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A – Des enfants issus de familles aux conditions d’existence socio-économiques « précaires »

9. Des familles « clientes » 1 des travailleurs sociau

Plus communément signalées dans les dossiers scolaires comme « familles

suivies par le service social du secteur », ces familles « clientes » de l’assistance

sociale, aussi appelées « familles “encadrées” »2, et que nous avons repérées dans notre enquête, sont accompagnées par les travailleurs sociaux pour de multiples raisons : « la famille rencontre des difficultés de tout ordre depuis de nombreuses

années. Problème de couple, séparations multiples, violence conjugale à laquelle les enfants assistent… Famille suivie depuis plus de 10 ans par le service social »

1 Dominique Glasman, « “Parents” ou “familles” : critique d’un vocabulaire générique », in Revue

française de pédagogie, n°100, juillet-août-septembre 1992, pp 19-33.

(compte-rendu assistant social, élève SEGPA-B). Pour telle famille, tout s’accumule, alors que pour d’autres par exemple leurs difficultés à gérer au quotidien leurs « faibles » ressources financières et le poids de diverses dettes les amènent à être placées sous la tutelle de l’assistance sociale, dont la mission première consiste à les aider à gérer au mieux leur argent, qui se résume souvent aux allocations et aux aides sociales, nous l’avons déjà dit. La mise sous tutelle de la famille de ces deux élèves de la SEGPA-C en est un exemple très explicite : « famille connue et suivie par l’assistant social de secteur pour aide à la gestion

budgétaire » ; « La fratrie a été suivie en AEMO judiciaire1. Famille connue des services sociaux de secteur, et scolaire » (comptes-rendus des assistants sociaux).

Pour ces familles, nos investigations nous amènent au même constat que Serge Paugam : « Le revenu de l’assistance s’avère toujours insuffisant pour faire face aux

charges du logement, aux frais qu’engendrent l’entretien, la scolarité et les activités des enfants. Les ménages assistés sont souvent endettés. »2

L’expulsion de force de leur logement par mise à la rue des meubles, pour loyers impayés, de Jason, élève de la SEGPA-C, et de sa mère, séparée et endettée, dont un premier fils est en prison, est un exemple parlant. Jason est le sixième enfant d’une fratrie de sept, dont deux frères plus âgés ont été également scolarisés en SEGPA. Au moment de notre enquête, l’un des frères est en prison pour récidive : « vols et casses de voitures ». Cette famille, enregistrée aux services sociaux mais qui refuse toute intervention au domicile familial, est sans ressources financières stables, et le départ du père de la cellule familiale a certainement contribué à déstabiliser le fragile équilibre qui existait. Leur expulsion de leur logement en location est la suite logique d’une situation sociale et économique qui s’est dégradée au fil du temps. C’est par le journal télévisé d’une chaîne locale que nous avons appris l’expulsion de force de leur domicile de Jason, sa mère et ses deux autres enfants à charge. Médiatisée, cette expulsion a indigné un grand nombre de personnes, dont un groupe de voisins qui ont menacé de barrer une des routes de leur

1 AEMO judiciaire: c’est une Aide Educative en Milieu Ouvert ordonnée par le juge des enfants. Cette

aide vise entre autres à rétablir la place éducative des parents et à renouer les liens familiaux.

quartier pour manifester leur mécontentement et leur incompréhension face à cette situation. Au cours de nos diverses rencontres avec Jason, à aucun moment il ne nous a laissé entendre que leur situation socio-économique familiale était désastreuse, ni que sa famille était menacée d’expulsion. Au regard des travaux de Serge Paugam que nous avons déjà cités, cette attitude empreinte de réserve est commune aux individus qui sont affaiblis socialement et vivent dans la précarité. Même dans les situations les plus critiques, ils restent dignes. Aucun membre de l’équipe éducative de la SEGPA non plus n’était informé de leur situation. Et pourtant, la mère de Jason fut maintes fois « convoquée » pour les mauvais comportements, insolences et absences de Jason.

Il est intéressant d’observer que, durant la période qui a précédé l’expulsion du domicile familial, Jason donnait en classe, le sentiment qu’il avait la tête ailleurs. Souvent il pleurait sans pour autant expliquer ce qui le mettait dans un tel état. En l’observant au quotidien, son attitude nous donnait le sentiment qu’il n’avait plus rien à perdre. Plus on se rapprochait de l’expulsion de leur domicile, plus nous avions le sentiment que Jason s’éloignait de la chose scolaire. Il prenait ses distances, alors même qu’il nous disait vouloir « travailler à l’école, avoir un

diplôme et aider sa mère ». C’est très paradoxal. La lettre qu’un professeur a

adressée à la directrice de la SEGPA résume son attitude dans l’espace scolaire pendant la période qui a précédé leur expulsion : « Depuis la rentrée […], j’ai

constaté que Jason est un enfant difficile avec un gros handicap de concentration et d’attention en classe. […] : Je pense qu’il est un enfant en situation d’échec total. Manque d’affection. Pas de suivi scolaire de la part de la mère. Manque d’éducation (comportement). Refuse l’autorité même pour son bien. Jason est souvent absent lorsque je suis dur avec lui, il n’accepte pas la morale ou les conseils. J’ai le sentiment que la SEGPA ne lui apporte plus ce dont il a besoin et il perd son temps. J’ai présenté mon bilan à l’équipe pédagogique et ses professeurs d’enseignements généraux se retrouvent devant la même conclusion. Quelle action devons-nous adopter face à cette situation ? »

L’action à mener est sans nul doute « globale, économique et familiale autant

que culturelle et scolaire »1. La démarche est certes complexe, néanmoins elle ne se réduit certainement pas à exclure Jason du cours, voire de l’établissement scolaire. Ni encore à tenir pour seule responsable sa mère, qui, au moment où nous sommes arrivé à son domicile, était ivre au point que nous avons dû revenir quelques jours plus tard pour réaliser l’entretien auquel finalement elle a mis un terme au bout de quelques minutes, prétextant que nos questions l’agaçaient.

