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De la critique artiste à une critique en art

et son tournant urbain

3.1 De la critique artiste à une critique en art

Dans le Nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999) ont tracé les contours de la critique du capitalisme en distinguant deux lignes argumentatives principales qui soutiennent sa mise en acte. D’une part, la critique sociale, affiliée aux luttes ouvrières, contre les inégalités et la misère que produit le capitalisme. D’autre part, la critique artiste qui, elle, prend appui sur un désenchantement face à la production de masse, à l’inauthenticité des objets, des relations humaines et à l’oppression exercée sur la liberté, l’autonomie et la créativité. Si cette ligne argumentative prend le nom de critique artiste, pour les auteurs, ce n’est pas tant en raison d’une potentialité critique particulière reconnue à la production artistique, mais en ce qu’elle emprunte à la figure de l’artiste son désir de liberté et de refus des contraintes normatives. Une figure archétypale qui se cristallise particulièrement autour du motif de la bohème, dont les valeurs s’opposent à celle de la bourgeoisie :

Ce n’est qu’au 19e siècle que la bourgeoisie, avec sa combinaison spécifique d’idéologie individualiste, d’héritage révolutionnaire et d’appétit de stabilité et de tradition, assuma, dans la société, la position qui permit à la bohème de se présenter comme son contraire et son envers. (Siegel, 1991, p. 35)

Ainsi, l'artiste moderne est construit d’emblée comme figure en rupture — d’une part avec l’art produit antérieurement, d’autre part avec la société du 19e siècle (Chiapello, 1998, p. 28) —, refusant la puissance de l’argent, les normes sociales, l’industrialisme. Pour Herbert Marcuse (1970, p. 113), la construction d’une culture affirmative en contradiction avec le quotidien est constitutive de la formation même de la société bourgeoise, caractérisée entre autres par une différentiation de la sphère culturelle, des sphères économiques et politiques.

Ces dernières, marquées par la nécessité, la concurrence, la domination et l’exploitation, ont exclu le bonheur de la vie quotidienne. L’enchantement, autrefois trouvé dans la spiritualité religieuse, est reporté dans une sphère artistique idéalisée. Comme lieu d’expression d’une beauté idéale, l’esthétique parnassienne — alors le romantisme — représente une échappatoire à la froideur du quotidien, « elle constitue la dernière affirmation des idéaux de bonheur

Avant d’aborder la question spécifiquement urbaine de l’art comme moteur d’une critique de la ville et de son éventuelle reprise, il convient de prendre un peu de recul et de questionner, dans un premier temps, la notion même de critique et ce que l’art a à voir avec elle. Dans un premier temps, je reviendrai sur la notion de critique artiste, conceptualisée par Ève Chiapello, puis affinée avec Luc Boltanski. Nous verrons comment cette critique s’est constituée à partir de la figure de l’artiste comme modèle de la subversion sociale à partir de la moitié du 20e siècle. Cette partie se terminera par une ouverture réflexive sur l’institutionnalisation de la critique artistique dans les mondes de l’art, et dans ceux de l’économie.

Dans un second temps, j’aborderai la question d’un potentiel critique de l’art.

Cette partie me permettra de poser les bases d’une réflexion sur ce que l’art peut avoir de politique et de construire un cadre d’analyse des politiques de l’art — en puisant dans l’esthétique, la philosophie politique, mais également de la sociologie pragmatique — permettant de comprendre de quelle manière la pratique artistique peut, ou non, déployer une critique de la réalité sociale, voire agir comme un élément subversif dans un ordre établi et le contester. Ce détour par une théorisation des politiques de l’art — qui constitue un pas de côté par rapport à l’horizon disciplinaire de cette thèse — me permettra de nourrir l’analyse des cas étudiés dans la seconde partie de ce texte. En particulier, il favorise la perception des « ambiguïtés » (Piraud, 2017) de l’intégration des moyens de l’art dans les processus urbains institutionnels. Si les tensions entre une production artistique captée par les politiques urbaines et les mouvements de résistance subversive des acteurs culturels sont un objet émergent en études urbaines (voir notamment Borén & Young, 2017; Mclean, 2014), peu d’auteurs ont cherché à rattacher cette dichotomie à une théorisation de l’horizon critique du travail artistique. Parmi ceux-ci, David Pinder (2005, 2008, 2011), étudie comment le travail artistique performatif — en particulier les méthodes empruntées aux lettristes et situationnistes — construit des approches critiques de la ville dans un contexte de forte régulation des espaces publics ; et, dans une thèse récemment soutenue à Lausanne, Mischa Piraud pointe les ambiguïtés des villes créatives, à savoir « les déplacements de lignes instituées par l’enrôlement de l’art dans la production urbaine » (Piraud, 2017, p. iv) et la modification subséquente des horizons critiques de l’art. Pour ces raisons, il me semble important ici de prendre le temps d’analyser ce qui

