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Art et ville, un mariage plusieurs fois consommé

Or, ce dernier mouvement d’intégration de la critique trouve dans le domaine de l’art et de la culture une illustration presque idéal-typique. Alors même qu’une part de la critique de la ville et de l’urbanisme — essentiellement dans la seconde moitié du 20e siècle — a été portée par des artistes et s’est déployée dans un travail artistique (plus ou moins en marge des mondes institutionnels), l’art et la culture tendent de plus en plus à intégrer directement le projet urbain, voire à venir essaimer dans les méthodes et les outils mêmes de l’urbanisme. Je ne reviendrai pas, dans cette introduction, sur une histoire exhaustive des rapports entre art et ville, thème par ailleurs déjà largement exploré (Miles, 2005; Ruby, 2001; Senie & Webster, 1998; Veyrat, 2013), j’en exposerai simplement ici les grandes lignes, afin d’introduire ce qui sera plus longuement explicité dans le reste de ce texte. Rappelons tout d’abord qu’avant l’émergence de l’urbanisme comme champ d’action technique, il

ont décrit le tournant communicationnel de l’urbanisme (Healey, 1996), les nouvelles formes de la gouvernance urbaine (Hohn & Neuer, 2006), la réticulation des processus décisionnels (G. Pinson, 2009), le management urbain culturel (Richards & Palmer, 2010) ou la montée en importance du narratif dans la pratique et la communication de l’urbanisme (Matthey, 2014a).

La notion d’urbanisme de projet illustre cette évolution où le projet, pensé comme un processus itératif, est soumis à des intrants constants ; un urbanisme enjoint à « laisser tout ouvert » (Matthey, 2014b) — soumis aux soubresauts de la demande politique et aux réactions du public —, de moins en moins assuré dans ses orientations désormais mouvantes, il cherche une légitimité dans la narration, et appuie sa justification sur une rhétorique des valeurs, plutôt qu’un système de règles .

On commence alors à percevoir plus distinctement les contours de ce nouvel esprit de l’urbanisme qui, comme le nouvel esprit du capitalisme, se renouvelle par « un processus d’inclusion — de récupération — des critiques portées par la contre-culture des années 1960 » (Pattaroni, 2011, p. 47). Je résumerais à gros traits cette évolution lente de l’urbanisme en représentant quatre temps qui, comme je l’ai esquissé plus haut, décrivent un mouvement de balancier alternant critique et réformes.

1) Le premier temps est celui d’une critique de la ville, elle naît du constat d’une insuffisance d’action commune sur la ville industrielle, conduisant au désordre, à l’insalubrité, à la congestion et la pauvreté (Choay, 1965).

2) L’urbanisme prend source dans les limbes — « dans un de ces espaces intermédiaires entre ce qu’est l’espace urbain et ce qu’il devrait être » (Claude, 2006, p. 30) — puis se constitue en un nouveau corps de métier censé résoudre les problèmes identifiés dans la première phase. Il se forme par l’agrégation de différents savoirs techniques — celui des architectes, des ingénieurs, et des géomètres —, auxquels s’allieront par la suite des universitaires issus des sciences sociales (ibid., p. 47). Cette mise en ordre suit généralement les mêmes logiques que celles que connaît l’industrie au tournant du 20e : spécialisation, standardisation et scientisme (Ascher, 2001). Elle culmine dans les années 1960, avec la généralisation des principes de l’urbanisme moderniste.

3) En même temps que ce premier esprit de l’urbanisme atteint son apogée comme doctrine professionnelle, une critique se fait de plus en plus entendre

dès la fin des années 1950 environ. Elle est d’une part exogène — adressée par des artistes, des mouvements sociaux luttant contre la monotonie de l’architecture, l’aliénation des villes contemporaines — et endogène — la sociologie urbaine notamment, tend de plus en plus à remettre en question les principes de l’aménagement moderniste (Amiot, 1986; Le Breton, 2012;

Vadelorge, 2006).

4) Sous l’action d’un contexte social et économique en mutation, et sous l’impulsion des critiques, l’urbanisme développe de nouveaux outils, de nouvelles méthodes, intègre de nouveaux acteurs et de nouveaux savoirs pour adopter ce nouvel esprit de l’urbanisme que j’ai esquissé plus haut, et dont certain des aspects sont l’objet de cette thèse.

