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The Case of the Bloody Iris (l’obscène dans la contemplation érotique forcée)

Chapitre III L’érotisme

9. L’érotisme dans les scènes violentes

9.3 The Case of the Bloody Iris (l’obscène dans la contemplation érotique forcée)

Une autre scène marquante au chapitre de l’érotisme se trouve dans The Case of the Bloody Iris (Giuliano Carnimeo, 1972) – noyade de la danseuse de cabaret dans son appartement. Ici, comme dans la scène ci-dessus de Bay of Blood, un raccord abrupt avive le !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

173 À noter que les doublages français et italien du film rendent ce rapprochement encore plus explicite que le

doublage anglais. En effet, dans ces versions, les gémissements des acteurs s’apparentent moins à une souffrance teintée de jouissance qu’à une jouissance purement sexuelle.

174 À noter que même si l’une ou l’autre de ces im-signes peut être tenue responsable (séparément) de déclencher

l’étonnement du spectateur, c’est surtout parce que celles-ci s’inscrivent dans une réaction en chaîne que cet effet parvient à se prolonger et est capable d’atteindre l’ampleur d’une sidération.

175 L’expression « passer le flambeau » ne pourrait pas être plus à propos, les meurtres du film (au nombre de 13)

étant répartis parmi les différents protagonistes qui s’entretuent selon un schéma rappelant le roman Les dix petits

nègres (Agatha Christie, 1939).

! ,+! contenu osé de ce qui est présenté à l’écran. Passons tout de suite au segment qui nous intéresse. Au moment où l’assassin surgit pour donner un coup à la gorge de la victime, celle- ci s’effondre sur le sol. La caméra reste pointée en direction du malfaiteur qui demeure un instant debout, impassible; la victime, elle, tombe hors de notre champ de vision. Le prochain plan (demi-ensemble) nous déplace beaucoup plus loin dans le salon. Dans la pénombre, nous entrevoyons la silhouette de l’assassin qui, de dos, se penche vers la victime immobile. Le plan suivant, pris à ras le sol à proximité du corps de la femme, frappe par son excès. La caméra, d’un lent panoramique de gauche à droite, suit la main gantée en amorce (que nous notons d’autant plus à cause de sa couleur jaune) qui retire progressivement la robe de la victime. Le cadrage initial nous la présente d’abord latéralement de la tête au buste, puis nous délaissons peu à peu cette zone pour aller vers ses jambes. Nous balayons donc le corps par le biais de cette perspective limitée, et le plan s’achève alors qu’elle est cadrée de la mi-ventre jusqu’à la mi-cuisse.

Nul besoin de spécifier que la caméra, en épousant le geste de l’assassin et en nous dévoilant le corps au fur et à mesure qu’il est dénudé, nous encourage à adopter une attitude voyeuriste. De plus, une légère tricherie dans l’éclairage scelle le sentiment voyeur. C’est-à- dire que ce plan serré sur la victime présente un éclairage du dessus qui ne semble pas s’étendre plus loin que celle-ci. Il isole même cette dernière au point que son corps donne l’impression de flotter sur un fond complètement noir177. Cependant, lors du plan précédent

(de demi-ensemble), la section au sol où se trouvaient les deux personnages paraissait plutôt illuminée. Il y a chez Carnimeo une volonté de sculpter le corps inerte par la lumière, et ce, en dépit de la légère irrégularité engendrée dans la continuité visuelle178. La transition subite du plan de demi-ensemble au plan rapproché – le raccord sur le mouvement de l’assassin est légèrement escamoté et le plan commence aussitôt avec sa main qui saisit le haut de la robe – s’allie donc à cette variation d’éclairage pour créer une fracture visuelle et augmenter l’effet de « oumpf ». Par cette stratégie, le réalisateur vient resserrer la tension érotique !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

177 Un morceau de feutre noir a possiblement été étalé sous la victime de sorte à absorber au maximum la

diffusion de la lumière au sol.

178 Plus encore, c’est justement à notre avis cette modification (petite mais rude) d’éclairage qui exacerbe le

! ,,! inopinément179. L’image, malgré le scénario malveillant dans lequel elle s’inscrit, possède dans sa composition une force magnétique (et une qualité haptique) qui la rend automatiquement attrayante. Une sensualité émane de la victime justement au moment où cette dernière s’avère vulnérable, manipulable180. Le spectateur ne peut y rester indifférent et sent clairement transparaître l’intention obscène du cinéaste.

L’obscène, qui n’est ni pornographie puisque gratuit et hors de toute codification, ni érotisme puisque vulgaire et sale, pourrait se concevoir comme un mélange des deux, empruntant à la première sa crudité et sa béance, physique et sémantique, et au second son rapport au sacré, à l’esthétique transgressive et jouissante, son « approbation de la vie jusque dans la mort » et une aspiration à la continuité face à l’abîme fascinant que constitue la discontinuité entre les êtres, la mort. L’obscène serait le point de croisement entre les deux, entre le dégoût et le désir, entre la mécanique et la poétique humaines (Bayon 2007, p. 62).

Dans ce passage de The Case of the Bloody Iris, le spectateur, qu’il le souhaite ou non, est aux premières loges d’un sombre fantasme sans pouvoir pleinement s’y soustraire. Il doit pour un instant tolérer le désir, la gêne ou la répulsion (séparément, simultanément ou tour à tour) que cette vision fait naître en lui181.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

179 Tension qui est notamment décuplée par le fait que la femme porte sous cette robe des sous-vêtements et bas

collants – qui ont évidemment été choisis par le costumier pour leur charme titillant. Il faut aussi mentionner que dans le silence de la pièce, le bruit des vêtements frottant contre le corps vient nouer le sentiment pervers.

180 Certes, d’un côté, le fait que le spectateur à ce moment soit forcé d’adopter une perspective contigüe à celle du

tueur est susceptible de le contrarier dans son activité scopique. Toutefois, il ne faut pas négliger que ce plan est aussi la première occasion dans la scène où le corps de la femme est proprement érotisé et photographié de sorte à séduire l’œil.

181 La transition menant au plan suivant, d’ailleurs, sera encore plus déstabilisante pour le spectateur. Le plan

s’amorce à nouveau avec la présence des mains du tueur (en gros plan), nous voyons celles-ci (sur fond blanc) ligoter les pieds de la victime. Puis, un zoom arrière vient dévoiler le contexte véritable – la victime a été déplacée dans une baignoire (pour le moment vide) et d’autres cordes retiennent ses mains et sa tête de bouger. Par l’ellipse et le gros plan, le réalisateur nous enchâsse donc dans ce rituel en nous gardant pour un instant dans l’ignorance quant au canevas plus global dans lequel il s’inscrit – la victime sera noyée tandis que l’eau montera, et ceci, sous le regard impassible de l’assassin. En quelques secondes, nous passons ainsi d’un obscène « doux » (déshabillage) à un obscène « grave » (noyade forcée).

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