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CONSTRUIRE UNE ÉPISTÉMOLOGIE

Chapitre 1. De l’objet au terrain

1.6 Vers une herméneutique

Après avoir détaillé les types de sources qui composent le corpus mobilisé dans cette thèse, je souhaite revenir quelques instants sur ce « paradigme de l’indice » évoqué plus haut (point 1.4), et plus précisément sur le traitement et l’interprétation des signaux détectés lors de l’enquête. Si la démarche choisie privilégie une approche par cas singuliers, par la collecte d’indices discrets qui, in fine, renseignent sur un état de fait du monde réel en un temps et un lieu donné, il convient de se demander quelles opérations permettent de produire une connaissance à partir de données en apparences hétéroclites ? Comment, en pensant par fragments peut-on parvenir à un énoncé scientifiquement valide qui apporterait une réponse à une problématique donnée ? Ou comme le résument plus pragmatiquement Nicolas Dodier et Isabelle Baszanger à propos de ce qu’ils caractérisent comme une « crise de la totalisation » :

« comment saisir, dans un même ensemble, la série des données collectées sur le terrain ? » (Dodier & Baszanger, 1997, p. 38).

La question n’est pas nouvelle, elle tracasse les sciences humaines depuis quelques siècles. Si les tenants d’un positivisme scientifique ont soutenu l’établissement d’une science explicative à la recherche de paradigmes généralisants et cumulatifs, d’autres défendent une démarche compréhensive sans ambitions totalisantes. Les romantiques allemands de la fin du 18e siècle, à l’instar de Friedrich Schlegel, ont notamment affirmé l’impossibilité d’une explication absolue du monde dans sa totalité. Ils ont établi l’herméneutique comme « théorie de la compréhension » (Thouard, 1996, p. 10) et avec elle « la nature interprétative de tout savoir » (ibid., p. 36). Plus récemment, Paul Veyne soulignait la difficulté à parvenir à une « synthèse cohérente », l’historiographie s’apparentant, le plus souvent à une « juxtaposition de descriptions » (Veyne, 1971, p. 67). Sans pour autant nier que cela pose un problème épistémologique fondamental, une telle synthèse représentant selon lui « une tâche herculéenne » dont on fait volontiers l’économie.

De fait, pour Veyne, l’histoire — mais je me risque à reprendre ce constat pour le compte des sciences humaines dans leur ensemble, par opposition aux

sciences de la Nature — repose ses énoncés principalement sur une démarche descriptive et interprétative du monde. Elle exige tout d’abord que l’on rende compte du réel, et cette retranscription du réel passe nécessairement par un exercice narratif. L’histoire, dit-il, est toujours un « récit », elle ne fait pas état d’un vécu vrai mais plutôt d’une « narration » produite par le chercheur à propos de ce vécu (ibid., p. 14). Elle ne peut, par ailleurs, qu’être interprétative, puisque les événements étudiés sont toujours saisis de manière incomplète et parcellaire « à travers des documents ou des témoignages, disons à travers des tekmeria, des traces » (ibid., p.15). Il revient donc au chercheur de recomposer à partir de ces fragments. Ce travail d’interprétation est précisément au cœur de la démarche herméneutique que j’ai adoptée au cours de ce travail de thèse.

Plutôt qu’une méthode, l’herméneutique est une posture de science dont la finalité n’est pas « d’expliquer » le monde, mais de le « comprendre » (Boissonneault & Vinit, 2016, p. 13), ou comme le synthétise Paul Veyne , « sa manière d’expliquer c’est de ”faire comprendre”, de raconter comment les choses se sont passée » (Veyne, 1971, p. 194). La démarche herméneutique ne vise ainsi pas à trouver des causalités, mais à établir des interprétations narratives par la description de fragment du réel ; et, tout comme l’historiographie de Paul Veyne, à « s’intéresser en racontant » (ibid., p. 23).

Ainsi, lors de mon enquête, j’ai cherché à repérer les signaux qui témoignaient des questions que je me posais en introduction. J’ai tâché de collecter ces fragments et de multiplier les instances tout en les racontant. Ces descriptions sont nécessairement des interprétations, puisqu’il me revient de définir les focales, de combler les trous, de chercher à comprendre le déroulement des événements, les actions des acteurs étudiés, sans jamais pouvoir véritablement en expliquer les causes réelles.