fait la substance d’une critique par l’art avant de revenir plus loin sur son intégration dans un modèle de production urbaine.

3.1 De la critique artiste à une critique en art

Dans le Nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999) ont tracé les contours de la critique du capitalisme en distinguant deux lignes argumentatives principales qui soutiennent sa mise en acte. D’une part, la critique sociale, affiliée aux luttes ouvrières, contre les inégalités et la misère que produit le capitalisme. D’autre part, la critique artiste qui, elle, prend appui sur un désenchantement face à la production de masse, à l’inauthenticité des objets, des relations humaines et à l’oppression exercée sur la liberté, l’autonomie et la créativité. Si cette ligne argumentative prend le nom de critique artiste, pour les auteurs, ce n’est pas tant en raison d’une potentialité critique particulière reconnue à la production artistique, mais en ce qu’elle emprunte à la figure de l’artiste son désir de liberté et de refus des contraintes normatives. Une figure archétypale qui se cristallise particulièrement autour du motif de la bohème, dont les valeurs s’opposent à celle de la bourgeoisie :

Ce n’est qu’au 19e siècle que la bourgeoisie, avec sa combinaison spécifique d’idéologie individualiste, d’héritage révolutionnaire et d’appétit de stabilité et de tradition, assuma, dans la société, la position qui permit à la bohème de se présenter comme son contraire et son envers. (Siegel, 1991, p. 35)

Ainsi, l'artiste moderne est construit d’emblée comme figure en rupture — d’une part avec l’art produit antérieurement, d’autre part avec la société du 19e siècle (Chiapello, 1998, p. 28) —, refusant la puissance de l’argent, les normes sociales, l’industrialisme. Pour Herbert Marcuse (1970, p. 113), la construction d’une culture affirmative en contradiction avec le quotidien est constitutive de la formation même de la société bourgeoise, caractérisée entre autres par une différentiation de la sphère culturelle, des sphères économiques et politiques.

Ces dernières, marquées par la nécessité, la concurrence, la domination et l’exploitation, ont exclu le bonheur de la vie quotidienne. L’enchantement, autrefois trouvé dans la spiritualité religieuse, est reporté dans une sphère artistique idéalisée. Comme lieu d’expression d’une beauté idéale, l’esthétique parnassienne — alors le romantisme — représente une échappatoire à la froideur du quotidien, « elle constitue la dernière affirmation des idéaux de bonheur

humain […] dans un monde qui pourtant demande à chacun de renoncer au bonheur au profit de l’accumulation » (De Munck, 2015, p. 226). Fondée sur des valeurs opposées à la sphère du travail, comme le désintéressement face à l’accumulation, la mobilité face à la fixation, l’hédonisme face à l’ascèse, l’art de la modernité a d’emblée acquis un potentiel critique. Car si pour Marcuse, l’art dans la société bourgeoise constitue essentiellement un apaisement contre la rudesse de la réalité, Jean De Munck souligne sa dualité lorsqu’il pose les bases d’un protestation interne contre le mode de vie bourgeois (p. 227).

