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La violence dans les scènes érotiques

Chapitre III L’érotisme

8.2 La violence dans les scènes érotiques

Règle générale, dans le giallo, les scènes où le plaisir sensuel des protagonistes est à l’honneur sont souvent toutes aussi nombreuses que celles où le meurtrier s’affaire à tuer. Ces scènes lascives prennent typiquement la forme de set-pieces au traitement poétique. Un romantisme sirupeux entoure normalement ces scènes d’amour160. Mais tout n’est pas toujours aussi idyllique. Nous assistons parfois à des scènes de vie conjugale très mouvementées161 ou, comme dans The Strange Vice of Mrs. Wardh (1971) – réalisé par Sergio Martino et notamment co-scénarisé par Ernesto Gastaldi162 –, à des séances sexuelles osées.

8.2.1 The Strange Vice of Mrs. Wardh (ébats doux-amers)

Dans ce film, nous retrouvons cette scène en flashback particulièrement onirique tournée sur fond de décor noir, marquée par plusieurs ralentis et caractérisée par l’absence de sons diégétiques – seule une lente musique à l’orgue accompagne les images. Le rituel commence alors que l’héroïne est allongée sur un lit. Son ancien amant, debout à ses pieds, tient devant lui une bouteille de champagne. Il lui en verse le liquide sur le corps et le visage. La femme paraît à la fois admirative et à fleur de peau. L’homme saisit ensuite la bouteille par le goulot, la brandit et la fracasse contre un dossier de chaise. Toujours au ralenti, nous voyons les éclats se disperser dans les airs pour former un amas puis, telle une offrande, retomber !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

160 Pensons à ces fameuses scènes d’érotisme soft où l’on voit deux amants (ou amantes) s’enlacer et s’embrasser

de manière sensuelle et qui donnent généralement l’opportunité aux spectateurs d’obtenir une vue prolongée sur les courbes de la femme.

161 Voir The Case of the Bloody Iris (Giuliano Carnimeo, 1972) et, surtout, Delirium (Renato Polselli, 1972). 162 The Strange Vice of Mrs. Wardh est un des tout premiers gialli s’inspirant plus directement de The Bird With

the Crystal Plumage. On peut être en droit de penser que ce film a grandement contribué à populariser le

fétichisme dans le giallo. Par ailleurs, on peut estimer qu’Ernesto Gastaldi, indubitablement le scénariste le plus prolifique du giallo – et aussi, apparemment, du cinéma de filon italien en entier –, est possiblement celui qui a le plus important rôle à jouer dans le rapport trouble à la sexualité et les « déviances » qu’on retrouve au sein du filon (lire Lucas 2007, p. 529). En effet, presque tous les films auxquels Gastaldi a participé présentent des personnages hantés par une ancienne liaison charnelle ravageuse (violence conjugale) ou habités par des fantasmes de soumission/domination abusifs. Gastaldi, outre The Strange Vice of Mrs. Wardh, a notamment écrit ou co-écrit The Whip and the Body (Mario Bava, 1963), The Case of the Scoprion’s Tail (Sergio Martino, 1971),

Death Walks on High Heels (Luciano Ercoli, 1971), All the Colors of the Dark (Sergio Martino, 1972), The Case of the Bloody Iris (Giuliano Carnimeo, 1972), Your Vice is a Locked Room and Only I Have the Key (Sergio

Martino, 1972) et Torso (Sergio Martino, 1973). Il est aussi le coréalisateur et coscénariste de Libido (1965), un giallo très œdipien.

! ,$! délicatement sur le visage de la femme. Sa réaction, quelque part entre douleur et plaisir, est plutôt ambigüe. Elle patiente ainsi, soumise à la volonté de son amant, après quoi ce dernier utilise le tesson pour la marquer d’une entaille près de la poitrine (et déchire sa robe de nuit). Même si nous discernons quelques sanglots chez elle, nous comprenons qu’elle est déterminée à ne pas céder à la douleur, à aller jusqu’au bout. Son souffle s’emballe légèrement. L’amant s’approche et empoigne son sein droit. Il se glisse ensuite au-dessus d’elle pour commencer à l’embrasser dans le cou. Elle semble entrer au cœur d’une ivresse sublime. Un plan rapproché nous montre latéralement les deux amants qui s’adonnent à un léger mouvement de va-et- vient. Nous constatons à ce moment que les éclats de verre se sont répandus entre les deux partenaires et qu’ils les écorchent. Le sang se mêle à leur union. Au terme de la séquence, nous aurons compris que les deux amants s’infligeaient volontairement ces blessures, peut-être même dans un scénario convenu au préalable.

Ce qui est singulier dans cette scène, outre la pratique sexuelle pour le moins audacieuse dont nous sommes témoins, c’est la mise en scène de Martino qui tend à nous amener vers l’abstraction et l’irréalité. Sans son diégétique aucun, notre perception se réduit à ce que nous pouvons lire sur le visage et les corps des acteurs (qui jouent dans la retenue malgré l’extrême de la situation). Cependant, il ne faut pas oublier que ces acteurs ont à essayer de simuler des états affectifs qui, à la base, sont complexes, troubles et délicats – la volonté de soumission mêlée au désir de fuite; le plaisir malgré la douleur, entre autres. Ainsi, bien que la performance des acteurs demeure relativement crédible, le comportement et les expressions de leur personnage présentent nécessairement un aspect faux, voire fantasmé. De plus, les événements sonores qui seraient normalement irritants – le bri de la bouteille ou les morceaux de verre qui écorchent et transpercent la peau – sont évacués. Seule la musique, composée de longues notes d’orgue, d’une douce flute traversière et de chants éthérés occupe l’espace sonore. Nous sommes donc incités à nous rabattre plus spécialement sur l’expérience émotive, sensorielle et, il faut le dire, spirituelle que les deux partenaires retirent de leur jeu. La violence en vigueur devient secondaire. Le défilement de l’action à divers degrés de ralentis renforce lui aussi la défamiliarisation. L’éclat de vitre prend surtout l’aspect d’une pluie argentée destinée à enjoliver le corps de la femme; la bouche de celle-ci, qui pourrait bien en réalité supplier son amant de la libérer, paraît tout autant l’encourager à la martyriser

! ,%! davantage. Le choix de cadrages et le montage, enfin, instaurent une proximité avec leur ébat et en accentue le côté spectaculaire et somptueux. Plus la scène progresse et plus les plans de demi-ensemble se raréfient. Les perspectives rapprochées dominent alors, ne nous permettant plus de prendre de recul par rapport à l’acte, d’en voir la portée « scabreuse » d’un point de vue extérieur et critique. Sans référents (visuels et sonores) explicites nous indiquant la nature exacte des émotions/sensations ressenties devant les blessures qui s’accumulent, sans gradation nuancée de leur intensité, jouissance sexuelle et simple réaction spontanée à la douleur peuvent seulement se confondre l’une et l’autre. Ainsi, hormis le sang et la vitre, les corps semblent sincèrement s’enlacer avec une certaine chaleur. Nous voyons la femme haletante et sur le point d’être emportée ailleurs. Son visage se raidit visiblement sous les assauts du plaisir... En somme, rien qui, au premier regard, ne trouverait pas sa place dans une scène d’amour conventionnelle basée sur la suggestion163.