De l’information à l’intelligibilité

Comment, peut-on alors se demander, une description interprétative du monde qui ne cherche même pas à l’expliquer, permettrait malgré tout de produire un savoir d’ordre scientifique sur son objet ? Pour tenter de répondre à cette question, je propose de revenir un court instant sur la question du comparatisme et de ce qu’il permet de rendre visible. Pour Jean-Claude Passeron (2006 [1991]), les sciences sociales ne peuvent pas établir des lois

chose donnée, ce qui fait qu’on ne peut en disposer à son gré » (Godbout, 1997, p. 41; cité par Matthey, 2005, p. 12).

1.6 Vers une herméneutique

Après avoir détaillé les types de sources qui composent le corpus mobilisé dans cette thèse, je souhaite revenir quelques instants sur ce « paradigme de l’indice » évoqué plus haut (point 1.4), et plus précisément sur le traitement et l’interprétation des signaux détectés lors de l’enquête. Si la démarche choisie privilégie une approche par cas singuliers, par la collecte d’indices discrets qui, in fine, renseignent sur un état de fait du monde réel en un temps et un lieu donné, il convient de se demander quelles opérations permettent de produire une connaissance à partir de données en apparences hétéroclites ? Comment, en pensant par fragments peut-on parvenir à un énoncé scientifiquement valide qui apporterait une réponse à une problématique donnée ? Ou comme le résument plus pragmatiquement Nicolas Dodier et Isabelle Baszanger à propos de ce qu’ils caractérisent comme une « crise de la totalisation » :

« comment saisir, dans un même ensemble, la série des données collectées sur le terrain ? » (Dodier & Baszanger, 1997, p. 38).

La question n’est pas nouvelle, elle tracasse les sciences humaines depuis quelques siècles. Si les tenants d’un positivisme scientifique ont soutenu l’établissement d’une science explicative à la recherche de paradigmes généralisants et cumulatifs, d’autres défendent une démarche compréhensive sans ambitions totalisantes. Les romantiques allemands de la fin du 18e siècle, à l’instar de Friedrich Schlegel, ont notamment affirmé l’impossibilité d’une explication absolue du monde dans sa totalité. Ils ont établi l’herméneutique comme « théorie de la compréhension » (Thouard, 1996, p. 10) et avec elle « la nature interprétative de tout savoir » (ibid., p. 36). Plus récemment, Paul Veyne soulignait la difficulté à parvenir à une « synthèse cohérente », l’historiographie s’apparentant, le plus souvent à une « juxtaposition de descriptions » (Veyne, 1971, p. 67). Sans pour autant nier que cela pose un problème épistémologique fondamental, une telle synthèse représentant selon lui « une tâche herculéenne » dont on fait volontiers l’économie.

De fait, pour Veyne, l’histoire — mais je me risque à reprendre ce constat pour le compte des sciences humaines dans leur ensemble, par opposition aux

sciences de la Nature — repose ses énoncés principalement sur une démarche descriptive et interprétative du monde. Elle exige tout d’abord que l’on rende compte du réel, et cette retranscription du réel passe nécessairement par un exercice narratif. L’histoire, dit-il, est toujours un « récit », elle ne fait pas état d’un vécu vrai mais plutôt d’une « narration » produite par le chercheur à propos de ce vécu (ibid., p. 14). Elle ne peut, par ailleurs, qu’être interprétative, puisque les événements étudiés sont toujours saisis de manière incomplète et parcellaire « à travers des documents ou des témoignages, disons à travers des tekmeria, des traces » (ibid., p.15). Il revient donc au chercheur de recomposer à partir de ces fragments. Ce travail d’interprétation est précisément au cœur de la démarche herméneutique que j’ai adoptée au cours de ce travail de thèse.

Plutôt qu’une méthode, l’herméneutique est une posture de science dont la finalité n’est pas « d’expliquer » le monde, mais de le « comprendre » (Boissonneault & Vinit, 2016, p. 13), ou comme le synthétise Paul Veyne , « sa manière d’expliquer c’est de ”faire comprendre”, de raconter comment les choses se sont passée » (Veyne, 1971, p. 194). La démarche herméneutique ne vise ainsi pas à trouver des causalités, mais à établir des interprétations narratives par la description de fragment du réel ; et, tout comme l’historiographie de Paul Veyne, à « s’intéresser en racontant » (ibid., p. 23).