À ces quatre phases, je suis tenté d’en ébaucher une cinquième. Une critique, pour l’instant essentiellement académique, de ce nouvel urbanisme fluide. Elle émerge d’une part des courants néomarxistes en géographie comme une dénonciation du tournant entrepreneurial et néolibéral de la nouvelle gouvernance urbaine. Et se manifeste d’autre part comme une préoccupation, au sein des sciences sociales, vis-à-vis de cette récupération d’une grammaire critique dans l’appareil de production de la ville (Breviglieri, 2013; Carmo, Pattaroni, Piraud, & Pedrazzini, 2014; Matthey, 2016).

Art et ville, un mariage plusieurs fois consommé

Or, ce dernier mouvement d’intégration de la critique trouve dans le domaine de l’art et de la culture une illustration presque idéal-typique. Alors même qu’une part de la critique de la ville et de l’urbanisme — essentiellement dans la seconde moitié du 20e siècle — a été portée par des artistes et s’est déployée dans un travail artistique (plus ou moins en marge des mondes institutionnels), l’art et la culture tendent de plus en plus à intégrer directement le projet urbain, voire à venir essaimer dans les méthodes et les outils mêmes de l’urbanisme. Je ne reviendrai pas, dans cette introduction, sur une histoire exhaustive des rapports entre art et ville, thème par ailleurs déjà largement exploré (Miles, 2005; Ruby, 2001; Senie & Webster, 1998; Veyrat, 2013), j’en exposerai simplement ici les grandes lignes, afin d’introduire ce qui sera plus longuement explicité dans le reste de ce texte. Rappelons tout d’abord qu’avant l’émergence de l’urbanisme comme champ d’action technique, il

existait une certaine indifférenciation entre les actions pratiques, politiques et artistiques sur la ville que l’on traduisait par l’emploi général du terme

« d’embellissement » (Harouel, 1993)10. Jusqu’au début du 20e siècle, lorsque commanditée par une autorité, la statuaire publique revêtait tantôt un rôle de mise en scène du pouvoir royal ou ecclésiastique, tantôt d’identification nationale ou républicaine par la statuaire du « grand homme », dont le 19e siècle était friand (Agulhon, 2003). Or, au tournant du siècle « l’ancienne doctrine figurative de l’art public, assujettie à une volonté de démonstration politique revêtant la parure du ‘Beau’, s’effondre définitivement [...] on reconnaît que l’art n’a d’autre fin que soi-même ». (Ruby, 2001, p. 11). De fait, l’art public s’autonomise, d’une part d’un rôle social, politique et commémoratif, d’autre part de son contexte, pour devenir un marqueur essentiellement autoréférentiel. Comme le relève Rosalind Krauss, la modernité a fait perdre à la sculpture publique son site, et l’a rendue autonome et nomade. Celle-ci ne se définit plus par sa monumentalité, mais par le fait qu’elle n’est ni architecture ni paysage (Krauss, 1979). A fortiori, l’abandon par l’architecture fonctionnaliste de toute ambition ornementale tend à mettre encore davantage de distance symbolique entre l’art et la forme bâtie. Mise à distance confirmée avec la mise en place dans de nombreuses villes d’Europe et des États-Unis, juste avant ou après la Seconde Guerre mondiale, d’institutions de commande artistique publique, dont le rôle spécifique était, à l’origine, la commande d’œuvres destinées à décorer les places et bâtiments publics. L’ornementation n’est alors plus une composante de la production de la ville, mais cette dernière devient un support d’une production artistique qui ne lui est plus consubstantielle.

Paradoxalement, cette autonomisation, qui a en grande partie dénué l’art public de son rôle politique premier a, en fait, contribué à une redéfinition de ce rôle, en lui autorisant désormais une posture critique, de la même manière que la « différenciation esthétique » des sphères marchandes et culturelles avait permis au 19e siècle, l’émergence d’un romantisme critique (De Munck, 2015)11.

10 Par ailleurs, jusqu’au milieu du 20e siècle, l’art urbain — parfois art public — désigne l’aménagement de l’espace de la ville en vue, principalement, de son ornementation. À Genève par exemple, la Société d’art public, fondée en 1901, est une association de défense du patrimoine bâti (El-Wakil, 2007).

11 J’explorerai davantage cette question au point 3.1 de ce texte.

Tout comme le romantisme et le réalisme avaient accompagné l’émergence d’un discours critique de la société bourgeoise et industrielle, le « tournant spatial » (Volvey, 2014)12 de l’art dans la seconde moitié du 20e siècle a ouvert la voie à une critique de l’espace et de la ville. Elle apparaît dans des mouvements d’avant-garde — chez les lettristes puis les situationnistes (qui adressent une dénonciation acerbe à l’architecture et à l’urbanisme modernistes) —, mais aussi par le truchement d’interventions site specific, dématérialisées ou de l’art-performance, bourgeonnant dans les années 1960.

