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de la critique de l’urbanisme

Chapitre 4. Les trois horizons de la critique de l’urbanisme

4.1 De la ville à l’urbanisme

Un très large rang de critiques a accompagné le développement des villes européennes au moins depuis l’industrialisation. Les premières ont un fond hygiéniste et moraliste, la ville est vue à la fois comme territoire immoral et lieu de paupérisation. Cette critique est mue, selon qui la formule, par un esprit humanitaire et par un projet politique. Les conditions de vie des classes ouvrières qui s’entassent dans des bidonvilles sont dénoncées, tout comme le

Comme je l’ai explicité dans la partie précédente, si l’art n’est pas automatiquement critique, il porte toujours en lui une puissance politique.

Nous avons aussi vu comment peut se déployer la potentialité critique de l’art, lorsqu’il cherche à remettre en cause les places attribuées à chacun, dans un ordre politique établi, en réalisant des déplacements, et des dérangements dans les assignations. Par la notion de subjectivation, j’ai montré la manière dont l’art opère ces déplacements subversifs en recomposant les affects et les représentations, et comment tout cela s’est cristallisé dans des pratiques spatiales et urbaines. J’ai donc défini, en amendant la théorie de Boltanski et Chiapello d’une critique artiste comme ligne argumentative, les contours plus larges d’une pratique artistique qui opérationnalise un discours critique.

Je n’ai toutefois pas encore abordé l’un des points centraux du travail de Boltanski et Chiapello. La thèse principale de l’ouvrage avance en effet l’existence de « boucles de récupération » par lesquelles le capitalisme se redéploie pour intégrer à son fonctionnement les critiques qui lui sont adressées. Ainsi, les demandes de libération, et d’authenticité formulées par la pensée critique autour des années 1960-1970, ont conduit tant à l’extension des processus d’accumulation — par la marchandisation du culturel, l’exigence de mobilité, etc. —, qu’à « de nouvelles formes d’oppression » — autocontrôle, soupçon généralisé d’inauthenticité.

Dans le cadre de la thématique dont je dresse ici les contours, deux séries d’interrogations émergent alors de ces constats. Au-delà d’une ontologie propre aux mondes de l’art et à ses courants, sur quelles bases argumentatives se construit cette critique en art de la ville et de l’urbanisme ? Et qu’advient-il de cette critique dans les évolutions récentes des modes de production de l’espace urbain que connaissent les villes occidentales — ou tout au moins, dans le cas qui nous intéresse, de Genève — depuis la fin du 20e et le début du 21e siècle ? Si comme nous l’avons vu, la délimitation entre art politique et art non politique n’est pas pertinente, toute forme d’art sous-tendant une vision du monde ; on donc raisonnablement penser que les formes d’art qui prennent comme appui ou comme thème la ville ont nécessairement à voir avec une politique de la ville, des « politiques de la représentation » ou avec une manière dont l’espace et les temps urbains sont régis et partagés entre les individus qui les peuplent. Par ailleurs, les transformations de l’urbanisme — son recours croissant à la participation, à la planification souple, à l’intégration d’acteurs non

professionnels — tendent à faire penser à un emprunt par les cadres classiques de la production et la gestion de l’espace urbain, des évolutions demandées par les tenants d’une critique artiste de la ville.

Dans un premier temps, dans ce chapitre, je tenterai de dégager les contours d’un registre argumentatif critique de l’urbanisme, tel qu’il s’est déployé essentiellement dans la seconde partie du 20e siècle. J’identifie trois chemins que prend cette critique, une dénonciation de l’exploitation — d’inspiration marxiste —, une dénonciation de l’aliénation — d’inspiration lettriste et situationniste —, ainsi qu’un troisième, porté par les acteurs de l’urbanisme eux-mêmes, en réaction aux manières de faire de l’urbanisme d’alors. Ce troisième chemin de la critique, comme je le montrerai, illustre un premier mouvement d’intériorisation de la critique par la profession, en particulier, d’un discours porté par les sciences sociales. Si cette description peut sembler, par certains égards, généralisante, voire téléologique, dans les catégorisations qu’elle établit, il convient de préciser que l’exercice n’a d’autres ambitions que d’identifier une charpente argumentative commune aux différents types de discours critiques adressés à la ville et à l’urbanisme. Aussi, les paragraphes qui suivent ne doivent pas être compris comme la mise en scène d’un débat académique, mais plutôt comme témoignages des évolutions successives de l’esprit de l’urbanisme, perçus par l’écume qu’en laisse la littérature scientifique.

