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CONSTRUIRE UNE ÉPISTÉMOLOGIE

Digression 1. La thèse, la leçon et le grade

Il me semble pertinent, à l’occasion d’une digression, de détailler succinctement ce que j’évoque en toute fin du chapitre précédent, à savoir les différentes dimensions que prend la thèse, à la fois en tant que processus, et en tant que produit — qu’il s’agisse de l’objet littéraire issu du processus ou du grade subséquent. Jean Boutier souligne d’ailleurs le caractère polysémique du terme «thèse», autant que la confusion qui en découle, celui-ci désignant tout à la fois un «parcours de recherche», et la «mise en forme des résultats obtenus auquel ce parcours aboutit» (Boutier, 2013, p. 40). Or il semble que la deuxième acceptation soit la plus fréquemment considérée: la thèse permettrait l’accès au statut de chercheur en ce qu’elle témoigne d’un exercice d’érudition, que le grade de docteur récompense et atteste. De manière plus poétique, la thèse est apparentée au «chef-d’œuvre des compagnons d’antan» (Beaud, 2013, p.

304) qui, en concentrant toutes les difficultés propres à une activité, manifeste de la maîtrise technique et du savoir-faire de son auteur. Par cette digression, je souhaiterais revaloriser la première acceptation, à savoir la thèse comme apprentissage du métier de chercheur, plutôt que comme un exercice d’érudition. Dès le début de mon engagement à l’université, j’ai souhaité en effet mettre ces quelques années au profit d’une initiation à la pratique de la recherche en études urbaines au sens large dans ses aspects les plus divers. Cette ambition n’est, du reste, pas étrangère au choix de réaliser une thèse sur travaux.

D’une part, c’est en effet un format qui pousse davantage à se familiariser avec les mécanismes de fonctionnement du monde académique. La thèse sur travaux participe d’un véritable processus d’initiation à la recherche — pas uniquement à la recherche comme activité de production du savoir, mais à la recherche comme monde social — puisqu’elle offre la possibilité d’un apprentissage très utilitaire des compétences mobilisées dans le quotidien de la recherche : celles acquises lors des phases de rédaction formatée pour les articles, celles portant sur la manière de

« vendre » son article à un éditeur, sur la gestion des rapports avec les éditeurs et les évaluateurs, sur la manière de recevoir une évaluation et de la prendre en compte dans la réécriture d’un article, etc. Toutes ces compétences ne s’acquièrent pas, ou seulement

Digression 1. La thèse, la leçon et le grade

Il me semble pertinent, à l’occasion d’une digression, de détailler succinctement ce que j’évoque en toute fin du chapitre précédent, à savoir les différentes dimensions que prend la thèse, à la fois en tant que processus, et en tant que produit — qu’il s’agisse de l’objet littéraire issu du processus ou du grade subséquent. Jean Boutier souligne d’ailleurs le caractère polysémique du terme «thèse», autant que la confusion qui en découle, celui-ci désignant tout à la fois un «parcours de recherche», et la «mise en forme des résultats obtenus auquel ce parcours aboutit» (Boutier, 2013, p. 40). Or il semble que la deuxième acceptation soit la plus fréquemment considérée: la thèse permettrait l’accès au statut de chercheur en ce qu’elle témoigne d’un exercice d’érudition, que le grade de docteur récompense et atteste. De manière plus poétique, la thèse est apparentée au «chef-d’œuvre des compagnons d’antan» (Beaud, 2013, p.

304) qui, en concentrant toutes les difficultés propres à une activité, manifeste de la maîtrise technique et du savoir-faire de son auteur. Par cette digression, je souhaiterais revaloriser la première acceptation, à savoir la thèse comme apprentissage du métier de chercheur, plutôt que comme un exercice d’érudition. Dès le début de mon engagement à l’université, j’ai souhaité en effet mettre ces quelques années au profit d’une initiation à la pratique de la recherche en études urbaines au sens large dans ses aspects les plus divers. Cette ambition n’est, du reste, pas étrangère au choix de réaliser une thèse sur travaux.

D’une part, c’est en effet un format qui pousse davantage à se familiariser avec les mécanismes de fonctionnement du monde académique. La thèse sur travaux participe d’un véritable processus d’initiation à la recherche — pas uniquement à la recherche comme activité de production du savoir, mais à la recherche comme monde social — puisqu’elle offre la possibilité d’un apprentissage très utilitaire des compétences mobilisées dans le quotidien de la recherche : celles acquises lors des phases de rédaction formatée pour les articles, celles portant sur la manière de

« vendre » son article à un éditeur, sur la gestion des rapports avec les éditeurs et les évaluateurs, sur la manière de recevoir une évaluation et de la prendre en compte dans la réécriture d’un article, etc. Toutes ces compétences ne s’acquièrent pas, ou seulement

partiellement, dans une thèse monographique (Merga, 2015). Ce que la thèse perd ici en tant que produit — elle s’apparente plus à un échafaudage qu’à une construction — elle le gagne en tant que processus. La thèse se présente alors plus pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire un parcours initiatique, une leçon, plutôt que la procédure de validation d’un grade académique.

D’autre part, comme il incite à fonctionner par projets courts, le format sur travaux permet également de prendre plus facilement part à des projets annexes au travail doctoral à proprement parler. Ceux-ci peuvent plus aisément se chevaucher que dans une thèse monographique à la cadence plus lente. Ainsi, j’ai profité de ce moment d’apprentissage pour diversifier mes engagements dans la recherche, mais également avec la «cité». Qu’il s’agisse de mandats de service pour des commanditaires externes, de l’organisation d’événements scientifiques, d’activités éditoriales, de collaborations diverses sur des recherches qui n’avaient pas directement trait à ma thèse ou plus simplement des activités d’enseignement liées à mon contrat (voir liste en Annexe 1), chaque occasion qui se présentait était une opportunité de tisser des liens, de développer des compétences, de découvrir d’autres aspects des métiers de la recherche et de l’enseignement en études urbaines. Et à ce titre ces cinq ans de thèse ont constitué un formidable apprentissage.