Ces mouvements ont été décrits — en particulier par des auteurs en histoire de l’art, et en esthétique — comme des tentatives de révéler, sinon de dénoncer, une réalité spatiale non plus en la représentant, mais en agissant dessus (à ce sujet, voir notamment Ardenne, 2002; Deutsche, 1992; Senie & Webster, 1989;

Urlberger, 2008). Et, alors que ce type de travail artistique en prise avec le site et son contexte social et politique est né en marge de la production institutionnelle — souvent dans une posture antagoniste —, il semble être devenu un élément ordinaire de la commande publique13, mis en avant par les pouvoirs publics commanditaires comme un outil de politique urbaine. Comme l’affirmait récemment un magistrat genevois :

[La commande artistique est] une importante composante de l’aménagement du territoire. L’œuvre décore, certes, mais pas seulement.

12 Anne Volvey (2014) thématise le « tournant spatial » en le rattachant au Land Art américain des années 1970, et comme une protestation « contre le monde de l’art et la marchandisation de l’objet d’art », puis comme « une approche critique du lieu en une forme artistique », néanmoins, comme je le montrerai aux Chapitres 5 et 7, ces éléments d’une critique spatiale sont déjà présents dans des mouvements antérieurs, en particulier ceux ayant théorisé la dématérialisation de l’art, comme le Happening, et dans une moindre mesure les Dada.

13 Ce paradoxe est souligné, non sans ambiguïtés, par Rainer Rochlitz pour qui les mondes de l’art contemporain — et notamment via la subvention publique — ont remplacé le jugement esthétique par une valorisation de son contenu politique comme jauge de sa validité : « le fait d'être ”politiquement juste” suffit pour légitimer une œuvre d'art » (Rochlitz, 1994, p. 193).

existait une certaine indifférenciation entre les actions pratiques, politiques et artistiques sur la ville que l’on traduisait par l’emploi général du terme

« d’embellissement » (Harouel, 1993)10. Jusqu’au début du 20e siècle, lorsque commanditée par une autorité, la statuaire publique revêtait tantôt un rôle de mise en scène du pouvoir royal ou ecclésiastique, tantôt d’identification nationale ou républicaine par la statuaire du « grand homme », dont le 19e siècle était friand (Agulhon, 2003). Or, au tournant du siècle « l’ancienne doctrine figurative de l’art public, assujettie à une volonté de démonstration politique revêtant la parure du ‘Beau’, s’effondre définitivement [...] on reconnaît que l’art n’a d’autre fin que soi-même ». (Ruby, 2001, p. 11). De fait, l’art public s’autonomise, d’une part d’un rôle social, politique et commémoratif, d’autre part de son contexte, pour devenir un marqueur essentiellement autoréférentiel. Comme le relève Rosalind Krauss, la modernité a fait perdre à la sculpture publique son site, et l’a rendue autonome et nomade. Celle-ci ne se définit plus par sa monumentalité, mais par le fait qu’elle n’est ni architecture ni paysage (Krauss, 1979). A fortiori, l’abandon par l’architecture fonctionnaliste de toute ambition ornementale tend à mettre encore davantage de distance symbolique entre l’art et la forme bâtie. Mise à distance confirmée avec la mise en place dans de nombreuses villes d’Europe et des États-Unis, juste avant ou après la Seconde Guerre mondiale, d’institutions de commande artistique publique, dont le rôle spécifique était, à l’origine, la commande d’œuvres destinées à décorer les places et bâtiments publics. L’ornementation n’est alors plus une composante de la production de la ville, mais cette dernière devient un support d’une production artistique qui ne lui est plus consubstantielle.

Paradoxalement, cette autonomisation, qui a en grande partie dénué l’art public de son rôle politique premier a, en fait, contribué à une redéfinition de ce rôle, en lui autorisant désormais une posture critique, de la même manière que la « différenciation esthétique » des sphères marchandes et culturelles avait permis au 19e siècle, l’émergence d’un romantisme critique (De Munck, 2015)11.