L’aide précieuse de l’assistance sociale

Le père de Romain, élève de troisième de la SEGPA-I, dont la femme est décédée nous a exprimé ses difficultés à assumer la responsabilité de ses neuf enfants, dont trois ont été scolarisés à la SEGPA-I, un en IMP, une fille en troisième insertion ; une autre a abandonné en première année de CAP, une est déscolarisée depuis la troisième, et les deux derniers, avec qui nous avons discuté, étaient en difficulté à l’école primaire au moment de notre enquête. Pour ce père veuf, « heureusement que l’assistante sociale [l’a] aidé » car après la SEGPA, son fils, Romain, n’a pas eu d’orientation : « je passe par l’assistante sociale, elle me dit

voilà les adresses Monsieur D., vas-y les voir, je vais les voir. Je fais tout moi. Je cours à droite à gauche. » Ainsi, pour Monsieur D., seul à élever ses neuf enfants,

l’assistance sociale est d’une grande importance. C’est assisté de leur aide que Romain accèdera à un contrat d’apprentissage dans un CFA agricole, un an après sa sortie de la SEGPA, cette dernière ne lui ayant rien proposé en terme de poursuite d’étude et d’orientation professionnelle.

Parfois, les familles jouent de l’accompagnement social pour tenter d’infléchir le comportement de leurs enfants. Ainsi, par exemple, Sabrina, 16 ans, élève en classe de troisième de la SEGPA-C, a demandé par écrit à l’un de ses enseignants : « Monsieur, c’est pour vous demander si une maman veut mettre son

enfant dans un centre de redressement, si elle peut ? Réponds. Merci. »

Interviewée, Sabrina nous explique que régulièrement sa mère rencontre une assistante sociale, mais elle ne sait pas pour quelle raison. En revanche, celle-ci la « menace »: si son comportement ne change pas, sa « place sera dans un centre de

redressement » ; en fait elle veut dire dans un centre avec hébergement pour enfants

en difficultés. Ce qui est intéressant ici, c’est l’attitude de cette mère qui nous renseigne sur « les modes de l’autorité affaiblie » de certains parents. La mère de Sabrina s’est en fait renseignée sur les possibilités dont elle dispose pour l’aider à accompagner son enfant, et pour elle, le placement en centre pour enfants en difficultés est une solution. Et c’est sur cette possibilité qu’elle joue pour tenter de faire plier Sabrina auprès de qui elle n’a pratiquement plus aucune autorité. D’un point de vue scolaire, de la sixième à la troisième, Sabrina est qualifiée d’élève « très sérieuse et efficace » et son « travail est de qualité ». Cependant, elle s’absente, passe des nuits et des week-ends à l’extérieur de la maison familiale, et sa mère ne sait pas où elle se trouve. Nous avons rencontré la mère de Sabrina qui parle peu. Le cadre familial de socialisation est affaibli par l’absence du père dont Sabrina nous dit ne pas savoir où il se trouve. Sa mère, âgée de soixante ans et affaiblie par la maladie, semble ne plus avoir aucune autorité sur elle. C’est en ce sens qu’elle fait appel à l’assistance sociale et menace Sabrina d’un placement en centre pour enfants en difficultés, espérant ainsi faire infléchir son comportement.

Trois mois après son orientation en lycée professionnel, Sabrina mettra un terme à sa scolarité pour maternité précoce.

La mère de Juan, élève âgé de quinze ans en classe de quatrième de la même SEGPA que Sabrina, dépassera le stade des menaces. Elle fera une demande officielle de placement de son fils auprès des services sociaux. Une éducatrice spécialisée dans le cadre de son enquête se présentera à la SEGPA pour se renseigner sur le comportement scolaire de Juan. Selon elle, la mère de Juan « est

dépassée par le comportement de son fils, qui ne l’écoute pas, qui rentre très tard, qui se drogue, qui la pousse à bout ». En fin de deuxième trimestre, Juan sera retiré

de la SEGPA-C sur demande de sa mère, au motif qu’il se drogue au sein de la SEGPA. Sa demande sera motivée par une déclaration qu’elle a faite auprès des

services de police, justifiant qu’elle a trouvé du cannabis dans le cartable de son fils à son retour de la SEGPA.

Cependant, il arrive que l’équipe éducative de l’assistance sociale s’épuise face à l’ampleur des difficultés et à la résistance des familles et de leurs enfants : « Jacob à beaucoup de mal à accepter l’autorité. Par ses provocations et son

instabilité il a épuisé l’équipe éducative » (renseignements sociaux dans le dossier

scolaire de Jacob élève de la SEGPA-C).

Ces exemples nous montrent la place qu’occupent les services sociaux au sein des familles des élèves que nous avons rencontrées, signe que celles-ci font partie de la couche de la population la plus démunie et en « grandes difficultés » pratiquement à tous points de vue : familial, social, économique, logement…

Par ailleurs, les demandes explicites d’assistance ou son acceptation prouvent que les familles ne sont pas « démissionnaires » mais sont davantage en quête de solutions pour faire face aux difficultés quotidiennes multiples dont fait partie l’éducation de leur(s) enfant(s).

10. Conditions d’existence familiales, sens donné au fait d’aller à

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