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A – Des enfants issus de familles aux conditions d’existence socio-économiques « précaires »

1. Situation sociale et professionnelle des parents

Ce qui nous semble sociologiquement pertinent pour la compréhension et l’analyse du parcours scolaire de ces élèves, ce n’est pas tant la corrélation que l’on peut faire entre itinéraire scolaire et catégorie socioprofessionnelle (CSP) des parents, ce qui est acquis. Ce qui est à expliquer ce sont les dynamiques sociales qui procèdent des conditions d’existence socio-économiques dans lesquelles ces enfants évoluent, se forment et se transforment.

Au lieu de proposer un exercice comptable de la situation

socioprofessionnelle des parents sur l’ensemble des classes de troisième des douze SEGPA de notre terrain d’étude, nous présentons ici, ce qui nous semble plus parlant et pertinent : la situation pour quatre classes en fin de scolarité, dans quatre SEGPA. Ces élèves font partie de ceux pour lesquels nous avons établi un bilan de leur situation scolaire deux ans après leur sortie de la SEGPA (cf. chapitre X). Cette forme de présentation a aussi pour avantage de montrer ce qui se joue en creux dans une classe d’élèves de SEGPA.

Tableau 4 : Situation sociale et professionnelle du père et de la mère. Quatre classes sortantes de quatre SEGPA en juillet 2005

SEGPA-B SEGPA-C SEGPA-K SEGPA-L

Profession du « père » Profession de la mère Profession du « père » Profession de la mère Profession du « père » Profession de la mère Profession du « père » Profession de la mère Manœuvre

maçon Sans Aucun de contact Sans DCD DCD

Agent entretien espace vert Sans Séparé/sans Agent entretien Au chômage Employé de maison Employé communal Sans séparé/San s cantinière Sans Sans Sans Sans Sans Sans Maçon Sans Sans Sans/RMI ouvrier Sans Séparé/Ouvrier Sans Séparé Aide

cantinière Séparé/Sans sans Maçon Sans A Mayotte Sans Séparé/Pris

on Malade/sans Sans/handica pé Sans Pompiste Employé de maison CIA- service

entretien Sans Handicapé Sans Journalier

agricole Sans Sans/alcoolique Sans Séparé/sans Sans Chômage sans CES Agent entretien Femme de ménage Séparé/Agriculte ur Employé de

maison Séparé/Sans Sans Sans Sans Séparé/Sans Sans/RMI Aucun contact Sans Madagascar DCD sans sans CES Sans Aucun contact Stagiaire Séparé/Sans Sans Chômage Sans Ouvrier Chômage Chômeur non

indemnisé

Secrétaire cabinet dentaire

Sans sans Séparé/Sans Sans Sans Sans Séparé/Sans sans Maçon Sans Alcoolique/mala

de/sans

Alcoolique/

malade/sans Séparé/Sans sans Maçon Sans Séparé Sans

Menuisier Sans Ouvrier agricole Sans Séparé/SDF/ sans Aide cantinière/ école A Mayotte, ne le connaît pas Sans

Lecture : Chaque ligne correspond à la situation des parents d’un élève. Exemples : Pour la classe de troisième de la SEGPA-L, le père du premier élève est « agent d’entretien en espace vert » et sa mère est « sans emploi ». Pour la classe de la SEGPA-B les parents du dernier élève sont « séparés », le père est sans domicile fixe et la mère est « aide cantinière dans une école » primaire.

« Séparé/Sans » signifie que le couple est séparé et la personne est sans emploi. « Aucun contact » signifie que l’enfant vit isolé de son père et parfois n’est en possession d’aucune information à son sujet.

