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Histoire familiale et École : Des familles affaiblies par les difficultés sociales

Si nombreux sont les travaux qui montrent avec insistance la corrélation entre « échec scolaire » et catégorie socioprofessionnelle des parents, peu se sont cependant attardés sur la compréhension des processus sociaux qui trament le cadre familial de socialisation et d’éducation qui influent sur les scolarités. Comme le disent Mathias Millet et Daniel Thin, « on oublie trop souvent les effets que ne

manquent pas d’engendrer sur les pratiques familiales et sur les scolarités des difficultés économiques, une instabilité professionnelle, des périodes de chômage »1.

Dès lors, nous proposons dans ce chapitre de tenter de répondre à une question dont la formulation est très simple alors que les réponses relèvent d’une grande complexité : Que se passe-t-il dans les familles des élèves dont l’itinéraire scolaire emprunte le chemin de la SEGPA ? Dans le cadre de ce travail, y répondre, c’est s’intéresser aux dynamiques d’interdépendance des processus sociaux et intersubjectifs qui trament la vie familiale de ces élèves et influent sur leur mobilisation scolaire. Nous postulons que la mise au jour des dynamiques de ces processus participe à la compréhension du processus global de construction « des difficultés scolaires graves » et de leur pérennisation, mais permet aussi d’éclaircir ce qui rend possible le parcours scolaire des élèves rencontrés.

Toutefois, soulignons d’emblée avec insistance, et nous l’avons déjà évoqué avec Bernard Lahire2 dans notre posture de recherche, que la situation et le parcours

1 Mathias Millet et Daniel Thin, op. cit., p. 19.

scolaire « catastrophique » des élèves rencontrés relèvent d’une problématique très complexe qui ne saurait en aucun cas être réduite à la désignation des familles comme les seules « responsables ».

Tout d’abord notre enquête nous révèle clairement que ces familles sont « pauvres » en « très grandes difficultés » économiques, sociales et que leurs membres sont faiblement scolarisés. Qu’entendre par familles « pauvres » et en « très grandes difficultés »? Au travers de l’ensemble des données éparses que nous avons rassemblées, de nos observations et entretiens, il apparaît que les grands traits qui caractérisent ces familles se rapprochent de la description faite par Henri Peyronie : « Ces familles sont aux prises avec des difficultés multiples, saisies à

partir de la conjonction des indicateurs suivants : insertion professionnelle des parents inexistante, fragile ou fragmentée, trajectoire scolaire des parents courte et chaotique ; difficultés économiques structurelles et faibles revenus ; suivi d’un ou plusieurs membres de la famille par les services sociaux et/ou juridiques »1. Dans ces familles nous observons aussi que certains membres sont porteurs d’une maladie parfois incurable ; l’alcoolisme et la violence sont également présents.

En fait, comme le note Bernard Charlot finalement, « on ne sait pas bien

comment désigner et définir ces familles »2. Dans le champ sociologique, elles sont désignées par des vocables très divers : « pauvres », « précaires », « populaires », « défavorisées », « très défavorisées », « démunies »... Néanmoins, la pauvreté n’est pas que manque(s), « privation économique […] désorganisation ou […] absence de

quelque chose, mais […] elle présente également un côté positif dans la mesure où elle est douée d’une structure, d’un système de rationalisation et d’auto-défense sans lesquels les pauvres ne pourraient guère survivre. En bref, il s’agit d’un mode de vie, remarquablement stable et persistant, transmis d’une génération à l’autre par l’intermédiaire des lignées familiales. La culture des pauvres possède ces

1 Henri Peyronie (dir.), « Familles en grandes difficultés et école : des relations complexes », résumé du

rapport de recherche : « Les relations réciproques Ecole-Familles en grandes difficultés », rapport de recherche du CERSE – Université de CAEN (EA 965), destiné au Centre Alain Savary – Institut National de Recherche Pédagogique et coordonné par Thierry PIOT, septembre 2001, p. 2.

propres modalités, ainsi que les conséquences sociales et psychologiques distinctes qui en découlent pour ses membres. »1

Il nous semble que c’est à ce niveau aussi que se situe l’ancrage de certaines dynamiques et de leur persistance. Comment des enfants peuvent-ils se détacher des forces générées par une culture et une organisation sociale et familiale retransmises de générations en générations et qui sont admises comme ordre social ordinaire, structuré, et structurant ? De surcroît, si les membres de cette configuration ont le sentiment qu’il est vain de lutter contre l’ordre social dominant qui les domine. L’École fait partie de l’ordre social dominant. C’est précisément à ce niveau que l’École a un rôle important à jouer et peut faire des miracles2. C’est-à-dire que l’institution scolaire peut aider certains élèves par un double processus de « séparation avec le groupe d’origine et d’ « agrégation […] aux mondes de la

culture dominante »3. Les enjeux sont de taille et les défis à relever sont nombreux et de grande ampleur.

Nous allons dans un premier temps nous intéresser aux conditions socio- économiques d’existence de ces familles et de leur poids sur la scolarité des élèves que nous avons rencontrés. Puis, dans un deuxième temps, nous verrons plus spécifiquement ce qui se joue dans ces familles, d’un point de vue scolaire, qui influe sur la scolarité des enfants qui y naissent et y grandissent.

1 Oscar Lewis, Les enfants de Sanchez. Autobiographie d’une famille mexicaine, Paris : Gallimard, 1963,

p. 29.

2 Smaïn Laacher, L’institution scolaire et ses miracles, Paris : La Dispute, 2005. 3 Ibid., p. 11.

A – Des enfants issus de familles aux conditions d’existence

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