Il est toutefois un aspect de la leçon sur lequel la thèse par article pèche. Si la multiplication de projets de faible envergure permet de bien explorer la mécanique de la production et de la diffusion de la science, elle ne permet pas, comme le fait la thèse monographique, de développer un véritable art de l’écriture et de la narration.

L’apprenant, lors d’une thèse sur article, se confronte aux exigences particulières du milieu dans lequel il évolue, il apprend les «ficelles du métier» comme l’aurait dit Becker, mais de fait, il passé à côté d’une des rares opportunités où un jeune chercheur peut déployer, sur un temps si long, un propos construit d’une telle ampleur. De fait, chaque article est construit selon des règles autonomes, généralement imposées par les éditeurs, ils doivent par ailleurs correspondre aux us des mondes académiques, qui

diffèrent selon que l’on écrit en français ou en anglais76. Ils ne deviennent des chapitres de thèse que par leur juxtaposition avec d’autres articles qui lui sont plus ou moins liés.

À ce titre, la thèse n’est plus l’exercice littéraire qu’elle pourrait être — la construction d’un argumentaire et son déploiement réfléchi au long d’un manuscrit. Et en ce sens elle risque de se réduire à n’être qu’un compte rendu de parcours de recherche, et non pas cet exercice d’érudition que j’évoquais plus haut. Pour cette raison, j’ai décidé de pallier, tant bien que mal, ce défaut de la thèse par article en ne limitant pas le manuscrit à l’ajout d’un propos introduction et conclusion, mais en tâchant de lui donner un fort accent épistémologique et théorique. Dans les deux chapitres qui suivent, je présente précisément les bases théoriques sur lesquelles repose le cadre intellectuel de cette thèse.

76 Expérience faite, les éditeurs francophones semblent laisser plus de liberté quant à la forme rédactionnelle des articles, tandis que les éditeurs anglophones exigent le suivi d’un plan strict qui met un fort accent sur le cadre analytique et la contribution de l’article à un champ scientifique qui doit lui-même être clairement identifié.

partiellement, dans une thèse monographique (Merga, 2015). Ce que la thèse perd ici en tant que produit — elle s’apparente plus à un échafaudage qu’à une construction — elle le gagne en tant que processus. La thèse se présente alors plus pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire un parcours initiatique, une leçon, plutôt que la procédure de validation d’un grade académique.

D’autre part, comme il incite à fonctionner par projets courts, le format sur travaux permet également de prendre plus facilement part à des projets annexes au travail doctoral à proprement parler. Ceux-ci peuvent plus aisément se chevaucher que dans une thèse monographique à la cadence plus lente. Ainsi, j’ai profité de ce moment d’apprentissage pour diversifier mes engagements dans la recherche, mais également avec la «cité». Qu’il s’agisse de mandats de service pour des commanditaires externes, de l’organisation d’événements scientifiques, d’activités éditoriales, de collaborations diverses sur des recherches qui n’avaient pas directement trait à ma thèse ou plus simplement des activités d’enseignement liées à mon contrat (voir liste en Annexe 1), chaque occasion qui se présentait était une opportunité de tisser des liens, de développer des compétences, de découvrir d’autres aspects des métiers de la recherche et de l’enseignement en études urbaines. Et à ce titre ces cinq ans de thèse ont constitué un formidable apprentissage.

Il est toutefois un aspect de la leçon sur lequel la thèse par article pèche. Si la multiplication de projets de faible envergure permet de bien explorer la mécanique de la production et de la diffusion de la science, elle ne permet pas, comme le fait la thèse monographique, de développer un véritable art de l’écriture et de la narration.

L’apprenant, lors d’une thèse sur article, se confronte aux exigences particulières du milieu dans lequel il évolue, il apprend les «ficelles du métier» comme l’aurait dit Becker, mais de fait, il passé à côté d’une des rares opportunités où un jeune chercheur peut déployer, sur un temps si long, un propos construit d’une telle ampleur. De fait, chaque article est construit selon des règles autonomes, généralement imposées par les éditeurs, ils doivent par ailleurs correspondre aux us des mondes académiques, qui

diffèrent selon que l’on écrit en français ou en anglais76. Ils ne deviennent des chapitres de thèse que par leur juxtaposition avec d’autres articles qui lui sont plus ou moins liés.

À ce titre, la thèse n’est plus l’exercice littéraire qu’elle pourrait être — la construction d’un argumentaire et son déploiement réfléchi au long d’un manuscrit. Et en ce sens elle risque de se réduire à n’être qu’un compte rendu de parcours de recherche, et non pas cet exercice d’érudition que j’évoquais plus haut. Pour cette raison, j’ai décidé de pallier, tant bien que mal, ce défaut de la thèse par article en ne limitant pas le manuscrit à l’ajout d’un propos introduction et conclusion, mais en tâchant de lui donner un fort accent épistémologique et théorique. Dans les deux chapitres qui suivent, je présente précisément les bases théoriques sur lesquelles repose le cadre intellectuel de cette thèse.

76 Expérience faite, les éditeurs francophones semblent laisser plus de liberté quant à la forme rédactionnelle des articles, tandis que les éditeurs anglophones exigent le suivi d’un plan strict qui met un fort accent sur le cadre analytique et la contribution de l’article à un champ scientifique qui doit lui-même être clairement identifié.

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