Ainsi, lors de mon enquête, j’ai cherché à repérer les signaux qui témoignaient des questions que je me posais en introduction. J’ai tâché de collecter ces fragments et de multiplier les instances tout en les racontant. Ces descriptions sont nécessairement des interprétations, puisqu’il me revient de définir les focales, de combler les trous, de chercher à comprendre le déroulement des événements, les actions des acteurs étudiés, sans jamais pouvoir véritablement en expliquer les causes réelles.

De l’information à l’intelligibilité

Comment, peut-on alors se demander, une description interprétative du monde qui ne cherche même pas à l’expliquer, permettrait malgré tout de produire un savoir d’ordre scientifique sur son objet ? Pour tenter de répondre à cette question, je propose de revenir un court instant sur la question du comparatisme et de ce qu’il permet de rendre visible. Pour Jean-Claude Passeron (2006 [1991]), les sciences sociales ne peuvent pas établir des lois

générales et universelles, comme le ferait une démarche positiviste basée sur la réfutabilité de ses hypothèses. Tout au plus, peuvent-elles esquisser des propositions, des énoncés, étayés par des observations. En multipliant les cas analysés, en repérant les variances, les permanences, on pourra, de ces propositions, construire des théories et les valider en saturant les hypothèses de descriptions herméneutiques.

En tant que sciences historiques, toutes nos disciplines documentent et argumentent des conclusions à partir de prémisses. Non pas en faisant varier des degrés de « généralité » sur l’axe vertical le long duquel se déplacent une déduction ou une induction, mais en circonstanciant le passage d’un

« cas » à un autre sur l’axe horizontal d’une comparaison où la « monotonie » des inférences connaît des paliers, des flexions et des permutations entre l’exception et la règle. (Passeron, 2006, pp. 71–72)

Cette pensée comparatiste s’apparente à la démarche casuistique que j’évoquais au point 1.4, mais elle transpire plus généralement dans l’ensemble des sciences humaines, en ce qu’elles visent toujours à produire de « l’intelligibilité » en construisant une « connaissance » renseignée par de

« l’information » collectée. Je reprends à dessein ces termes que Passeron distingue les uns des autres et qui constituent les fondements de l’interprétation dans les sciences humaines. Il décrit l’information, l’effet de connaissance, et l’effet d’intelligibilité.

L’information, tout d’abord, est la « donnée » brute, collectée sur le monde empirique. Il cite, comme métaphore, l’exemple d’un annuaire téléphonique, qui est une somme d’informations non traitées.

L’effet de connaissance est ce qui résulte de cette somme d’informations lorsqu’elle est traitée par un processus raisonné, orienté par une question qui est extérieure à l’information elle-même. Ces opérations passent par des mises en relation et des catégorisations, dont le nombre et les caractéristiques ne sont pas limités :

On passe d’une collection d’informations, à un énoncé scientifique lorsqu’on soumet la collection à un rayonnement orienté par une question qui oblige à transformer la forme énumérative de la collection d’information. (Passeron, 2006, p. 370)

Dans la métaphore de l’annuaire, l’effet de connaissance proviendrait d’une recatégorisation de l’information selon, par exemple, les pourcentages

d’indicatifs régionaux. On produit ainsi une connaissance spécifique en interrogeant un corpus informationnel.

L’effet d’intelligibilité, enfin — qui découle de, et prend place dans un régime d’intelligibilité spécifique —, provient de l’énonciation des connaissances, dans une langue conceptuelle. Les effets d’intelligibilité résultent de l’interprétation des connaissances, pour tenter de leur donner un sens, notamment par la mise en relation avec d’autres corpus, et des théories établies, tout en gardant en tête l’impasse d’une ambition généralisante, virtuellement impossible en sciences humaines.

Le travail d’interprétation du chercheur passe donc par cette mise en intelligibilité de l’information récolté sur le terrain. Celui-ci consiste de fait en des « remplissages sémantiques » puisque l’intelligibilité des sciences sociales, qui pour Passeron est nécessairement une intelligibilité comparative, ne permet de produire que des généralisations relatives :

C’est seulement dans le cas de l’intelligibilité comparative57 que le volume des informations exactes contenue dans un discours scientifique se trouve limité à celles qui ont été utilisées par la comparaison elle-même : il ne s’étend au-delà qu’au titre d’hypothèse, remettant en jeu le mouvement comparatif jusqu’à pouvoir à chaque instant le remettre en question.

