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L’éclat lumineux : force attractive/répulsive

Chapitre III L’érotisme

10. La psychanalyse

10.3 L’éclat lumineux : force attractive/répulsive

Dans un autre ordre d’idées, le fréquent surlignement par les réalisateurs (souvent par le gros plan) de l’instant au cours de la scène de meurtre où l’arme (tenue par l’assassin) se met à briller de manière éblouissante203 a spécialement retenu notre attention. Ce scintillement du couteau est pour nous d’autant moins anodin que sa manifestation coïncide d’une drôle de manière la plupart du temps. C’est-à-dire qu’il est en général plus ou moins justifié diégétiquement – l’arme est délibérément placée de sorte à briller et à potentiellement éblouir ou apeurer la victime, mais le meurtrier ne semble pas toujours avoir conscience que son geste entraîne une telle brillance sur l’arme (et la victime ne semble pas s’en apercevoir non plus). Ainsi donc, ce phénomène lumineux, dans bien des cas, paraît surtout destiné au spectateur lui-même. Il est vrai que ces gros plans intrusifs, dans le contexte des salles terza visione et du public vernaculaire, s’ajoutent à l’ensemble des signaux qui marquent des seuils d’intensité dans la scène et sollicitent directement l’attention du public pour le prévenir de l’imminence

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202 Dennis Giles rapelle : « [...] a fetishistic structure may be more central to the horror genre than to cinema has a

whole due to the greater need of horror cinema to defend the viewer against his or her own desire for full vision » (Giles, 1984. « Conditions of pleasure in horror cinema ». Dans Planks of reason : essays on the horror film). C’est pourquoi, sur bien des aspects, la majorité des gialli peuvent se classer comme des films d’horreur.

! $-*! d’un événement important204. Par ailleurs, il faut aussi savoir que ce miroitement de la lame est caractéristique de la tendance des filons italiens à ce que la violence soit observée par un ou des témoins diégétiques205. Selon nous, ces reflets dans les gialli ont donc entre autres pour fonction de pallier l’absence de ces protagonistes ayant un rôle médiateur durant l’agression – la présence de tels personnages contreviendrait au principe du whodunit; les homicides doivent se passer dans le plus grand secret (sauf exception)206.

Mais cet éclat recèle aussi d’autres sens à nos yeux. Nous y voyons notamment un clin d’œil semi-complice, semi-accusateur de la part des cinéastes. D’un côté, il est complice dans la mesure où, s’il peut nous priver de l’angle avantageux dont nous disposons sur la victime ou venir briser l’impression d’anonymat (4e mur) – et dire « je sais que tu regardes toi aussi » –, il s’assure de le faire brièvement et de manière subreptice. De l’autre, il est accusateur, puisqu’il survient à des moments où nous cherchons spécialement à voir plus loin, où nous sommes impatients de voir de la violence et/ou de la nudité (ou de la voir « mieux »). Similairement à cette victime dans Blood and Black Lace (meurtre chez l’antiquaire) qui protège son reflet sans aucune justification raisonnable, le flash iconique de la lame est donc parfois un moyen de prendre le spectateur en flagrant délit tandis qu’il est absorbé par la scène et par sa soif de violence et d’érotisme. Il rappelle spontanément au spectateur que ce qu’il est en train de voir (ou ce qu’il s’apprête à voir) est illicite. Dans ces conditions, il constitue une forme de mise en garde (voire de remontrance)207. Mais celle-ci reste vaine. En effet, ce

procédé vient ultimement stimuler le spectateur dans son désir de voir davantage. Car faut-il !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

204 On pourrait même le considérer comme une tentative de dernier recours annonçant au public que c’est le

temps ou jamais de regarder.

205 Edmonstone souligne en effet que dans les filoni, il est fréquent que la violence soit entrecoupée ou même

largement esquivée en étant remplacée par de gros plans montrant la réaction de « personnages-spectateurs ». Mettant en abîme le regard du spectateur devant le film, ces images de gens qui regardent ou refusent de regarder l’obligent à prendre position (à se dissocier de ces spectateurs ou à s’y associer) et à s’interroger quant à ce qu’il recherche à travers ces scènes.

206 À noter que The Cat o’ Nine Tails trouve le moyen d’intégrer un tel personnage-spectateur en intercalant le

déroulement du meurtre par de très gros plans de l’œil (clignant frénétiquement) du meurtrier. Seven Deaths in

the Cat’s Eye (Antonio Margheriti, 1973), pour sa part, parvient à intégrer ce personnage-spectateur à même

l’accroche de son intrigue. Ici, un chat est toujours témoin des meurtres et l’on insiste pour rendre sa présence maléfique.

207 Voir, entre autres, cette scène de meurtre de The Strange Vice of Mrs. Wardh où, depuis la vision subjective

du tueur, nous avançons vers la victime qui est nue sous la douche. Dans les moments précédant l’attaque, l’éclat de la lame revient trois fois à peu d’intervalles.

! $-+! rappeler que le voyeurisme trouve justement sa valeur, comme l’illustre la légende de Lady Godiva208, dans le fait qu’il soit réprimandé et condamnable? « Interdire le regard, c’est le provoquer, c’est le doter d’une insistance multiforme et envahissante [...] » (Milner 1991, p. 99)209. De surcroît, l’éclat du couteau, dont le motif évoque une espèce d’envie ardente, aveuglante au point d’être nocive, vient aussi condenser visuellement à l’écran cette idée propre au fétichisme : il mêle l’attrait à l’interdit210. Bref, cette brillance au seuil du meurtre, réaffirmant ce que nous savons déjà – la victime va mourir, nous souhaitons la voir sous un angle encore plus aguichant et/ou la voir mourir – ramène la notion d’interdit au premier plan et, par conséquent, intensifie le caractère érotique/sacré de notre expérience. « L’interdit observé autrement que dans l’effroi n’a plus la contrepartie de désir qui en est le sens profond » (Bataille 1957, p. 44). Selon nous, ces avertissements sont au fond précieux à la proposition filmique dans laquelle ils s’inscrivent – cette proposition « indécente » faisant des désirs interdits et du meurtre un spectacle à sensations fortes – et une part du plaisir que retire le spectateur devant la scène de meurtre du giallo provient sûrement de cette connivence singulière que les cinéastes entretiennent avec lui.