Précisions : Réglementairement, en SEGPA, chaque division de la sixième à la troisième accueille un effectif maximal de seize élèves. Cependant, nous avons pu observer, par exemple dans la SEGPA-C que les effectifs peuvent atteindre dix sept élèves par division. Pour la SEGPA-B, à partir de deux classes de troisième nous avons constitué une seule classe. Ce n’est pas une classe fictive car ces élèves se regroupent plusieurs fois par semaine – pendant douze heures – dans les ateliers d’enseignement professionnel. Nous avons pu observer des moments pendant lesquels certains enseignants ne pouvaient absolument pas exercer leur métier, c'est- à-dire enseigner face à cette classe, leur arrivant même de nous demander de l’aide alors que nous étions en observation ou venions chercher les élèves pour les entretiens. Pour la SEGPA-K, treize dossiers étaient renseignés, seize dossiers pour la SEGPA-C et dix dossiers pour la SEGPA-L.

Description/analyse : Pour la SEGPA-B, huit pères sur seize sont sans emploi dont cinq sont séparés de leur épouse, un sans domicile fixe et un handicapé. Trois pères sur seize occupent un emploi d’ouvrier qualifié dont deux maçons et un menuisier. Un dossier indique que le père est ouvrier mais sans précision. Un père sur seize est journalier agricole, deux sont en contrat précaire : Contrat Emploi Solidarité (CES), un journalier agricole et enfin un indique qu’il est manœuvre de maçon. Pour cette même classe de troisième, douze mères sur seize déclarent être sans emploi et une au chômage. Parmi les douze sans emploi, deux perçoivent le RMI. Une mère indique qu’elle est femme de ménage, une aide cantinière et un agent d’entretien. Dans six familles, aucun des deux parents n’occupe un emploi. Dans la classe de la SEGPA-C, trois élèves n’ont aucun contact avec leur père. Deux pères sont alcooliques dont un est malade. Un élève a ses deux parents alcooliques et malades. Un père précise qu’il est « chômeur non indemnisé ». Nous avons rencontré ce père et il explique sa situation par le fait qu’il a travaillé près de dix ans dans un commerce sans contrat de travail. Il nous dit que cela ne le gênait pas jusqu’au jour où il a été « remercié ». Il aurait pu faire un procès à son employeur mais cela lui aurait « coûté de l’argent ». Finalement il s’est inscrit dans un cursus de formation dans le domaine agricole dans l’objectif de faire de la production horticole légumière/fruitière et de petits élevages. Par manque de fonds, il a du mal à

acquérir le matériel nécessaire. Il est déjà propriétaire du foncier issu d’un héritage familial. D’ailleurs, il attend la concrétisation de ce projet pour pouvoir embaucher son fils, Fabrice, sorti de la SEGPA-C sans orientation. Ou du moins, l’équipe éducative de la SEGPA ne lui a rien proposé.

L’élève dont les deux parents sont alcooliques, malades et sans emploi a été retiré de sa famille et vit chez une tante, sœur de son père. A lui non plus il n’a rien été proposé après la SEGPA. Et pourtant ces deux élèves étaient porteurs d’un projet de formation professionnelle. Fabrice envisageait de faire une formation à la Maison Familiale Rurale (MFR) dans le domaine horticole pour travailler avec son père et son camarade souhaitait une formation en mécanique. Nous reviendrons au chapitre IX plus longuement sur le projet de formation professionnelle qui constitue une dimension essentielle de la scolarité en SEGPA.

Pour la SEGPA-K, sur treize dossiers renseignés, sept pères indiquent qu’ils sont au chômage, dont cinq sont séparés de leur épouse. Un élève est orphelin. Deux élèves ont leur père hors du département et un de ces deux élèves a sa mère décédée. Dans cette classe de troisième de la SEGPA-K aucune des mères n’occupe un emploi. Sur treize familles, huit n’ont aucun des deux parents qui exerce une activité salariale. Pour la SEGPA-L, seuls deux pères et deux mères travaillent. Un père est en prison et une mère est porteuse d’une maladie. Aucun des deux parents de six familles sur dix n’occupe un emploi.

