3 Circulaire fondatrice des SES : Circulaire n° IV-67-530 du 27 décembre 1967 (B.O.E.N. n°2-1968). 4

André Philip, « De l’éducation spécialisée aux enseignements adaptés. L’intégration progressive d’élèves aux besoins spécifiques dans le second degré », La nouvelle revue de l’AIS, Handicap,

difficultés scolaires et inégalités sociales, Editions du Centre national d’études et de formation pour

VIII que le processus d’intégration reste très complexe et ne se réduit pas à une volonté ministérielle.

En ce qui concerne, la « professionnalisation », on ne parle plus d’« enseignement professionnel » mais de « formation professionnelle », signe de la prise de conscience de la nécessité de qualifier professionnellement ces élèves. Cette

approche de la finalité de l’éducation spécialisée en terme de

« professionnalisation » n’est pas nouvelle, mais il est important de relever que tous les enfants scolarisés en SES doivent en bénéficier. L’expression d’enfants « reconnus incapables »1 a disparu. « Il s’agit de les mettre en mesure d’exercer

ultérieurement un métier ou, à défaut de tenir un poste de travail. A cet effet la formation devra revêtir alors un caractère plus nettement professionnel. »2

Toutefois, n’oublions pas, avec Antoine Prost, que simultanément à cette agitation dans l’éducation spécialisée, nous sommes dans une période où « la

modernisation de l’économie, le développement du secteur tertiaire, le progrès technologique exigeaient une main-d’œuvre plus compétente. Les gouvernements successifs ont d’ailleurs fait de la formation de travailleurs qualifiés […] l’un des axes de la politique de développement économique. Il s’agissait de remédier aux goulots d’étranglement qu’entretenait le manque de main-d’œuvre qualifiée, mais aussi, plus largement »3 d’augmenter le niveau d’instruction. Un autre problème se pose, avec le redressement économique : « l’utilité de garder les jeunes sur

l’exploitation ou de les envoyer dans les entreprises a diminué […], on a vu régresser aussi le désir de garder les enfants auprès de soi […] et conforme à soi […]. Que l’avenir puisse n’être pas conforme au passé est devenu vérité commune et la nécessité pour les futurs travailleurs d’être longuement formés est largement reconnue par le public, au moins sous la forme d’une aspiration à la mobilité

1 Loi du 15 avril 1909, op. cit.

2 Circulaire du 27 décembre 1967, op. cit., cf. la partie organisation de l’enseignement. 3 Antoine Prost, op. cit., p. 13.

sociale »1. « Un remaniement complet de l’organisation » scolaire est donc nécessaire pour absorber cette nouvelle population en augmentation accrue.

Doit-on faire le parallèle avec le développement des structures spécialisées à la même époque ? Pour Viviane Isambert-Jamati, « une fois qu’une scolarité bien

au-delà du primaire devient la norme, on s’aperçoit que prévoir de nouvelles places ne suffit pas. Si les façons de faire, les références culturelles, les conduites attendues restent exactement ce qu’elles ont été, une part importante du nouveau public éprouve de telles difficultés qu’elle est rapidement éliminée comme inapte. Non seulement le retard, mais “l’échec” devient un « problème social », puisque le niveau d’études en question est devenu nécessaire pour participer normalement à la vie sociale, en particulier professionnelle »2. Et « lorsque les filières

correspondaient de façon “légitime” à des publics presque totalement disjoints, où donc aurait-on vu échec massif, rejet, relégation ? »3

En 19894 , la nouvelle orientation ministérielle qui « envisage l’accès de 80%

d’une tranche d’âge au niveau du baccalauréat doit s’accompagner de la recherche, pour les autres jeunes, de l’acquisition d’une formation qualifiante de niveau V. »

Les jeunes scolarisés en SES font partie des 20 % pour qui il est nécessaire de mettre en place un cursus menant à l’acquisition d’une formation qualifiante de niveau V. La volonté d’intégrer les SES au sein du collège est réaffirmée, et le concept de « déficience intellectuelle légère » est remise en cause. Mais, au travers de la loi d’orientation sur l’Education du 10 juillet 1989, il faut comprendre que les 20 % qui n’accèderont pas au BAC posent problème.Parmi eux figurent les élèves les plus en « difficultés » d’un point de vue scolaire, dont les élèves de SES. Cette loi est aussi révélatrice de la faiblesse de la politique de démocratisation tant prônée durant de longues années.

1 Viviane Isambert-Jamati, Les savoirs scolaires. Enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs

réformes, Paris : L’Harmattan, 1995, pp. 23-24.

2 Viviane Isambert-Jamati, « Quelques rappels de l’émergence de l’échec scolaire comme “problème

social” dans les milieux pédagogiques français » in Eric Plaisance (Coord.), L’échec Scolaire. Nouveaux

débats, op. cit., p. 162.

3 Ibid.

Dans leur organisation, les SES doivent viser pour les jeunes « une formation

et une qualification leur permettant une insertion professionnelle de niveau V ».

« Dans cet esprit, les SES deviennent de véritables sections d’enseignement général

et professionnel adapté ». En revanche, un élément essentiel apparaît dans la

circulaire de 1989 : de « l’éducation spécialisée », on passe à « l’enseignement

adapté ». Toutefois, le sigle SEGPA n’est pas encore admis, même si dans certains

travaux on le trouvesous la forme SES/SEGPA.

Ce n’est que dans la circulaire de 1996 que le sigle SEGPA fait son apparition officiellement : « Tous les élèves à l’issue de la scolarité obligatoire,

doivent être en mesure d’accéder à une formation conduisant au minimum à une qualification de niveau V. Les élèves qui, à la fin de l’école élémentaire, connaissent les plus lourdes difficultés et qui sont accueillis dans les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ne sauraient s’en trouver exclus. »1

Le sigle SEGPA est acquis officiellement et la circulaire de 19982, non abrogée, en précise les orientations pédagogiques.

De ce bref rappel, il apparaît clairement que la SEGPA est le produit d’une histoire très complexe qui, nous nous allons le voir en partie dans le chapitre VIII de notre étude, n’est pas sans influence sur la scolarité des élèves que nous avons rencontrés.

2.

Qu’est-ce

qu’une

Section

d’Enseignement

Général

et

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