Une protestation qui s’incarne, justement, dans la figure de l’artiste et de sa vie de bohème. En privilégiant le détachement à l’enracinement, l’autoréalisation à l’accumulation, l’artiste personnifie cette critique. La vie de bohème, comme antithèse du quotidien bourgeois, compose donc dès sa création l’horizon d’une critique du capitalisme. C’est sur cette figure d’émancipation que se construit l’argumentaire de Boltanski et Chiapello :

[La critique artiste] insiste sur la volonté objective du capitalisme et de la société bourgeoise d’enrégimenter, de dominer, de soumettre les hommes à un travail prescrit, dans le but du profit, mais en invoquant hypocritement la morale, à laquelle elle oppose la liberté de l’artiste, son rejet d’une contamination de l’esthétique par l’éthique, son refus de toute forme d’assujettissement dans le temps et dans l’espace et, dans ses expressions extrêmes, de toute espèce de travail. (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 88)

Il y aurait donc, avec l’expansion du capitalisme, l’émergence en son sein d’une critique inhérente et présente depuis sa fondation. Néanmoins ce type de critique a historiquement joué un rôle très marginal par rapport à la critique sociale ; les mouvements contestataires du 19e et du début du 20e siècle prenant appui sur une critique sociale, dénonçant les inégalités et l’égoïsme du système d’accumulation capitaliste. Par ailleurs, les porteurs de la critique artiste — artistes et intellectuels — représentaient une part marginale, et n’avaient que peu de rapports avec le monde du travail, où se sont jouées ces luttes. C’est à partir des années 1960-1970 que la ligne argumentative de la critique artiste connaît une résurgence, en particulier en raison de sa diffusion dans les milieux estudiantins prenant part aux événements de mai 68. Au discours social sur l’inégalité va se surajouter une critique de l’aliénation, contre

« le désenchantement, l’inauthenticité, la “misère de la vie quotidienne”, la déshumanisation du monde […], et, d’autre part la perte d’autonomie,

l’absence de créativité, et les différentes formes d’oppression du monde moderne » (ibid., p. 264).

Dans sa forme des années 1960-1970, la critique artiste répond aux évolutions du capitalisme du début du 20e siècle — que l’on désignera succinctement comme le passage d’un « capitalisme industriel » à un « capitalisme de la consommation » (Stiegler, 2006, p. 86). Il s’agit d’une part d’une demande de libération et d’autre part d’une exigence d’authenticité.

La demande de libération répond en fait à une promesse originelle du capitalisme. Présenté comme un prolongement des Lumières, il opposait aux

« sociétés traditionnelles », des « sociétés modernes » qui permettent l’autonomie et la réalisation de l’individu (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 565).

En basant les rapports sociaux sur le contrat plutôt que le statut, il autorisait d’une part le choix de son état social — métier, lieux de résidence, mode de vie

—, et libérait du système traditionnel de contraintes sociales en fixant les échanges par un système de marché, réglé par le prix. Mais sur ce plan, le capitalisme n’a pas tenu ses promesses, les anciennes oppressions se voyant très vite remplacées par d’autres, « à la libération promise se substitue, en fait une nouvelle forme d’esclavage » (ibid., p. 568) — la mise en concurrence de tous contre tous, l’asservissement qui ne permet plus une vie digne, la désagrégation du collectif au profit de l’intérêt privé. Si les luttes de la fin du 19e siècle — plus proches donc d’une critique sociale — orientèrent la demande de libération vers davantage de stabilité pour les travailleurs contre cette concurrence totale, la critique artiste des années 1960 dénonça au contraire les aliénations que la société fait peser sur les individus77. L’exigence d’authenticité de la critique artiste est issue, elle, de la production de masse propre à l’industrialisation. Cette dénonciation est une critique de la standardisation des biens, mais également de l’uniformisation des désirs, de l’interchangeabilité des travailleurs et de la massification de l’opinion, où toute culture est « réduite à une pure fonction de divertissement » (ibid., p. 591).

77 Aliénations spécifiques à la classe ouvrière qui la confine dans l’exploitation ; et aliénations génériques empêchant l’affranchissement de l’individu des contraintes qui l’enracine — appartenance nationale, dépendance au travail, détermination sexuelle, etc.

(Boltanski & Chiapello, 1999, p. 579).

humain […] dans un monde qui pourtant demande à chacun de renoncer au bonheur au profit de l’accumulation » (De Munck, 2015, p. 226). Fondée sur des valeurs opposées à la sphère du travail, comme le désintéressement face à l’accumulation, la mobilité face à la fixation, l’hédonisme face à l’ascèse, l’art de la modernité a d’emblée acquis un potentiel critique. Car si pour Marcuse, l’art dans la société bourgeoise constitue essentiellement un apaisement contre la rudesse de la réalité, Jean De Munck souligne sa dualité lorsqu’il pose les bases d’un protestation interne contre le mode de vie bourgeois (p. 227).