Précisons que l’expression « sans emploi » cache souvent en fait une autre réalité sociale caractérisée par l’inexistence de compétences professionnelles reconnues socialement. Autrement dit, parmi les parents des élèves de SEGPA, nombreux sont sans compétences professionnelles réellement reconnues par la nomenclature officielle. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le marché de l’emploi et sur le processus d’estime de soi, car « la conscience des obstacles

objectifs à l’obtention d’un emploi ou d’un revenu suffisant les renvoie à la conscience de leurs incapacités, le défaut d’instruction et de qualification

professionnelle […] »1. Et comme l’écrit Smaïn Laacher, « La PCS ne désigne pas seulement un code au sein d’une nomenclature mais suppose l’existence ou l’inexistence d’une compétence technique et d’une identification professionnelle, bref, de l’existence d’une formation et d’un “niveau intellectuel”. »2

En fait, beaucoup de parents d’élèves de SEGPA exercent des petits métiers. Pour sauver la face devant l’agent administratif ou l’assistant social, certains se disent agriculteur ou ouvrier agricole, alors qu’en fait ils effectuent souvent des travaux de jardinage chez des particuliers et de manière occasionnelle. D’autres se disent maçon ou ouvrier alors qu’ils n’ont même pas le statut de manœuvre ; ils sont aides à tout faire sur les chantiers quand les patrons veulent bien les embaucher sur des contrats très précaires, et il arrive qu’ils soient embauchés uniquement pour la semaine, ou même pour la journée.

Ces quelques éléments livrés dans le tableau ci-dessus ne nous permettent pas de pénétrer dans l’intimité de l’existence de ces familles, et encore moins de celle des élèves que nous avons rencontrés. Là n’est pas non plus la finalité de ce travail mais dans le but d’être objectif, nous devons aller plus loin. Malgré tout, de ce tableau, nous ne pouvons tirer aucune conclusion : tout au plus ces éléments nous renseignent-ils et nous guident.

L’analyse nécessite davantage de matières, de données, de preuves, au sens sociologique de ces termes. Il nous convient donc maintenant d’aller chercher ces matières, ces données, ces preuves qui procèdent de la dynamique des processus sociaux qui trament la vie familiale et qui influent sur la scolarité des élèves rencontrés.

1 Pierre Bourdieu, Algérie 60, op. cit., p.79. 2 Smaïn Laacher, op. cit., p. 111.

2. Quelques effets induits par les conditions économiques précaires

Si l’échec scolaire n’épargne pas les enfants de milieu social favorisé où l’argent ne manque pas1, nous conviendrons que ce qui se joue et ce qui est à l’œuvre dans ces familles n’est, d’un point de vue sociologique, pas comparable à ce qui se passe dans les familles aux conditions économiques d’existence précaires dont les enfants sont également en « échec scolaire ». Ajouté à d’autres phénomènes tels que le faible niveau de scolarisation des parents ou l’absence d’emploi valorisant, le manque régulier d’argent est à l’origine du renoncement de bon nombre de projets.

D’un point de vue scolaire, certains parcours analysés montrent qu’à certains moments, les difficultés financières ne permettent pas aux parents de subvenir aux besoins matériels immédiats de leur(s) enfant(s). Les propos de deux mamans sont explicites : « Si l’école demande d’acheter [les effets scolaires] quand il y a

l’argent, oui ! Sinon il faut attendre ! ». « Il faut d’abord remplir la marmite, après on voit le reste. » Ces propos de la mère d’Evy, élève de la SEGPA-C, dont trois

enfants sont passés par la SEGPA, et de sa fille, mère de deux enfants en « difficultés » à l’école primaire, nous ont amené à tenter de rendre raison de ce problème et à aller au-delà du simple constat. Prenons comme premier exemple l’histoire scolaire de Salim.

Salim est en classe de troisième à la SEGPA-B. A notre première rencontre en début du premier trimestre il a dormi pendant toute la séance de mathématiques d’une heure que nous avons observée, un vendredi, en deuxième partie de matinée. C’est d’ailleurs suite à cette observation que nous nous sommes intéressé à lui. L’enseignant ne lui a rien dit et ses camarades non plus. Toute la classe semblait s’être accommodée de cette scène. Mais pas nous. Pendant l’année scolaire au cours de laquelle nous passions en moyenne deux demi-journées par semaine dans cette SEGPA, soit Salim était absent, soit il dormait en classe, ou encore il perturbait la classe, et donc était souvent expulsé de celle-ci.

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