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B Familles et École

4. L’aide scolaire apportée par la famille

Les élèves que nous avons rencontrés ont tous le souvenir qu’ils ont reçu à un moment ou un autre de l’aide d’un ou de plusieurs membres de leur famille au cours de leur scolarité. Cependant, au regard du faible niveau d’instruction de ces derniers et de leur cursus scolaire très court, cette aide est souvent de durée très réduite, et au fil des passages de classes des enfants, ces membres rencontrent eux aussi des difficultés. Les élèves nous disent : « maman essaye, mais i arrive pas. » « Maman i

nous aide un p’tit peu, mais seulement elle est pas partie loin à l’école [maman elle

nous aide un peu, mais elle n’a pas eu un long parcours scolaire].» « Maman elle

m’aide à faire un peu le français, seulement elle i connaît pas beaucoup de choses, je demande parfois à mes copines. […]. Papa, parfois i m’aide en maths, mais il connaît pas aussi lui, il est parti [à l’école] jusqu’en CPPN. » « Notre école est pas comme l’école avant. » « Maman a pas fait ce que on fait maintenant. »

Au travers des propos des élèves, il apparaît clairement que les parents font des tentatives d’aides, mais au regard de leur faible niveau scolaire, cette aide est très réduite et souvent se limite aux apprentissages des petites classes de l’école primaire. C’est ainsi que les autres membres de la famille viennent ou sont appelés à la rescousse.

Le rôle des autres membres de la famille dans le processus de mobilisation scolaire

Comme Bernard Charlot, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex l’ont constaté, d’autres membres de la famille jouent un rôle important dans les processus familiaux de mobilisation scolaire1 , en l’occurrence ici les sœurs : « maman, si

maman i arrive pas c’est mes sœurs. » ; « Dès fois c’est maman qui regarde notre travail, dès fois c’est la sœur » (deux élèves d’une des deux classes de troisième de

la SEGPA-F).

L’aide apportée à l’enfant en « difficulté » peut également être une demande clairement formulée, comme ici dans le cas de Jérôme, élève de la SEGPA-C, dont la mère, se sentant incapable de l’aider, fait appel à sa fille : « Je l’aidais beaucoup

quand il était petit et après je pouvais plus l’aider. Les tables sont plus pareilles, les calculs sont plus pareils, je n’arrivais plus. C’est à ce niveau que je disais à Odile

[la sœur aînée en deuxième année de BAC pro « Comptabilité »] va l’aider. Ce qu’il

ne comprend pas bien, essaye de l’aider. Mais lui-même de sa part il demandait rien, […]. Moi, quand j’arrive du travail le soir, je dis donne le cahier, je regarde le travail qu’il a à faire, en primaire, hein. […] J’essayais de faire ce que je pouvais. Parfois je contrôlais comme ça, mais, je comprenais plus vraiment » (mère

de Jérôme, de niveau scolaire CCPN).

Il existe aussi des parents qui laissent les enfants « se débrouiller » entre eux, comme dans le cas de la famille de Dany, élève de la SEGPA-I. La maman de Dany, Mme O., est âgée de cinquante ans et elle a mis un terme à sa scolarité après la classe de cinquième : « A l’époque c’était la cinquième transition. On mettait les

marmailles [enfants] qui étaient pas très bons dedans. Après j’ai arrêté il y avait plus rien pour moi. » Son mari, âgé de cinquante-quatre ans, n’a jamais été scolarisé.

La fratrie est composée de quatre garçons, quatre filles et Dany est le dernier. Cinq des huit enfants, dont Dany, ont connu la SES ou la SEGPA. Aucun n’est diplômé

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au moment de notre rencontre au domicile familial. Tous ont pratiquement mis un terme à leur scolarité après le collège ; parfois, c’est l’institution même qui ne leur proposait aucune suite, comme dans le cas de Dany. Quatre vivent toujours au domicile familial malgré leur âge avancé, et toute la fratrie est au chômage. A l’entretien participe également la sœur de Dany, également ancienne élève de la SEGPA-I, qui a abandonné sa scolarité en LP pour maternité précoce.

Vu leur faible niveau scolaire, les parents de Dany ne peuvent pas aider leurs enfants. Ainsi, ils « se débrouillaient entre eux », selon Mme O.. Quand nous lui demandons comment cela se passait quant les enfants rentraient de l’école primaire, et qui les aidait, sa réponse est sans équivoque : « Ah, lala ! Non ! Non ! Ça, c’est

pas un truc pour moi ça. Les enfants se débrouillaient entre eux. De toute façon je pouvais pas les aider, c’est des trucs que je connais pas. » La sœur de Dany rigole

et rajoute : « On faisait nous même, parfois c’était bon, parfois c’était pas bon. » Dany, à peine réveillé, regarde sa mère et dit : « On faisait pas ça nous [les leçons à la maison]. Après à l’école le maître i criait. »

Une grande solidarité existe entre les membres de cette famille qui se regroupent pratiquement tous les week-ends. Cette solidarité jouera un grand rôle dans la scolarité des enfants, « les plus grands aidaient les plus petits », et la sœur nous dit : « Parfois les plus grands payaient les plus petits pour faire les devoirs [rires]. » La stratégie est intéressante ; cependant, au vu des résultats scolaires « catastrophiques » de toute la fratrie, elle est inopérante ou du moins insuffisante.