Une protestation qui s’incarne, justement, dans la figure de l’artiste et de sa vie de bohème. En privilégiant le détachement à l’enracinement, l’autoréalisation à l’accumulation, l’artiste personnifie cette critique. La vie de bohème, comme antithèse du quotidien bourgeois, compose donc dès sa création l’horizon d’une critique du capitalisme. C’est sur cette figure d’émancipation que se construit l’argumentaire de Boltanski et Chiapello :

[La critique artiste] insiste sur la volonté objective du capitalisme et de la société bourgeoise d’enrégimenter, de dominer, de soumettre les hommes à un travail prescrit, dans le but du profit, mais en invoquant hypocritement la morale, à laquelle elle oppose la liberté de l’artiste, son rejet d’une contamination de l’esthétique par l’éthique, son refus de toute forme d’assujettissement dans le temps et dans l’espace et, dans ses expressions extrêmes, de toute espèce de travail. (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 88)

Il y aurait donc, avec l’expansion du capitalisme, l’émergence en son sein d’une critique inhérente et présente depuis sa fondation. Néanmoins ce type de critique a historiquement joué un rôle très marginal par rapport à la critique sociale ; les mouvements contestataires du 19e et du début du 20e siècle prenant appui sur une critique sociale, dénonçant les inégalités et l’égoïsme du système d’accumulation capitaliste. Par ailleurs, les porteurs de la critique artiste — artistes et intellectuels — représentaient une part marginale, et n’avaient que peu de rapports avec le monde du travail, où se sont jouées ces luttes. C’est à partir des années 1960-1970 que la ligne argumentative de la critique artiste connaît une résurgence, en particulier en raison de sa diffusion dans les milieux estudiantins prenant part aux événements de mai 68. Au discours social sur l’inégalité va se surajouter une critique de l’aliénation, contre

« le désenchantement, l’inauthenticité, la “misère de la vie quotidienne”, la déshumanisation du monde […], et, d’autre part la perte d’autonomie,

l’absence de créativité, et les différentes formes d’oppression du monde moderne » (ibid., p. 264).

Dans sa forme des années 1960-1970, la critique artiste répond aux évolutions du capitalisme du début du 20e siècle — que l’on désignera succinctement comme le passage d’un « capitalisme industriel » à un « capitalisme de la consommation » (Stiegler, 2006, p. 86). Il s’agit d’une part d’une demande de libération et d’autre part d’une exigence d’authenticité.

La demande de libération répond en fait à une promesse originelle du capitalisme. Présenté comme un prolongement des Lumières, il opposait aux

« sociétés traditionnelles », des « sociétés modernes » qui permettent l’autonomie et la réalisation de l’individu (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 565).

En basant les rapports sociaux sur le contrat plutôt que le statut, il autorisait d’une part le choix de son état social — métier, lieux de résidence, mode de vie

—, et libérait du système traditionnel de contraintes sociales en fixant les échanges par un système de marché, réglé par le prix. Mais sur ce plan, le capitalisme n’a pas tenu ses promesses, les anciennes oppressions se voyant très vite remplacées par d’autres, « à la libération promise se substitue, en fait une nouvelle forme d’esclavage » (ibid., p. 568) — la mise en concurrence de tous contre tous, l’asservissement qui ne permet plus une vie digne, la désagrégation du collectif au profit de l’intérêt privé. Si les luttes de la fin du 19e siècle — plus proches donc d’une critique sociale — orientèrent la demande de libération vers davantage de stabilité pour les travailleurs contre cette concurrence totale, la critique artiste des années 1960 dénonça au contraire les aliénations que la société fait peser sur les individus77. L’exigence d’authenticité de la critique artiste est issue, elle, de la production de masse propre à l’industrialisation. Cette dénonciation est une critique de la standardisation des biens, mais également de l’uniformisation des désirs, de l’interchangeabilité des travailleurs et de la massification de l’opinion, où toute culture est « réduite à une pure fonction de divertissement » (ibid., p. 591).

77 Aliénations spécifiques à la classe ouvrière qui la confine dans l’exploitation ; et aliénations génériques empêchant l’affranchissement de l’individu des contraintes qui l’enracine — appartenance nationale, dépendance au travail, détermination sexuelle, etc.