Dans un second temps, dans les chapitres suivants et à travers les études de cas, je tâcherai de montrer qu’un second mouvement d’intériorisation est en route, incluant cette fois-ci les méthodes — la critique performée décrite ici — portées par les mondes artistiques à l’encontre de la production urbaine, par une réinvention des outils et des modes opératoires de l’urbanisme.

4.1 De la ville à l’urbanisme

Un très large rang de critiques a accompagné le développement des villes européennes au moins depuis l’industrialisation. Les premières ont un fond hygiéniste et moraliste, la ville est vue à la fois comme territoire immoral et lieu de paupérisation. Cette critique est mue, selon qui la formule, par un esprit humanitaire et par un projet politique. Les conditions de vie des classes ouvrières qui s’entassent dans des bidonvilles sont dénoncées, tout comme le

délabrement moral et physique dans lequel ces populations sont plongées. Si une part de ces critiques est motivée par une pensée anti-urbaine issue du romantisme (Choay, 1980, p. 79) — à plus forte raison en Suisse où le rejet de la ville est historiquement ancré (Salomon-Cavin & Marchand, 2010; Walter, 1990, 1994) — d’autres visent à réformer la ville et la manière dont elle est faite. À la source de ces critiques se trouvent des motifs d’indignations, d’une part quant aux conditions d’existence matérielles dans la ville ; d’autre part quant à l’aliénation qu’elle exerce sur ses habitants. Face à ce qui est décrit comme une ville désordonnée ou anarchique (Choay, 1965, p. 14), des auteurs, intellectuels réformistes pour la plupart, opposent d’abord des modèles utopiques avant que, dans le cadre d’une demande sociale et politique92, l’urbanisme émerge comme un champ large : « le produit conjoint et parfois contradictoire de politiques publiques, de divers savoirs et savoir-faire ou connaissances et d’une série de professions ou plutôt de métiers »93 (Claude, 2006, p. 17). C’est à partir de cette remise en cause du fonctionnement de la ville industrielle qu’émerge, en France comme en Suisse romande (Bridel, 1995), l’urbanisme, en tant que savoir pratique, visant à soigner les plaies de l’urbain.

Si Thierry Paquot situe la naissance de l’urbanisme au moment où les villes se dotent de lois et de principes réglant « l’utilisation du sol, l’habitat, la circulation, et surtout l’hygiène » (Roncayolo & Paquot, 1992) — que l’on peut se risquer à estimer à la première moitié du 19e siècle —, le terme urbanisme94 n’apparaît lui qu’au début du 20e siècle. Son origine est souvent attribuée à Pierre Clerget, dans un article public en 1910 (Clerget, 1910) ; ce mot désigne alors le phénomène de création, de développement et de hiérarchisation des centres urbains. Puis, il prend son sens, plus commun aujourd’hui, de savoirs pratiques et de modalités d’action sur la ville dans les années qui suivent, avec la création en 1914 de la Société française des architectes-urbanistes, l’obligation en France de recourir à des plans d’aménagement en 1919, puis la création de

92 Franck Scherrer (2010) évoque cette demande sociale comme l’une des raisons qui ont poussé à la construction d’une expertise, puis de pratiques de l’urbain. Vivianne Claude désigne plus précisément un « appel à compétences » lorsque que les maux de la ville se sont constitués en « problèmes publics » (Claude, 2009, p. 64).

93 Les mots en italique le sont dans le texte source.

94 En Espagnol, le terme urbanización avait déjà été introduit par Hildefonse Cerda en 1867 (Merlin & Choay, 2009, p. 911).

l’Institut d’urbanisme de l’université de Paris en 1924 (Claude & Saunier, 1999).

Si l’aménagement des villes était déjà un motif de préoccupation dans les époques antérieures, avec l’urbanisme apparaît également l’idée de planification, il ne s’agit dès lors plus simplement de s’occuper de l’existant, mais aussi de prévoir le développement futur de la ville (Busquet & Carriou, 2007)95.

