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Bay of Blood (l’obscène dans la célébration de la mort)

Chapitre III L’érotisme

9. L’érotisme dans les scènes violentes

9.2 Bay of Blood (l’obscène dans la célébration de la mort)

Un excès semblable se rencontre dans une scène notoire de Bay of Blood (Mario Bava, 1971) où deux amants sur un lit sont supprimés d’un seul coup170. L’homme est couché sur le dos; la femme est étendue sur lui. Leur position, leur va-et-vient désordonné et leurs légers cris suggèrent qu’ils se livrent à un coït (et qu’ils ne seront pas en mesure de voir arriver le danger imminent). En point de vue subjectif, avec l’embout métallique d’une lance en amorce, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

168 La voix rattachée à ce corps pose elle aussi problème et renforce la rupture avec la réalité fictionnelle. En

effet, les respirations et les gémissements entendus sur la bande-son n’ont aucunement été enregistrés à même la scène. Entièrement postsynchronisés, ils ont plutôt été recréés dans le confort d’un studio, fort probablement par une autre actrice (doublure de voix) que celle présente à l’image.

169 L’absence de plan sur le visage du tueur est peut-être justement ce qui rend l’agression aussi inquiétante.

Ainsi, à la vue des gestes et des expressions faciales de la victime, on peut se questionner à savoir si l’assassin n’est pas hideux, s’il ne présente pas de surcroît un regard cinglé, s’il ne sourit pas, etc.

170 Cette scène est reprise à peu de détails près dans Friday the 13th part II (Steve Miner, 1983), le deuxième

! ,)! nous nous approchons à pas feutrés de ces derniers. L’arme se rétracte lentement vers le haut et l’arrière pour ainsi sortir de notre champ de vision. Nous savons à ce moment que le couperet s’apprête à tomber. Lorsque l’arme empale d’un trait les deux corps empilés, Bava nous montre d’abord en insert latéral le dos dénudé de la femme se faisant perforer. Puis, l’instant juste après, le cinéaste délaisse brièvement ses personnages pour nous déplacer en marge de l’action : grâce à une prise de vue sous le lit, nous voyons la lance traverser le dessous du matelas. Durant ce plan, nous entendons les gémissements des deux amants se moduler, leurs cris s’apparentant maintenant à une véritable petite mort.

Prenons la peine d’interrompre la description de l’action pour nous attarder à ce plan sous le lit qui, selon nous, est significativement excessif et contribue à exalter l’érotisme en jeu. D’abord, il faut savoir que le réalisateur a pensé à arranger le décor pour l’occasion et qu’il ne s’agit pas du banal et poussiéreux dessous de lit auquel on aurait pu s’attendre. Ainsi, bien que nous doutions fortement, selon la configuration de l’éclairage, que de la lumière puisse facilement s’infiltrer en cet espace171, il en est tout autrement dans ce plan rapproché. En effet, le dessous du matelas et la couverture servant de cloison à l’arrière-plan sont éclairés par une petite lampe cachée sous le lit et orientée en légère contreplongée. Ce faisant, dès que l’arme apparaît sous le matelas et que le sang coule par le trou foré (subtil détail qui surprend déjà en soi), la lumière détache ces éléments et offre une brillance à ce qui, normalement, aurait été à peine remarqué. De plus, le drap en face de nous est éclairé par deux lampes qui le scindent en deux zones assez distinctes. La zone de gauche semble être éclairée par la même lampe qui illumine le dessous du lit. Celle de droite, quant à elle, est éclairée par une lampe qui diffuse un ton bleu violacé. Les deux couleurs, enfin, se réunissent au centre pour se marier et créer une sorte de dégradé172. Ce soin apporté à la direction photo durant cet instant gore (d’un humour très noir) ne peut qu’ébahir le spectateur encore davantage : l’image enrobe

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171 Aussi, plus tôt au cours du film, nous avons bien vu que la couverture sur le lit couvrait la majeure partie de

l’espace entre le sol et le matelas.

! ,*! la cruauté à l’œuvre quelques pouces plus haut pour, à la place, accentuer la splendeur de cette mort vécue dans l’allégresse173.

Les plans suivants donnent par ailleurs une suite directe à cette idée et prolongent l’étonnement du spectateur174. Ainsi, pendant que les amants n’en finissent plus de pousser leurs derniers gémissements, une série d’inserts viennent clore avec brio cette métaphore érotique burlesque. Premièrement, retour sur le gros plan du dos (lance désormais plantée), cette fois-ci, avec du sang débordant aux abords du trou (allusion à l’éjaculation). Ensuite, plan nous montrant les doigts d’une des deux victimes tentant de s’agripper à une couverture, mais ne réussissant qu’à la déchirer (la jouissance sexuelle amenant une perte de contrôle ou, encore, synonyme d’un déchirement de « l’être »). Et puis, un dernier cliché, nous montrant une main qui cherche à s’appuyer sur le torse du partenaire dans l’espoir de s’extirper de cette impasse, mais n’y parvenant pas (la fatalité de l’orgasme). Ce qui est à la fois aberrant et fantastique dans cette scène, c’est que la caméra de Bava semble absolument enjouée d’accueillir les répercussions de cet empalement. En ce sens, le cinéaste se fait drôlement complice des événements et paraît même disposer d’un imaginaire créatif qui, en matière de folie, surpasse aisément celui du meurtrier auquel il passe le flambeau175. Lors de cette agression, le caractère érotique de la mort se voit célébré de manière presque parodique176.