(Boltanski & Chiapello, 1999, p. 579).

Décrivant les ressorts argumentatifs d’une critique portée par les artistes — et les mécanismes de récupération de cette critique par le capitalisme —, Boltanski et Chiapello s’intéressent davantage aux finalités qu’aux moyens de la critique.

Les modalités par lesquelles la critique s’inscrit dans la production artistique restent, elles, largement ignorées. En s’intéressant au discours critique et à ses justifications, ils présentent la critique artiste essentiellement comme une ligne argumentative, sans se pencher sur une critique en acte. En rattachant ce que la critique a d’artistique à ceux qui la portent — les artistes — ils omettent de considérer sa formalisation. Car, au-delà d’un mode de vie qui refuse les conventions bourgeoises, les artistes — ou du moins ceux revendiquant une opposition à la société bourgeoise — se sont également faits les porteurs d’une critique performée dans la production artistique.

Jean De Munck (2015), après avoir rejeté le postulat d’une lecture purement métaphorique de la place de l’art dans la critique artiste, propose d’historiciser l’apparition d’un potentiel critique de l’art dès le 19e siècle, et de donner une lecture de la critique sous l’angle de l’expérience esthétique. Il identifie ainsi quatre mouvements de l’histoire de l’art européen par lesquels la critique esthétique s’est déployée : Le romantisme en générant les « motifs critiques fondamentaux de la modernité » (De Munck, 2015, p. 233), par l’idéalisation d’un passé préindustriel voire des tentatives utopiques. Le réalisme qui, opérant un renversement, entend donner accès au réel, à son aridité et sa dureté. Le modernisme en s’opposant à la fixation des identités et la réification.

Enfin les avant-gardes du 20e siècle qui, en ne portant leurs critiques non plus seulement sur l’art lui-même ni les sphères extérieures à l’art, mais sur les frontières entre ce qui est de l’art et ce qui n’en est pas, ont profondément lié révolution esthétique et révolution politique.

Je ne rejette nullement la conceptualisation de la critique artiste de Boltanski et Chiapello comme construction argumentative d’un discours porté par les artistes et diffusé dans les luttes contre le capitalisme. En fait, je reprends en partie ses thèmes pour étudier l’émergence d’une critique de l’urbanisme telle qu’elle fut formulée par les avant-gardes artistiques de la seconde moitié du 20e siècle. Par ailleurs, mon analyse de la reprise de cette critique dans la production de la ville contemporaine s’appuie largement sur le principe des

« boucles de récupération » que développent les auteurs. En revanche, il me paraît essentiel d’élargir le cadre d’analyse non pas au seul ressort argumentatif

d’une critique artiste de la ville, mais également à son opérationnalisation dans le travail créatif. Car si au 19e siècle, l’autonomisation de l’art — par l’opposition entre un art érudit et un art de masse (Esquível, 2008) — lui a conféré une position en retrait qui autorisait dès lors une posture critique sur le monde, il est important de souligner qu’il ne s’agit encore que d’une « potentialité conflictuelle et critique » (De Munck, 2015, p. 227) qui n’a rien d’automatique.

La complexité des mondes de l’art — qui produisent par ailleurs eux-mêmes leur propre conformisme (Becker, 2008) — ne permet en effet aucunement de présupposer un caractère, à plus forte raison une intentionnalité, de facto critique de la production artistique. Raison pour laquelle, avant d’aborder plus avant la manière dont s’est constituée une critique artiste de l’urbanisme, il me paraît difficile de faire l’économie d’une théorisation des politiques de l’art. Le sens que l’on donne à politique de l’art, qui diffère ici de celui que l’on donne

La complexité des mondes de l’art — qui produisent par ailleurs eux-mêmes leur propre conformisme (Becker, 2008) — ne permet en effet aucunement de présupposer un caractère, à plus forte raison une intentionnalité, de facto critique de la production artistique. Raison pour laquelle, avant d’aborder plus avant la manière dont s’est constituée une critique artiste de l’urbanisme, il me paraît difficile de faire l’économie d’une théorisation des politiques de l’art. Le sens que l’on donne à politique de l’art, qui diffère ici de celui que l’on donne