Ainsi, l’urbanisme moderne est né à la fois comme une critique de la ville industrielle telle qu’elle était, et comme une promesse d’amélioration future. À la différence des discours sur la ville des époques précédentes, qui étaient le fruit de penseurs généralistes, d’économistes et d’historiens, l’urbanisme, à l’aube du 20e siècle, se constitue comme un corps propre, avec ses spécialistes et ses experts. Gaston Bardet en identifie d’ailleurs les prémices bien avant l’apparition du terme, dès la fin du 19e siècle, lorsque les règles de voirie, d’alignement, et de gestion des réseaux urbains — évacuation des eaux, des ordures, circulation de l’air, taille des trottoirs, passage des chevaux et des voitures — commencent à prendre le pas sur des considérations artistiques :

L’hygiène publique, sous la pression des odeurs, des rats, de la boue, etc., se fait impérieuse. La plupart des embellissements seront des recherches d’assainissement. C’est le règne de Sa Majesté l’Égout qui s’annonce. On n’a plus besoin d’artiste, mais d’entrepreneurs qui enfoncent des tuyaux dans le sol, mettent des tuyaux pour recevoir l’eau des gouttières, prévoient des bornes ou des trappes à ordure ménagère, etc. Tout Hausmann est déjà là, en puissance. (Bardet, 1951, p. 331)

Il situe la fin de l’art urbain, et conjointement la naissance de l’urbanisme, lorsque le désire d’embellissement et d’organisation des formes, se couple d’une nécessité d’assainissement.

Si l’art urbain remonte aux premiers groupements sédentaires, l’urbanisme est une science et une technique récente. [...] il n’y a pas besoin d’urbanisme à des époques où l’évolution urbaine se faisait suivant un rythme humain, où ne se posaient pas les problèmes de «grands nombres». […] La naissance de l’urbanisme, en tant que discipline consciente, organisée, est le plus clair symptôme du désordre urbain. (Bardet, 1951, p. 416)

95 Ce souci du futur s’était déjà exprimé dans l’établissement, pour les plus connus, des plans d’extension de Manhattan en 1811, ou de Barcelone en 1859.

délabrement moral et physique dans lequel ces populations sont plongées. Si une part de ces critiques est motivée par une pensée anti-urbaine issue du romantisme (Choay, 1980, p. 79) — à plus forte raison en Suisse où le rejet de la ville est historiquement ancré (Salomon-Cavin & Marchand, 2010; Walter, 1990, 1994) — d’autres visent à réformer la ville et la manière dont elle est faite. À la source de ces critiques se trouvent des motifs d’indignations, d’une part quant aux conditions d’existence matérielles dans la ville ; d’autre part quant à l’aliénation qu’elle exerce sur ses habitants. Face à ce qui est décrit comme une ville désordonnée ou anarchique (Choay, 1965, p. 14), des auteurs, intellectuels réformistes pour la plupart, opposent d’abord des modèles utopiques avant que, dans le cadre d’une demande sociale et politique92, l’urbanisme émerge comme un champ large : « le produit conjoint et parfois contradictoire de politiques publiques, de divers savoirs et savoir-faire ou connaissances et d’une série de professions ou plutôt de métiers »93 (Claude, 2006, p. 17). C’est à partir de cette remise en cause du fonctionnement de la ville industrielle qu’émerge, en France comme en Suisse romande (Bridel, 1995), l’urbanisme, en tant que savoir pratique, visant à soigner les plaies de l’urbain.

Si Thierry Paquot situe la naissance de l’urbanisme au moment où les villes se dotent de lois et de principes réglant « l’utilisation du sol, l’habitat, la circulation, et surtout l’hygiène » (Roncayolo & Paquot, 1992) — que l’on peut se risquer à estimer à la première moitié du 19e siècle —, le terme urbanisme94 n’apparaît lui qu’au début du 20e siècle. Son origine est souvent attribuée à Pierre Clerget, dans un article public en 1910 (Clerget, 1910) ; ce mot désigne alors le phénomène de création, de développement et de hiérarchisation des centres urbains. Puis, il prend son sens, plus commun aujourd’hui, de savoirs pratiques et de modalités d’action sur la ville dans les années qui suivent, avec la création en 1914 de la Société française des architectes-urbanistes, l’obligation en France de recourir à des plans d’aménagement en 1919, puis la création de

92 Franck Scherrer (2010) évoque cette demande sociale comme l’une des raisons qui ont poussé à la construction d’une expertise, puis de pratiques de l’urbain. Vivianne Claude désigne plus précisément un « appel à compétences » lorsque que les maux de la ville se sont constitués en « problèmes publics » (Claude, 2009, p. 64).