10 Par ailleurs, jusqu’au milieu du 20e siècle, l’art urbain — parfois art public — désigne l’aménagement de l’espace de la ville en vue, principalement, de son ornementation. À Genève par exemple, la Société d’art public, fondée en 1901, est une association de défense du patrimoine bâti (El-Wakil, 2007).

11 J’explorerai davantage cette question au point 3.1 de ce texte.

Tout comme le romantisme et le réalisme avaient accompagné l’émergence d’un discours critique de la société bourgeoise et industrielle, le « tournant spatial » (Volvey, 2014)12 de l’art dans la seconde moitié du 20e siècle a ouvert la voie à une critique de l’espace et de la ville. Elle apparaît dans des mouvements d’avant-garde — chez les lettristes puis les situationnistes (qui adressent une dénonciation acerbe à l’architecture et à l’urbanisme modernistes) —, mais aussi par le truchement d’interventions site specific, dématérialisées ou de l’art-performance, bourgeonnant dans les années 1960.

Ces mouvements ont été décrits — en particulier par des auteurs en histoire de l’art, et en esthétique — comme des tentatives de révéler, sinon de dénoncer, une réalité spatiale non plus en la représentant, mais en agissant dessus (à ce sujet, voir notamment Ardenne, 2002; Deutsche, 1992; Senie & Webster, 1989;

Urlberger, 2008). Et, alors que ce type de travail artistique en prise avec le site et son contexte social et politique est né en marge de la production institutionnelle — souvent dans une posture antagoniste —, il semble être devenu un élément ordinaire de la commande publique13, mis en avant par les pouvoirs publics commanditaires comme un outil de politique urbaine. Comme l’affirmait récemment un magistrat genevois :

[La commande artistique est] une importante composante de l’aménagement du territoire. L’œuvre décore, certes, mais pas seulement.

12 Anne Volvey (2014) thématise le « tournant spatial » en le rattachant au Land Art américain des années 1970, et comme une protestation « contre le monde de l’art et la marchandisation de l’objet d’art », puis comme « une approche critique du lieu en une forme artistique », néanmoins, comme je le montrerai aux Chapitres 5 et 7, ces éléments d’une critique spatiale sont déjà présents dans des mouvements antérieurs, en particulier ceux ayant théorisé la dématérialisation de l’art, comme le Happening, et dans une moindre mesure les Dada.

13 Ce paradoxe est souligné, non sans ambiguïtés, par Rainer Rochlitz pour qui les mondes de l’art contemporain — et notamment via la subvention publique — ont remplacé le jugement esthétique par une valorisation de son contenu politique comme jauge de sa validité : « le fait d'être ”politiquement juste” suffit pour légitimer une œuvre d'art » (Rochlitz, 1994, p. 193).

Elle peut créer du lien social, requalifier un lieu, souligner l’organisation de l’espace collectif, stimuler l’imagination. Elle modifie subtilement la société.14 La nature de ce lien entre production artistique et ville trouve toutefois un nouvel éclairage dès les années 1980, lorsqu’un certain nombre d’auteurs — marxistes pour la plupart, aussi bien géographes et sociologues, qu’issus des mondes de l’art — viennent appuyer une critique de la ville capitaliste, laquelle trouverait de plus en plus dans la production artistique une source d’accumulation de capital (Bowler & Mcburney, 1991; Deutsche & Ryan, 1984;

Zukin, 1982, 1987). Cette première salve critique, dont Sharon Zukin a posé les bases dans Loft Living en théorisant un « mode de production artistique »15, s’inscrit dans la lignée des travaux de l’école de Francfort sur la commodification de la culture, et préfigure ceux qui, au tournant du 21e siècle, ont décrit le tournant cognitif et artistique du capitalisme (Lipovetsky & Serroy, 2013; Moulier-Boutang, 2008, 2010; Negri, 1991; Paulré, 2000). C’est d’ailleurs cette transformation — l’économie de la culture comme moteurs d’évolution du capitalisme — qui constitue l’une des thèses principales du Nouvel esprit du capitalisme. Ce mariage du travail artistique et de l’entrepreneuriat urbain (Harvey, 1989) est, depuis, devenu un poncif de l’urbanisme ; qu’il s’agisse de la construction de grands équipements culturels façon Bilbao Bounce (Masboungi, 2001), ou à plus petite échelle, d’art-led regeneration16 (S.

Cameron & Coaffee, 2005; T. Hall & Robertson, 2001; Mathews, 2010).