(Passeron, 2006, p. 381)

Le remplissage sémantique, qu’évoque Passeron, qui donne son sens à l’information — et qui devient par ailleurs d’autant plus nécessaire que l’on recourt à des données fragmentaires — s’apparente à un déchiffrement. Il revient à dépasser une lecture textuelle des données récoltées, pour en interpréter un sens qui n’est, de prime abord, pas dévoilé dans l’information brute. Dans ce cas, la validité scientifique de la démarche provient de ce que le régime d’intelligibilité dans lequel prend place l’interprétation est mis en cohérence avec une méthodologie spécifique. Les entretiens dits

« compréhensifs », par exemple, ne visent alors pas à expliquer des causalités, mais à comprendre les situations et les faits sociaux incorporés dans les interlocuteurs.

57 Par opposition à l’intelligibilité empirique des sciences naturelles, basée sur la reproduction des observations identiques (N.D.L.A).

générales et universelles, comme le ferait une démarche positiviste basée sur la réfutabilité de ses hypothèses. Tout au plus, peuvent-elles esquisser des propositions, des énoncés, étayés par des observations. En multipliant les cas analysés, en repérant les variances, les permanences, on pourra, de ces propositions, construire des théories et les valider en saturant les hypothèses de descriptions herméneutiques.

En tant que sciences historiques, toutes nos disciplines documentent et argumentent des conclusions à partir de prémisses. Non pas en faisant varier des degrés de « généralité » sur l’axe vertical le long duquel se déplacent une déduction ou une induction, mais en circonstanciant le passage d’un

« cas » à un autre sur l’axe horizontal d’une comparaison où la « monotonie » des inférences connaît des paliers, des flexions et des permutations entre l’exception et la règle. (Passeron, 2006, pp. 71–72)

Cette pensée comparatiste s’apparente à la démarche casuistique que j’évoquais au point 1.4, mais elle transpire plus généralement dans l’ensemble des sciences humaines, en ce qu’elles visent toujours à produire de « l’intelligibilité » en construisant une « connaissance » renseignée par de

« l’information » collectée. Je reprends à dessein ces termes que Passeron distingue les uns des autres et qui constituent les fondements de l’interprétation dans les sciences humaines. Il décrit l’information, l’effet de connaissance, et l’effet d’intelligibilité.

L’information, tout d’abord, est la « donnée » brute, collectée sur le monde empirique. Il cite, comme métaphore, l’exemple d’un annuaire téléphonique, qui est une somme d’informations non traitées.

L’effet de connaissance est ce qui résulte de cette somme d’informations lorsqu’elle est traitée par un processus raisonné, orienté par une question qui est extérieure à l’information elle-même. Ces opérations passent par des mises en relation et des catégorisations, dont le nombre et les caractéristiques ne sont pas limités :

On passe d’une collection d’informations, à un énoncé scientifique lorsqu’on soumet la collection à un rayonnement orienté par une question qui oblige à transformer la forme énumérative de la collection d’information. (Passeron, 2006, p. 370)

Dans la métaphore de l’annuaire, l’effet de connaissance proviendrait d’une recatégorisation de l’information selon, par exemple, les pourcentages

d’indicatifs régionaux. On produit ainsi une connaissance spécifique en interrogeant un corpus informationnel.

L’effet d’intelligibilité, enfin — qui découle de, et prend place dans un régime d’intelligibilité spécifique —, provient de l’énonciation des connaissances, dans une langue conceptuelle. Les effets d’intelligibilité résultent de l’interprétation des connaissances, pour tenter de leur donner un sens, notamment par la mise en relation avec d’autres corpus, et des théories établies, tout en gardant en tête l’impasse d’une ambition généralisante, virtuellement impossible en sciences humaines.