93 Les mots en italique le sont dans le texte source.

94 En Espagnol, le terme urbanización avait déjà été introduit par Hildefonse Cerda en 1867 (Merlin & Choay, 2009, p. 911).

l’Institut d’urbanisme de l’université de Paris en 1924 (Claude & Saunier, 1999).

Si l’aménagement des villes était déjà un motif de préoccupation dans les époques antérieures, avec l’urbanisme apparaît également l’idée de planification, il ne s’agit dès lors plus simplement de s’occuper de l’existant, mais aussi de prévoir le développement futur de la ville (Busquet & Carriou, 2007)95.

Ainsi, l’urbanisme moderne est né à la fois comme une critique de la ville industrielle telle qu’elle était, et comme une promesse d’amélioration future. À la différence des discours sur la ville des époques précédentes, qui étaient le fruit de penseurs généralistes, d’économistes et d’historiens, l’urbanisme, à l’aube du 20e siècle, se constitue comme un corps propre, avec ses spécialistes et ses experts. Gaston Bardet en identifie d’ailleurs les prémices bien avant l’apparition du terme, dès la fin du 19e siècle, lorsque les règles de voirie, d’alignement, et de gestion des réseaux urbains — évacuation des eaux, des ordures, circulation de l’air, taille des trottoirs, passage des chevaux et des voitures — commencent à prendre le pas sur des considérations artistiques :

L’hygiène publique, sous la pression des odeurs, des rats, de la boue, etc., se fait impérieuse. La plupart des embellissements seront des recherches d’assainissement. C’est le règne de Sa Majesté l’Égout qui s’annonce. On n’a plus besoin d’artiste, mais d’entrepreneurs qui enfoncent des tuyaux dans le sol, mettent des tuyaux pour recevoir l’eau des gouttières, prévoient des bornes ou des trappes à ordure ménagère, etc. Tout Hausmann est déjà là, en puissance. (Bardet, 1951, p. 331)

Il situe la fin de l’art urbain, et conjointement la naissance de l’urbanisme, lorsque le désire d’embellissement et d’organisation des formes, se couple d’une nécessité d’assainissement.

Si l’art urbain remonte aux premiers groupements sédentaires, l’urbanisme est une science et une technique récente. [...] il n’y a pas besoin d’urbanisme à des époques où l’évolution urbaine se faisait suivant un rythme humain, où ne se posaient pas les problèmes de «grands nombres». […] La naissance de l’urbanisme, en tant que discipline consciente, organisée, est le plus clair symptôme du désordre urbain. (Bardet, 1951, p. 416)

95 Ce souci du futur s’était déjà exprimé dans l’établissement, pour les plus connus, des plans d’extension de Manhattan en 1811, ou de Barcelone en 1859.

L’urbanisme se situait donc à la conjonction entre l’apparition de techniques et de métiers spécifiques, et le développement d’une réflexion sur le devenir de la ville. Alors que la pensée sur la ville était jusque-là avant tout productrice d’utopies, l’urbanisme la sort du domaine philosophique et politique, pour acquérir une dimension normative orientée vers l’action sur le territoire. Au même titre que l’architecture, il cherche à identifier des problèmes pour y apporter des réponses rationnelles. Si l’urbanisme a ses différentes écoles et courants de pensée96, il se présente d’emblée comme une pratique dépolitisée, et affirme une rupture avec le pré-urbanisme qui reposait lui sur des principes moraux et des opinions politiques (Choay, 1965). Malgré des affrontements doctrinaux, l’urbanisme, à son origine, était poussé par une motivation scientiste. Plus précisément la science et la production de savoir sur l’urbain étaient mises au service de l’action sur la ville, au nom de l’intérêt général, lui-même désigné par l’État : « l’argument scientifique venait donc relayer l’argument d’autorité » (Scherrer, 2010, p. 190). Dans tous les cas, l’urbanisme prétendait porter en lui l’épure d’un monde meilleur : par la collecte des données sur la ville, son organisation sociale, ses cadres spatiaux ; par la constitution d’une expertise, de corps et de sociétés professionnels (Claude, 2006), il se situe à la conjonction entre un désir de réforme, une injonction politique et des savoirs et pratiques propres. Alors que dès la seconde moitié du 19e siècle, apparaissent des métiers de l’urbain, c’est au début du 20e siècle que se constitue véritablement l’urbanisme comme champ professionnel. Et c’est finalement après la Seconde Guerre mondiale, qu’il acquière sa légitimité, et surtout que l’importance des urbanistes croît par rapport aux architectes, avec l’obligation de recourir à un urbaniste en chef pour la reconstruction des villes sinistrées (Voldman, 1997, p. 251).