Une généralisation des méthodes et des référentiels qui s’explique par la diffusion — tant au niveau stratégique, que dans les cultures professionnelles — de modèles de développement ou d’exemples de réussite, selon des

14 Propos de Sami Kanaan, magistrat responsable du département de la culture de la Ville de Genève, en avant-propos de l’ouvrage édité par le Fonds municipal de la ville de Genève, Neon Parallax. Goillon, Infolio. p. 8.

15 Elle désigne ainsi le changement dans les stratégies de développement urbain du New York des années 1960-1970, où la patrimonialisation et la culture deviennent des leviers de rénovation du centre-ville, aboutissant à une tertiarisation des zones urbaines centrales. « Mode de production » est à comprendre ici dans sa traduction marxiste, à savoir la combinaison d’une force de travail, et de rapports de production.

16 Le terme, très utilisé dans la recherche anglophone, désigne tout type de stratégie de développement urbain local basée sur l’art public, les événements culturels, des installations créatives éphémères, les industries créatives, etc.

phénomènes décrits par l’étude des policy mobilities (Temenos & McCann, 2013), rendus reproductibles par des manuels d’action (Mould, 2014), ou prescrits dans des corpus de « bonnes pratiques » (Devisme, Dumont, & Roy, 2007)17.

En parallèle, de nouveaux champs de recherche se sont ouverts, depuis les années 1990, en études urbaines pour étudier cette diversification des modes d’action publique par l’art et la culture — catalysés par un vif débat, et un rejet général des thèses volontaristes de quelques gourous de la ville créative18. Cet objet (ou devrait-on dire ces objets tant le champ est large et diversifié) a émergé plus récemment en géographie et en études urbaines francophones, où la recherche s’attelle depuis une quinzaine d’années à étudier l’inclusion des acteurs culturels dans les politiques des villes (Grésillon, 2002; Terrin, 2012;

Vivant, 2009). D’autres travaux plus récents, dont certains publiés pendant le cours de cette thèse, ont commencé à questionner plus précisément les rôles des différentes parties prenantes aux projets, et l’évolution de la boîte à outils de l’urbanisme au prisme de cette inclusion du culturel à l’urbain (Arab, Özdirlik, & Vivant, 2016; Arab & Vivant, 2018; Guinard & Molina, 2018; Matthey, 2016; Metzger, 2011; Tonnelat, 2015). Luc Gwiazdzinski, par exemple, a consacré la formule de « géo-artiste » pour désigner cette hybridation entre travail artistique et action sur l’espace urbain (Gwiazdzinski, 2006, 2016b).

On perçoit donc un double mouvement, d’une part une autonomisation de la commande artistique publique vis-à-vis d’une logique de représentation du pouvoir politique, d’autre part une généralisation des moyens de l’art et de la

17 À ce sujet, l’Office fédéral du développement territorial a publié en 2017, conjointement avec l’Office fédéral de la culture, un guide intitulé « Culture et créativité́

pour le développement durable. Bonnes pratiques pour les collectivités publiques », où sont présentés pêle-mêle des exemples de festivals culturels, des programmes d’art publics, des stratégies d’occupation de bâtiments vides, etc.

18 Dénotant d’ailleurs souvent des positions contrastées, voire oppositionnelles. De récents exemples en Suisse romande – le colloque Happy City en 2016, ou la 14e Rencontre franco-suisse des urbanistes consacrée à « l’art et la ville » en 2017 –, ont exposé certaines des lignes de fracture entre des praticiens désireux d’expérimenter de nouvelles méthodes à leur pratique, et des chercheurs mettant en garde contre les dérives de la « ville créative ».

Elle peut créer du lien social, requalifier un lieu, souligner l’organisation de l’espace collectif, stimuler l’imagination. Elle modifie subtilement la société.14 La nature de ce lien entre production artistique et ville trouve toutefois un nouvel éclairage dès les années 1980, lorsqu’un certain nombre d’auteurs — marxistes pour la plupart, aussi bien géographes et sociologues, qu’issus des mondes de l’art — viennent appuyer une critique de la ville capitaliste, laquelle trouverait de plus en plus dans la production artistique une source d’accumulation de capital (Bowler & Mcburney, 1991; Deutsche & Ryan, 1984;

Zukin, 1982, 1987). Cette première salve critique, dont Sharon Zukin a posé les bases dans Loft Living en théorisant un « mode de production artistique »15,

Zukin, 1982, 1987). Cette première salve critique, dont Sharon Zukin a posé les bases dans Loft Living en théorisant un « mode de production artistique »15,