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B Familles et École

2. Le poids du discours des parents

Ainsi, Tim, en classe de troisième, nous explique que son père a mis terme à sa scolarité après s’être « battu avec le directeur d’école ». Tim raconte cette histoire avec une certaine fierté. Et tous ses camarades en rient ce qui l’encourage à poursuivre : « Papa i bagarrait à l’école, il jurait [insultait] les maîtres. Il s’en

foutait de tout – rires de Tim et de toute la classe –. » Le problème c’est que Tim

s’appuie sur l’expérience de son père pour justifier son absence d’investissement scolaire : « C’est pas la peine [de travailler en classe], regarde papa, il travaille

lui ! ». Ici, il dit à ses camarades que son père a un emploi – manoeuvre maçon,

occasionnel –, alors qu’il n’a pas bien travaillé en classe. Donc, pour lui, il n’est pas nécessaire de s’investir dans l’apprentissage scolaire. A plusieurs reprises, Tim fait référence au faible niveau scolaire de son père et au fait qu’il occupe un emploi, même occasionnel : « Papa est maçon, il a pas de diplôme ! Il travail il gagne de

l’argent. » Tim est un élève assez difficile, comme en témoigne l’appréciation

générale d’un de ses bulletins scolaires : « Tim, tu es le seul élève de cette classe à

ne pas avoir évolué en bien. Alors fais un effort. » Il est souvent pointé du doigt pour

des problèmes de comportement, en classe comme dans la cour de récréation.

Le père vit hors du domicile familial, mais il lui arrive d’emmener Tim sur les chantiers, en général le samedi et pendant les vacances scolaires. C’est pour cela que le discours du père ne semble pas être étranger à Tim. Il l’a intégré. En fait, tout se passe comme si Tim s’identifiait à son père, et ce processus identificatoire va

1 Lisa Mela, « Typologie des chômeurs : six trajectoires et peu de perspectives », INSEE, Economie de La

Réunion, n° 129 - mars 2007.

jusqu’au choix d’un métier dans son projet de formation professionnelle. Dans une première phase, Tim choisit en premier vœu le métier de « plaquiste », et en deuxième vœu celui de « maçon » ; puis, dans un deuxième temps, il inverse l’ordre pour finalement postuler pour une formation en maçonnerie en premier, puis de plaquiste en deuxième.

Si les données nous manquent pour conclure de manière affirmative à un processus identificatoire, néanmoins, au regard des travaux de Jean-Yves Rochex1, on peut voir dans ce que Tim vit avec son père, des éléments explicatifs de son rapport à l’École. Pour aller plus loin, ce rapport n’est pas réellement négatif, malgré ses « grandes difficultés » dans tous les domaines d’apprentissage. Ce qu’il dit s’inscrit dans une certaine logique. Son père a eu une scolarité très courte, n’a pas de diplôme et il travaille. En l’accompagnant sur les chantiers, Tim se rend compte qu’il a des compétences, manuelles certes, mais rentables, efficaces et surtout rémunératrices. Ce dernier élément est essentiel dans le rapport à l’École de Tim. En effet, il veut trouver une issue pour gagner de l’argent au plus vite. En témoigne ce qu’il nous dit quand nous lui demandons si cela lui plaît d’aller au lycée professionnel : « Je veux pas aller au lycée, […]. Je préfère avoir un petit boulot

directement, gagner une p’tite monnaie. » Et tout se tient, car dans son projet

d’orientation, il fera également le vœu d’aller au CFA. En effet, Tim s’est informé, et il sait qu’au CFA, contrairement au lycée professionnel, l’apprenti est rémunéré et passe beaucoup plus de temps de formation en entreprise, sur le terrain.

Tom, en classe de quatrième, nous dit que son père « a arrêté parce que les

professeurs l’emmerdaient ». Contrairement à celui de Tim, le père de Tom vit au

domicile familial. Tom aussi raconte l’histoire de son père avec fierté, et il donne l’impression que ce dernier est satisfait de son arrêt précoce de scolarité, après la classe de CM2 : « Papa i aimait pas l’école lui, il préfère travailler. C’est mieux on

gagne de l’argent et puis il n’y pas de leçon à apprendre. » Tom raconte une

anecdote en riant : « Un jour le maître à donné un cadeau à tous les élèves, sauf à

papa. Il a attendu la sortie [de la classe] et il a tapé un p’tit garçon et lui a volé son cadeau [la classe entière rit]. »

Les élèves ont beaucoup d’anecdotes de ce type et souvent, le parcours scolaire des parents est rapporté en termes d’expériences subies : « Maman n’aimait

pas l’école » ; « papa i partait “maron” [papa faisait l’école buissonnière] »,

« maman i partait parce qu’elle était obligée de partir [à l’école]. »

Ainsi, la scolarité des parents n’est pas rapportée en termes de savoirs ou de compétences acquises, et certains élèves nous disent qu’ils ne veulent pas « raconter » leur expérience scolaire, comme si c’était un sujet tabou : « Maman dit que cela ne

me regarde pas » ; ou encore : « ils veulent pas en parler, ils ont pas envie ».

Si les élèves rapportent que leurs parents ne parlent pas de leur scolarité en termes positifs ni constructifs, cela ne veut pas dire pour autant que ces derniers n’ont pas d’ambitions pour eux. Mais il est possible que ces attitudes ambivalentes, voire contradictoires, participent au processus qui fait que « les incitations familiales

au travail et à la mobilisation scolaire sont loin de toujours produire la mobilisation souhaitée chez l’élève »1.

Nous observons des parents très faiblement scolarisés qui poussent leurs

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