Le travail d’interprétation du chercheur passe donc par cette mise en intelligibilité de l’information récolté sur le terrain. Celui-ci consiste de fait en des « remplissages sémantiques » puisque l’intelligibilité des sciences sociales, qui pour Passeron est nécessairement une intelligibilité comparative, ne permet de produire que des généralisations relatives :

C’est seulement dans le cas de l’intelligibilité comparative57 que le volume des informations exactes contenue dans un discours scientifique se trouve limité à celles qui ont été utilisées par la comparaison elle-même : il ne s’étend au-delà qu’au titre d’hypothèse, remettant en jeu le mouvement comparatif jusqu’à pouvoir à chaque instant le remettre en question.

(Passeron, 2006, p. 381)

Le remplissage sémantique, qu’évoque Passeron, qui donne son sens à l’information — et qui devient par ailleurs d’autant plus nécessaire que l’on recourt à des données fragmentaires — s’apparente à un déchiffrement. Il revient à dépasser une lecture textuelle des données récoltées, pour en interpréter un sens qui n’est, de prime abord, pas dévoilé dans l’information brute. Dans ce cas, la validité scientifique de la démarche provient de ce que le régime d’intelligibilité dans lequel prend place l’interprétation est mis en cohérence avec une méthodologie spécifique. Les entretiens dits

« compréhensifs », par exemple, ne visent alors pas à expliquer des causalités, mais à comprendre les situations et les faits sociaux incorporés dans les interlocuteurs.

57 Par opposition à l’intelligibilité empirique des sciences naturelles, basée sur la reproduction des observations identiques (N.D.L.A).

Paul Ricœur rattache lui aussi l’interprétation à un exercice de sémantique, en ce qu’elle travaille sur des « symboles » — des structures dont le « sens littéral » fait appel à un « sens indirect, » que seul le premier permet d’appréhender :

L’interprétation, dirons-nous, est le travail de pensée qui consiste à déchiffrer le sens caché dans le sens apparent, à déployer les niveaux de signification impliqués dans la signification littérale […] il y a interprétation là où il y a sens multiple et c’est dans l’interprétation que la pluralité des sens est rendue manifeste. (Ricœur, 1969, pp. 17–18)

Je nomme alors herméneutique cet exercice de recomposition sémantique d’un corpus de données — ou une collection d’informations pour reprendre les termes de Passeron —, en vue de le transmettre sous une forme intelligible.

C’est donc la transmission qui est la finalité de l’exercice herméneutique, une opération de médiation qui, comme l’affirmait Veyne, prend la forme d’un récit, d’une narration singulière. L’auteur, ou le chercheur, n’est ainsi pas un agent interchangeable, il est véritablement un interprète au sens ou sa subjectivité façonne le récit produit. Car cette herméneutique se construit sur la rencontre entre un corpus et un individu qui se propose d’en donner une interprétation, or cet individu a des attentes, des préjugés — qui se matérialisent dans une problématique de recherche — qui vont déterminer le type de connaissances et d’intelligibilité produite. Ainsi que le rappellent Pierre Paillé et Alex Mucchielli :

Les attentes, ce sont aussi les questions posées aux corpus, là encore d’une manière et sous des angles qui sont en partie donnés avant même l’abord des textes. Les attentes sont ainsi la base de la mise en tension dont va se sortir l’interprétation. (Paillé & Mucchielli, 2012, p. 106)

La démarche herméneutique avec laquelle j’ai abordé ma collection de données hétérogènes avait donc pour finalité d’en comprendre un sens de prime abord dissimulé. Par une description ordonnancée d’études de cas, il s’agissait d’interroger le corpus collecté selon des angles définis par le programme de recherche (voir point 2.3.1), de comprendre en quoi, le cas échéant, les informations collectées étaient la marque d’une singularité dans les mondes que j’étudiais. Ces cas, de natures très diverses — des projets de commande publique classique et des programmes événementiels essentiellement — sont tous interrogés selon des axes empiriques définis par la problématique (voir Introduction), ils donnent ainsi à voir l’émergence d’une question artistique dans le champ de l’urbanisme. En reliant entre elles ces

informations dans une collection raisonnée, j’espérais déceler les « instances répétées » éclairant un phénomène en cours, en l’occurrence une transformation des processus de production de la ville, par la rencontre entre les mondes de l’art et celui des urbanistes.

De la démarche à la méthode

L’herméneutique, comme je l’ai laissé entendre, n’est pas à proprement parler

L’herméneutique, comme je l’ai laissé entendre, n’est pas à proprement parler