Aux inégalités des villes industrielles, à leur insalubrité, et à leur encombrement, l’urbanisme oppose un ordonnancement rationnel qui

96 On pense bien entendu à la typologie établie par Françoise Choay (1965). Selon elle, les critiques pré-urbanisme de la ville industrielle — qui restaient alors principalement des modèles utopiques — se retrouvent, sous forme de courants, dans les méthodes de l’urbanisme moderne. Elle différencie un modèle progressiste, dont les principes sont énoncés dans la Charte d’Athènes ; un modèle culturaliste, autour de l’idéaltype de la cité-jardin ; ainsi qu’un troisième modèle naturaliste, plus marginal, appelant à la dissolution de l’urbain dans le territoire, et avec lui, les problèmes de la ville moderne.

transparaît dans les différents traités qui fleurissent à l’aube du 20e siècle. Face à l’insalubrité et à la paupérisation, il promet l’égalité d’accès à l’air, à la verdure et à la lumière, l’accès universel aux aménités urbaines, le désengorgement et la séparation des circulations. Face à la ruine morale que causent les grandes villes, il promet un élargissement des fonctions urbaines, intégrant le loisir, ou prônant l’organisation en communautés pour contrer la solitude.

Mais ces promesses n’ont en grande partie pas été tenues, ou dans certains cas, ont conduit à de nouvelles sources d’indignation, alimentant une critique renouvelée de l’urbanisme moderne. D’une part, les premières grandes transformations urbaines de la fin du 19e siècle — réalisées au nom de l’hygiène et de la salubrité comme celles de Paris lors du Second Empire — n’ont pas amélioré les conditions de vie de la classe ouvrière. D’autre part, l’urbanisme moderne qui s’est essentiellement déployé au sortir de la guerre, sur les principes des Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM), a été accusé de renforcer les inégalités spatiales en isolant et excluant hors des centres-villes les populations ouvrières. À cela s’est ajoutée une indignation vis-à-vis de l’uniformisation des villes, de l’omniprésence de l’automobile et de la monotonie de la vie urbaine, illustrée par le slogan soixante-huitard «  métro-boulot-dodo ». Je distingue ainsi deux types, ou deux registres argumentatifs qui soutiennent une critique de la ville et, in fine, de l’urbanisme : 1) une critique des conditions matérielles de vie et de l’exploitation des populations urbaines ; 2) une critique du quotidien et de l’aliénation de la vie en ville. Si la différentiation entre ces deux registres critiques peut être retracée, comme je le montrerai, jusqu’à l’aube du 19e siècle avec les premiers écrits sur la ville moderne, Éric Le Breton souligne l’importance que cette distinction a pu jouer dans l’établissement d’une sociologie critique dans les années 1960, et les lignes d’opposition qu’elle a engendrée :

Les courants critiques s’adossent aux concepts d’exploitation et d’aliénation.

Des débats infinis examinent leurs relations. Ces notions renvoient, selon certain à des champs différents de la vie sociale: la structuration économique et sociale pour l’exploitation; la socialisation et le fonctionnement politique pour l’aliénation. […] L’exploitation est une domination entre groupes sociaux nouée dans la sphère de la production. Elle est un mécanisme visible

Des débats infinis examinent leurs relations. Ces notions renvoient, selon certain à des champs différents de la vie sociale: la structuration économique et sociale pour l’exploitation; la socialisation et le fonctionnement politique pour l’aliénation. […] L’exploitation est une domination entre groupes sociaux nouée dans la sphère de la production. Elle est un mécanisme visible