Même si le faible niveau de scolarisation de Mme O. et de son mari ne leur permet pas d’apporter une aide effective sur le plan cognitif à leurs enfants, elle considère néanmoins que « l’école c’est important pour l’avenir ». Et pour tenter de remédier aux difficultés scolaires de ses enfants, Mme O. nous explique qu’elle a consulté un médecin à plusieurs reprises, mais que les médicaments qu’il donnait n’y faisaient rien.

Si, parmi la fratrie, aucun membre ne peut aider l’enfant, il arrive qu’une demande soit faite auprès de la famille élargie, par exemple, comme nous l’avons vu dans l’histoire de Lydia ci-dessus, dont les cousines ont été mobilisées.

Dans la complexité des processus familiaux de mobilisation scolaire, parfois, le parent se sentant dans l’incapacité d’aider son ou ses enfants se dévalorise, comme nous l’observons chez le père de Didier, – cf. supra p. 169 – : « Comment

ça ! Avec un CPPN, un niveau de CPPN, on va faire quoi ? On va aider un p’tit peu, c’est tout. » « Dans cette école on apprend rien, j’ai rien appris. Je sais pas lire, je sais pas écrire. »

Autre exemple éloquent : « D’après le père, les difficultés de Christopher

viennent des limites intellectuelles des parents. Jusqu'à l’an dernier, c’est une sœur de monsieur qui s’occupait du suivi scolaire (devoirs, réunions) » (compte-rendu

assistant social, Christopher élève de la SEGPA-B ). Nous avons également rencontré la mère d’un élève de la SEGPA-I qui, se disant « nulle », préférait mobiliser un de ses neveux ayant suivi des études universitaires pour se rendre aux rencontres parents-professeurs à la SEGPA.

Ainsi, affirmer que les élèves scolarisés en SEGPA ne sont pas aidés par leur famille est abusif. En fait, dès que les élèves sont scolarisés ou progressent dans leur scolarité, les parents et, pour la plupart des familles rencontrées l’ensemble de leurs membres, ne peuvent pratiquement pas leur apporter d’aide du point de vue scolaire. Nous nous retrouvons encore une fois en présence d’un processus qui se rapproche de celui de la « double solitude » que nous avons déjà décrit ci-dessus. C'est-à-dire que l’enfant, seul face à ses difficultés à l’école, ne peut pratiquement en aucune manière se faire aider de manière efficace dans le cadre familial. Rappelons-nous de ce que dit Lydia : « à la maison quand je savais pas faire les devoirs, des fois ma

cousine m’aidait mais elle arrivait pas à tout faire. Toi [sa mère] aussi tu arrivais pas à faire. » Au regard de la précocité des « difficultés scolaires » des élèves de

SEGPA il n’est pas exclu que ce processus de la « double solitude » soit actif très tôt.

Il ressort clairement de notre analyse que les familles des élèves de SEGPA cumulent des difficultés diverses. Pris par la gestion quotidienne de leurs difficultés multiples, les parents et souvent les mères seules, ont peu de temps à consacrer à leurs enfants. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils se désintéressent de la scolarité de ces derniers : dans toutes les familles rencontrées, des indices nous montrent qu’à des degrés différents, elles s’y investissent. Ces parents ne sont donc pas « démissionnaires » et nous espérons l’avoir démontré. Cependant, au regard des résultats scolaires de leurs enfants, tout porte à croire que leurs investissements ne sont pas suffisants pour enrayer le processus menant à des difficultés scolaires, qui, très souvent, s’amorce dès les petites classes, à l’école primaire.

En outre, nous espérons avoir montré combien l’expérience scolaire des élèves de SEGPA est tramée par diverses tensions extérieures à la scolarisation. En fait, tout se passe comme si ce qui se joue dans le cadre familial de socialisation et d’éducation parasitait fortement l’expérience scolaire des élèves que nous avons rencontrés.

Si ces familles sont peu consommatrices d’École1 au sens où elles ne sont pas de fins stratèges préoccupés à trouver les meilleurs places pour leurs enfants, de manière générale elles n’en sont pas moins conscientes que celle-ci reste la pierre angulaire de tout processus de promotion sociale : « Je dis à mes enfants il faut

travailler à l’école, parce que c’est dur après. Je vais les aider mais seulement il faut pas qu’ils lâchent. Si on est pas bon à l’école, c’est cuit pour la vie » (père de

Didier).

Toutefois, si la mise au jour des dynamiques des processus sociaux et intersubjectifs à l’œuvre dans le cadre familial est nécessaire, pour autant ces processus ne permettent pas à eux seuls d’expliquer entièrement la situation scolaire « catastrophique » et le parcours distordu des élèves rencontrés. Il nous faut alors

1 Robert Ballion, Les consommateurs d’école. Stratégies éducatives des familles, Paris : Editions Stock,

compléter ce travail par l’étude d’autres dynamiques sociales qui participent à la scolarité et à la construction du parcours scolaire de ces élèves. C’est l’objectif des chapitres suivants.

CHAPITRE V

De l’école primaire à la Section d’Enseignement

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